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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3355/2023

ATA/263/2024 du 27.02.2024 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 15.04.2024, 2C_183/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3355/2023-EXPLOI ATA/263/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 février 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Tobias ZELLWEGER, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION intimée
représentée par Me Stephan FRATINI, avocat



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) est inscrite au registre du commerce du canton de Genève. Son but est l’exploitation de points de vente, de restauration et de boutiques à l’aéroport de Genève et dans tous les aéroports de Suisse.

b. A______ a sollicité une aide pour cas de rigueur lié à la pandémie de Covid-19 les 14 décembre 2020, 5 février, 30 avril et 22 octobre 2021. Ces demandes étaient accompagnées des « Conventions d’octroi de contribution à fonds perdu », signées par A______. Celles-ci prévoyaient que les entreprises ayant bénéficié d’une aide pour cas de rigueur et dont le chiffre d’affaires était supérieur à CHF 5'000'000.-, devaient restituer le bénéfice qu’elles avaient réalisés, à concurrence du montant de l’aide perçue.

c. A______ s’est vu allouer par le département de l’économie et de l’emploi (ci‑après : DEE) une aide de CHF 250'000.- par décision du 18 décembre 2020 (pour la période du 26 septembre au 31 décembre 2020), de CHF 500'000.- par décision du 18 mars 2021 (en complément de l’aide pour 2020, toutes deux versées en 2021) et, pour l’année 2021, de CHF 6'240'967.30 par décision du 14 juillet 2021 et de CHF1'498'544.70 (recte CHF 1'498'554.70) par décision du 25 mars 2022.

d. Il ressort des comptes annuels, clos chaque année au 31 mars, et des rapports de l’organe de révision que la somme de CHF 6'240'967.30 a été comptabilisée à concurrence de CHF 4'376'155 sur l’exercice 2021 et de CHF 1'864'812 sur l’exercice 2022. Pour l’exercice 2021, elle a également comptabilisé les aides de CHF 250'000.- et de CHF 500'000.-.

e. Constatant l’existence d’un bénéfice pour 2021, le DEE a, par décision du 7 juin 2023, sollicité de A______ la restitution du montant de CHF 3'415'629.-. Sur la base des résultats fiscaux 2020 et 2021, le DEE recalculait les résultats annuels sans tenir compte des aides pour cas de rigueur, puis la perte de l’exercice 2020 était reportée sur l’exercice 2021. Enfin, le montant total des aides était additionné au résultat 2021. Si le résultat ainsi obtenu était positif, il était retenu au titre de participation au bénéfice, dont le remboursement était demandé, toutefois au maximum de l’aide totale perçue.

Selon le tableau contenu dans cette décision, la société avait réalisé un bénéfice de CHF 179'960.- en 2020 et de CHF 52'262.- en 2021. Compte tenu de l’aide perçue en 2021 de CHF 5'126'155.- (CHF 4'376'155.- + CHF 750'000.-), le résultat net représentait une perte de CHF 5'073'893.-. Au vu de l’aide totale de CHF 8'489'552.-, la somme de CHF 3'415'629.- était excédentaire (CHF 8'489'552.- - CHF 5'073'893.-).

f. À la suite de la réclamation formée par A______, un représentant du DEE a reçu un de ses représentants le 31 août 2023 et lui a expliqué les motivations et calculs conduisant à la décision précitée.

g. Par décision du 15 septembre 2023, le DEE a confirmé sa décision. Le bénéfice annuel était déterminé au regard du droit fiscal, soit pour l’année comptable 2021. Le DEE devait se fonder sur les décisions de taxation. Il était précisé que le bénéfice annuel déterminant était celui se terminant durant l’année 2021. Si des paiements étaient versées après le bouclement de l’année 2021, ils devaient être ajoutées au résultat de l’exercice 2021 aux fins de calculer la participation au bénéfice.

B. a. Par acte expédié le 16 octobre 2023, A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation.

Elle exploitait dix établissements à Genève et était également active à l’aéroport de Zurich. Le 18 décembre 2020, le DEE avait indiqué qu’une aide de CHF 250'000.- lui serait versée pour la période mentionnée (septembre à décembre 2020). Ce montant avait été versé, comme celui de CHF 500'000.-, au cours de la période comptable courant du 1er avril 2020 au 31 mars 2021. L’aide de CHF 6'240'967.30 avait été versée en deux tranches, l’une au cours de la période comptable allant du 1er avril 2020 au 31 mars 2021 (CHF 4'376'155.-), l’autre (CHF 1'864'812.-) pour la période subséquente. L’aide de CHF 1'498'545.- se rapportait également à l’exercice comptable courant du 1er avril 2021 au 31 mars 2022. L’avenant y relatif précisait qu’elle portait sur la période du 1er juillet au 31 décembre 2021.

