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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2649/2023

ATA/241/2024 du 27.02.2024 ( PATIEN ) , REJETE

Descripteurs : DROIT DU PATIENT;DEVOIR PROFESSIONNEL;FAUTE PROFESSIONNELLE;ÉTABLISSEMENT HOSPITALIER;PLAINTE À L'AUTORITÉ DE SURVEILLANCE
Normes : LPMéd.40.leta; LS.42
Résumé : Rejet du recours du patient se plaignant de la prise en charge par le personnel médical des HUG lorsqu’il est arrivé aux urgences en ambulance en raison d’un AVC. Pas de violation des règles de l’art médical in casu eu égard aux données médicales établies par un précédant arrêt de la chambre administrative dans la même cause sur la base d’une revue médicale des HUG produite par le patient, aux explications claires et plausibles fournies par la commission spécialisée établie par la législation cantonale topique et aux arguments du recourant, dont une large partie se fonde sur des faits non pertinents à l’issue du litige. Le renvoi à un site internet tel que celui en cause ne permet pas d’infirmer lesdites données médicales, ni de conclure à un comportement médicalement indéfendable du médecin des HUG. Confirmation de la décision litigieuse classant la plainte du patient à l’encontre des HUG.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2649/2023-PATIEN ATA/241/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 février 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Fanny ROULET-TRIBOLET, avocate

contre

COMMISSION DE SURVEILLANCE DES PROFESSIONS DE LA SANTÉ ET DES DROITS DES PATIENTS

HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE
représentés par Me Michel BERGMANN, avocat  intimés



EN FAIT

A. a. A______, né en 1958, a été pris en charge, le 24 novembre 2014 matin, par le service des urgences (ci-après : SU) des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) où il a été transporté en ambulance, en raison d’un malaise, sans perte de connaissance, avec une sensation de perte de motricité et une sensibilité aux membres inférieurs et supérieurs droits ainsi que des troubles de l’élocution et une asymétrie faciale.

b. Selon la fiche d’intervention de la prise en charge ambulancière, l’ambulance, alertée à 9h33, était arrivée à son domicile à 9h39 puis l’avait amené au SU à 10h04.

c. Selon la feuille de tri du SU, il avait fait l’objet d’un tri à 10h11 avec un degré d’urgence 2 qui correspondait à un laps de temps écoulé depuis l’apparition des symptômes estimé à plus de six heures mais moins de 24 heures, ou à plus de 24 heures mais avec une aggravation des symptômes.

d. Un médecin urgentiste, le Dr B______, a examiné le patient et prescrit un scanner cérébral à 10h41 afin de rechercher l’existence d’une hémorragie ou d’une ischémie, avec la mention « URGENT » s’agissant du délai de réalisation. Cet examen a eu lieu, le même jour, à 12h30 et le rapport y relatif a conclu à l’absence « d’argument scanographique pour une lésion ischémique récente ».

e. Le même jour, le neurologue de garde, le Dr C______, a examiné le patient et noté, à 13h47, qu’il souffrait d’une hépatite C non traitée et d’une intoxication éthylique chronique, avec mention d’un sevrage éthylo-tabagisme depuis 2009 dans le dossier. Selon ses notes de suites, le patient présentait un score de Glasgow à 15 et un score NIHSS à 4. La décision litigieuse sous-mentionnée précisait qu’un score à 15 sur l’échelle de Glasgow correspondait à un état de conscience normale et qu’un score compris entre 1 et 4 pour le NIHSS – permettant de mesurer l’intensité des signes neurologiques – était généralement considéré comme un « AVC [accident vasculaire cérébral] mineur ». Ce médecin a principalement évoqué une atteinte du territoire profond de l’artère cérébrale moyenne gauche et éclairci une autre piste avec la radiologue. Il a prescrit une dose de charge d’aspirine, administrée au patient à 17h24 du même jour. À ce moment, il a aussi prescrit une imagerie par résonnance magnétique (ci-après : IRM) cérébrale, à réaliser « dès que possible ». Sur sa recommandation, le patient a été hospitalisé dans le service de neurologie pour la suite de la prise en charge diagnostique et thérapeutique en fin d’après-midi du 24 novembre 2014.

f. Le 25 novembre 2014, le patient a d’abord subi une IRM dont le rapport a relevé la présence d’une récente ischémie cérébrale moyenne gauche profonde, sans signe de transformation hémorragique. À 17h10 de ce même jour, il a également effectué un scanner cérébral compte tenu de l’évolution de son état (péjoration de sa force du membre inférieur droit et paralysie faciale droit) et de la nécessité de déceler une éventuelle transformation hémorragique. Celle-ci n’a pas été observée selon le rapport relatif à ce scanner cérébral. Le patient a, ce même jour, fait l’objet d’un examen Echo-Doppler et d’un examen Duplex-couleur transcrânien. Il a aussi reçu un traitement par Liquémine, étant précisé que le dossier indiquait la prise d’héparine par le patient le 26 novembre 2014 à 15h41.

g. Le diagnostic du neurologue précité a été confirmé par un autre médecin du service de neurologie le 27 novembre 2014, conformément aux notes de suites de ce dernier indiquant, comme diagnostic principal, un AVC ischémique du territoire sylvien gauche profond. Une nouvelle IRM a été réalisée le 28 novembre 2014, avec pour résultat une « stabilité de la lésion ischémique aiguë connue [sans] nouvelle lésion ischémique ou hémorragique apparue dans l’intervalle ». Le patient a, le 1er décembre 2014, été admis au service de neurorééducation.

B. a. Le 23 août 2016, A______ a saisi la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission) d’une plainte dirigée contre les HUG, estimant que le personnel hospitalier du SU ne s’était pas rendu compte du sérieux de son état, n’avait pas vu les signes d’un AVC et ne lui avait pas administré l’injection pendant les cinq premières heures après l’apparition des symptômes de l’AVC, qui étaient cruciales. Il n’avait ainsi pas été pris en charge avec diligence, ni n’avait reçu le traitement adéquat avec, pour conséquence, de graves séquelles.

b. Cette plainte a été classée par décision de la commission du 7 octobre 2019, à la suite d’une instruction confiée à la sous-commission 1 et aux observations du Prof. D______, médecin-chef du SU, émises les 3 novembre 2016, 18 janvier et 2 novembre 2017.

c. Cette décision a été contestée par recours du patient interjeté en novembre 2019 auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), sollicitant plusieurs acte d’instruction et une expertise médicale et concluant sur le fond à la violation des règles de l’art par les médecins étant intervenus dans sa prise en charge susmentionnée et par les HUG.

d. Après avoir entendu les parties, la chambre de céans a, par arrêt du 6 octobre 2020 (ATA/990/2020), partiellement admis le recours du patient, annulé la décision précitée de la commission et renvoyé la cause à cette dernière pour complément d’instruction dans le sens des considérants et nouvelle décision.

Elle a écarté le grief du patient contestant le degré d’urgence 2 au lieu de 1. Le degré d’urgence 2 s’appliquait à une situation urgente n’engageant pas le pronostic vital mais susceptible de s’aggraver rapidement ; la prise en charge devait, dans ce cas, intervenir dans les vingt minutes. Le degré 1, en cas de suspicion d’AVC, s’appliquait lorsque les signes d’un AVC étaient intervenus depuis une heure. Selon la fiche d’intervention des ambulanciers et les notes prises par l’infirmière aux urgences, qui recueillaient les informations provenant du recourant lui-même, les premiers symptômes liés à son appel aux secours du 24 novembre 2014 au matin étaient apparus aux alentours de 19h-20h la veille sous la forme d’un malaise sans perte de connaissance avec une sensation de perte de motricité et de sensibilité à droite. Le médecin urgentiste avait aussi noté la présence d’un malaise la veille au soir. Dans la mesure où l’apparition des symptômes remontait à plus de six heures et moins de vingt-quatre heures, la fixation du degré d’urgence à 2 ne constituait pas une violation des règles de l’art du corps médical. Par ailleurs et contrairement à l’avis du patient, son arrivée au SU n’avait pas eu lieu peu après 8h mais peu après 10h conformément à la fiche de prise en charge des ambulanciers et à la fiche de tri établie par l’infirmière l’ayant accueilli au SU. Sa prise en charge n’était donc pas intervenue deux heures plus tard comme il le prétendait, mais bien dans les vingt minutes préconisées en cas de degré d’urgence 2, puisque le médecin urgentiste avait ordonné un scanner à 10h41, ce qui impliquait qu’il l’avait examiné au préalable.

Concernant le grief selon lequel les HUG n’avaient pas posé le bon diagnostic avant que l’état du patient ne s’aggrave irrémédiablement, la chambre de céans a d’abord rappelé plusieurs éléments ressortant de la revue Pulsations des HUG produite par le patient et traitant de l’AVC. L’importance de la prise en charge dès les premiers symptômes de l’AVC était rappelée. Celle-ci dépendait de la nature de l’AVC qu’il convenait d’établir, en particulier en phase aiguë de l’AVC. Le seul moyen pour établir un diagnostic était le scanner ou l’IRM. Si un vaisseau était rompu, il s’agissait d’un AVC hémorragique, le cerveau étant alors menacé par un trop plein de sang, de sorte qu’il fallait administrer des médicaments qui baissaient la tension. Cela étant, dans 80% des cas, il s’agissait d’un AVC ischémique, ce qui impliquait qu’un caillot de sang (un thrombus) obstruait une artère et privait d’oxygène une partie du cerveau. Dans ce cas, le traitement consistait à fluidifier le sang (thrombolyse) ou à retirer le caillot (thrombectomie), si possible les deux. Ces traitements amélioraient les pronostics pour environ 60% des patients, mais seuls 10 à 12% d’entre eux pouvaient les recevoir. Beaucoup de patients ne pouvaient pas être traités en raison de contre-indications médicales et beaucoup arrivaient trop tard aux urgences, soit plus de huit heures après l’AVC. Au-delà de cette limite, les risques du traitement devenaient plus importants que les bénéfices potentiels. Dans la phase aiguë, les patients étaient hospitalisés à l’unité des maladies cardiovasculaires dite « Stroke unit », où ils étaient surveillés pendant 24 heures afin de protéger les zones menacées mais non touchées par l’AVC. Cette unité améliorait le pronostic pour un patient sur quatre. Durant cette hospitalisation, les causes de l’AVC étaient recherchées et dès qu’elles étaient connues, le patient entreprenait les traitements ad hoc afin d’empêcher une récidive.

Les étapes de la prise en charge hospitalière en cas d’AVC étaient décrites dans cette revue comme suit. À une heure après les premiers symptômes, il était question d’un diagnostic avec un scanner ou une IRM et de la prescription de thrombolyse et/ou thrombectomie. Entre 4h30 jusqu’à 8h après les premiers symptômes, seule la thrombectomie présentait encore un rapport coût/bénéfice favorable au patient. Au-delà de 8h, les dommages infligés aux régions du cerveau touchées étaient irréversibles. Aucun traitement de phase aiguë ne pouvait plus être administré, ce qui était le cas pour plus de 80% des admissions. Entre 24 et 48 heures après, il s’agissait d’une surveillance minutieuse des paramètres, puis d’une rééducation de trois à quatre mois. Avant la thrombectomie, la médecine était impuissante après 4h30 déjà. Cette technique associée à une thrombolyse améliorait de manière significative le pronostic à long terme des patients souffrant d’AVC ischémique. Un patient sur quatre ayant reçu ce traitement présentait des séquelles moins lourdes et une meilleure autonomie dans la vie quotidienne. Cela représentait un progrès majeur.

La chambre administrative a retenu que le médecin urgentiste avait indiqué dans sa fiche de prescription, comme indication à un scanner cérébral « URGENT », la présence, chez le patient depuis 5h30, d’une parésie de l’hémicorps droit et de l’hémiface droite. L’examen avait pour but la recherche d’une hémorragie ou d’une ischémie. Il était intervenu à 12h30. Le laps de temps de près de deux heures, qui séparait l’ordre du médecin et son exécution, paraissait long au profane compte tenu de la mention « URGENT ». Il revenait donc à la commission de déterminer ce que ce terme impliquait au sein des HUG ou d’un établissement similaire en terme de laps de temps d’exécution de l’examen ordonné, notamment en regard des indications du milieu médical en matière d’AVC. Ceci semblait d’autant plus pertinent dans le cas d’espèce qu’il ne ressortait pas du dossier des HUG qu’à 12h30, le médecin urgentiste aurait d’ores et déjà eu connaissance du score de NIHSS 4, ni de l’hépatite C dont souffrait le recourant, deux paramètres qui, selon la commission, ne le rendaient pas éligible à une thrombolyse vu le risque d’hémorragie accru.

La chambre administrative peinait à comprendre, si le recourant n’était pas éligible à une thrombolyse, pour quelle raison, après que le diagnostic d’AVC ischémique profond avait été posé, il avait, dès le 25 novembre 2014 au matin, effectivement bénéficié d’un tel traitement, dont le dosage avait même été augmenté, nonobstant ses répercussions sur son foie.

Dans ces circonstances, elle a renvoyé le dossier à la commission pour approfondissement de son instruction, comprenant la transmission par les HUG de tous les documents en sa possession en lien avec le premier test NIHSS effectué et, si nécessaire la mise en œuvre d’une expertise médicale, afin que soient analysés en détail les gestes des médecins impliqués dans les opérations successives, respectivement leur conformité avec les règles de l’art.

C. a. À la suite de cet arrêt, la sous-commission 1 a repris l’instruction de la cause et intégré le Prof. E______, médecin-chef du centre cérébrovasculaire du service de neurologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (ci-après : CHUV), dans sa composition en tant que membre ad hoc.

b. Faisant suite à sa demande du 5 mars 2021 quant aux documents relatifs au premier test NIHSS et à l’interpellation du médecin urgentiste, les HUG ont répondu, le 23 avril 2021, à la commission.

Ils ne disposaient pas de documents supplémentaires concernant ledit test, précisant qu’il s’agissait d’un outil d’évaluation clinique qui se basait sur l’appréciation de divers critères (l’orientation, la motricité, le langage, etc.) par le médecin lors de l’examen du patient. La nature de cet examen expliquait que, contrairement à la prescription et à la réalisation d’examens plus techniques, comme les scanners ou les radiographies, l’heure précise à laquelle intervenait un test NIHSS n’était pas consignée spécifiquement dans le dossier. Par ailleurs, ils n’étaient pas en mesure d’interpeller le médecin urgentiste qui les avait quittés et dont ils ignoraient où ils pouvaient le joindre.

c. Par décision du 3 juillet 2023, la commission a classé la plainte de A______. La prise en charge diagnostique du patient, le traitement initial administré et les délais de prise en charge avaient été conformes aux règles de l’art.

Concernant le délai d’exécution du scanner cérébral, c’était l’apparition des premiers symptômes d’un AVC qui déterminait en premier lieu si une thrombolyse était réalisable ou non. Or, un délai supérieur à 4h30 rendait la thrombolyse totalement contre-indiquée. Il existait en outre un lien entre l’éligibilité à la thrombolyse et le délai de réalisation du scanner cérébral. En effet, un patient candidat à cette intervention devait être soumis à l’examen d’imagerie aussi vite que possible mais au plus tard 25 minutes après son arrivée aux urgences. Quant au patient qui n’était pas éligible à une thrombolyse parce que son délai de réalisation était dépassé, comme dans le présent cas, il devait pouvoir bénéficier d’une imagerie (CT-Scan ou IRM) dès que possible mais sans délai maximal précis. Habituellement, toutefois, l’imagerie devait intervenir dans les 6 à 12 heures au plus tard après l’arrivée aux urgences. Par ailleurs, afin d’évaluer le délai de réalisation du scanner, était aussi prise en considération l’organisation de l’établissement hospitalier qui ne disposait pas de scanners mobiles dans les salles d’attente. Dans la présente affaire, la chambre administrative avait retenu que les premiers symptômes étaient apparus la veille de la prise en charge du patient par le SU, que le triage en degré d’urgence 2 n’était pas critiquable et que la prise en charge par le médecin urgentiste n’était pas tardive. Compte tenu notamment du fait que le patient n’était pas éligible pour une thrombolyse, le délai d’exécution du scanner cérébral n’était pas tardif.

Concernant l’interrogation de la chambre administrative sur le motif pour lequel le patient avait bénéficié d’un traitement par thrombolyse le 25 novembre 2014 alors qu’il avait été déclaré inéligible à une telle intervention la veille, la rectification suivante était apportée. Le patient avait bénéficié d’un traitement anticoagulant par Liquémine (soit de l’héparine), et non d’une thrombolyse. Une telle attitude, face à l’aggravation de l’état de santé du patient qui était déjà sous aspirine et dont une éventuelle transformation hémorragique de l’AVC avait été exclue à l’issue d’un nouveau scanner, était parfaitement adéquate.

Concernant la question de la réalisation du test NIHSS, l’évaluation du score NIHSS devait être réalisée par un praticien formé et si possible certifié, et nécessitait un entraînement et une pratique régulière. Dans le présent cas, le score NIHSS n’avait pas été évalué par le médecin urgentiste lors de la prise en charge du patient. Ce médecin, compte tenu de sa fonction d’urgentiste, ne disposait vraisemblablement pas de la formation nécessaire à l’évaluation de ce score. De plus, compte tenu de l’apparition des premiers symptômes la veille de son admission aux urgences et du fait que le patient n’était ainsi pas éligible pour une thrombolyse, le médecin urgentiste ne se trouvait pas face à une urgence qui aurait nécessité que le test soit réalisé immédiatement. C’était donc à juste titre qu’il avait procédé à une évaluation du déficit neurologique par un examen neurologique descriptif. Dans tous les cas, un test NIHSS réalisé à l’arrivée du patient dans le SU n’aurait pas été propre à modifier sa prise en charge. Dans ces circonstances, la réalisation du test NIHSS entre 12h30, heure de l’examen du patient par le neurologue de garde, expérimenté en la matière, et 13h47, heure de la retranscription du score NIHSS, ne prêtait pas le flanc à la critique.

S’agissant de la prise en charge globale de A______ par le SU, après le tri dûment fixé en degré d’urgence 2, le patient avait fait l’objet d’un scanner cérébral dans un délai d’exécution non critiquable pour les raisons susmentionnées et dont le résultat n’avait pas mis en évidence de lésion ischémique récente. À cet égard, un scanner normal ne contredisait pas nécessairement le diagnostic d’AVC ischémique, car les faux négatifs survenaient fréquemment lors de la phase aiguë de l’accident cérébral ou, comme dans le présent cas, en cas de lésion de volume très réduit. En pareille circonstance, l’IRM cérébrale de contrôle demeurait facultative. Bien qu’un tel examen s’avérait légèrement plus sensible que le scanner, il n’était toutefois pas obligatoire puisqu’un accident vasculaire cérébral pouvait pour la plupart des situations être diagnostiqué au seul moyen d’un examen physique et d’un scanner. Dans la présente espèce, une IRM avait été réalisée le 25 novembre 2014 et avait permis de confirmer la survenance d’un AVC qui s’était constitué progressivement depuis son début. Dans tous les cas, l’IRM n’était pas obligatoire puisque le diagnostic de syndrome lacunaire (soit accident microvasculaire, soit de petite taille) était déjà posé, mais cela permettait à tout le moins de s’assurer que d’autres problématiques ne venaient pas s’ajouter à celle déjà présente. Dès lors, le diagnostic de syndrome lacunaire avait été posé correctement et dans les délais adéquats. En outre, indépendamment de la réalisation d’une thrombolyse, laquelle n’était pas indiquée dans le cas présent, l’aggravation de l’état de santé du patient restait toujours possible lors de la survenance d’un AVC lacunaire. Il s’agissait d’une évolution latente et parfois inévitable face à laquelle le personnel médical demeurait malheureusement impuissant. Enfin, une fois le diagnostic posé, le traitement approprié (de l’aspirine) avait été administré au patient et ce, dans les délais adéquats. Une anticoagulation précoce, par exemple par héparine, n’était pas indiquée au stade de la prise en charge aux urgences.

D. a. Par acte expédié le 23 août 2023, A______ a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative en concluant principalement à son annulation, à ce qu’il soit dit que les HUG et les médecins intervenant avaient violé les règles de l’art et à ce que soit infligée « la sanction adéquate en découlant ».

À titre préalable, il concluait à ce qu’une expertise judiciaire soit ordonnée au motif qu’il subsistait de nombreuses zones d’ombre, en raison d’une instruction lacunaire par la commission, et que la chambre administrative ne disposait pas des connaissances médicales nécessaires à l’appréciation du litige. L’expert devait en particulier vérifier si la prise en charge dans des délais particulièrement longs pouvait être considérée comme ayant été faite de manière diligente et si la thrombolyse prescrite, effectuée tardivement et en présence de contre-indications, pouvait être considérée comme étant conforme aux règles de l’art.

Il se plaignait d’une constatation inexacte des faits. La commission n’avait pas suffisamment instruit les faits, en violation de l’arrêt de renvoi de la chambre administrative. Elle n’avait pas déterminé ce que la mention « URGENT » impliquait. Le fait selon lequel le patient n’était pas éligible pour une thrombolyse n’avait pas été prouvé. Il en allait de même du fait qu’il avait bénéficié d’un traitement anticoagulant par Liquémine (de l’héparine).

Sur le fond, il reprenait l’interrogation de la chambre administrative quant au laps de temps écoulé entre l’ordre du médecin urgentiste de procéder à un scanner cérébral et la réalisation de celui-ci à 12h30, en soulignant que le Prof. D______ avait admis – sans mentionner où ni quand – que ce temps d’attente paraissait long mais l’avait justifié par le fait que le score NIHSS était de 4 et qu’une hépatite C avait été décelée, de sorte qu’il n’était plus éligible pour une thrombolyse. En outre, aucun document ne prouvait que le médecin urgentiste avait connaissance du score NIHSS ou de l’hépatite C, puisque la « Feuille d’Ordres » mentionnait que la surveillance neurologique, soit notamment le NIHSS, avait été prescrite à 17h24 seulement. Enfin, il avait été établi – sans que l’acte de recours n’indique comment – qu’il avait bénéficié d’une thrombolyse « extrêmement » tardivement et malgré la présence de contre-indications, alors que la « doctrine scientifique » – non précisée – admettait unanimement que plus la thrombolyse était précoce, plus elle était efficace. Dans ces circonstances, une violation des règles de l’art devait être retenue.

b. Le 27 septembre 2023, la commission a implicitement conclu au rejet du recours, en persistant intégralement dans les termes de sa décision, transmis son dossier et expliqué les raisons pour lesquelles elle n’avait pas procédé à une expertise.

Sa composition était pensée de manière à ce que les membres présentent les compétences métier nécessaires. Lorsqu’une affaire concernait un domaine qui n’était pas représenté au sein de la commission, celle-ci pouvait associer à ses travaux, avec droit de vote, un spécialiste de la branche concernée par l’affaire en cause, couvert par la notion de « membre ad hoc », conformément aux dispositions cantonales topiques. En l’espèce, la sous-commission 1 avait fait appel au Prof. Prof. E______, en qualité de membre ad hoc, ce dont le recourant avait été informé par courrier du 17 mai 2021. Tant cette dernière que la commission avaient bénéficié de l’expertise de ce spécialiste, de sorte qu’une expertise judiciaire ne se justifiait pas. Cette conclusion devait être rejetée par la chambre de céans.

c. Le 10 novembre 2023, les HUG ont conclu au rejet du recours, après avoir relevé certaines constatations inexactes de faits, ce qui sera développé dans la partie en droit.

d. Le 14 décembre 2023, le recourant a répliqué et persisté dans ses conclusions.

Ni la commission ni les HUG n’avaient défini la notion d’urgence telle que demandée par la chambre de céans, le fait de se référer à la notoriété mondialement reconnue du Prof. E______ n’étant pas suffisant à cet effet. Alors que l’existence de faux négatifs en cas de scanner était notoire, le fait de ne pas ordonner d’examen complémentaire dans la journée, par opposition au lendemain, constituait une violation crasse des règles de l’art, étant donné que chaque heure de plus sans agir augmentait la gravité des séquelles potentielles pour un patient présentant un AVC. À l’appui d’un lien intitulé « Accidents vasculaires cérébraux – Service de neurologie – CHUV », il énumérait les mesures diagnostiques préconisées par le service de neurologie du CHUV selon lesquelles le scanner et l’IRM ne semblaient pas être indiquées comme étant des conditions alternatives, alors que les HUG tentaient de justifier le caractère facultatif d’une IRM. Ainsi, une IRM dans la journée du 24 novembre 2014, et non le lendemain, aurait été une mesure conforme aux règles de l’art « eu égard [aux] connaissances scientifiques et moyens [à] disposition [des HUG] » afin de minimiser au maximum les séquelles de son AVC. La notoriété des membres de la commission, comme l’alléguaient les HUG, ne répondait pas aux violations qu’il alléguait dans son recours mais minimisait son cas en tentant « de justifier, sans fondement, les actes des médecins urgentistes relevant d’une violation des règles de l’art médical ».

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 LPA - E 5 10).

La qualité pour recourir du patient a déjà été admise lors de l’arrêt ATA/990/2020 précité (consid. 2), de sorte qu’il y sera renvoyé, la présente cause concernant le même contexte de faits et les mêmes parties.

2.             Le recourant demande à la chambre administrative d’ordonner une expertise judiciaire, considérant que l’instruction de la commission serait lacunaire et qu’il subsisterait de nombreuses zones d’ombre.

2.1 Conformément à la jurisprudence fédérale relative à l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu garanti par cette norme n'empêche pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_359/2022 du 20 avril 2023 consid. 3.1 et les références citées).

2.2 En l’espèce et pour les raisons développées ci-après, la chambre renonce à donner suite à la mesure d’instruction sollicitée par le recourant, compte tenu des éléments établis par l’ATA/990/2020 précité, des explications claires et objectives de la commission et des arguments du recourant, dont une large partie ne repose pas sur des faits pertinents pour l’issue du litige comme cela sera exposé plus bas. À cela s’ajoute, comme elle l’explique elle-même dans sa réponse, que la commission est une instance spécialisée instituée par la législation cantonale topique susmentionnée, de sorte qu’elle dispose d’une large liberté d’appréciation s’agissant de l’examen du respect des règles médicales par les professionnels de la santé. L’absence de connaissances médicales de la chambre de céans n’exige dès lors pas d’ordonner in casu une expertise judiciaire pour trancher le litige.

3.             Outre une constatation inexacte des faits, le recourant invoque, en lien avec ce grief, la violation des règles de l’art médical par le SU des HUG, lors de sa prise en charge concernant son AVC survenu fin novembre 2014, avec pour conséquence de graves séquelles.

3.1 Que ce soit dans sa teneur applicable au moment des faits litigieux, visant les personnes exerçant une profession médicale universitaire à titre indépendant, ou dans sa teneur actuelle, applicable aux personnes exerçant une profession médicale universitaire sous leur propre responsabilité professionnelle, l’art. 40 let. a de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (loi sur les professions médicales, LPMéd - RS 811.11) prévoit, à titre de devoirs professionnels, l’exercice de l’activité « avec soin et conscience professionnelle ».

3.2 En outre, l’art. 42 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03), tant dans sa teneur actuelle que dans celle en vigueur au moment des faits litigieux, dispose que toute personne a droit aux soins qu’exige son état de santé à toutes les étapes de la vie, dans le respect de sa dignité et, dans la mesure du possible, dans son cadre de vie habituel. Sous l’intitulé « Devoirs des patients », l’art. 40 LS, dans sa teneur actuelle identique à celle en vigueur au moment des faits litigieux, prévoit que ces derniers s’efforcent de contribuer au bon déroulement des soins, notamment en donnant aux professionnels de la santé les renseignements les plus complets sur leur santé (al. 1 ab initio).

3.3 De manière générale, on attend du médecin qu'il fasse preuve de diligence dans l'établissement du diagnostic, dans le choix du traitement puis dans son administration (ATF 105 II 284 ; Olivier GUILLOD, droit médical, 2020, p. 491 n. 573).

3.4 Selon la jurisprudence constante, la relation entre le médecin et son patient est régie par les règles relatives au contrat de mandat (ATF 110 II 375). La doctrine considère que les devoirs professionnels du médecin découlant du droit privé se recoupent en grande partie avec ceux de l’art. 40 LPMéd (ATA/143/2023 du 14 février 2023 consid. 5d ; ATA/752/2022 du 26 juillet 2022 consid. 3d ; Yves DONZALLAZ, Traité de doit médical, volume II, 2021, n. 4'966 ; Moritz W. KUHN/Tomas POLEDNA, Arztrecht in der Praxis, 2e éd., 2007, p. 247 et 254).

Le médecin répond de la bonne et fidèle exécution du mandat (art. 398 al. 2 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse [CO, Code des obligations - RS 220]). Il devra agir avec discrétion, informer son mandant et lui rendre des comptes, respecter les devoirs professionnels dans un certain état d’esprit traduisant sa conscience professionnelle, en ayant à cœur d’agir de façon diligente (ATA/143/2023 précité consid. 5d et les références citées).

Le médecin viole son devoir de diligence lorsqu’il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre méthode qui, selon l’état général des connaissances professionnelles, n’apparaît plus défendable et ne satisfait pas aux exigences objectives de l’art médical (ATF 134 IV 175 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_63/2020 du 10 mars 2021 consid. 3.3.2).

La particularité de l’art médical réside en l’obligation du médecin de faire en sorte, grâce à ses connaissances et à ses capacités, d’obtenir un résultat escompté, mais cela ne signifie pas qu’il doive atteindre ce résultat ou même le garantir ; en effet, en tant que tel, le résultat ne fait pas partie de ses obligations (ATF 115 Ib 175 consid. 2b). Chaque échec de traitement n’équivaut pas à une violation du devoir de diligence (Dominique MANAÏ, Droits du patient et biomédecine, 2013, p. 170). La notion de « Pflichtverletzung » (violation d’un devoir) n’englobe pas toutes les mesures et toutes les omissions qui – considérées a posteriori – auraient causé ou empêché un dommage. Le médecin ne répond pas de tous les dangers et de tous les risques liés à un acte médical ou liés à la maladie elle-même. Il exerce une activité exposée à des dangers. Dans le diagnostic comme dans le choix d’une thérapie ou d’autres mesures, le médecin dispose souvent – selon l’état de la science considéré objectivement – d’une certaine marge d’appréciation. Celle-ci autorise un choix entre les différentes possibilités qui entrent en considération. Le choix relève de l’appréciation attentive du médecin. Il ne manque à son devoir que si un diagnostic, une thérapie ou quelque autre acte médical est indéfendable dans l’état de la science et sort du cadre médical considéré objectivement (ATF 120 Ib 411 = JdT 1995 I 554 consid. 4a et les références).

3.5 En droit genevois, les principaux droits du patient sont énumérés aux art. 42 ss LS, dont fait partie le droit aux soins (art. 42 LS). Ce droit ne saurait être compris comme conférant un droit absolument illimité à recevoir des soins mais comme le droit pour une personne, indépendamment de sa condition économique et sociale, d’accéder équitablement aux soins qu’elle demande et de recevoir ceux qui lui sont objectivement nécessaires, pour autant qu’ils soient effectivement disponibles (MGC 2003-2004/XI A 5845 ; ATA/941/2021 du 14 septembre 2021 consid. 6).

Selon la jurisprudence de la chambre administrative, le droit de se faire soigner conformément aux règles de l’art médical constitue un droit du patient. L’allégation d’une violation des règles de l’art équivaut à celle de la violation des droits du patient (ATA/355/2021 du 23 mars 2021 consid. 5b).

3.6 La commission, instituée par l’art. 10 LS, est chargée de veiller au respect des prescriptions légales régissant les professions de la santé et les institutions de santé visées par la LS et au respect du droit des patients (art. 1 al. 2 de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 - LComPS - K 3 03).

La commission instruit en vue d’un préavis ou d’une décision les cas de violation des dispositions de la LS, concernant les professionnels de la santé et les institutions de santé, ainsi que les cas de violation des droits des patients (art. 7 al. 1 let. a LComPS). En cas de violation des droits des patients, la commission peut émettre une injonction impérative au praticien concerné sous menace des peines prévues à l'art. 292 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) ou une décision constatatoire (art. 20 al. 1 LComPS). En cas de violation des dispositions de la LS, la commission est également compétente pour prononcer un avertissement, un blâme et/ou une amende jusqu'à CHF 20'000.- (art. 20 al. 2 LComPS). Si aucune violation n'est constatée, elle procède au classement de la procédure (art. 20 al. 3 LComPS).

Le droit de plainte reconnu au patient, ainsi que sa qualité de partie à la procédure par-devant la commission trouvent leur fondement dans le fait que la législation sur la santé confère des droits au patient. La procédure devant la commission a en effet pour objet de permettre aux patients de s'assurer que leurs droits ont été respectés conformément à l'art. 1 al. 2 LComPS (ATA/941/2021 du 14 septembre 2021 consid. 4d ; ATA/1075/2019 du 25 juin 2019 consid. 4d).

Compte tenu du fait que la commission est composée de spécialistes, mieux à même d’apprécier les questions d’ordre technique, la chambre de céans s’impose une certaine retenue (ATA/941/2021 du 14 septembre 2021 consid. 4e et les arrêts cités).

4.             L’objet du présent litige doit être précisé à l’aune de l’ATA/990/2020 précité auquel la présente procédure fait suite et des arguments du recourant.

4.1 En effet, l’ATA/990/2020 précité a déjà tranché certaines questions déterminantes, sur lesquelles il n’y a pas lieu de revenir. Premièrement, sur la base des déclarations du recourant aux ambulanciers et à l’infirmière l’ayant accueilli au SU, consignées dans les documents susmentionnés rédigés par ces derniers, l’apparition des premiers symptômes liés à son appel aux secours du 24 novembre 2014 au matin remontait aux alentours de 19h-20h de la veille. Deuxièmement, le recourant était arrivé aux urgences peu après 10h et avait bien été pris en charge dans les vingt minutes suivantes, conformément au protocole applicable au degré d’urgence 2. Troisièmement, l’appréciation de ce degré d’urgence a également été confirmée par la chambre de céans pour les motifs exposés dans son arrêt précité. Il s’agit ainsi de faits dûment établis.

La chambre administrative a invité la commission à compléter son instruction sur certains points et à examiner en détail la conformité des gestes médicaux en cause aux règles de l’art. Parmi ces éléments, figuraient la notion d’urgence en lien avec la prescription du premier scanner cérébral, effectué à 12h30 le 24 novembre 2014, le moment auquel le premier test NIHSS avait été réalisé et les raisons pour lesquelles le patient avait bénéficié d’une thrombolyse le 25 novembre 2014 au matin.

4.2 Il convient de rappeler que la question litigieuse sur le fond porte sur le droit du patient à se faire soigner dans le respect des règles de l’art médical, ce dont il se plaint à plusieurs égards dans son recours. Ainsi, seuls les éléments de faits relatifs à cette question sont en l’espèce pertinents. Le pouvoir d’examen de la chambre administrative porte sur les questions de faits pertinents et de droit conformément à l’art. 61 al. 1 LPA, ce qui comprend notamment l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), à l’exclusion des questions liées à l’opportunité (art. 61 al. 2 LPA).

4.3 Ainsi, avant d’examiner le fond du litige, il convient de clarifier certains points invoqués par le recourant.

4.3.1 Tout d’abord, comme l’ont relevé la commission, dans la décision litigieuse, et les HUG, le patient n’a fait l’objet d’aucune thrombolyse, mais d’un traitement anticoagulant par Liquémine, dont le principe actif est l’héparine. Cette dernière a été administrée au recourant le 26 novembre 2014 à 15h41, ce qui est attesté par une pièce du dossier, de manière médicalement justifiée comme l’explique la commission dans la décision litigieuse, sans que cela ne soit remis en cause par le recourant. Les griefs relatifs à ces deux aspects doivent donc être rejetés. Il n’y a ainsi pas lieu d’entendre un expert sur la conformité d’une thrombolyse aux règles de l’art, comme le demande le recourant pour justifier la mise en œuvre d’une expertise judiciaire.

4.3.2 Quant à la question du temps écoulé, le 24 novembre 2014, entre l’ordre du médecin urgentiste de procéder au premier scanner cérébral, à 10h41, et la réalisation de ce dernier, à 12h30, la chambre administrative relève tout d’abord que le recourant ne remet pas en cause les considérations médicales issues de la revue Pulsations des HUG, qu’il a produite lors de son premier recours, et résumées par la chambre de céans dans l’ATA/990/2020 précité. Il s’agit ainsi de données médicales pouvant être considérées comme admises par les parties, eu égard à leurs arguments et à la décision litigieuse, dans la mesure utile à la résolution du présent litige.

Dans ces circonstances et compte tenu du fait que l’apparition des premiers symptômes a été fixée aux alentours de 19h/20h le 23 novembre 2014, soit la veille de la prise en charge contestée, et que celle-ci a commencé le 24 novembre 2014 peu après 10h, la chambre de céans ne peut que suivre l’avis de la commission, composée de professionnels de la santé et d’un spécialiste en neurologie exerçant dans un autre centre hospitalier que les HUG, lorsqu’elle affirme que le patient n’était pas éligible à une thrombolyse à son arrivée au SU. En effet, celle-ci est survenue plus de 4h30 après l’apparition des premiers symptômes, de sorte que la thrombolyse était contre-indiquée lorsque le patient a été examiné par le médecin urgentiste. Par conséquent, la question de savoir à quel moment le score NIHSS a été fixé n’est pas déterminante pour l’issue du présent litige.

En outre, quelle que soit l’appréciation de la durée écoulée entre 10h41 et 12h30 le 24 novembre 2014, le scanner cérébral effectué ce jour-là n’a pas démontré, contrairement à l’IRM réalisée le lendemain, l’existence d’une lésion ischémique récente. Le dossier contient par ailleurs la version provisoire du rapport du médecin urgentiste du 24 novembre 2014, imprimé ce même jour à 14h18, indiquant que le patient était connu pour une hépatite C « non traité ». Il peut ainsi être retenu que cette donnée médicale était connue du médecin urgentiste lors de la prescription du premier scanner à 10h41. À cela s’ajoutent les explications apportées par la commission dans la décision litigieuse, selon lesquelles la prise en charge est différente, suivant que le patient est ou non éligible à une thrombolyse, en ce sens que le scanner cérébral doit être effectué dans les premières 25 minutes après l’arrivée aux urgences si le patient est éligible à une thrombolyse, et dans les six à douze heures si tel n’est pas le cas, étant précisé que ce dernier délai découle de la pratique et non d’une règle médicale absolue. En l’espèce, le premier scanner cérébral du recourant, qui n’était pas éligible à la thrombolyse et souffrait d’hépatite C, a eu lieu moins de trois heures après son arrivée au SU. Dans ces circonstances et vu les explications précitées de la commission, non remises en cause par le recourant, la chambre de céans ne peut que se rallier à l’avis de la commission et admettre qu’en l’espèce le délai d’exécution dudit scanner n’était pas tardif. Il n’est dès lors pas nécessaire de définir de manière plus précise la notion du terme « urgent » figurant dans la prescription du médecin urgentiste faite à 10h41 le 24 novembre 2014. Dès lors, le grief y relatif est écarté. Il n’y a par conséquent pas lieu d’entendre un expert sur le caractère diligent ou non de la durée écoulée entre 10h41 et 12h30 quant au premier scanner cérébral, comme le demande le recourant à l’appui de sa requête d’expertise judiciaire.

Au vu de ces éléments, le recourant ne peut être suivi lorsqu’il soutient que le personnel hospitalier du SU ne s’était pas rendu compte du sérieux de son cas et qu’il lui reproche de ne pas lui avoir administré « l’injection » pendant les cinq premières heures dès l’apparition des symptômes de l’AVC. Ces arguments sont donc écartés.

5.             Il reste à examiner si le fait d’avoir procédé, le 25 novembre 2014, soit le lendemain du premier scanner cérébral précité, à l’IRM, ordonnée le 24 novembre 2014 à 17h24 avec la mention « dès que possible » et ayant établi l’existence d’une ischémie cérébrale récente, constitue in casu une violation des règles de l’art médical en matière d’AVC.

5.1 Compte tenu de la position de la commission exprimée dans la décision litigieuse et de l’argument du recourant fondé sur le seul renvoi au site internet du CHUV concernant les AVC, la question soulevée par l’intéressé est de savoir si le scanner cérébral et l’IRM sont deux actes médicaux devant obligatoirement être effectués le même jour de la première prise en charge d’un patient atteint d’un AVC. À cet égard, il n’est pas contesté que le neurologue de garde avait, le 24 novembre 2014, établi le score NIHSS à 4, ce qui indiquait l’existence d’un AVC « mineur » sans que le moment exact de ce test ne soit déterminant quant à son résultat, et émis l’hypothèse d’une atteinte du territoire profond de l’artère cérébrale moyenne gauche, confirmée par la suite par un autre médecin. C’est dans ce contexte qu’il a, ce même jour à 17h24, recommandé une IRM avec la mention « dès que possible », et non « urgent », prescrit de l’aspirine et recommandé l’hospitalisation du recourant dans le service de neurologie pour la suite de la prise en charge diagnostique et thérapeutique.

5.2 Le recourant invoque un manque de diligence et un traitement inadéquat dans sa prise en charge du 24 novembre 2014, en soutenant que l’existence de faux négatifs en cas de scanner était « notoire » et que « chaque heure de plus sans agir » augmentait la gravité des séquelles potentielles pour un patient présentant un AVC. Il estime, à l’appui du lien internet précité, qu’une IRM dans la journée du 24 novembre 2014, et non le lendemain, aurait été une mesure conforme aux règles de l’art pour minimiser au maximum les séquelles issues de son AVC.

5.3 La consultation du lien internet précité ne permet pas d’établir, comme le soutient le recourant, que le scanner cérébral et l’IRM sont deux actes nécessaires à la prise en charge d’un AVC, ni qu’ils doivent être réalisés le même jour. En effet, sous l’intitulé « Quelles sont les mesures diagnostiques ? », le service de neurologie du CHUV explique : « En plus d’une histoire médicale complète et d’un examen physique, les médecins feront [entre autres] une image du cerveau sous forme d’une [à la ligne, premier tiret] - tomodensitométrie computerisée (scanner ou CT), une procédure indolore qui utilise une combinaison de rayons X et de moyens de contraste [à la ligne, deuxième tiret] - imagerie par résonance magnétique (IRM), une procédure indolore qui utilise des champs magnétiques et des moyens de contraste », sans aucune conjonction telle que « et » ou « ou » entre ces deux tirets. Il ne s’agit dès lors pas d’une pièce permettant d’établir que les règles médicales actuelles exigent la réalisation des deux actes médicaux, ni que ceux-ci doivent être effectués le même jour. Ce site internet n’infirme par conséquent pas les indications médicales issues de la revue médicale produite par le recourant et résumées dans l’ATA/990/2020 précité, selon lesquelles le seul moyen pour établir un diagnostic en cas d’AVC est le scanner ou l’IRM, et ce y compris à une heure après l’apparition des premiers symptômes.

5.4 À cela s’ajoutent les explications objectives et plausibles de la commission, composée de professionnels de la santé comme déjà évoqué plus haut, dont un spécialiste en neurologie dont les compétences et connaissances en matière d’AVC ne sont contestées par aucune partie. Lorsque le scanner cérébral n’avait pas mis en évidence une lésion ischémique récente et que le volume de la lésion était réduit comme dans le présent cas, l’IRM cérébrale demeurait facultative car l’AVC pouvait être diagnostiqué au moyen d’un examen physique et d’un scanner. Tel avait été ici le cas puisque le diagnostic d’un accident microvasculaire, c’est-à-dire de petite taille (ou syndrome lacunaire), avait été posé. Dans ce type de situation (AVC lacunaire), la commission relevait que l’aggravation de l’état de santé du patient restait toujours possible et qu’il s’agissait d’une évolution latente et parfois inévitable, face à laquelle le personnel médical demeurait impuissant. Par ailleurs, la commission soulignait qu’une fois le diagnostic posé, le traitement approprié avait été administré au recourant, à savoir l’aspirine administrée le 24 novembre 2014 à 17h24, dans des délais adéquats, et qu’une anticoagulation précoce comme l’héparine n’était pas indiquée au stade de la prise en charge aux urgences.

5.5 Dans ces circonstances, on ne peut pas conclure que le neurologue de garde a agi d’une manière indéfendable eu égard à l’état de la science médicale, tel qu’attesté in casu tant par la revue médicale produite par le recourant dans la précédente procédure devant la chambre de céans que par la position claire et dûment motivée dans la décision litigieuse par la commission. Comme cela ressort de la jurisprudence susmentionnée, le médecin a une obligation de faire ce qui est possible, en l’état de la science, pour obtenir le résultat escompté mais non d’atteindre ce résultat, ni de répondre de tous les risques liés à une maladie. En prescrivant une IRM « dès que possible » en fin d’après-midi le 24 novembre 2014, le neurologue de garde a fait un usage de sa marge d’appréciation qui ne saurait, compte tenu des circonstances, constituer une violation des règles de l’art médical.

Dès lors, le recours sera rejeté et la décision litigieuse confirmée.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Les HUG disposant d’un service juridique, aucune indemnité ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/873/2023 du 22 août 2023 consid. 10 et les références citées).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 août 2023 par A______ contre la décision de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 3 juillet 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Fanny ROULET-TRIBOLET, avocate du recourant, Me Michel BERGMANN, avocat des Hôpitaux universitaires de Genève, ainsi qu'à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :