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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3136/2020

ATA/374/2024 du 12.03.2024 sur JTAPI/1053/2023 ( ICCIFD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3136/2020-ICCIFD ATA/374/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 mars 2024

4ème section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE recourante

contre

A______,
représentée par Me Jean-Blaise ECKERT, avocat,

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 octobre 2023 (JTAPI/1053/2023)


EN FAIT

A. a. L’A______ (ci-après : l’association), dont le siège est à B______, avait initialement pour but l’« exploitation dans le canton de Genève d'un établissement médico-social (EMS) ».

b. Le 19 mars 2014, ses statuts ont été modifiés en raison de la transformation de l’EMS en résidence privée à partir du 1er juillet 2014. Depuis le 16 janvier 2015, l’association a ainsi pour but l’« exploitation dans le canton de Genève d'une résidence pour personnes âgées et d'un foyer de jour, notamment, au sens des dispositions légales cantonales » (art. 2 al. 1 des statuts de l’association).

Selon l’art. 2 al. 3 de ses statuts, elle ne poursuit aucun but lucratif et n’a aucun caractère politique ni confessionnel.

En cas de dissolution, la dernière assemblée générale attribue, dans la mesure du possible, les biens de l’association à la C______ (ci-après : la fondation), à B______, subsidiairement à une autre institution poursuivant des buts analogues et bénéficiant de l’exonération fiscale (art. 18 al. 4 des statuts de l’association).

Ses ressources sont les pensions, produits de l’activité, revenus des avoirs, cotisations, dons, legs et autres attributions (art. 15 des statuts de l’association).

c. La fondation a bénéficié d’une exonération fiscale depuis sa création en 1921 jusqu’en 2017. Son but consiste en « l’exploitation et l’entretien d’une maison de convalescence ou pour séjours de longue durée » (art. 3 des statuts de la fondation).

d. Actuellement, l’association exploite la résidence « D______ » (ci-après : la résidence). À cette fin, elle loue le bâtiment l’abritant, propriété de la fondation.

e. Par arrêté du 24 juin 2014, le département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé (devenu depuis lors le département de la santé et des mobilités ; ci-après : le département) a révoqué avec effet au 30 juin 2014 l’autorisation d’exploitation de l’EMS « D______ », qui lui avait été accordée le 7 novembre 2011 et a retiré celui-ci de la liste des établissements accueillant des personnes âgées.

f. Par un deuxième arrêté du 27 octobre 2014, le département a autorisé l’association à exploiter la résidence depuis le 1er juillet 2014, sans lui conférer le droit de figurer sur la liste des EMS.

B. a. Par arrêté du 5 juillet 2000, le Conseil d’État a exonéré fiscalement l’association pour une durée de cinq ans, renouvelée.

b. Par pli du 31 août 2015, l’association a sollicité de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) le renouvellement de son exonération fiscale.

En raison de la taille limitée du bâtiment et du nombre de chambres, ainsi que des contraintes toujours plus importantes relatives à l’encadrement des résidents en EMS, elle n’exploitait plus un EMS, mais une résidence pour personnes âgées. Elle en détaillait les activités.

c. Par décision du 31 mai 2018, l’AFC-GE a rejeté cette requête.

L’association ne remplissait pas les critères lui permettant de bénéficier d’une exonération pour but de service public. Les prix de pension facturés et les prestations offertes par la résidence ne répondaient pas aux nécessités et aux moyens financiers de la population. La possibilité de loger à la résidence était ainsi limitée à une catégorie de la population possédant des ressources financières suffisantes, de sorte qu’elle était réservée à un cercle restreint d’individus. Désormais, elle exerçait une activité commerciale orientée sur l’obtention de bénéfices.

d. L’association a élevé réclamation contre la décision précitée.

En tant qu’EMS, elle devait verser un loyer annuel de CHF 348'000.-. Toutefois, à titre de soutien de son activité et en raison des pertes comptabilisées du fait du changement de type d’exploitation, la fondation avait accepté de le réduire à CHF 200'000.-. Cette baisse de loyer lui avait permis de réaliser un bénéfice en 2016. Les prestations fournies n’avaient aucun caractère luxueux et le prix de pension comprenait l’ensemble des prestations, tandis qu’elle ne bénéficiait plus des subventions étatiques. Elle continuait cependant à accueillir des personnes bénéficiant de prestations complémentaires à un tarif préférentiel et à mettre à disposition des lits aux personnes en attente de places dans les EMS. Sans le sacrifice de la fondation et les dons de tiers, elle bouclerait chaque année des comptes déficitaires.

e. Par décision du 28 août 2020, l’AFC‑GE a rejeté la réclamation.

La contribuable fonctionnait principalement sur la base de pensions facturées et exerçait une activité commerciale prépondérante. L’exploitation sous la forme commerciale, à titre d’activité effective principale, même sans but lucratif, d’une résidence pour personnes âgées était considérée comme activité à but économique et ne correspondait pas aux critères d’intérêt général et de désintéressement.

f. Le même jour, l’AFC-GE a rejeté la réclamation de la fondation, qui contestait également la révocation de son exonération fiscale.

C. a. Par acte du 30 septembre 2020, la fondation a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), en contestant la révocation de son exonération fiscale (cause A/3137/2020).

b. Par acte du même jour, l’association a également recouru auprès du TAPI en concluant, préalablement, à la jonction de son recours avec celui de la fondation, à l’audition de témoins et, principalement, à l’octroi de son exonération fiscale (cause A/3136/2020).

Étaient joints ses comptes 2014 à 2019, ainsi que ceux de la fondation pour la même période. Les comptes de l’association présentaient des pertes à hauteur de CHF 166'117.01 en 2013, CHF 398'771.53 en 2014, CHF 229'338.06 en 2015 et CHF 42'879.74 en 2018, ainsi que des profits en CHF 105'212.46 en 2016, CHF 141'240.56 en 2017 et CHF 84'102.42 en 2019. Ceux de la fondation présentaient des pertes en CHF 46'393.39 en 2014, CHF 131'737.93 en 2015, CHF 101'849.02 en 2016, CHF 33'070.95 en 2017, CHF 82'729.87 en 2018 et CHF 40'579.48 en 2019, ainsi que des profits en CHF 17'542.93 en 2013.

Elle produisait également les documents suivants :

- un avenant au contrat de bail à loyer du bâtiment de la résidence indiquant une réduction du loyer annuel de CHF 348'000.- à CHF 200'000.- du 1er juillet 2014 au 30 juin 2019 ;

- une convention du 11 mai 2017 entre la fondation et elle-même, par laquelle la première acceptait de postposer ses créances de CHF 704'963.10 derrière toutes les autres créances actuelles et futures de la seconde.

c. Par décisions des 1er février 2021 (DITAI/50/2021) et 22 février 2022 (DITAI/93/2022), le TAPI a suspendu l’instruction de la cause, d’entente entre les parties, jusqu’au 27 février 2023.

d. L’AFC-GE a sollicité la jonction des causes A/3136/2020 et A/3137/2020, et conclu au rejet du recours.

Était notamment joint un courrier du département du 1er juin 2022, confirmant que la résidence n’avait plus le statut d’EMS depuis 2014 en raison du fait que le bâtiment n’était plus aux normes pour l’accueil de personnes âgées et qu’il ne pouvait plus couvrir les déficits qu’elle engendrait depuis plusieurs années. La situation déficitaire et l’absence de fonds propres avaient incité le département à chercher une solution pour l’avenir de la résidence. La décision de maintenir le statut d’EMS de la résidence aurait reporté le problème de sa situation financière déficitaire.

e. Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué en persistant dans leurs développements et conclusions.

L’association a produit ses comptes annuels pour les années 2019 à 2022, mentionnant notamment :

- la créance postposée de la fondation de CHF 704'963.10 en 2020 ;

- des pertes à hauteur de CHF 122’318.88 en 2020, CHF 78'081.84 en 2021 et CHF 33'318.31 en 2022 ;

- des loyers pour un montant total de CHF 200'000.- en 2019, CHF 50'000.- en 2020, 2021 et 2022.

Étaient également joints les comptes annuels de la fondation pour les années 2020 à 2022, indiquant des pertes de CHF 559'331.96 en 2020, CHF 323'297.73 en 2021 et CHF 294'767.28 en 2022.

f. Par jugement du 2 octobre 2023, le TAPI a admis le recours.

Les procédures A/3136/2020 et A/3137/2020 concernant des contribuables distinctes ne seraient pas jointes afin de préserver le secret fiscal.

Il n’y avait pas lieu non plus de procéder à l’audition de témoins, dès lors que le litige visait à déterminer si la contribuable remplissait les conditions d’une exonération fiscale.

Compte tenu du fait que l’AFC-GE admettait que l’association remplissait les trois conditions générales pour bénéficier d’une exonération fiscale, mais pas les autres exigences, la question était de savoir si l’association poursuivait un but de service public. Même si les résidences pour personnes âgées se distinguaient des EMS en ce qui concernait l’octroi de subventions et la prise en charge des soins médicaux, elles participaient aux tâches de santé publique, en accueillant des personnes ayant atteint l’âge de bénéficier des prestations de l’AVS et dont l’état de santé requérait des soins. Elles permettaient également d’éviter d’encombrer les EMS genevois, notoirement surchargés. L’association accomplissait donc des activités liées aux tâches étatiques.

Ses statuts lui interdisaient de poursuivre un but lucratif. Il ressortait de sa comptabilité que, même lorsqu’elle bénéficiait du statut d’EMS, ses revenus provenaient également pour l’essentiel des pensions facturées aux résidents. Sans les réductions de loyer consenties par la fondation et la postposition de la créance de cette dernière, l’association se serait retrouvée en situation de surendettement. Il résultait de ses comptes que ses exercices financiers 2014 à 2022 s’étaient soldés par des pertes, excepté en 2016, 2017 et 2019. Le bilan de ces neuf exercices faisait apparaître un important découvert ainsi que des pertes reportées importantes. Les bénéfices réalisés durant trois années avaient été intégralement utilisés afin d’éponger une partie des pertes reportées. L’AFC-GE soutenait ainsi à tort que l’association avait, durant plusieurs années, accumulé des bénéfices. L’augmentation du prix journalier de la pension par l’association ne révélait pas une intention de sa part de réaliser un bénéfice, mais s’expliquait par le fait que, depuis la révocation de son statut d’EMS en 2014, elle avait perdu deux sources de revenus, soit les recettes provenant des caisses-maladie et les subventions cantonales.

L’exonérer ne violerait pas le principe de la neutralité concurrentielle, puisqu’elle n’obtiendrait pas d’avantages fiscaux par rapport aux EMS et résidences pour personnes âgées qui le seraient également, ni envers les résidences ne bénéficiant pas d’une telle exemption, notamment si celles-ci poursuivaient un but lucratif. Il se justifiait de traiter différemment une résidence poursuivant un but lucratif et celle sans but économique.

S’il était regrettable que la présence de représentants des pouvoirs publics au sein de l’association ne fût pas prescrite dans ses statuts, il résultait des éléments du dossier, notamment des inspections effectuées par le département et des mesures prises en vue ou à la suite de celles-ci, que l’association avait fait l’objet d’une surveillance étatique effective.

Finalement, en cas de liquidation de l’association, ses biens reviendraient à la fondation, une institution exonérée de l’impôt qui avait le même but ou un but similaire. Subsidiairement, ils seraient dévolus à une autre institution poursuivant des buts analogues et bénéficiant de l’exonération fiscale.

Par conséquent, l’association remplissait toutes les conditions pour bénéficier d’une exonération fiscale.

g. Par jugement du même jour, le TAPI a rejeté le recours interjeté par la fondation.

D. a. Par acte du 2 novembre 2023, l’AFC-GE a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, en concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision du 31 mai 2018.

En admettant que les conditions d’une exonération fiscale étaient réunies in casu, le TAPI avait élargi de manière contraire à la loi et la jurisprudence la notion de service public. Il n’avait pas examiné la question de savoir si l’association bénéficiait d’une délégation de l’État pour poursuivre une tâche de service public. Bien que les conditions d’exploitation d’une résidence pour personne privée fussent régies par la loi sur la gestion des établissements pour personnes âgées du 4 décembre 2009 (LGEPA - J 7 20), l’association ne bénéficiait d’aucune délégation de l’État, mais uniquement d’une autorisation d’exploiter. L’association n’avait pas été constituée sous l’impulsion d’une autorité. Elle ne bénéficiait d’aucun contrat de prestation avec l’État. Il n’existait qu’une surveillance partielle de l’État, uniquement en matière de soins conformément à la LGEPA. Il n’existait pas d’autre surveillance de l’État, dès lors qu’aucun représentant de la commune ou du canton ne siégeait au comité de l’association. Il n’avait pas été démontré une quelconque adaptation des prix en cas d’impossibilité pour les personnes âgées de payer le prix plein, de sorte que les prestations de l’association n’étaient pas ouvertes à tous les milieux sociaux. Compte tenu du montant des pensions très élevé, seules des personnes provenant de milieux sociaux privilégiés pouvaient y accéder.

La poursuite d’un but de service public devait être refusée à l’association en raison de son but lucratif. Ses activités avaient une forte composante économique puisque des pensions étaient perçues. Le fait que les statuts mentionnaient qu’elle ne poursuivait pas de but lucratif n’était pas déterminant. Ne bénéficiant plus du statut d’EMS, elle ne bénéficiait plus d’un statut d’utilité publique et ses tarifs n’étaient plus contrôlés par l’État. Dans la mesure où elle avait décidé de sortir du statut d’EMS, son choix d’augmenter le prix de ses tarifs à CHF 300.- par jour lui était opposable. Lui accorder une exonération fiscale créerait une distorsion de concurrence incompatible avec la réglementation en vigueur par rapport aux autres résidences de séjour n’en bénéficiant pas. Ce cas différait de la jurisprudence citée par le TAPI.

Il en allait de même de l’exonération fiscale fondée sur la poursuite de buts d’utilité publique. Les tarifs pratiqués démontraient que les prestations de l’association ne s’adressaient pas à tous les milieux sociaux. Il ne pouvait donc être considéré qu’il y avait un cercle ouvert des bénéficiaires. La notion de sacrifice de la condition du désintéressement faisait défaut in casu. L’analyse des états financiers laissait apparaître que l’essentiel des ressources de l’association était de nature commerciale. L’association avait renoncé à son statut d’EMS, afin de devenir une résidence pour personnes âgées, avec pour conséquence que ses tarifs étaient devenus plus élevés que ceux pratiqués dans les EMS et ne tenaient pas compte de la situation financière des personnes âgées.

b. L’association a conclu au rejet du recours.

L’autorité fiscale confondait les notions d’activité et de but lucratif. Exercer une activité économique, telle que la perception d’une pension, ne correspondait pas nécessairement à poursuivre un but lucratif si ladite activité ne constituait qu’un moyen d’atteindre un but non lucratif. Son raisonnement conduirait à retenir que toutes les institutions qui facturaient des pensions avaient un but lucratif, ce qui n’était pas soutenable. Il appartenait à la recourante de démontrer que son activité était orientée vers l’obtention d’un gain alors que les éléments du dossier indiquaient le contraire. Déficitaire depuis plusieurs années, les bénéfices qu’elle avait dégagés lors des exercices 2017 et 2019 avaient été réinvestis dons son activité. Face à ces pertes, elle n’avait pas augmenté le prix des pensions facturées comme l’aurait fait un acteur concurrentiel dans une situation de marché. Seule la réduction de son loyer de plus de 85% par la fondation et la postposition de la créance de celle-ci lui avaient permis d’éviter le surendettement. Si, après la perte de son statut d’EMS, elle avait dû augmenter ses tarifs, dite augmentation n’avait pas été motivée par l’intention de réaliser un bénéfice, mais par la perte de deux sources de revenus : les subventions cantonales et les recettes provenant des assureurs maladie. Même après avoir perdu le statut d’EMS, elle avait continué d’héberger des bénéficiaires de prestations complémentaires. Lors de l’augmentation de ses tarifs, elle aurait pu demander à l’État de reloger les bénéficiaires de prestations complémentaires dans un EMS, ce qu’elle n’avait pas fait. La réalisation de son but social primait donc toute considération de rationalité économique.

Tant la jurisprudence que l’AFC-CH considéraient que la délégation de service public ne s’appliquait que pour les entités qui poursuivaient en sus un but lucratif. Pour les entités sans but lucratif et d’assistance mutuelle, il suffisait qu’elles poursuivissent effectivement un but de service public et que les conditions générales de l’exonération fussent remplies. Ainsi, il importait peu de savoir si ces tâches se fondaient expressément sur une loi ou si elles étaient considérées communément comme une tâche de la collectivité publique. Compte tenu du fait qu’en 2022, presque la moitié des institutions pour personnes âgées étaient des établissements privés et non subventionnés, il paraissait difficilement soutenable de nier la qualité de service public à ses activités au seul motif qu’elle opérait sans subvention étatique. Dans le contexte actuel de pénurie de places dans les institutions pour personnes âgées, il ne faisait aucun doute que son offre répondait à un besoin des aînés et que les activités entraient dans le cadre du mandat constitutionnel et législatif imposé à l’État. Ses activités étaient propres à la collectivité publique et constituaient donc un service public. Son activité était également soumise à la surveillance de l’État, tel que voulue par le législateur, étant rappelé qu’un résident au bénéfice de prestations complémentaires demeurait encore à ce jour à la résidence.

Le tarif n’avait pas été fixé dans le but de réaliser un bénéfice ou pour limiter à une clientèle aisée le cercle des résidents. S’il découlait de l’augmentation du tarif que seules les personnes avec des moyens suffisants pouvaient en devenir résidents, cette limite était rendue nécessaire par ses moyens limités et était imposée par la volonté de l’État de ne plus soutenir les petites structures d’accueil de personnes âgées. Il était économiquement impossible pour toute institution non subventionnée qu’elle admette des résidents dont les moyens ne couvraient pas les frais de prise en charge, sans que la différence ne fût compensée par l’État.

Considérer le contraire violerait le principe de la neutralité concurrentielle, étant donné que tous ses concurrents étaient au bénéfice d’une exonération fiscale pour but de service public, en plus de bénéficier de subventions. Le seul fait que les EMS devaient obtenir une autorisation d’exploitation plus complète que les résidences pour personnes âgées, et fussent donc soumis à un contrôle plus incisif de l’autorité, ne pouvait suffire à justifier une inégalité de traitement fiscal. En renonçant au statut d’EMS, elle avait certes renoncé aux subventions et à une partie des contrôles qui les accompagnaient, mais elle n’avait pas altéré son but non lucratif, ni ses activités qui, du moins tant que durerait la pénurie de places en institutions pour personnes âgées, devaient être qualifiées comme ressortissant au service public, subsidiairement à l’utilité publique. Il n’existait donc pas de circonstance objective justifiant de la traiter différemment, sur le plan fiscal, par rapport à ses concurrents, et de lui refuser sur cette base le bénéfice d’une exonération fiscale.

c. Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur le refus de renouveler l’exonération fiscale dont a bénéficié l’association jusqu’en 2014.

La recourante conteste que l’intimée remplisse les conditions spéciales permettant l’octroi d’une exonération fiscale, en particulier celle de la réalisation d’un but de service public, vu la poursuite d’un but lucratif en raison du tarif des pensions de la résidence.

2.1.1 Selon l’art. 56 let. g de la loi fédérale sur l'IFD du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), sont exonérées de l'impôt les personnes morales qui poursuivent des buts de service public ou d’utilité publique, sur le bénéfice exclusivement et irrévocablement affecté à ces buts (1re phr.). Des buts économiques ne peuvent être considérés en principe comme étant d’intérêt public (2e phr.).

L'art. 9 al. 1 let. f de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15) a une teneur identique. Dans ces conditions, l'interprétation de l'art. 9 al. 1 let. f LIPM peut s'appuyer sur celle du droit fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 2C_484/2015 et 2C_485/2015 du 10 décembre 2015 consid. 1).

2.1.2 L'exonération d'une personne morale, sur la base des dispositions précitées, suppose la réalisation de trois conditions générales : l'exclusivité de l'utilisation des fonds, l'irrévocabilité de l'affectation des fonds et l'activité effective de l'institution conformément à ses statuts (ATF 131 II 1 consid. 3.3 ; 127 II 113 consid. 6b ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_740/2018 du 18 juin 2019 consid. 5.3 ; 2C_484/2015 et 2C_485/2015 précités consid. 5.3).

Hormis ces trois conditions générales, le but de la personne morale doit pouvoir être qualifié « de service public » ou « de pure utilité publique », conformément au texte de l'art. 56 let. g LIFD, étant précisé que des conditions spécifiques distinctes doivent être remplies selon que l'exonération requise est fondée sur l'une ou l'autre de ces hypothèses. L'exonération fondée sur la poursuite de buts de pure utilité publique suppose en particulier la réalisation des deux conditions spécifiques suivantes : l'exercice d'une activité d'intérêt général en faveur d'un cercle ouvert de destinataires et le désintéressement (ATF 147 II 287 consid. 5.2).

2.1.3 L'exonération fondée sur un but de service public constituant une exception, elle doit être interprétée de manière restrictive. Une personne morale poursuit des buts de service public si elle accomplit des tâches étroitement liées aux tâches étatiques. Les tâches des collectivités sont multiples et la notion de service public n'est pas immuable, mais varie en fonction de l'évolution des conceptions et des besoins.

Selon la jurisprudence et la pratique fiscale, une exonération en raison de la poursuite d'un but de service public est en principe exclue lorsqu'une personne morale poursuit principalement des buts lucratifs ou d'assistance mutuelle, même si ceux-ci servent simultanément des buts d'intérêt public. Une exonération, totale ou partielle – étant précisé que l'exonération partielle demande une séparation claire du point de vue comptable –, demeure toutefois possible si la personne morale a été chargée d'une tâche de service public par un acte de droit public (p. ex. une loi) ou si la collectivité publique (p. ex. une commune) a manifesté expressément son intérêt pour cette personne morale. Il faut en outre que la personne morale soit soumise à une certaine surveillance de la collectivité publique, pour s'assurer qu'elle réalise effectivement la tâche de service public, et que ses fonds propres soient affectés par ses statuts de manière exclusive et irrévocable à ses buts d'intérêt public. Dans tous les cas, l'exonération ne peut être admise que si les buts lucratifs ou d'assistance mutuelle sont secondaires par rapport au but principal de service public de la personne morale. Ainsi, une exonération, même partielle, est exclue lorsque la personne morale poursuit des buts lucratifs ou d'assistance mutuelle qui excèdent une certaine mesure. Il s'agit en effet, en cas d'activité lucrative de la personne morale, de respecter le principe de neutralité concurrentielle. Celui-ci ne trouve toutefois à s'appliquer qu'entre personnes morales placées dans des situations comparables de concurrence (ATF 146 II 359 ch. 5.2 et les références citées).

2.1.4 La circulaire n° 12 de l'administration fiscale fédérale (ci-après : AFC-CH) du 8 juillet 1994 sur l'exonération de l'impôt pour les personnes morales poursuivant des buts de service public ou de pure utilité publique à l'attention des administrations cantonales de l'IFD (ci-après : circulaire n° 12) détaille à l'intention des administrations cantonales la jurisprudence en la matière. Elle ne lie pas l’autorité judiciaire, mais celle-ci peut s'en inspirer et la prendre en considération en vue d'assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré (ATF 141 II 338 consid. 6.1 ; 133 II 305 consid. 8.1).

S’agissant des conditions pour les personnes morales qui poursuivent des buts de service public, il est précisé que ceux-ci ne peuvent recouvrir qu’une catégorie limitée de tâches qui, contrairement aux buts de pure utilité publique, sont étroitement liées aux tâches de la collectivité publique et ne supposent pas un sacrifice. Des personnes morales de droit privé ou d’économie mixte peuvent également se charger de telles tâches. On ne peut en principe pas accorder l’exonération de l’impôt pour des bus de service public aux personnes morales qui poursuivent principalement des buts lucratifs ou d’assistance mutuelle, même si elles poursuivent simultanément des buts de service public. Une exonération de l’impôt reste toutefois réservée, lorsqu’un acte fondé sur le droit public (p. ex. une loi) charge une telle personne morale d’exécuter une tâche de service public ou lorsque la collectivité publique (p. ex. une commune) manifeste expressément son intérêt pour cette personne morale et exerce une certaine surveillance et qu’au surplus les statuts précisent l’attribution exclusive et irrévocable du capital propre à un but de service public. Cela signifie que les fonds de la personne morale (à l’exception de l’apport des associés au capital-actions/valeur nominale) doivent toujours, en cas de liquidation de la personne morale, revenir à la collectivité publique ou à une institution exonérée de l’impôt qui a le même but ou un but similaire et qu’aucun dividende (ou au moins aucun dividende excessif) ne doit être versé (circulaire n° 12, II/4).

2.1.5 La notion de but économique ou lucratif ne doit pas être confondue avec celle d'activité économique. Il convient de distinguer le but (idéal ou lucratif), d'une part, et les moyens (c'est-à-dire l'activité éventuellement économique) exercés pour poursuive ce but, d'autre part (Henry PETER/Benoît MERKT, Utilité publique et activité économique in Expert focus, 2019/3, p. 209 et 210).

Il y a activité lucrative lorsqu'une personne morale, en situation réelle de concurrence ou de monopole économique, engage des capitaux et du travail pour obtenir un bénéfice et exige, pour ses prestations, une rétribution analogue à celle qui est payée d'ordinaire dans la vie économique (circulaire n° 12, II/3b). Une activité lucrative exercée dans le cadre d'un monopole ne devient pas pour autant d'intérêt public. L'exonération d'une entreprise commerciale serait au demeurant contraire au principe de la neutralité économique, quand bien même elle se consacrerait exclusivement à un but exonéré ou qu'elle affecterait l'entier du bénéfice à ce but, de telles entreprises devant être traitées fiscalement comme celles qui ne poursuivent pas un but désintéressé (Nicolas URECH, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Commentaire romand - Impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, ad art. 56 let. g LIFD n. 74 et les références citées).

2.1.6 La circulaire de la Conférence suisse des impôts du 18 janvier 2008 sur l'exonération fiscale des personnes morales qui poursuivent des buts de service public, d'utilité publique ou des buts cultuels (ci-après : circulaire CSI), complète par ailleurs la circulaire no 12.

S’agissant de l’exonération des homes pour personnes âgées, pensions et homes médico-sociaux, la circulaire CSI (ch. 3 p. 8 s.) considère que l’exploitation de résidences pour personnes âgées et homes médicalisés constitue une tâche sociale. L’exonération fiscale requiert avant tout la forme juridique d’une personne morale et l’affectation irrévocable des biens. Le motif de l’exonération est fondé en premier lieu sur le but de « service public ». Les protagonistes des résidences pour personnes âgées et homes médico-sociaux sont souvent des communes politiques, des bourgeoisies communales, des regroupements de communes ou d’autres corporations de droit public. Dans de tels cas, l’on se trouve en règle générale en présence d’un service public. Par ailleurs, un motif spécial d’exonération est donné en raison de la structure juridique. Il est toutefois important d’examiner la présence d’un service public, lorsque la structure est organisée selon le droit privé. En l’absence d’un motif d’exonération qui serait fondé sur un but de service public, il convient encore de déterminer si celui-ci peut reposer sur la notion d’utilité publique.

Un but de service public se caractérise par l’accomplissement d’une tâche relevant de la fonction publique. La question de savoir si l’exploitation de résidences pour personnes âgées et homes médico-sociaux correspond à des tâches relevant de la fonction publique doit être examinée d’abord sur la base des dispositions légales cantonales respectives et des obligations qui y sont définies. Un service public correspond à une obligation définie de manière explicite dans une loi dont la commune ou le canton est responsable de son exécution. D’autres indices peuvent laisser conclure à l’existence d’une tâche de la collectivité même en l’absence de dispositions légales explicites qui chargeraient le canton ou la commune de l’exploitation des résidences pour personnes âgées et homes médico-sociaux. De tels indices sont constitués par l’exercice de l’activité basée sur un mandat de prestations établi par la commune, par une importante participation de la commune aux coûts de construction ou d’exploitation, par le versement de prestations annuelles régulières, par la participation, voire l’initiative prise par la commune lors de la création de l’institution, finalement par la surveillance ou la représentation de la commune dans les organes.

Outre les tâches de service public, des buts lucratifs ou d’assistance mutuelle ne peuvent en principe pas être poursuivis simultanément. L’activité du foyer ne doit pas, en premier lieu, être orientée vers l’obtention d’un gain ; si un excédent de recettes ou un bénéfice est dégagé, celui-ci doit être réinvesti. La constitution de fonds propres exagérés n’est pas autorisée.

Les résidences pour personnes âgées et homes médicalisés dont l’étendue des services s’oriente vers des personnes très aisées en raison des prestations luxueuses et onéreuses, ne remplissent en principe pas une fonction de service public. Cela est également valable pour les offres d’appartements/résidences luxueux. De telles institutions ne sont réservées dans les faits qu’à un cercle limité d’individus et n’exigent, en principe, pour remplir leur fonction guère de sacrifices personnels ou financiers notables. Les exigences du service public ne sont alors pas remplies. La justification, dans un cas particulier, de la poursuite d’un but désintéressé et l’existence de sacrifices reste cependant réservée. L’offre de prestations comportant un certain degré de luxe ne se situe pas nécessairement en dehors du cadre de celles reconnues comme répondant à la notion de service public. Il ne peut en particulier pas être requis que les services offerts aux résidents par les établissements médico-sociaux doivent se situer au niveau du minimum nécessaire à l’existence (minimum vital).

En présence d’une offre dont le luxe exagéré n’est plus compatible avec la notion de service public, il conviendra de décider si le niveau atteint par les prix et les prestations ne répond en aucune manière aux nécessités et aux possibilités de la population, pour être au contraire réservée exclusivement à un cercle très limité de personnes particulièrement aisées. Une telle situation peut être analysée par rapport aux conditions d’admission ainsi qu’aux prix pratiqués. En cas de doute sur la présence d’un but de service public, une prise de position peut être recherchée auprès de l’autorité cantonale compétente en matière de résidences pour personnes âgées voire, le cas échéant, auprès de la collectivité publique concernée.

Selon le Tribunal fédéral, les considérations qui précèdent ne sont pas contraires au droit fédéral et à sa jurisprudence, de sorte qu’elles peuvent être prises en considération (arrêt du Tribunal fédéral 2C_740/2018 du 18 juin 2019 consid. 5.6).

2.1.7 Selon l’art. 33 LGEPA, les résidences pour personnes âgées sont des structures de séjour (al. 1). Les résidences peuvent avoir un but lucratif (al. 2). Elles ne sont pas éligibles pour percevoir le financement résiduel et ne figurent pas sur la liste des établissements admis par le canton au sens de la loi fédérale sur l'assurance‑maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10 ; al. 3).

L’art. 34 LGEPA ajoute que toute résidence soumise à la LGEPA doit être au bénéfice d'une autorisation d'exploitation (al. 1). L'autorisation est délivrée à la personne morale : qui dispose de locaux appropriés, répondant aux conditions légales d'hygiène, de salubrité et de sécurité (let. a) ; qui fournit des prestations d'hébergement, de restauration et d'animation de qualité (let. b) ; lorsque les professionnelles ou professionnels de santé qui interviennent dans la résidence et qui dispensent des prestations ambulatoires sont agréés (let. c, al. 2). Les art. 9 et 10 LGEPA sont applicables (al. 3).

La surveillance des résidences et l'instruction des réclamations sont assurées par le département compétent en vertu de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03), pour les domaines médical et de soins (art. 35 LGEPA).

L’intervention de l'État dans ce type de structure est moindre que celle exercée dans les EMS (PL 10401, p. 48 ; ATA/705/2014 du 2 septembre 2014 consid. 9a).

2.1.8 Dans son arrêt 2C_740/2018 précité, le Tribunal fédéral, examinant l’octroi d’une exonération fiscale pour but de service public à une association visant notamment la location d’appartements avec services adaptés à des seniors autonomes, a rappelé que la question de l’exonération fiscale de personnes morales proposant des logements avait déjà été abordée dans quelques arrêts (consid. 5.4). Dans le cas soumis, l’exercice d’une tâche de service public était confirmé. L’implication de la commune dans le projet, la surveillance exercée par celle-ci au travers de la présence de représentants au sein du comité de l’association, le caractère modéré des loyers pratiqués, l’absence de rémunération des membres du comité au-delà d’un défraiement et le fait que le restaurant n’ait pas été conçu pour obtenir un bénéfice mais pour servir prioritairement de lieu d’accueil et d’échange pour les locataires, permettaient de considérer que les conditions à l’octroi d’une exonération en raison de la poursuite d’un but de service public étaient réalisées nonobstant l’aspect économique de l’activité de l’association (consid. 6.3.3).

2.2 De manière générale, le principe de la neutralité concurrentielle interdit les mesures qui ont pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre concurrents directs, au sens de personnes appartenant à la même branche économique, qui s'adressent au même public avec des offres identiques, pour satisfaire le même besoin. Pour éviter toute inégalité, l'exonération devrait même être refusée dans l'hypothèse d'une concurrence virtuelle ; on pensera notamment à l'installation d'un jeune boulanger qui pourra être rendue impossible compte tenu de l'existence d'une institution, en faveur de la promotion du pain, exploitant un tel commerce de manière ponctuelle ou régulière et ayant bénéficié d'avantages fiscaux. En d'autres termes, le but statutaire d'une personne morale n'est pas déterminant de ce point de vue. L'octroi de l'exonération fiscale ne dépend pas seulement du contenu des statuts de la personne morale, mais encore de son comportement et de ses activités effectives, étant rappelé que le simple fait de prétendre exercer statutairement une activité exonérée de l'impôt n'est pas suffisant (ATA/1635/2019 du 5 novembre 2019 consid. 7c et les références citées).

Le principe de la neutralité concurrentielle ne saurait conduire à refuser le bénéfice de l'exonération à toutes les personnes morales de service public ou d'utilité publique dès qu'elles ne relèvent pas des monopoles étatiques (arrêt du Tribunal fédéral 2C_740/2018 consid. 5.3).

2.2.1 Dans la mesure où les conditions précitées sont cumulatives (arrêts du Tribunal fédéral 2C_835/2016 précité consid. 2.1 ; 2C_143/2013 du 16 août 2013 consid. 3.3), l'absence d'une seule d'entre elles suffit à exclure l'exonération fiscale. Il appartient toujours à la personne qui en fait la demande de prouver que les conditions de l'exonération exigées par le législateur sont remplies (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; circulaire no 12, II/1). Les conditions donnant droit à une exonération peuvent être examinées à nouveau à chaque période de taxation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_484/2015 et 2C_485/2015 précités consid. 5.5.3).

2.2.2 L'autorité d'application de la loi jouit d'un pouvoir d'appréciation relativement étendu en raison du caractère indéterminé de certains des motifs d'exonération (par exemple : but de service public ou de pure utilité publique, but cultuel, etc. ; ATF 128 II 56 consid. 5c).

2.3 En l’espèce, il est admis que l’intimée remplit les trois conditions générales susmentionnées. Demeure seule litigieuse la question de savoir si elle poursuit un but de service public.

La recourante estime que le TAPI s’est livré à une interprétation extensive de cette notion, dans la mesure où la délégation de l’État en faveur de l’association pour la poursuite d’une tâche de service public n’avait pas été examinée et que l’intimée n’était pas soumise à la surveillance de l’État. Cette dernière poursuivait également un but lucratif en raison du prix de pension, qui restreignait le cercle des destinataires aux personnes aisées. La notion de sacrifice de la condition du désintéressement faisait défaut.

2.3.1 En premier lieu, force est de constater que, contrairement aux allégations de la recourante, le jugement querellé aborde expressément la question de la surveillance de la part de la collectivité.

En se fondant sur les éléments du dossier, les premiers juges ont considéré que l’intimée avait fait l’objet d’une surveillance étatique effective comme l’imposait l’art. 35 LGEPA. Cela suffisait à retenir que cette exigence était remplie.

Cette approche rejoint celle du Tribunal fédéral, lequel a rappelé dans la jurisprudence précitée, notamment en se basant sur la circulaire n° 12 et la circulaire CSI, que l’exonération de l’impôt restait réservée lorsque la collectivité publique manifestait expressément son intérêt pour la personne morale concernée et exerçait une certaine surveillance. De même, le principe de la neutralité concurrentielle ne pouvait conduire à refuser le bénéfice de l’exonération à toutes les personnes morales de service public dès qu’elles ne relevaient pas des monopoles étatiques.

En l’occurrence, les documents produits, en particulier le courrier du département du 1er juin 2022, démontrent que l’intimée n’a pas choisi par pure convenance de devenir une résidence et de perdre son statut d’EMS. Dite décision a, au contraire, fait l’objet de discussions avec le département, ce que ce dernier a confirmé en la justifiant par l’absence de conformité du bâtiment aux normes pour l’accueil de personnes âgées et l’impossibilité de couvrir les déficits engendrés par cette structure. La résidence a cependant continué à accueillir des personnes au bénéfice de prestations complémentaires, en dépit des pertes que cela pouvait créer, ainsi que des personnes en attente de places dans des EMS. L’intimée a donc pallié la surcharge des EMS en persistant à subvenir aux besoins de l’État dans ce domaine, sans nécessairement percevoir le prix des pensions facturé. À cela s’ajoute qu’en dépit de ses difficultés financières et de sa renonciation au statut d’EMS, l’association a obtenu une autorisation afin de poursuivre l’exploitation de la résidence en tant que telle, conformément à la LGEPA.

Ce nouveau statut, octroyé uniquement sur décision du Conseil d’État, implique qu’elle reste soumise à une certaine surveillance du département, ce dont les inspections effectuées en 2014, 2015 et 2019 et les rapports y relatifs attestent.

Par ailleurs, si la maire de la commune ne fait désormais plus partie du comité de l’intimée, elle y est néanmoins restée jusqu’en 2019, alors que l’EMS était devenu une résidence depuis le 1er juillet 2014. De plus, ce changement correspond au terme de sa législature en 2020. La personne qui était alors vice-président en est devenu le président, étant précisé qu’il s’agit d’un habitant de la commune.

En ces circonstances, on ne saurait in casu se limiter à une approche aussi formelle que celle adoptée par la recourante pour dénier à l’intimée la reconnaissance de la poursuite d’un but de service public. C’est à bon droit que le TAPI a considéré que l’intimée remplissait cette condition.

2.3.2 En revanche, conformément à la jurisprudence et aux directives susrappelées, la seule indication d’un but statutaire non lucratif à l’art. 2 al. 3 des statuts de l’intimée ne saurait suffire à qualifier celui-ci comme tel. Dès lors que la résidence perçoit des pensions en vue de la rémunération des services mis à disposition de ses résidents, la jurisprudence et la pratique fiscale relatives aux conditions strictes d’exonération des personnes morales poursuivant potentiellement des buts lucratifs lui sont applicables.

Cela étant, le fait que l’intimée poursuive un but lucratif n’implique pas qu’elle déploie une activité économique. Dans ce cadre, l’examen des comptes de l’intimée effectué à juste titre par le TAPI indique que ceux-ci sont largement déficitaires. En effet, seuls l’importante réduction de loyer accordée par la fondation (de CHF 348'000.- à CHF 200'000.-, puis à CHF 50'000.- à partir de 2020) et l’accord de celle-ci à postposer sa créance de CHF 704'963.10, montant non négligeable, ont permis à l’intimée de dégager des bénéfices durant les années 2016, 2017 et 2019, lesquels ont été réinvestis afin de résorber les pertes reportées.

D’une part, ces chiffres illustrent l’absence de recherche de profit dans l’exercice d’une activité économique, puisque le tarif des pensions pratiqué ne permet pas d’assurer des bénéfices ; il ne permet même pas de couvrir les pertes reportées d’année en année. D’autre part, le tarif journalier des pensions n’apparaît pas si excessivement élevé par rapport à celui fixé pour les EMS. Celui-ci est en effet de CHF 294.-, alors que le maximum auprès des EMS s’élève à CHF 258.-. De plus, rien ne permet de corroborer les allégations de la recourante selon lesquelles les prestations fournies revêtiraient un caractère luxueux. En effet, les photographies versées au dossier des chambres des résidents démontrent l’inverse. Non seulement, la recourante n’étaye aucunement ses dires, en apportant la preuve d’un tel luxe, mais en plus, c’est le lieu de rappeler que le département avait relevé l’impossibilité de mettre en conformité la résidence pour qu’elle puisse conserver son statut d’EMS.

Par ailleurs, il convient encore de souligner qu’en dépit de son statut de résidence privée, l’association accueille encore à ce jour des résidents au bénéfice de prestations complémentaires à la demande du département, ainsi que des résidents en attente de place en EMS. Il s’ensuit que l’intimée persiste à assurer un logement aux personnes âgées le nécessitant, bien qu’elle ne bénéficie plus des recettes provenant des caisses-maladie, ni des subventions cantonales.

Il découle de ces considérations que la condition du désintéressement est également remplie.

Au vu de ce qui précède, le refus de l’exonération fiscale pour absence de but de service public n’était pas fondé.

Par conséquent, le recours sera rejeté.

3.             Vu la qualité de la recourante et l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 2e phr. LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, l'intimée n’y ayant pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 novembre 2023 par l’administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 octobre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à Me Jean-Blaise ECKERT, avocat de l'A______, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :