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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2153/2023

ATA/362/2024 du 12.03.2024 sur JTAPI/1277/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2153/2023-PE ATA/362/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 mars 2024

1ère section

 

dans la cause

 

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS recourant

contre

VON A______ intimé
représenté par Me Philippe KITSOS, avocat


_________




Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 novembre 2023 (JTAPI/1277/2023)


EN FAIT

A. a. VON A______, né le ______ 1938, est ressortissant autrichien.

b. Arrivé en Suisse le 2 juillet 1974, dans le cadre d’un transfert professionnel, il a été mis au bénéfice d’une autorisation de séjour, puis d’une autorisation d’établissement dès 1984, sur lesquelles figurait le nom « VON A______ ». Par la suite, ses autorisations d’établissement ont toujours été renouvelées sous ce nom. Son épouse et son fils portent le nom « VON A______ ».

c. Par courrier du 9 mai 2022, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a informé VON A______ de la proche échéance de son autorisation d’établissement et des justificatifs qu’il devait joindre pour en demander la prolongation.

Ce dernier a produit les pièces demandées.

d. Le 5 juillet 2022, l’OCPM a émis une nouvelle autorisation d’établissement d’VON A______ au nom de « A______ ».

e. Par courrier du 8 février 2023, VON A______ a demandé à pouvoir consulter son dossier auprès de l’OCPM dans le cadre de la détermination et la récupération de son nom de famille, ce qui a été accepté.

f. Par courrier du 16 mars 2023, VON A______ a demandé à ce qu’un nouveau titre de séjour, au nom de « VON A______ », soit émis.

La modification unilatérale du nom figurant sur son autorisation d'établissement n'était pas conforme au droit.

Depuis son arrivée en Suisse en 1974, il avait toujours été enregistré sous le nom « VON A______ », bien que le nom « A______ » figurât sur son passeport autrichien. Jusqu'en 2022, ses autorisations d'établissement avaient régulièrement été renouvelées avec le nom « VON A______ ». Il n'y avait ainsi pas lieu de changer son nom près de 50 ans après son arrivée.

Il était inscrit au registre de l'état civil suisse sous le nom « VON A______ » et c'était ce nom qui devait être repris pour établir son permis de séjour. Le nom « VON A______ » figurait sur le passeport suisse de son épouse, sur l'acte de naissance de son fils et sur son propre acte de naissance.

Par ailleurs, ce changement violait son droit à la vie privée et à la vie familiale garanti par l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

Il a joint plusieurs pièces, dont des copies de son acte de naissance, du permis de conduire, de l'acte de naissance de son fils et du passeport suisse de sa femme.

B. a.  Par décision du 24 mai 2023, l’OCPM a refusé d'accéder à cette demande.

Conformément aux directives sur la détermination et l’orthographe des noms de ressortissants étrangers du 1er janvier 2012 du département fédéral de justice et police (DFJP ; ci-après : les directives), le nom officiel d’un ressortissant étranger était en principe repris in extenso et sans modification aucune, tel qu’il figurait dans les papiers de légitimation, conformément au principe de la continuité du nom et au droit étranger déterminant (ch. 3.1.1). Afin d’assurer une saisie uniforme par tous les cantons, le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) avait encore précisé, en 2015, que devaient être saisis dans le système d’information central sur la migration (SYMIC) les noms et prénoms inscrits dans la zone de lecture optique du passeport ou du document d’identité. Les éléments de noms qui, selon le droit étranger déterminant, ne faisaient pas partie du nom officiel, comme le nom d’alliance, les indications sur la filiation, le nom d’usage notamment, étaient enregistrés, si nécessaires, avec une mention particulière ou dans une rubrique particulière comme des éléments d’identification supplémentaires complétant le nom officiel.

En l'occurrence, la bande de lecture optique du passeport autrichien de l'intéressé mentionnait le nom « A______ » uniquement.

Son secteur des livrets avait ainsi à bon droit fait figurer ce seul nom sur son permis de séjour, le canton ne disposant d'aucune marge de manœuvre. Il était toutefois possible d'inscrire le nom selon l'état civil au verso du permis, sous la rubrique « observations ».

b.  Par acte du 26 juin 2023, VON A______, a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) à l’encontre de cette décision.

Comme l'attestait son acte de naissance, son nom de naissance était
« VON A______ ». Il ne s'agissait ni d'un nom d'alliance, ni d'une indication sur la filiation ou d'un nom d'usage. Le droit autrichien, amputant les noms à particules pour des raisons historiques, ne pouvait trouver application en Suisse. De plus, ses autorisations de séjour avaient toujours été renouvelées sous le nom
« VON A______ », y compris en 2017, alors que les directives invoquées par l'OCPM étaient déjà applicables. Bien que la mise en place d'une pratique uniforme des saisies des noms fût compréhensible, elle n'avait pas force de loi et ne pouvait le priver, de surcroît de manière rétroactive, du droit acquis en Suisse, de porter son nom.

Pour le surplus, il a repris l'argumentation développée dans son courrier du 16 mars 2023, invoquant notamment les garanties de l'art. 8 CEDH.

c. Dans ses observations du 28 août 2023, l'OCPM a conclu au rejet du recours pour les motifs développés dans sa décision.

Les autorités cantonales étaient tenues d'appliquer les directives. Il ne pourrait modifier le nom inscrit au verso du permis de séjour que si le recourant présentait un nouveau passeport avec l'identité « VON A______ ». À défaut, cette dernière ne pouvait être mentionnée qu'au verso du permis.

Par ailleurs, le recourant demeurait enregistré dans le registre des habitants du canton de Genève sous l'identité « VON A______ », ce qui correspondait au nom figurant dans le registre de l'état civil suisse (Infostar).

d. Dans sa réplique, le recourant a maintenu ses conclusions.

La reprise du nom exact du passeport pour établir le titre de séjour était nécessaire lorsqu'il s'agissait d'un ressortissant d'un État tiers à l'accord Schengen, car dans ce cas, le titre de séjour biométrique équivalait à un visa permettant l'entrée dans l'espace Schengen. À l'inverse, les ressortissants UE/AELE n'étaient pas soumis à l'obligation du titre de séjour biométrique (art. 71b al. 1 let. a de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 [OASA - RS 142.201]). Étant ressortissant autrichien et donc au bénéfice de l'accord Schengen, il n'avait pas besoin du permis de séjour suisse biométrique pour voyager dans l'espace Schengen. Il n'était ainsi pas nécessaire que le nom figurant sur son autorisation soit identique à celui figurant sur son passeport, comme en témoignaient ses précédentes autorisations d'établissement, sur lesquelles figurait le nom « VON A______ ».

e. Il ressort de l'examen du dossier du recourant constitué par l'OCPM, que ce dernier est établi au nom d’VON A______.

f. Par jugement du 13 novembre 2023, le TAPI a admis le recours.

La mention « VON » correspondait à un titre de noblesse qui, pour des raisons historiques, avait été aboli des documents d’identité autrichiens. Cependant, le recourant avait toujours porté son nom avec ce titre depuis son arrivée en Suisse. Sa femme et son fils le portaient également et ils étaient tous trois inscrits au registre des habitants du canton de Genève, ainsi qu’au registre de l’État civil suisse avec ce titre qui avait fait partie intégrante de leur nom et était protégé par le droit de la personnalité et la CEDH.

Les directives (ch. 3.1.1) précisaient que le nom était « en principe » repris tel qu’il figurait dans les papiers de légitimation. Ce chiffre faisait également état du principe de la continuité du nom. Il en résultait que l’autorité intimée disposait d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de tenir compte des circonstances particulières.

Le recourant était ressortissant d’un État partie à l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681), de sorte qu’il bénéficiait d’un titre de séjour non biométrique, n’équivalant ainsi pas à un visa. La nécessité qu’il ait un nom identique sur son titre de séjour et son passeport autrichien s’en retrouvait de ce fait relativisée, sa situation ne correspondant pas au but des directives qui n’avaient pas force de loi. La finalité de cette réglementation était de plus de s’assurer que l’identité figurant sur le permis d’établissement correspondait à la réelle identité de la personne. Or, dans le cas d’espèce, l’identité du recourant ne faisait aucun doute et n’était nullement contestée. La nécessité d’appliquer strictement les directives s’en retrouvait dès lors relativisée.

Le recourant résidait en Suisse depuis 1974 et le nom « VON A______ » avait jusqu’ici toujours figuré sur son permis d’établissement, alors que le nom « A______ » figurait sur son passeport en 2007 déjà. Son épouse et son fils portaient le nom « VON A______ » et il était enregistré au registre des habitants du canton de Genève ainsi qu’au registre de l’état civil suisse sous ce nom. L’en priver serait contraire au principe de la continuité du nom, consacrée par les directives elles‑mêmes. L’autorité intimée ne pouvait dès lors les appliquer de façon mécanique, sans prendre en compte l’ensemble des circonstances, ce d’autant plus que la réglementation des noms était protégée tant par le droit de la personnalité que par la CEDH.

L’OCPM avait ainsi fait preuve d’arbitraire. Sa motivation, qui se limitait à la mention des directives, était insoutenable et son résultat heurtait de manière choquante le sentiment de justice.

C. a. Par acte du 11 décembre 2023, l’OCPM a formé recours à l’encontre de ce jugement devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) et a conclu à son annulation.

Le TAPI n’avait pas correctement appliqué les art. 71ss et 89 de l’OASA en relativisant l’application des directives du secrétariat d’État aux migrations (ci‑après : SEM) sur la saisie et la modification des données personnelles dans SYMIC du 1er juillet 2022 (ci-après : les directives SYMIC).

Un titre de séjour n’était pas une pièce d’identité et le nom figurant au recto de ce document, bien qu’il ne s’agisse pas de l’identité principale, visait à établir un lien avec une pièce de légitimation dont l’étranger devait être muni durant son séjour en Suisse, raison pour laquelle l’identité selon le passeport figurait au recto de l’autorisation et l’identité selon l’état civil au verso.

Ainsi, c’était conformément au droit et aux directives qu’il avait émis l’autorisation d’établissement au nom de « A______ » (au recto) et de « VON A______ » (au verso).

b. L’intimé a conclu au rejet du recours.

L’OCPM, par sa motivation insuffisante, ne démontrait pas en quoi celle du TAPI serait contraire au droit.

Les SYMIC invoquées par l’OCPM permettaient de confirmer que l’identité principale, soit le nom officiel, était celui inscrit à l’état civil. Ainsi, le nom « VON A______ », inscrit à l’état civil, était le nom principal et le nom « A______ » le nom secondaire.

Bien que les directives prévissent que lorsque l’identité principale ne concordait pas avec le nom inscrit dans le passeport, c’était l’identité secondaire qui était inscrite au recto et l’identité principale au verso, interchangeant ainsi de manière arbitraire l’ordre de priorité.

L’art. 89 loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) obligeait uniquement un étranger en Suisse à avoir une pièce d’identité valable. L’inscription du nom officiel au recto et du nom secondaire au verso permettait de conserver un lien avec la pièce de légitimation, soit pour lui, son passeport autrichien.

De plus, si comme le relevait justement l’OCPM, le titre de séjour n’était pas une pièce d’identité, il n’y avait aucun intérêt juridique prépondérant qui imposait d’interchanger l’identité principale et la secondaire et aussi restreindre son droit fondamental de l’intimé à utiliser et porter le nom qu’il avait depuis 50 ans en Suisse et que portait toute sa famille.

L’inversion opérée par l’OCPM avait eu pour effet que son nom secondaire était devenu de facto son nom officiel dans toutes ses interactions avec les autorités (service des votations, administration fiscale cantonale).

La position de l’OCPM revenait dès lors à violer le droit suisse qui consacrait le nom « VON A______ » comme nom officiel et d’autre part à restreindre, sans intérêt public prépondérant, son droit inaliénable à porter et utiliser dans ses relations sociales et administratives le nom qui était le sien depuis 50 ans en Suisse et que portait toute sa famille.

L’intimé a notamment produit une copie de sa carte de vote ainsi qu’un courrier de l’administration fiscale cantonale tous deux adressés au nom d’A______.

c. Sur ce, les parties ont été informées le 18 janvier 2024 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             L’objet du litige porte sur la conformité au droit du jugement du TAPI, admettant le recours contre la décision de l’OCPM de refuser au recourant que la particule « VON » figure sur son autorisation d’établissement.

Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

2.1 La loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et ses ordonnances d’exécution, en particulier l’OASA, règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI).

2.2  Selon l'art. 41 LEI, l’étranger reçoit en règle générale un titre de séjour qui indique le type d’autorisation dont il est titulaire (al. 1). L’étranger admis à titre provisoire reçoit un titre de séjour qui indique son statut juridique (al. 2). À des fins de contrôle, le titre de séjour du titulaire d’une autorisation d’établissement est remis pour une durée de cinq ans. (al. 3). Le titre de séjour peut être muni d’une puce. Celle-ci contient la photographie et les empreintes digitales du titulaire ainsi que les données inscrites dans la zone lisible par machine (al. 4). Le Conseil fédéral définit quelles personnes disposent d’un titre de séjour à puce et quelles données doivent y être enregistrées (al. 5). Le SEM détermine la forme et le contenu des titres de séjour. Il peut charger des tiers, en tout ou en partie, de la confection des titres de séjour (al. 6).

2.3 En application de cette disposition, l'art. 71b al. 1 let. a OASA prévoit que les cantons délivrent, selon les directives du SEM, un titre de séjour non biométrique aux ressortissants des États membres de l'AELE et aux ressortissants des États parties à l’ALCP. L'Autriche étant partie à l'ALCP, cette disposition s'applique au recourant.

2.4 L'art. 71b al. 1 let. a OASA est précisé par les directives. Le passeport présenté lors de l'entrée en Suisse est déterminant pour l'enregistrement du nom du ressortissant étranger (ch. 3.2). Ce nom doit en principe être repris in extenso et sans aucune modification, conformément au principe de la continuité du nom et au droit étranger déterminant (ch. 3.1.1).

2.5 Afin d'assurer l'application uniforme de certaines dispositions légales, l'administration peut expliciter l'interprétation qu'elle leur donne dans des directives. Celles-ci n'ont pas force de loi et ne lient ni les administrés, ni les tribunaux, ni même l'administration. Elles ne dispensent pas cette dernière de se prononcer à la lumière des circonstances du cas d'espèce. Par ailleurs, elles ne peuvent sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu'elles sont censées concrétiser. En d'autres termes, à défaut de lacune, elles ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 141 II 338 consid. 6.1 ; 140 V 343 consid. 5.2 ; ATA/560/2021 du 25 mai 2021 consid. 5 ; ATA/1340/2021 du 7 décembre 2021). 

2.6 Sur la base de l’art. 89 OASA, le SEM a notamment édicté des directives sur la saisie et la modification des données personnelles SYMIC.

Selon le chiffre 3.10 des directives SYMIC, les données d’état civil enregistrées dans le registre de l’état civil à l’admission d’un étranger font foi (au sens de l’art. 9 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210) pour la détermination de l’identité. Dans SYMIC, elles sont donc toujours répertoriées en tant qu’identité principale « selon registre d’état civil ».

Si un étranger est enregistré dans le registre suisse de l’état civil et que le nom officiel qui y est inscrit ne coïncide manifestement pas avec celui figurant sur le document de voyage étranger (c’est-à-dire si l’identité indiquée sur le passeport est différente de celle enregistrée dans le registre de l’état civil), cette divergence doit en principe être clarifiée par la personne qui procède à la modification des données ou qui la demande. Si la différence de nom s’explique, l’identité telle qu’elle est inscrite dans le registre de l’état civil (identité « selon registre d’état civil ») est alors enregistrée comme identité principale et le nom figurant sur le document de voyage (« nom selon document de voyage ») comme identité secondaire.

Les identités suivantes sont imprimées sur les titres pour étrangers : si la personne n’a qu’une identité connue, celle-ci est saisie comme identité principale dans SYMIC et inscrite au recto du titre de séjour. Si les données relatives à un étranger figurent dans le registre suisse de l’état civil et que le nom officiel enregistré ne concorde pas avec le nom inscrit dans le passeport délivré par le pays d’origine, alors l’identité « selon le registre de l’état civil » est considérée comme identité principale (SYMIC « état civil ») et le nom mentionné dans le passeport étranger comme identité secondaire. L’identité qui figure dans le document de voyage est alors imprimée au recto et le nom selon l’état civil au verso du titre pour étranger.

2.7 Constitue un excès négatif du pouvoir d'appréciation le fait que l'autorité se considère comme liée, alors que la loi l’autorise à statuer selon son appréciation, ou encore qu'elle renonce d'emblée en tout ou partie à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1), ou qu’elle applique des solutions trop schématiques, ne tenant pas compte des particularités du cas d’espèce (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 514).

3.             En l’espèce, il est incontesté que le nom « A______ » figure sur le passeport autrichien de l’intimé et que c’est dès lors ce dernier, conformément aux directives précitées, qui devrait être écrit au recto de son autorisation d’établissement et « VON A______ », soit le nom principal, au verso.

Cela étant, tel que rappelé plus avant, les directives, bien qu’elles tendent à assurer une uniformité dans l’application des bases légales, n’ont pas force de loi et ne lient ni les administrés, ni les tribunaux, ni l’administration. Il convient dès lors d’examiner s’il se justifiait que l’OCPM s’en écarte.

3.1 Une décision est arbitraire (art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101), lorsqu'elle contredit clairement la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou qu'elle heurte d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une solution autre que celle de l'autorité semble concevable, voire préférable. Pour qu'une décision soit annulée, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable ; il faut encore que cette décision apparaisse arbitraire dans son résultat ; la notion d'arbitraire ne se confond donc pas avec ce qui apparaît discutable ou même critiquable (ATF 145 IV 154 consid. 1.1 ; 143 IV 500 consid. 1.1 ; 142 II 369 consid. 4.3 ; 140 I 201 consid. 6.1).

3.2 En droit civil, le droit au nom, composante du droit de la personnalité, est protégé par l'art. 29 CC, toutefois cette disposition ne protège pas les signes d'identification telles que les titres de noblesse, distinctions honorifiques et armoiries. Ces derniers sont en revanche garantis par l'art. 28 CC qui protège la personnalité, dans sa globalité, d'atteintes illicites (Paul-Henri STEINAUER/ Christiana FOUNTOULAKIS, Droit des personnes et de la protection de l'adulte, 2014, n. 534 ; Nicolas JEANDIN, in Commentaire romand, CC, 2010, n. 35 ad. 28 CC).

3.3 Par ailleurs, la CEDH a reconnu que malgré le large pouvoir d'appréciation dont jouissent les États s'agissant de la réglementation des noms, ils ne peuvent ignorer son importance dans la vie des particuliers, les noms étant des éléments centraux de l'identification et de la définition de soi-même. Imposer une restriction au droit de porter ou changer de nom sans raisons justifiées et pertinentes n'est pas compatible avec l'art. 8 CEDH, protégeant l'autodétermination et l'épanouissement personnel des individus (ACEDH, Daróczy c. Hongrie du 1er juillet 2008 ; ATF 137 III 97 consid. 3.4.1 in SJ 2011 I 369).

4.             En l’espèce, selon les explications de l’intimé, les titres de noblesse, tels que la particule « VON », ont été supprimés par les autorités autrichiennes pour des raisons historiques. Ce dernier a cependant toujours porté son nom avec cette particule depuis son arrivée en Suisse en 1974, lequel est par ailleurs inscrit comme son nom officiel auprès du registre de l’état civil. Son épouse et son fils portent également le nom « VON A______ ».

S’il est vrai que l’autorité devait, en principe, sur la base des directives, inscrire le nom « A______ » au recto et « VON A______ » au verso, il est erroné de retenir qu’elle n’avait aucune marge de manœuvre à cet égard.

Il est cohérent que le SEM ait édicté des directives afin que l’inscription des noms des personnes étrangères sur leur titre de séjour soit uniforme. Il existe en effet un intérêt certain à ce que les individus puissent être identifiés de façon claire et sans qu’il ne puisse subsister aucun doute quant à leur identité.

Cela étant, pour le cas d’espèce, le fait de retirer la particule « VON » de l’autorisation d’établissement – qui n’est pas issue d’un document biométrique – est contraire à la sécurité du droit et à l’uniformité dont se prévaut l’OCPM. En effet, tel que l’intimé l’a démontré, cette inscription sur son autorisation de séjour a eu un effet auprès des autres administrations qui ne mentionnent désormais plus la particule « VON ». Il s’agit d’un changement subi alors même que l’administration utilisait le nom de « VON A______ » depuis l’arrivée de l’intéressé en Suisse en 1974, soit depuis près de 50 ans. Ce changement n’est motivé par aucune modification législative ou réglementaire. L’intimé se trouve privé de pouvoir porter le même nom que sa famille, soit son épouse et son fils. Une telle situation crée un flou à l’égard des autres autorités auprès desquelles des membres d’une même famille ne portent plus le même nom et dont le nom peut varier selon les circonstances. En effet, le nom « VON A______ » est celui inscrit auprès de l’état civil suisse et au registre des habitants du canton de Genève, soit l’identité principale selon les directives elles‑mêmes. Le fait de supprimer la particule pourrait ainsi créer une incertitude sur l’identité de l’intimé dans son contact avec l’administration. Un tel résultat, pour une personne qui porte le même nom en Suisse depuis plus de 50 ans, est choquant et consacre un formalisme excessif.

C’est dès lors à juste titre que le TAPI a considéré que l’OCPM avait refusé de faire usage de son pouvoir d’appréciation et commis ainsi un excès négatif de son pouvoir d’appréciation en refusant de mettre la particule « VON » au verso du permis d’établissement de l’intimé.

Pour les raisons qui précèdent, le recours sera rejeté.

5.             Malgré cette issue, aucun émolument ne sera mis à la charge de l’OCPM (art. 87 al. 1, 2e phr., LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à VON A______ (art. 87 al. 2 LPA), à la charge de l’OCPM.

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 décembre 2023 par l’office cantonal de la population et des migrations contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 novembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à VON A______ une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à la charge de l’office cantonal de la population et des migrations ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à l’office cantonal de la population et des migrations, à Me Philippe KITSOS, avocat de l'intimé, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Valérie LAUBER, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.