Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2308/2023

ATA/248/2024 du 27.02.2024 sur JTAPI/1179/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2308/2023-PE ATA/248/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 février 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourantes
représentées par Me Razi ABDERRAHIM, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 octobre 2023 (JTAPI/1179/2023)


EN FAIT

A. a. C______réside en Suisse depuis le 24 octobre 2011. Préalablement au bénéfice d’une carte de légitimation, il a obtenu la nationalité suisse le 28 novembre 2017.

b. Trois enfants sont issus de son union, le 4 avril 1990, avec D______, ressortissante sénégalaise : E______, né le ______1998, A______, née le ______2000, et B______, née le ______2005, ressortissants sénégalais.

Les époux ont divorcé le 23 mars 2006. Ils se sont remariés le 14 octobre 2021. D______ a rejoint son époux en Suisse fin 2022.

c. E______ est arrivé en Suisse le 22 juillet 2016 dans le cadre d’une demande d’obtention d’une carte de légitimation.

d. A______ vit au Sénégal. Elle a été scolarisée à l’école supérieure multinationale des télécommunications en vue de l’obtention d’un « diplôme de licence en management et économie du numérique ». Elle était en troisième année en 2022/2023.

e. B______ vit au Sénégal. Elle a obtenu son baccalauréat avec mention « bien » au « lycée d’excellence privé F______ » en juillet 2023.

B. a. Le 6 janvier 2022, D______ et ses deux filles, alors résidentes au Sénégal, ont déposé une demande de regroupement familial pour rejoindre C______ en Suisse.

D______ a obtenu un visa d’entrée en Suisse le 14 décembre 2022 et y réside depuis lors.

b. Par décisions séparées du 5 juin 2023, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a rejeté les demandes d’A______ et B______.

La demande de B______ était tardive. Son père bénéficiait d’un délai d’un an à partir de l’obtention de sa nationalité suisse pour demander un regroupement familial en faveur de sa fille. Celle-ci résidait au Sénégal, était âgée de 17 ans au moment de la demande de regroupement familial, y avait été scolarisée, y avait passé son enfance et son adolescence, de sorte qu’elle ne pouvait se prévaloir d’aucune intégration en Suisse. Elle était en bonne santé. Aucun élément du dossier ne permettait de penser que sa situation constituait un cas individuel d’extrême gravité. Âgée de 18 ans révolus, elle était apte à se prendre en charge de manière autonome au Sénégal, si besoin avec le soutien financier de son père. Elle était scolarisée en classe terminale du lycée et présentait un excellent parcours académique, selon son père. Il serait dommageable que son parcours scolaire soit interrompu par sa venue en Suisse. B______ disposait au Sénégal de la présence de sa sœur aînée, âgée de 22 ans révolus.

A______ ne remplissait pas les conditions légales d’un regroupement familial dans la mesure où, âgée de 21 ans révolus lors du dépôt de la demande, elle avait dépassé l’âge maximum de 18 ans prévu par la loi. Sa situation ne correspondait pas non plus à un cas individuel d’extrême gravité. Elle était majeure et apte à se prendre en charge de manière autonome au Sénégal, si besoin avec le soutien financier de son père. Elle était scolarisée au Sénégal en troisième année à l’école supérieure multinationale des télécommunications. Elle présentait un excellent parcours académique. Dans la mesure où elle poursuivait des études universitaires au Sénégal, il serait dommageable que ses études soient interrompues par sa venue en Suisse.

Leur mère avait obtenu un visa d’entrée en Suisse suite à sa demande de regroupement familial. Elle avait accepté de son plein gré de venir s’établir en Suisse et de laisser ses deux filles seules au Sénégal. C______ n’avait entrepris des démarches en 2016 que pour faire venir son fils. La demande de regroupement familial constituait donc davantage une volonté d’offrir aux deux filles un meilleur avenir et des conditions d’études plus favorables, que de préserver une unité familiale qui avait été volontairement rompue par la venue de la mère de famille en Suisse.

C. a. Par acte du 10 juillet 2023, C______ a recouru contre ces deux décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) en concluant principalement, et sur mesures provisionnelles, à leur annulation et à la délivrance des autorisations de séjour en faveur de ses deux filles.

La demande de regroupement familial n’avait pas été effectuée plus tôt, les relations familiales n’ayant repris de manière effective qu’en octobre 2021. Jusque-là, les époux n’entretenaient que des relations épisodiques.

Le Sénégal était une société patriarcale, avec une hiérarchisation très restrictive des rôles. Les enfants, même majeurs, se devaient d’avoir un parent référent ayant pour but de les protéger et de subvenir à leurs besoins. En outre, la situation instable que subissait le pays en raison des élections présidentielles accentuait davantage le besoin de protection de ses deux filles, qui étaient livrées à elles-mêmes. Le climat de crise et de violence au Sénégal s’était nettement aggravé. De manière générale, la situation politique du pays engendrait depuis plusieurs années un climat de tension entraînant de violentes manifestations qui provoquaient la mort de civils, des véhicules brûlés, le saccage du siège de médias, ainsi que des scènes de guérilla devant l’université. L’Organisation des Nations Unies s’était déjà prononcée à ce sujet et avait appelé les autorités sénégalaises à immédiatement cesser les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, ainsi que l’usage excessif de la force par les services de sécurité. La situation s’était aggravée depuis mars - avril 2023. Le 1er juin 2023, des émeutes avaient éclaté dans de nombreux quartiers de Dakar après la condamnation du chef de l’opposition, ce qui avait provoqué la mort de seize personnes selon les autorités ou d’une trentaine selon l’opposition. Le 6 juillet 2023, le chef de l’opposition avait aggravé le climat de violence en promettant une élection présidentielle 2024 dans un chaos indescriptible, dans le cas où sa candidature serait empêchée. De son côté, le président en place tentait d’imposer sa troisième candidature par la force et préparait une véritable guerre contre son peuple en renforçant les forces de défense et de sécurité en équipements militaires. Cette situation avait en outre entraîné la suspension des cours de B______, décidée par le proviseur de son lycée. Il s’agissait d’événements qui mettaient en péril sa sécurité, y compris sur le plan sexuel, ainsi que sa scolarité.

S’agissant d’A______, s’il était exact qu’elle était majeure au moment du dépôt de sa demande de regroupement familial, il n’en demeurait pas moins qu’il existait entre eux, sa sœur et leur mère, une relation suffisamment proche, authentique et effectivement vécue, malgré le départ de la mère en décembre 2022. La demande de regroupement familial avait été déposée en même temps que pour la mère de famille. Il était de plus ancré dans la culture sénégalaise que les enfants, même majeurs, étaient dépendants de leur référent, généralement le père ou la mère de famille, jusqu’au jour où ils fondaient leur propre foyer.

La seule famille qui restait à ses deux filles au Sénégal était une grand-mère très âgée et incapable de s’en occuper. Les autres membres de la famille étaient tous installés en Suisse. Un simple soutien financier de la part de leur père serait insuffisant pour garantir la protection de leur intégrité physique, psychique et le cas échéant sexuelle.

Les décisions litigieuses devaient être également examinées sous l’angle du regroupement familial différé, dont les conditions étaient réalisées dans le cas d’espèce, puisque les éléments développés plus haut démontraient que le bien des enfants ne pouvait être garanti que par un regroupement familial en Suisse.

Enfin, les décisions litigieuses violaient également le droit au respect de la vie familiale, la jurisprudence ayant eu l’occasion de souligner qu’en dehors de la famille nucléaire proprement dite, d’autres relations familiales pouvaient également être protégées, pour autant qu’il existât une relation suffisamment proche, authentique et effectivement vécue. Si l’intensité était suffisante, les relations entre proches parents, tels que frères et sœurs ou tantes et nièces étaient également essentielles. De plus, en matière d’immigration, s’il n’y avait en principe pas de droit au respect de la vie familiale entre parents et enfants adultes, il pouvait en aller autrement s’il existait des éléments supplémentaires de dépendance, autres que des liens affectifs normaux.

b. Par décision du 10 août 2023, le TAPI a rejeté la demande de mesures provisionnelles.

c. L’OCPM a conclu au rejet du recours.

d. Dans sa réplique, C______ a notamment relevé être très inquiet pour B______ pour la poursuite de ses études, vu la fermeture des établissements scolaires pour une durée indéterminée. La dégradation continuelle de la situation au Sénégal avait même amené les autorités à prendre des mesures telles que la coupure de l’accès à Internet afin d’éviter la propagation des informations sur les réseaux sociaux. L’octroi d’une autorisation de séjour en faveur de B______ lui permettrait de poursuivre sereinement ses études au sein d’une université ou d’une haute école en Suisse.

e. Par jugement du 30 octobre 2023, le TAPI a rejeté le recours.

A______ avait atteint l’âge de 21 ans révolus lors du dépôt de la demande d’autorisation de regroupement familial en sa faveur. Ainsi que cela ressortait du texte clair de l’art. 42 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; ainsi d’ailleurs que des art. 43 al. 1, 44 al. 1 et 45 al. 1 s’agissant des demandes déposées par des personnes étrangères résidant en Suisse), le regroupement familial concernait, outre le conjoint, les enfants célibataires de moins de 18 ans. Autrement dit, il n’existait pas de possibilité de regroupement familial, sous l’angle de la LEI, pour des enfants de plus de 18 ans.

La demande de regroupement familial déposée le 6 janvier 2022 pour B______ était tardive. Le père des recourantes avait obtenu la nationalité suisse le 28 novembre 2017. Sa fille étant alors âgée de plus de 12 ans, le délai s’achevait un an plus tard, soit le 28 novembre 2018.

Concernant les raisons familiales majeures qui justifieraient, selon l’art. 47 al. 4 LEI et 75 de l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), un regroupement familial différé en faveur de sa fille cadette, son père se fondait essentiellement sur l’insécurité croissante qui règnerait au Sénégal, et sur les risques que cela ferait courir à sa fille. Or, la situation au Sénégal ne pouvait être considérée comme une situation de violence généralisée au sens de l’art. 83 al. 4 LEI, qui remettrait en question l’exécutabilité des renvois de ressortissants sénégalais dans leur pays. Malgré son jeune âge, la fille cadette, aujourd’hui majeure, n’était pas a priori davantage exposée à un risque concret de violence que les plus de 1 million de personnes qui peuplaient la capitale du pays.

Quant aux difficultés que la situation entraînerait dans le fonctionnement du système éducatif, il était certes établi que certains établissements scolaires, y compris au niveau des études supérieures, connaissaient des perturbations avec des périodes de suspension des cours. Cela étant, il ne découlait pas des informations fournies au TAPI par le père des recourantes que, de manière générale, le déroulement normal des cours serait fondamentalement remis en question, de sorte que l’on ne pouvait admettre que le parcours universitaire de sa fille serait très fortement compromis.

Les deux filles étaient en mesure de s’apporter un soutien mutuel. Si la réalité d’un système très patriarcal pouvait éventuellement être admise, c’était en tout état en fonction des critères posés selon le droit suisse que devait s’apprécier la question des raisons familiales majeures pouvant justifier un regroupement différé. Or, selon la conception de l’ordre juridique suisse, un jeune ayant atteint l’âge de la majorité, étant pleinement légitimé en tant qu’individu responsable aux yeux du reste de la société, n’avait pas besoin de bénéficier de la protection d’un aîné.

Le père des recourantes se méprenait sur la portée de la jurisprudence relative à l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Les deux filles, majeures, n’étaient pas dépendantes de leurs parents, ce qui avait d’ailleurs permis à leur mère de les laisser au Sénégal.

D. a. Par acte du 1er décembre 2023, C______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à l’annulation du jugement et à ce que ses deux filles soient mises au bénéfice d’autorisations de séjour, lesquelles devaient déjà être délivrées sur mesures provisionnelles.

Le TAPI avait considéré à tort que les jeunes filles étaient aptes à se prendre en charge de manière autonome au Sénégal alors qu’elles y vivaient seules et étaient livrées à elles-mêmes, sans revenus. Leur mère ne les avait pas « laissées » mais était venue en Suisse s’installer en attendant que ses filles la rejoignent. La demande de regroupement familial avait d’ailleurs été formulée conjointement et à la même date. Elle avait pour unique but de préserver l’unité familiale, étant rappelé que B______ était encore mineure lorsque la requête avait été déposée. Le père des recourantes n’avait pas effectué les démarches pour faire venir ses filles plus tôt, les relations familiales ayant repris effectivement en octobre 2021.

Il existait un lien de dépendance d’A______ avec ses parents, celle-ci ayant toujours vécu sous la protection et le toit de ses deux parents puis par la suite celui de sa mère. Il existait par ailleurs une situation de grave insécurité, ainsi que l’absence de référent homme directement sur place ou de membres de la famille aptes à la protéger, rendant primordial le regroupement des quatre membres de la famille en Suisse. Les élections qui devaient se tenir au printemps plongeaient Dakar dans une situation totalement instable. Les attaques armées, les assassinats et les morts augmentaient de jour en jour rendant la situation extrêmement dangereuse. Les deux filles vivaient seules et sans protection. Il existait dès lors des raisons familiales majeures. Le bien-être des filles ne pouvait être garanti que par un regroupement familial en Suisse.

Il y avait urgence à prononcer des mesures provisionnelles.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours. Les recourantes ne semblaient plus contester que les conditions du regroupement familial imposé par la LEI n’étaient pas remplies à tout le moins sous l’angle de l’art. 42 LEI. Un droit au sens de l’art. 8 CEDH ne pouvait être reconnu dès lors que les exigences fixées par le droit interne n’étaient pas respectées.

c. Dans sa réplique, le père des recourantes a persisté dans ses conclusions notamment en mesures provisionnelles. La situation au Sénégal empirait, le président ne faisant que reporter la date des élections présidentielles, souhaitant rester au pouvoir et éviter d’être remplacé, ce qui engendrait de nombreuses manifestations du peuple avec des violences avérées. Le ministre de la communication, des télécommunications et de l’économie numérique avait procédé à la suspension provisoire d’Internet et des données mobiles depuis le 4 février 2024 ainsi qu’à une coupure de signal aux diverses chaînes, dont G______, de sorte à laisser la population sénégalaise sans accès à Internet et aux télécommunications et empêchant les chaînes locales d’informer la population des nouveaux développements sur le plan politique. Les deux filles étaient privées d’école, les universités ayant fermé en raison de la crise politique et humanitaire à Dakar. Les magasins étaient fermés. Ses enfants restaient à la maison et ne sortaient pas, par peur d’être la cible des forces armées présentes dans la ville. L’ancienne ex‑première ministre et opposante avait été récemment arrêtée et conduite en prison. Le danger était en conséquence concret et durable. Il était de surcroît particulièrement aigu et imminent et ne pouvait aller qu’en s’aggravant. L’on ne pouvait exiger que ses filles subissent effectivement une atteinte à leur intégrité physique pour admettre qu’elles étaient personnellement et concrètement en danger.

Les conditions de l’art. 42 LEI étant remplies, le regroupement familial différé devait être autorisé.

Il a produit divers articles de journaux évoquant les troubles au Sénégal.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

Le recours est interjeté par les deux filles, aujourd’hui majeures, représentées par leur père (art. 9 al. 2 LPA).

Le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur le refus de l’autorité intimée d’octroyer aux recourantes une autorisation d’entrée et de séjour au titre du regroupement familial avec l’intéressé, de nationalité suisse.

2.1 La LEI et ses ordonnances d’exécution, en particulier l’OASA, règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants du Sénégal.

2.2 Les enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans d’un ressortissant suisse ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour (art. 42 al. 1 LEI).

2.3 Le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de douze mois (art. 47 al. 1 LEI). Le moment déterminant du point de vue de l’âge comme condition du droit au regroupement familial en faveur d’un enfant est celui du dépôt de la demande (ATF 136 II 497 consid. 3.7 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_409/2018 du 23 janvier 2019 consid. 3.1).

Les limites d’âge et les délais prévus à l’art. 47 LEI visent à permettre une intégration précoce et à offrir une formation scolaire en Suisse aussi complète que possible (ATF 133 II 6 consid. 5.4). Les délais prévus à l’art. 47 LEI ont également pour objectif la régulation de l’afflux d’étrangers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.2). Ces buts étatiques légitimes sont compatibles avec la CEDH (ATF 142 II 35 consid. 6.1).

2.4 Passé ce délai, le regroupement familial différé n’est autorisé que pour des raisons familiales majeures (art. 47 al. 4 LEI).

Les raisons familiales majeures au sens des art. 47 al. 4 LEI et 73 al. 3 OASA peuvent être invoquées, selon l'art. 75 OASA, lorsque le bien de l'enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse. C'est l'intérêt de l'enfant, non les intérêts économiques (prise d'une activité lucrative en Suisse), qui prime. Selon la jurisprudence, il faut prendre en considération tous les éléments pertinents du cas particulier. Il y a lieu de tenir compte du sens et des buts de l'art. 47 LEI. Il s'agit également d'éviter que des demandes de regroupement familial différé soient déposées peu avant l'âge auquel une activité lucrative peut être exercée lorsque celles-ci permettent principalement une admission au marché du travail facilitée plutôt que la formation d'une véritable communauté familiale. D'une façon générale, il ne doit être fait usage de l'art. 47 al. 4 LEI qu'avec retenue (ATF 146 I 185 consid. 7.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.3 et les références citées).

La reconnaissance d'un droit au regroupement familial suppose qu'un changement important de circonstances, notamment d'ordre familial, se soit produit, telle qu'une modification des possibilités de la prise en charge éducative à l'étranger (ATF 130 II 1 consid. 2 ; 124 II 361 consid. 3a). Il existe ainsi une raison familiale majeure lorsque la prise en charge nécessaire de l'enfant dans son pays d'origine n'est plus garantie, à la suite par exemple du décès ou de la maladie de la personne qui s'en occupait. Lorsque le regroupement familial est demandé en raison de changements importants des circonstances à l'étranger, il convient toutefois d'examiner s'il existe des solutions alternatives permettant à l'enfant de rester où il vit. De telles solutions correspondent en effet mieux au bien‑être de l'enfant, parce qu'elles permettent d'éviter que celle-ci ou celui-ci ne soit arraché à son milieu et à son réseau de relations de confiance. Cette exigence est d'autant plus importante pour les adolescentes et adolescents qui ont toujours vécu dans leur pays d'origine dès lors que plus une ou un enfant est âgé, plus les difficultés d'intégration qui la ou le menacent apparaissent importantes. Il ne serait toutefois pas compatible avec
l'art. 8 CEDH de n'admettre le regroupement familial différé qu'en l'absence d'alternative. Simplement, une telle alternative doit être d'autant plus sérieusement envisagée et soigneusement examinée que l'âge de l'enfant est avancé et que la relation avec le parent vivant en Suisse n'est pas (encore) trop étroite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1172/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.3.2 et les références citées).

Le regroupement familial ne saurait être motivé principalement par des arguments économiques (meilleures perspectives professionnelles et sociales en Suisse, prise en charge des frères et sœurs moins âgés, conduite du ménage familial en Suisse) ou par la situation politique dans le pays d’origine. Lorsque la demande de regroupement concerne un enfant qui va avoir prochainement 18 ans et qui a déjà séjourné en Suisse au titre d’une autorisation d’établissement avant de retourner vivre dans son pays d’origine, il existe une présomption que la nouvelle demande ne soit pas motivée par la volonté prépondérante de reconstituer la communauté familiale (ATF 119 Ib 81 ; Directives du SEM, domaine des étrangers, 2013, état au 1er septembre 2023, n. 6.10.2 [ci-après : directives]).

À teneur de la jurisprudence, la seule possibilité de voir la famille réunie ne constitue pas une raison familiale majeure. Ainsi, lorsque la demande de regroupement est effectuée hors délai et que la famille a vécu séparée volontairement, d’autres raisons sont nécessaires (ATF 146 I 185 consid. 7.1.1 et les références citées).

2.5 Lorsque l’enfant est devenu majeur au cours de la procédure de regroupement familial, la Convention relative aux droits de l'enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, approuvée par l'Assemblée fédérale le 13 décembre 1996, instrument de ratification déposé par la Suisse le 24 février 1997 (CDE - RS 0.107), ne lui est plus applicable (art. 1 CDE ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_767/2013 du 6 mars 2014 consid. 3.5).

2.6 À teneur du site d’informations (Conseils pour les voyages – Sénégal (admin.ch) du Département fédéral des affaires étrangères (ci-après : DFAE), dans sa teneur au 19 février 2024, les élections présidentielles annoncées pour le 25 février 2024 avaient été reportées par le parlement au 15 décembre 2024. Depuis, les protestations et les manifestations se multipliaient et dégénéraient souvent en confrontations violentes entre les manifestants et les forces de sécurité. Des personnes pouvaient être blessées ou tuées. Dans le contexte régional complexe du Sahel / Sahara, il convenait de tenir compte de la menace terroriste régionale sur les pays d’Afrique de l’Ouest, y inclus le Sénégal. Certains indices laissaient penser que des groupes terroristes venant de la région du Sahel auraient étendu leur rayon d’action au Sénégal. Ils étaient bien organisés, opéraient sans tenir compte des frontières, et avaient des contacts avec des groupes criminels locaux. Dans certaines régions frontalières, il existait en outre un risque d’enlèvement. Le risque d'attentats existait dans tout le pays, y compris la capitale Dakar.

2.7 En l’espèce, la situation de chacune des filles, sous l’angle du regroupement familial, doit être analysée séparément.

2.7.1 L’ainée des filles, née le ______2000, avait 21 ans le 6 janvier 2022, date du dépôt de la demande. Alors âgée de plus de 18 ans, elle ne peut se prévaloir des dispositions sur le regroupement familial prévues par la LEI, en application de l’art. 42 al. 1 LEI.

2.7.2 Le délai de douze mois dont disposait le père de la recourante pour demander le regroupement familial pour sa fille cadette, âgée de plus de 12 ans au moment de sa naturalisation, est arrivé à échéance le 28 novembre 2018, l’intéressé étant devenu suisse le 28 novembre 2017. Déposée le 6 janvier 2022, la demande est tardive en application de l’art. 47 al. 1 LEI. Le remariage des parents ne fait par ailleurs pas courir un nouveau délai (arrêt du Tribunal fédéral 2C_205/2011 du 3 octobre 2011 consid. 4.5).

S’agissant des raisons personnelles majeures de faire venir la cadette, seule concernée par l’art. 42 LEI, la recourante insiste sur la situation de son pays d’origine. Sans nier les troubles qui s’y déroulent, les directives précitées retiennent que la situation politique dans le pays d’origine ne suffit pas pour un regroupement familial, comme il sera encore vu ci-après. En l’espèce, la jeune fille concernée est majeure. Pour des raisons familiales, le père n’a pas souhaité entreprendre la demande de regroupement familial en même temps que pour son fils. Il a précisé devant le TAPI que cette différence était justifiée par une demande de carte de légitimation pour son aîné, en qualité de beau-fils d’une fonctionnaire de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Pour ses filles, il invoque des « difficultés familiales » qui auraient eu pour effet que le regroupement familial n’aurait pas pu être sollicité plus tôt. Toutefois, à teneur de la jurisprudence précitée, les limites d’âge et les délais prévus à l’art. 47 LEI visent à permettre une intégration précoce et à offrir une formation scolaire en Suisse aussi complète que possible. La demande déposée le 6 janvier 2022, alors que la jeune fille était en année terminale du lycée au Sénégal ne remplissait pas et ne pouvait plus remplir cet objectif d’intégration précoce dans le système scolaire suisse. Sa situation était plus proche de celle que la jurisprudence traite avec sévérité soit une demande de regroupement familial différé déposée peu avant l'âge auquel une activité lucrative peut être exercée qui permet principalement une admission au marché du travail facilitée. De surcroît, une alternative à la venue en Suisse subsistait puisque sa sœur, aînée et majeure, ne pouvant pas obtenir de regroupement familial, resterait au Sénégal et constituerait un soutien pour sa cadette. De même, leur mère avait préféré attendre en Suisse la réponse à la demande déposée par ses filles. Or, les choix faits par les parents de l’intéressée impliquent que la cadette est restée au Sénégal avec sa sœur. Elle y a poursuivi ses études et y est devenue majeure. Ces décisions des parents plaident contre l’existence de raisons personnelles majeures pour leurs filles, indépendamment de la situation politique.

En conséquence, le regroupement familial ayant été demandé alors que l’intéressée avait presque 18 ans, qu’elle était scolarisée au Sénégal, où elle avait toujours vécu, qu’elle y avait ses repères alors qu’elle ne connaissait pas la Suisse, qu’elle était en bonne santé, qu’elle vivait séparée de son père depuis de nombreuses années, l’autorité intimée n’a ni violé le droit ni abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant qu’il n’existait pas de raisons personnelles majeures.

Pour le surplus, le TAPI a par ailleurs procédé à une longue motivation à laquelle il peut être renvoyé.

2.7.3 Il sera enfin relevé qu’à part des articles de journaux relatant, de façon générale, les tensions dans le pays, aucune pièce spécifique à la situation de chacune des filles n’a été versée à la procédure dans le cadre du recours devant la chambre de céans.

De même, aucun document n’atteste de la suite du parcours de B______, après son baccalauréat obtenu en juin 2023. Par ailleurs, à teneur du site de l’école supérieure multinationale des télécommunications, la formation suivie par A______ semble se dérouler sur six semestres. L’étudiante était en troisième année pendant l’année scolaire 2022/2023. Aucun renseignement n’est fourni sur ce qu’elle fait depuis cet été. Si le communiqué de la direction indiquait que les cours étaient suspendus jusqu’au 5 juin 2023, rien n’indique que celle-ci serait toujours scolarisée et donc susceptible d’être entravée dans ses études par les troubles actuels.

2.8 Les recourantes ne peuvent déduire aucun droit de l’art. 8 CEDH. En effet, lorsque l’enfant accède à la majorité au cours de la procédure, son droit à l’octroi d’une autorisation fondé sur l’art. 8 CEDH devient en principe caduc ; tel est notamment le cas lorsqu’il n’existe pas de dépendance particulière de l’enfant vis‑à‑vis du parent autorisé à séjourner en Suisse (ATF 145 I 227 consid. 6 ; ATF 136 II 497 consid. 3.2), une dépendance « culturelle », telle qu’alléguée par leur père, n’existant pas dans la législation suisse pour des enfants majeurs.

En conséquence, il n’existe aucune circonstance majeure justifiant un regroupement familial.

2.9 Enfin, les conditions pour un cas d’extrême gravité n’apparaissent pas remplies, aucune des deux filles n’ayant séjourné en Suisse ni n’y étant a fortiori intégrée (art. 30 al. 1 let. b LEI, 58a LEI).

En tous points infondé, le recours sera rejeté.

3.             Le prononcé du présent arrêt rend sans objet la requête en mesures provisionnelles.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge solidaire des recourantes qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er décembre 2023 par A______ et B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 octobre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge solidaire d’A______ et B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Razi ABDERRAHIM, avocat des recourantes, à l’office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’au secrétariat d’État aux migrations.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juge, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.