Elle n’avait ainsi perçu pour l’année 2020 (soit du 1er avril 2019 au 31 mars 2020) aucune aide et pour les années comptables suivantes CHF 5'126'155.- en 2021, CHF 3'363'357.- en 2022 et CHF 171'852.- en 2023. Selon ses bordereaux de taxation, elle avait réalisé un bénéfice net imposable de CHF 179'960.- en 2020 et de CHF 52'262 en 2021 ; il avait été nul en 2022.

La décision querellée, expédiée par courrier A+, ne l’avait pas atteinte. Un de ses représentants s’étant enquis de l’envoi de la décision annoncée, le DEE l’avait réexpédiée le 25 septembre 2023.

Son droit d’être entendue avait été violé, la décision ne contenant pas de motivation suffisante. La méthode appliquée par le département ne se fondait pas sur une base légale. La décision consacrait une inégalité de traitement entre les bénéficiaires des aides pour cas de rigueur du fait de la période sur laquelle s’étendait leur exercice comptable. Enfin, la décision était arbitraire, l’interprétation des dispositions légales topiques faite par le département étant insoutenable.

b. Le DEE a conclu au rejet du recours, reprenant la motivation déjà exposée dans ses décisions.

c. Dans sa réplique, la recourante est revenue sur la manière de comptabiliser les aides. Pour l’exercice s’étant terminé le 31 mars 2020, elle n’avait pas perçu d’aide ; pour l’exercice 2021, elle avait perçu CHF 5'126'155.- et CHF 3'363'357 pour l’exercice fiscal suivant. Quand bien même l’un de ses représentants avait été reçu par le DEE en août 2023, les explications alors fournies ne palliaient pas le défaut de motivation de la décision. Celui-ci avait lui-même estimé qu’il convenait de « plaider la cause des entreprises genevoises auprès des autorités fédérales », ce qui confirmait que la réglementation était arbitraire. Contrairement aux affirmations du DEE, l’activité aéroportuaire n’avait pas repris au même niveau que précédemment. Les conditions commerciales dans lesquelles elle évoluait n’étaient donc toujours pas optimales.

Il n’était pas besoin de longues explications pour comprendre que le remboursement d’un montant aussi important que celui réclamé était susceptible d’entraîner sa faillite. Ses réviseurs attestaient d’ailleurs, dans un courrier du 19 janvier 2024, que la dette, si elle était comptabilisée, entraînerait un passif nécessitant des mesures d’assainissement.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile – quelle que soit la date de la notification de la décision querellée retenue – devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante conclut à la comparution personnelle des parties. Bien qu’elle n’y conclue pas formellement, elle cite par ailleurs dans ses écritures l’audition de témoins à titre de preuve.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressée d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit à l’audition orale ni à celle de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l’espèce, la recourante a eu l’occasion d’expliquer son point de vue dans sa réclamation, puis son recours et sa réplique. Elle a pu produire toute pièce qu’elle estimait utile. Elle n’explique, en outre, ni quels éléments complémentaires à ceux déjà exposés l’audition de l’un de ses représentants pourrait apporter. Il en va de même concernant l’audition de témoins, étant relevé qu’elle n’a pas même indiqué le nom des personnes qu’il conviendrait d’entendre. Enfin, la chambre administrative dispose d’un dossier complet qui lui permet de trancher le litige en connaissance de cause.

Au vu de ce qui précède, il ne sera pas ordonné d’autres actes d’instruction.

3.             Dans un premier grief d’ordre formel, la recourante se plaint de la violation de son droit d’être entendue pour défaut de motivation.

3.1 Le droit d'être entendu, tel que garanti par l’art. 29 Cst., implique notamment pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Il suffit qu'elle mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 146 II 335 consid. 5.1 ; 143 III 65 consid. 5.2). L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 137 II 266 consid. 3.2). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_56/2019 du 14 octobre 2019 consid. 2.4.1).

3.2 En l’espèce, l’autorité intimée a exposé, dans la décision querellée, que les conventions d’octroi de l’aide et le courrier d’information y relatif indiquaient que le calcul de la participation au bénéfice se ferait sur la base du résultat 2021 tel que déterminé par la loi fiscale. Elle s’était ainsi fondée sur les bordereaux de taxation 2020 et 2021.

En examinant l’argument soulevé, le département a ainsi satisfait à son obligation de motiver sa décision sur réclamation. Contrairement à ce que fait valoir la recourante, l’autorité n’était pas tenue d’examiner tous les griefs invoqués, étant habilitée à ne répondre qu’à ceux qu’elle estimait pertinents. En invoquant les dispositions sur lesquelles elle se fondait, elle a, au demeurant, implicitement répondu au grief relatif à l’interprétation prétendument contraire à l’esprit de la loi. Si, certes, elle n’a pas repris ses calculs dans sa décision sur réclamation, son argumentation répondait au grief de la réclamante qui ne contestait pas les chiffres retenus dans la décision du 7 juin 2023, mais la méthode appliquée. Au vu du recours circonstancié de 74 pages formé par la recourante, il apparaît, au demeurant, qu’elle a parfaitement compris le raisonnement du département et pu, en connaissance de cause, contester la décision attaquée.

Enfin, quand bien même il conviendrait d’admettre une violation du devoir de motiver, une telle violation aurait été réparée devant la chambre administrative, l’autorité intimée ayant exposé son analyse et répondu aux griefs de la recourante.

Le grief sera donc écarté.

4.             La recourante se plaint de ce que la base légale relative à l’année comptable déterminante pour la prise en compte de la participation au bénéfice était insuffisante. Ce n’était que dans le commentaire de l’ordonnance du 17 décembre 2021 que cette notion avait été précisée. Or, un commentaire ne pouvait remplacer une base légale, d’une part. D’autre part, il n’était pas admissible de retenir la notion « année » tantôt à l’aune du bénéfice imposable, tantôt au regard de l’aide perçue.

4.1 Le principe de la légalité, consacré à l’art. 5 al. 1 Cst., exige que les autorités n’agissent que dans le cadre fixé par la loi (ATF 147 I 1 consid. 4.3.1). Hormis en droit pénal et fiscal où il a une signification particulière, le principe de la légalité n’est pas un droit constitutionnel du citoyen. Il s’agit d’un principe constitutionnel qui ne peut pas être invoqué en tant que tel, mais seulement en relation avec la violation, notamment, du principe de la séparation des pouvoirs, de l’égalité de traitement, de l’interdiction de l’arbitraire ou la violation d’un droit fondamental spécial (ATF 146 II 56 consid. 6.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_776/2020 du 7 juillet 2022 consid. 7.1).

La base légale doit présenter une densité normative permettant de respecter les garanties de clarté et de transparence exigées par le droit constitutionnel (ATF 139 I 280 consid. 5.1 ; 136 I 1 consid. 5.3.1), cette exigence de précision de la norme découlant du principe général de la légalité, mais aussi de la sécurité du droit et de l'égalité devant la loi (ATF 136 II 304 consid. 7.6 ; 123 I 112 consid. 7a). Il importe en effet que l'autorité exécutive ne dispose pas d'une marge de manœuvre excessive et que les citoyens puissent cerner les contours de la contribution qui pourra être prélevée sur cette base (ATF 144 II 454 consid. 3.4 ; 143 I 227 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_80/2020 du 15 octobre 2020 consid. 6.1).

4.2 Le principe de la séparation des pouvoirs impose en particulier le respect des compétences établies par la constitution et vise à empêcher un organe de l’État d’empiéter sur les compétences d’un autre organe. Il interdit ainsi au pouvoir exécutif d’édicter des dispositions qui devraient figurer dans une loi, si ce n’est dans le cadre d’une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 142 I 26 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_38/2021 du 3 mars 2021 consid. 3.2.1).

Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de Covid-19 (loi Covid-19 - RS 818.102), qui prévoit, à son art. 12, des mesures destinées aux entreprises.

Selon ladite disposition, la Confédération peut, à la demande d’un ou de plusieurs cantons, soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées aux entreprises individuelles, aux sociétés de personnes ou aux personnes morales ayant leur siège en Suisse qui ont été créées ou ont commencé leur activité commerciale avant le 1er octobre 2020, avaient leur siège dans le canton à cette date, sont particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en raison de la nature même de leur activité économique et constituent un cas de rigueur, en particulier les entreprises actives dans la chaîne de création de valeur du secteur événementiel, les forains, les prestataires du secteur des voyages, de la restauration et de l’hôtellerie ainsi que les entreprises touristiques (al. 1).

La Confédération verse aux cantons une participation financière à hauteur de 100 % des mesures pour les cas de rigueur qu’ils destinent aux entreprises réalisant un CA annuel de plus de CHF 5'000'000.- (al. 1quater let. b), le Conseil fédéral édictant, les concernant, des dispositions particulières (al. 1quinquies).

4.4 L’art. 12 al. 1septies loi Covid-19, applicable jusqu’au 31 décembre 2021, prévoyait que les entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de CHF 5'000'000.- qui, durant l’année où une contribution non remboursable leur était octroyée, réalisaient un bénéfice annuel imposable au sens des art. 58 à 67 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD - RS 642.11), le transféraient au canton compétent, ce toutefois au maximum à concurrence du montant de la contribution perçue. Le canton transférait 95 % des fonds reçus à la Confédération. Le Conseil fédéral réglait les modalités, notamment la prise en compte des pertes de l’année précédente et le mode d’inscription comptable.

Selon le message du Conseil fédéral relatif à une modification de la loi Covid-19 (cas de rigueur, assurance-chômage, accueil extra-familial pour enfants et acteurs culturels), à un arrêté fédéral concernant le financement des mesures pour les cas de rigueur prévues par la loi Covid-19 et à une modification de la loi sur l’assurance-chômage du 17 février 2021 (FF 2021 285), la Confédération assumait les coûts des mesures cantonales en faveur des grandes entreprises réalisant un CA de plus de CHF 5'000'000.-, dans le but de compenser leurs coûts non couverts, la responsabilité de la procédure revenant au canton dans lequel l’entreprise avait son siège le 1er octobre 2020. Comme la Confédération finançait intégralement lesdites contributions, elle pouvait imposer aux cantons des règlements concernant les conditions d’éligibilité et le calcul des aides correspondantes aux fins d’éviter toute inégalité de traitement entre les entreprises (p. 20).

4.5 Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 (ordonnance Covid-19 cas de rigueur 2020 ; ci-après : ordonnance Covid-19 - RS 951.262), modifiée à plusieurs reprises, qui prévoyait que la Confédération participait aux coûts et aux pertes que les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises occasionnaient à un canton (art. 1 al. 1).

S’agissant des exigences relatives à la forme des mesures pour les cas de rigueur, l’art. 8b ordonnance Covid-19 avait trait au calcul des contributions non remboursables pour les entreprises dont le CA était supérieur à CHF 5'000'000.-. L’ordonnance Covid-19, dans sa teneur applicable à la présente espèce, à savoir jusqu’au 31 décembre 2021, prévoit que les cantons demandent aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à CHF 5'000'000.- au moins les « comptes annuels », soit le bilan, le compte de résultats et son annexe, les comptes annuels révisés si l’entreprise est assujettie à l’obligation de révision (art. 8f let. c) ainsi que la ventilation complète par secteur si une délimitation claire des domaines d’activité au moyen d’une comptabilité par secteur est alléguée (art. 8f let. d).

Selon l’art. 8b al. 2 ordonnance Covid-19, applicable jusqu’au 31 décembre 2021, les entreprises qui ont enregistré un recul du chiffre d’affaires pendant plus de douze mois peuvent ajouter le recul du chiffre d’affaires pour les mois de janvier à juin 2021 si ceux-ci ne sont pas déjà pris en compte dans le calcul visé à l’art. 5; le recul du chiffre d’affaires est calculé par rapport au chiffre d’affaires moyen des périodes correspondantes pour les exercices 2018 et 2019.

L’art. 8e ordonnance Covid-19, tel qu’applicable au cas d’espèce avait le titre « base déterminante pour la participation conditionnelle aux bénéfices pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 5 millions de francs ». Il prévoyait que « le bénéfice annuel imposable de 2021 avant compensation des pertes au sens des art. 58 à 67 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct19 est déterminant pour calculer la participation conditionnelle aux bénéfices visée à l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 du 25 septembre 2020. Seule une perte subie au cours de l’exercice 2020 déterminante sur le plan fiscal peut être déduite du bénéfice annuel imposable ».

4.6 Aux termes du commentaire de l’ordonnance Covid-19 établi le 18 juin 2021 par l’administration fédérale des finances (ci-après : AFF), ladite ordonnance comportait une série de prescriptions contraignantes concernant les conditions d’éligibilité, le calcul des contributions, les plafonds applicables, les prestations propres, la participation aux bénéfices, les justificatifs et le traitement des prêts, cautionnements et garanties s’agissant des entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépassait CHF 5'000'000.-, que le cantons devaient reprendre sans y déroger, afin qu’une réglementation uniforme s’applique dans l’ensemble du pays, les grandes entreprises exerçant souvent leurs activités dans différents cantons (p. 3).

4.7 En l’espèce, selon l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19, les entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de CHF 5'000'000.- qui avaient bénéficié d’une aide pour cas de rigueur et réalisé un « bénéfice annuel imposable au sens des art. 58 à 67 LIFD », devaient le transférer au canton compétent, au maximum à concurrence du montant de l’aide perçue. Ainsi et contrairement à ce que soutient la recourante, la loi expose comment le « bénéfice annuel » à prendre en considération doit être déterminé. Le législateur a expressément chargé le Conseil fédéral de « régler les modalités, notamment la prise en compte des pertes de l’année précédente et le mode d’inscription comptable ».

L’exécutif s’est conformé à ce mandat en adoptant l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19, qui fixait la « base déterminante pour la participation conditionnelle aux bénéfices pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 5 millions de francs ». Cette disposition prévoit que le bénéfice annuel imposable de 2021 avant compensation des pertes au sens des art. 58 à 67 LIFD est déterminant pour calculer la participation conditionnelle aux bénéfices visée à l’art. 12 al. 1septies loi Covid-19 et que « seule une perte subie au cours de l’exercice 2020 déterminante sur le plan fiscal » peut être déduite du bénéfice annuel imposable.

Il n’est pas litigieux que la recourante a réalisé, selon ses avis de taxation, un bénéfice de CHF 179'960.- en 2020 et de CHF 52'262.- en 2021. Il n’est pas non plus contesté qu’elle a perçu une aide de CHF 250'000.- par décision du 18 décembre 2020, de CHF 500'000.- par décision du 18 mars 2021 et de CHF 6'240'967.30 par décision du 14 juillet 2021 et de 1'498'554.70 par décision du 25 mars 2022, soit au total pour les années 2020 et 2021, la somme de CHF 8'489'522.-. Les sommes de CHF 250'000.-, CHF 500'000.- et de CHF 4'376'155.- ont été comptabilisées par la recourante dans ses comptes 2021.

Selon l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19, seule la perte subie au cours de l’exercice fiscal 2020 pouvait être prise en compte. L’éventuelle perte subie en 2022 n’avait ainsi pas à être prise en considération pour déterminer si une sur-indemnisation avait eu lieu en 2021. Or, en 2020, la société avait réalisé un bénéfice. Ainsi, en déduisant les aides étatiques comptabilisées par la recourante dans ses comptes 2021 d’au total CHF 5'126'155.- (CHF 250'000.- + CHF 500'000.- + CHF 4'376'155.-), celle-ci a subi, durant l’exercice 2021, une perte de CHF 5'073'893.-. Afin d’éviter sa surindemnisation pour l’année en question, seul ce montant devait donner lieu à l’aide étatique fondée sur la loi Covid-19. Partant, elle doit rembourser tout montant dépassant cette somme. Ayant perçu au total CHF 8'489'552.- pour 2021, le trop-perçu se monte à CHF 3'415'629.- (CHF 8'489'552.- – CHF 5'073'893.-).

Contrairement à ce que soutient la recourante, la réglementation ne consacre aucune inégalité de traitement entre les entreprises dont l’année fiscale se termine au 31 décembre et celles – comme la recourante – dont l’année fiscale se termine à une autre date. En effet, les éventuelles pertes enregistrées par les sociétés dont l’exercice fiscal ne coïncide pas avec l’année civile sont prises en compte dans le calcul du bénéfice de l’année suivante puisque le point de départ, à savoir l’exercice fiscal, est le même. Par ailleurs, comme cela vient d’être exposé, l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19 est conforme à l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19. Ainsi, même si cette dernière disposition ne respectait pas le principe de l’égalité de traitement, ce seul constat ne permettrait pas de s’écarter de sa teneur, les tribunaux étant tenus d’appliquer les lois fédérales (art. 190 Cst.).

Si, certes, un système différent aurait pu être mis en place, comme celui préconisé par l’auteur de doctrine cité par la recourante, il n’en demeure pas moins que celui choisi par le législateur et mis en exécution par le Conseil fédéral tend à traiter de la même manière les sociétés se trouvant dans des situations comparables.

Enfin, rien ne s’oppose à ce que la recourante approche l’autorité intimée afin de convenir de modalités de remboursement, qui tiennent compte de sa situation financière et soient acceptables pour le département.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure. Il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure en faveur de l’État, celui-ci disposant de son propre service juridique.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 octobre 2023 par A______ contre la décision de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation du 15 septembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Tobias ZELLWEGER, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me Stephan FRATINI, avocat de l'intimée.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :