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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1748/2022

ATA/95/2024 du 30.01.2024 sur JTAPI/697/2023 ( LDTR ) , REJETE

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;PERMIS DE CONSTRUIRE;AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL);LOGEMENT;TRAVAUX SOUMIS À AUTORISATION;RÉNOVATION D'IMMEUBLE;TRAVAUX D'ENTRETIEN(CONSTRUCTION);LOGEMENT DE LUXE
Normes : LDTR.2; LDTR.3.al1.letd; LDTR.9.al1.lete; LDTR.10.al1; LDTR.10.al2.letb
Résumé : Recours du département du territoire contre un jugement du TAPI à teneur duquel un appartement de presque 300 m², construit dans les années 1950, disposant de deux entrées, dont une pour le personnel de maison, avec vue sur le lac et les Alpes doit être qualifié de luxueux. En l’espèce, le jugement du TAPI est confirmé même si certains éléments (dégradation de l’appartement, utilisation de certains éléments standards) plaident pour la solution contraire.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1748/2022-LDTR ATA/95/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 janvier 2024

 

dans la cause

 

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC recourant

contre

A______FONDATION intimée
représentée par Mes David BENSIMON et Mélissa PALIN, avocats

_________




Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 juin 2023 (JTAPI/697/2023)


EN FAIT

A. A______ FONDATION (ci-après : A______ ou la propriétaire) est propriétaire de la parcelle n° 3'112 de la commune de Genève‑B______. Sur cette parcelle, située en 2e zone, est érigé un immeuble d’habitation sis à l’adresse C______ 16. L’immeuble a été construit durant la période 1946‑1960.

A. a.  

B. a. Par requête du 21 mars 2022, déposée auprès du département du territoire (ci‑après : DT ou département) et enregistrée sous n° APA 1______, la propriétaire a sollicité l’autorisation de transformer et rénover un appartement de neuf pièces situé au 5e étage de l’immeuble. L’appartement, d’une surface brute de plancher de 291 m², était vacant et destiné à la location après les travaux dont le prix annoncé était de CHF 180'000.-.

Il ressort de la procédure que l’appartement était pourvu de deux entrées, l’une pour le personnel de maison et l’autre pour les occupants des lieux. Situé en pignon de l’immeuble, il avait trois balcons auxquels donnaient accès toutes les pièces du logement, hormis le salon. Les pièces de réception, en enfilade, à savoir le bureau, la salle à manger et le salon, représentaient ensemble une surface de près de 104 m². L’appartement disposait de cinq chambres, d’un dressing, de trois salles d’eau et de quatre toilettes (historiquement cinq voire six), dont deux (voire trois) se trouvaient dans les salles d’eau et les deux autres séparées. La cuisine était constituée d’une cuisine et d’un laboratoire attenant.

b. La direction des autorisations de construire (ci-après : DAC), après avoir requis la production de pièces supplémentaires, a préavisé la requête favorablement et sans observation. La police du feu l’a préavisée favorablement sous conditions. Pour sa part, l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) a rendu un préavis favorable sous trois conditions : les dispositions de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l’emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) devaient être respectées, le loyer de l’appartement après travaux ne devait pas excéder CHF 31'752.- par an, soit CHF 3'528.- la pièce par an. Ce loyer serait appliqué pour une durée de trois ans à dater de la remise en location après la fin des travaux. Toute modification devait faire l’objet d’une demande complémentaire.

c. Par décision APA 1______/1 du 26 avril 2022, le département a délivré l’autorisation sollicitée. Il a joint à cette décision les préavis précités dont les conditions devaient être respectées et qui faisaient partie intégrante de l’autorisation.

d. Par acte du 25 mai 2022, la propriétaire a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) en concluant préalablement au retrait partiel de l’effet suspensif du recours et à la suspension de la procédure jusqu’à l’entrée en force définitive et exécutoire de la décision que le département serait appelé à rendre sur une nouvelle requête qu’elle avait déposée le 2 mai 2022 et enregistrée sous n° APA 1______/2. Sur le fond, elle concluait à l’annulation de la décision et à ce qu’il soit dit que le département devait renoncer à fixer le loyer après exécution des travaux. Ce recours a été enregistré sous numéro de procédure A/1748/2022.

Les caractéristiques de l’appartement (soit notamment ses neuf pièces, sa surface totale, ses immenses espaces de vie, sa situation dans un immeuble de très haut standing offrant une vue complètement dégagée sur le lac et la chaîne du Mont‑Blanc) en faisaient un logement de luxe échappant au contrôle du loyer après travaux.

e. Le 1er juillet 2022, le TAPI a procédé à un transport sur place. Selon la représentante de la propriétaire, l’immeuble avait été construit entre 1953 et 1957. Il a été constaté que :

- au centre de l’ensemble résidentiel C______ se trouvait une parcelle boisée au sein de laquelle était érigée une demeure ancienne ;

- à l’extrémité sud de l’immeuble, les boiseries extérieures des « bow windows » étaient dans un état relativement dégradé s’agissant de la peinture et même du matériau ;

- l’entrée du n° 16, comme pour les autres entrées de cette partie de la résidence, était ornée de plaques de marbre. La porte était composée de trois parties vitrées séparées par des menuiseries métalliques, apparemment en bronze. Une fois franchie cette porte, l’entrée était entièrement constituée de plaques de marbre, y compris sur l’escalier. Le plafond était en plâtre peint en blanc et, au sommet de l’escalier, orné d’une petite frise géométrique. Le bas de l’escalier était équipé de deux rampes et de deux grands miroirs d’environ 2.50 m de haut qui se faisaient face. Au sommet de cet escalier se trouvait l’ascenseur et la cage d’escalier de l’immeuble, espace d’environ 2.50 m de long sur 2 m de large qui était équipé d’une verrière à son sommet. La rambarde de la cage d’escalier était en fer simple à barreaux, dont un sur trois était ouvragé en forme de spirale ;

- aux étages, les paliers étaient recouverts de carrelage vert entouré d’une bordure noire à imitation marbre. Le long de la cage d’escalier, les murs étaient en crépi simple, ornés d’une plinthe longeant l’escalier ;

- au 5e étage, les deux portes de l’appartement litigieux étaient les seules du palier. L’une concernait les locaux de service et l’autre constituait la porte d’entrée principale. La menuiserie des portes, aussi bien en ce qui concernait l’encadrement que la porte elle-même, donnait une impression relativement cossue et était apparemment constituée de bois exotique.

On se rendait dans la cuisine et le laboratoire attenant par la porte de service. Dans ces deux pièces, la hauteur du plafond était d’environ 2.80 m. Jusqu’à environ 1.70 m, les parois étaient recouvertes de faïence, puis simplement peintes. Les menuiseries intégrées étaient simples et vraisemblablement en matériau bois composite recouvert de mélaminé. Les plans de travail étaient en marbre. La poignée de fenêtre dans la cuisine, donnant sur un balcon, était en métal simple et le radiateur ne présentait pas de particularité, non plus que la robinetterie. Au sol se trouvaient deux blocs en béton où avaient peut-être pris place deux appareils ménagers. La seconde pièce cuisine était équipée d’une fenêtre et d’une porte‑fenêtre, là aussi sans particularité au niveau des menuiseries et des poignées. Le balcon auquel on avait accès était en maçonnerie jusqu’à 75 cm de hauteur, puis surmonté d’une petite rambarde métallique simple. Le sol et les murs du balcon ne présentaient pas de particularité. Depuis cette partie, l’appartement bénéficiait d’une vue dégagée sur l’ensemble de la parcelle centrale de la résidence. Le sol de la cuisine était constitué de carrelage à motif tacheté de couleur unie. La deuxième pièce cuisine était équipée d’un appareil mural comprenant plusieurs chiffres (probablement à l’origine jusqu’à dix, mais avec des numéros manquants) qui semblait être un système permettant de sonner dans différentes pièces de l’appartement.

Il a par ailleurs été constaté que :

- dans la pièce située juste à côté de la cuisine, mentionnée en tant que bureau sur le plan de l’appartement produit par la propriétaire, le sol était constitué d’un parquet en chêne usuel et des moulures étaient présentes tout autour de la pièce sous le plafond. La pièce était intégralement recouverte de panneaux en bois avec moulures, dont certains manquaient. Les parties manquantes permettaient de voir la tranche des panneaux, de facture très simple à base de contre-plaqué sur la partie arrière et de sapin sur la partie visible. Sur précision de la propriétaire, les parties manquantes n’étaient pas des panneaux identiques à ceux qui restaient, mais laissaient originellement la place à de grands tableaux avec lesquels le précédent locataire était parti. L’une des deux poignées identiques fermant les portes de cette pièce a fait l’objet de la photographie n° 2 du transport sur place. Les deux petites portes de la pièce s’ouvraient à une hauteur de 2.10 m tandis que la grande porte à double battant ouvrant sur la pièce désignée comme salle à manger sur le plan s’ouvrait à une hauteur de 2.45 m. Ces portes à double battant étaient ouvragées et présentaient des moulures dont certaines parties représentaient des motifs végétaux ;

- dans la pièce présentée comme salle à manger sur le plan, on retrouvait sur les murs des panneaux également ornés de moulures avec des motifs végétaux. Ces moulures étaient pour partie collées sur les panneaux de bois et n’étaient pas constituées de stuc. Sous les plafonds se trouvaient également des moulures à frises végétales. La pièce disposait d’un placard intégré et vitré peu profond, ainsi que de deux grandes baies vitrées, donnant pour l’une sur la parcelle située au centre de la résidence et pour l’autre sur la rade et le Salève, laquelle offrait une vue extrêmement dégagée, sauf sur la partie droite où se trouvait un des immeubles de la résidence. La pièce disposait dans un de ses angles d’une sonnette. L’intérieur des placards était recouvert de velours rouge. La menuiserie des portes vitrées des placards semblait être en laiton. Les radiateurs étaient de facture conventionnelle. La même pièce permettait d’accéder elle aussi au balcon mentionné précédemment par une porte fenêtre dissimulée derrière une porte s’intégrant au reste de la boiserie murale de la pièce. Quant au sol, le parquet déjà mentionné était orné tout au long des murs d’une frise en bois plus foncée ;

- dans la pièce mentionnée sur le plan comme salon, séparée de la précédente par un seuil en laiton, les murs étaient recouverts d’une sorte de stuc orné de profils de type géométrique grec (colonnades, etc.). La partie de la pièce située à l’opposé de la baie vitrée disposait de deux placards intégrés. Cette partie de la pièce s’ouvrait également à l’aide de portes à deux battants. Il y avait, conformément au plan de l’appartement, une communication en diagonale entre le salon et le bureau. Le bout de la pièce situé face au Salève donnait sur le « bow window » qui faisait partie de la série présente sur toute la hauteur de la façade de l’immeuble. La pièce disposait de la même vue dégagée que dans la pièce salle à manger, toutefois plus importante en direction du Chablais. On voyait également le Jet d’eau et une part plus importante du Salève. Le radiateur était également conventionnel. Le sol était recouvert de moquette, posée directement sur la chape. Le parquet d’origine, s’il avait existé, avait disparu depuis lors. La communication entre la salle à manger et le salon se faisait par une porte à double battant d’une hauteur de 2.45 m ;

- dans la chambre située à l’angle de l’immeuble juste à côté du salon, on retrouvait sur une partie des murs des panneaux en bois ornés de moulures à motifs partiellement végétaux. L’accès du salon à cette chambre se faisait par un petit passage fermé de part et d’autre par une porte simple d’une hauteur d’environ 2 m. Le passage de cette chambre aux pièces suivantes se faisait par un trompe-l’œil donnant l’impression d’une porte à double battant, alors que le passage correspondait en réalité à une porte à un battant. Dans la paroi qui constituait la séparation avec le salon se trouvait une sorte de renfoncement qui devait permettre d’y insérer la tête de lit. Les interrupteurs étaient intégrés à ce renfoncement. Le sol était ici aussi recouvert de moquette posée directement sur la chape, un éventuel parquet d’origine ayant disparu. La porte donnant depuis cette chambre aux pièces suivantes était recouverte, du côté donnant sur le couloir, d’un grand miroir occupant toute la surface de la porte ;

- en entrant dans le couloir, la petite pièce située immédiatement à gauche, qui ne présentait pas de particularité, était également recouverte de la même moquette que la chambre qui venait d’être visitée et l’intérieur de la porte était recouvert d’un miroir. Le couloir disposait d’un placard intégré à l’intérieur duquel se trouvait notamment un coffre-fort. La porte suivante sur la gauche donnait accès à une salle de bains intégralement recouverte de marbre sur le sol et sur les murs jusqu’à environ 1.60 m de haut. La baignoire était de dimension standard, de même que sa facture. La robinetterie semblait d’origine. Le lavabo semblait d’origine avec sa robinetterie à poignée en bois et d’allure plutôt cossue, sa longueur étant de 74 cm. L’armoire murale située au-dessus du lavabo était de grande dimension, mais de facture standard et la pièce disposait encore, derrière un grand miroir, d’un petit placard intégré avec menuiserie et tiroir. La cuvette des toilettes était de facture standard supérieure ;

- plus loin le long du couloir se trouvait sur la droite une chambre dont les parois étaient également en bonne partie recouvertes de menuiserie, là aussi avec moulures, mais de facture plus simple que dans la première chambre, avec placard d’angle intégré, renfoncement dans une partie de la pièce pour une tête de lit, un autre placard intégré mais sans porte, accès au balcon et grande baie vitrée donnant en direction du Chablais. La vue était cependant obstruée par les arbres situés juste devant. Depuis la porte vitrée donnant sur le balcon, on disposait également d’une vue sur le lac et le Salève. À l’intérieur du placard intégré fermé par portes, se trouvait un grand miroir. À nouveau, la moquette recouvrait directement la chape. Les murs qui n’étaient pas recouverts de boiserie étaient recouverts de toile tendue très abîmée. Il existait également un dressing peu profond à deux portes. Il y avait ici, entre le couloir et la chambre, un sas qui n’était fermé que par la porte d’entrée de la chambre ;

- la suite du couloir était à nouveau fermée par une porte et donnait accès à une séparation du couloir en « L ». Au bout se trouvait, sur la droite, une nouvelle chambre disposant d’une grande menuiserie de facture industrielle sur l’un des murs. Quant au reste des murs, ils ne présentaient pas de particularité, hormis quelques moulures de facture standard. La chambre donnait sur un balcon avec une baie vitrée en direction du Chablais, mais également sur le lac vers la droite. Le radiateur était de facture standard. Le sol était recouvert de moquette et il n’était pas possible de vérifier ce qui se trouvait dessous. Juste à côté de cette pièce, au bout du couloir, la porte qui donnait accès à la suite de l’appartement avait été condamnée et en face de la porte de cette chambre se situait un placard intégré à deux battants ;

- en suivant le couloir à nouveau en direction du hall d’entrée se trouvaient sur la gauche des placards intégrés peu profonds dont les portes étaient ornées à l’extérieur de quelques moulures simples. Sur la droite se trouvait un autre placard intégré plus profond. À cette hauteur s’ouvrait un nouveau couloir qui continuait en direction du Nord et qui disposait sur toute sa longueur, sur la droite, d’une série de placards intégrés d’environ 35 cm de profondeur. Sur la gauche, le radiateur de facture standard était entièrement dissimulé derrière une sorte de double cloison et on y accédait par une grille. Le sol était également recouvert de moquette. Dans l’angle de ce couloir, sous le plafond, se trouvait une cloche qui était peut-être elle aussi en lien avec l’appareil mural situé à la cuisine ;

- au bout de ce couloir, sur la droite, se trouvait une chambre sans particularité avec deux grandes armoires murales de facture moderne et standard. Au sol se trouvait une moquette qui recouvrait directement la chape. La hauteur des portes d’entrée de cette chambre et d’accès à la salle de bains était standard. La porte d’entrée de la chambre disposait côté intérieur d’un grand miroir. Les radiateurs étaient également standards. La chambre ouvrait par deux fenêtres, chacune à double battant, sur le dernier balcon de l’appartement, avec vue en direction du Chablais et vue sur un bâtiment historique bordant le lac au milieu d’un bosquet de cèdres. L’un des murs disposait d’un appareillage intégré pour la télévision. La chambre donnait directement accès à une salle de bains avec une grande douche équipée d’un banc et d’un doublage au plafond avec deux spots intégrés. Le sol de la douche semblait être de marbre blanc et les murs étaient recouverts de carrelage standard. La paroi de douche, jusqu’à environ 2.60 m de haut, était intégralement en verre et une partie constituait une porte coulissante. Le meuble lavabo était constitué d’un grand plan en marbre blanc, le lavabo lui-même étant toutefois de dimension standard. Cet élément était surplombé d’un grand miroir de face et de deux miroirs latéraux. La propriétaire a signalé que derrière la douche se trouvait la porte condamnée mentionnée précédemment. Le meuble sous le plan de travail était de facture relativement standard. On retrouvait le même style dans la porte de placard intégré situé sur la gauche de ce plan. Le radiateur était de facture plus récente que ceux relevés jusqu’ici, mais néanmoins standard, de même que les toilettes, équipées d’un petit robinet douche. Le plafond était équipé d’un doublage qui avait permis l’installation de sept spots intégrés. L’ensemble de la salle de bains était recouvert du même carrelage que l’intérieur de la douche. Il s’y trouvait encore dans un recoin un petit plan en marbre, ainsi que deux plus grands miroirs. La pièce disposait encore d’un petit sèche-serviette chromé ;

- à côté de la chambre, tout au bout du couloir, se trouvait une toute petite pièce qui avait anciennement été un WC, dont la cuvette avait été enlevée. Il s’agissait à présent plutôt d’une pièce de rangement. Juste à côté se trouvait une petite pièce sanitaire avec douche et lavabo, dont les murs étaient recouverts jusqu’à environ 2 m par du carrelage standard. La robinetterie semblait d’origine et correspondait au standing de l’immeuble, de même que le petit lavabo. Juste à côté de cette petite pièce se trouvait un grand dressing. Le dressing était constitué de grand panneaux plaqués apparemment en bois exotique qui pourraient être d’origine et donnaient éventuellement une indication sur les menuiseries présentes à l’origine dans l’ensemble de l’appartement. Le sol du dressing était recouvert de linoleum sans particularité ;

- revenant le long du couloir jusqu’au hall d’entrée, le TAPI a constaté que celui‑ci était équipé d’un petit WC visiteurs avec lavabo, dont les murs étaient couverts, jusqu’à environ 1.10 m de haut, de carrelage à dorure et, au-dessus, de miroirs. Le petit lavabo était équipé d’une robinetterie laiton ou imitation laiton et la cuvette des toilettes était de facture standard ;

- le sol du hall d’entrée était couvert de moquette directement sur la chape et le petit radiateur était de facture standard. Les murs étaient fortement dégradés et ce qui les recouvrait à l’origine avait disparu, de sorte qu’ils laissaient voir des parois brutes ;

- la porte d’entrée de l’appartement, donnant sur le hall d’entrée, était extrêmement robuste. Il semblait qu’il s’agissait d’une porte blindée disposant de deux verrous éventuellement d’origine ;

- revenant finalement derrière la cuisine, dans la pièce qui servait de logement au personnel de maison et qui était équipée d’un long radiateur bas de facture standard, le TAPI a constaté que cette pièce disposait d’une grande baie vitrée donnant sur la parcelle commune de la résidence. À l’entrée de la pièce se trouvaient deux placards de facture standard. Les murs étaient là-aussi à l’état brut. Juste à côté de cette pièce se trouvait un petit WC ordinaire ainsi qu’une salle de bains disposant d’une robinetterie apparemment d’origine, d’une petite baignoire standard ainsi que d’un grand lavabo surmonté d’une petite armoire murale à miroir de facture standard ;

- le couloir donnant accès à la pièce de service était équipé d’un interphone avec écran qui pouvait indiquer que l’entrée disposait éventuellement d’une caméra. Il s’y trouvait également un grand placard dont les portes étaient de facture standard ;

- la porte d’entrée de l’appartement donnant sur la partie domestique était de facture robuste, toutefois moins que la porte principale.

Procédant ensuite à une visite des balcons, le TAPI s’est rendu en premier sur celui qui jouxtait la première grande chambre et celle d’à côté, et qui était situé à l’angle de l’immeuble côté Sud-Est. La vue extrêmement large qui s’offrait depuis ce balcon était appréciable, en particulier en direction du Salève et du Petit Lac, le reste étant toutefois obstrué par les grands arbres qui bordaient la résidence. Vraisemblablement, la vue donnait sur les Alpes par temps dégagé. Les éléments constructifs du balcon étaient identiques à ceux qui avaient été relevés au début du transport sur place. L’autre balcon, toutefois, disposait du côté du Salève d’une protection vitrée en menuiserie métallique « à petit bois ». Ce balcon-là ne souffrait d’aucun vis-à-vis avec tout autre immeuble. Sur le balcon se situant au bout de l’appartement en direction du Nord, face au Chablais, la vue était partiellement obstruée par les grands arbres mentionnés précédemment, mais on jouissait d’une vue partielle sur la rade et le petit Salève ainsi que sur le coteau de Cologny au‑dessus du domaine historique mentionné précédemment. Les éléments constructifs du balcon ne présentaient pas de particularité.

La propriétaire a encore mentionné que la résidence disposait de parkings souterrains et que l’appartement en question y bénéficiait de trois places. Il s’agissait en partie de boxes et en partie de places. L’ensemble de la résidence disposait d’un concierge logé sur place.

f. Par courrier du 7 juillet 2022, le TAPI s’est adressé à la FONDATION D______ (ci-après : FONDATION D______). Le litige dont il était saisi requérait si possible des informations sur l’éventuelle intention du maître d’ouvrage et du maître d’œuvre de hisser tout ou partie de la résidence à un niveau luxueux, ainsi que des informations techniques sur la manière dont avaient été concrètement réalisés les appartements. Elle était invitée à renseigner le TAPI sur la possibilité d’obtenir de telles informations.

g. Par écritures du 22 juillet 2022, la propriétaire s’est déterminée sur les éléments du transport sur place qui permettaient selon elle de considérer que l’appartement appartenait à la catégorie des logements de luxe.

h. Par écritures du 2 août 2022, le département a répondu au recours en concluant à son rejet. Sur la question du retrait partiel de l’effet suspensif, il était préférable pour le moment de laisser l’appartement en l’état, notamment si la FONDATION D______ souhaitait à son tour procéder à une visite. La suspension de la procédure ne se justifiait plus, dès lors que le département avait statué le 4 juillet 2022 sur l’APA 1______/2.

C. a. Le 2 mai 2022, le département a enregistré l’APA 1______/2. Dans sa demande, la propriétaire a fait valoir le caractère luxueux de l’appartement. La surface brute de plancher mentionnée était de 295 m² et le prix annoncé des travaux de CHF 151'900.-.

b. La DAC, après avoir requis la production de pièces complémentaires, a préavisé la requête favorablement et sans observation. La police du feu l’a préavisée favorablement sous conditions. Quant à l’OCLPF, il a rendu un préavis favorable à nouveau sous trois conditions : les dispositions de la LDTR devaient être respectées, le loyer de l’appartement après travaux ne devait pas excéder son niveau d’alors soit CHF 67'200.- par an, à savoir CHF 7'467.- la pièce par an. Ce loyer devait être appliqué pour une durée de trois ans à dater de la remise en location. Toute modification devait faire l’objet d’une demande complémentaire. L’OCLPF a précisé avoir pris note de la demande de faire valoir l’appartement comme « de luxe ». Il avait décidé de ne pas le considérer comme tel. Malgré le fait qu’il comptait plus de six pièces et que la vue qu’il offrait était magnifique, la surface des chambres et de la cuisine n’était pas spécialement grande et le caractère somptueux manquait à la plupart des pièces. Les boiseries n’étaient pas travaillées, il n’y avait pas de cheminée, ni de parquet en bois ancien ni de hauts plafonds et les moulures avaient été ajoutées à la typologie assez moderne. Les salles de bains n’étaient pas non plus somptueuses.

c. Par décision APA 1______/2 du 4 juillet 2022, le département a délivré l’autorisation complémentaire sollicitée. Il a joint à sa décision les préavis précités dont les conditions devaient être respectées et qui faisaient partie intégrante de l’autorisation.

d. Par acte du 17 août 2022, la propriétaire a recouru auprès du TAPI contre cette autorisation, en concluant à son annulation partielle, en tant qu’elle prononçait une période de contrôle du loyer de l’appartement. Le TAPI était invité à dire qu’il convenait de renoncer à fixer le loyer après exécution des travaux. Préalablement, le TAPI était invité à retirer partiellement l’effet suspensif au recours et à ordonner la jonction de ce dernier avec celui qui avait donné lieu à la procédure A/1748/2022. Ce recours a été enregistré sous numéro de procédure A/2593/2022. La propriétaire a repris les arguments qu’elle avait développés jusque-là au sujet du caractère luxueux de l’appartement.

Le département s’est déclaré favorable à la jonction des deux procédures et s’est opposé au retrait partiel de l’effet suspensif, pour les raisons qu’il avait déjà évoquées. Sur le fond, il a conclu au rejet du recours, l’appartement n’étant pas de luxe.

e. Le TAPI a expliqué à la propriétaire les raisons pour lesquelles il n’était pour le moment pas envisageable de permettre le démarrage du chantier par un retrait partiel de l’effet suspensif du recours.

f. Le 19 décembre 2022, le TAPI a procédé à un transport sur place dans les locaux de la FONDATION D______. À cette occasion, ses représentants, soit E______, directeur, et F______, historien, ont présenté un plan de l’appartement litigieux mentionnant le travail de la Maison de décoration d’intérieur G______, installée à Paris, datant de 1955, et ont fait une présentation « PowerPoint » dont il est résulté pour l’essentiel les éléments suivants :

- l’ensemble résidentiel du C______ était constitué de treize immeubles groupés en trois blocs disposés en forme de « U » et regroupant 250 appartements, dont certains comptant neuf, dix et treize pièces (ces derniers en tête du bloc face au lac) ;

- D______, qui appartenait au consortium promouvant l’opération, avait déclaré qu’il s’agissait d’immeubles « de haut standing, destinés à une clientèle internationale et plus particulièrement moyen-orientale désireuse de s’installer à Genève », mais également qu’il s’agissait d’appartements « conçus pour retenir en ville une clientèle projetant de vivre dans des villas périphériques » ;

- la résidence s’inscrivait à l’emplacement d’une ancienne campagne patricienne du XVIIe siècle, en entrée de ville, en bout de quai sur la rive droite, près des organisations internationales et en bordure des grands parcs, face au panorama des Préalpes et des Alpes. Au centre de la résidence se trouvait un jardin collectif de 10’000 m² constitué d’un parc à l’anglaise dont les frondaisons séculaires avaient été mises en valeur et doté d’une maison de maître. Les immeubles bénéficiaient d’une relation visuelle privilégiée avec le parc de H______ et le paysage lacustre. L’espace intérieur de la résidence bénéficiait d’un dédoublement et d’une dissociation de circulation automobile et piétonnière ainsi que d’une valorisation des espaces intermédiaires de seuil entre espaces public et privé, dans un souci qui était notamment celui du confort, de l’agrément et de l’esthétique. Les trottoirs étaient recouverts d’un dallage travaillé en pierre naturelle, les murets étaient bordés de haies, des terrassements soulignaient les éléments végétaux remarquables et le mobilier était en pierre naturelle. Les parties communes des immeubles étaient traitées de manière différenciée et valorisée, à l’extérieur, par des auvents ou encadrement en marbre ou recouvert de mosaïques et, dans les halls intérieurs, par une double hauteur, un sol en pierre, des gradins, de grands vitrages et un recouvrement en pierre avec fixations en bronze, en sus de la présence de grands miroirs. Les articulations secondaires des immeubles étaient marquées par une démultiplication des fronts de façade (loggias, parties à fleur, bow-windows) qui produisaient un jeu d’ombres et de lumières et instituaient une relation modulée entre l’intérieur et l’extérieur. Les articulations tertiaires se signalaient par un recouvrement intégral des façades en pierre naturelle découpée avec grande précision (calepinage) et par une animation et une scansion régulière et fine des façades ;

- s’agissant de la conception et de l’équipement des logements, ils s’étendaient dans la gamme des appartements de deux à treize pièces. Le confort spatial se caractérisait par de grands espaces de réception, une relation modulée entre les pièces et entre l’intérieur et l’extérieur. Le confort constructif se signalait par des murs pleins et du double vitrage, le confort technique par la présence de dévaloirs à ordures et d’équipements électriques de pointe et enfin le confort spatial par de grands espaces, des enfilades de pièces et la dissociation entre espaces servants et servis. Les logements représentaient l’habitat bourgeois modernisé, réparti entre représentation et « privacité ». Ainsi, les logements étaient distribués en bandes parallèles marquées par deux refends longitudinaux. Un vaste hall de réception distribuait de part et d’autre les pièces de vie (salon ; séjour) et les chambres et les cuisines. Il y avait une ouverture préférentielle des pièces de vie sur le parc et le panorama du lac et des Alpes. Les logements étaient enfin caractérisés par la création d’une quatrième bande technique pour les équipements sanitaires et les armoires intégrées.

Sur question du TAPI et des parties, la FONDATION D______ a indiqué qu’il n’existait pas de piscine dans l’immeuble et qu’il existait en tout cas à l’origine un étage buanderie en toiture. Le parc qui se situait au centre de l’ensemble pouvait être qualifié de considérable. Sur question de savoir pour quelle raison on ne trouvait pas dans cet immeuble ou dans cet ensemble des logements dont les plafonds seraient d’une hauteur particulière, cela provenait de la conception architecturale de l’époque qui délaissait peu à peu les plafonds hauts d’avant-guerre pour concevoir des logements qui s’étendaient plutôt dans l’horizontalité. L’existence d’appartements de deux à treize pièces ne permettait pas d’en inférer l’intention des architectes de s’adresser éventuellement à différentes classes sociales. Les appartements de peu de pièces pouvaient s’expliquer par le fait que l’ensemble était notamment destiné à une clientèle internationale qui pouvait se servir d’appartements de taille réduite en tant que simple pied-à-terre pour des séjours de courte durée à Genève. L’opération avait été conçue sous forme de promotion immobilière et l’architecte avait donc eu les coudées franches pour aller au bout de son idée qu’il avait pu insérer dans un cadre permettant une réalisation emblématique dans un site unique. Il n’y avait pas de différence dans la générosité des appartements entre ceux qui se trouvaient à l’intérieur de l’immeuble de tête face au lac et l’appartement litigieux en tête de l’immeuble B. Le plan-type des étages, produit par la FONDATION D______ durant l’audience, concernait vraisemblablement plutôt les étages 1 à 4 inclusivement, tandis que les étages 5 et 6 correspondaient vraisemblablement à des appartements de plus haut standing, ce qui restait encore à vérifier. Dans leur plaquette de présentation, les architectes avaient relevé le fait qu’il était possible d’accéder à pied sec depuis les parkings souterrains aux appartements, mais il fallait également noter que les architectes avaient en même temps retenu un élément issu plutôt du XIXe siècle avec une circulation permettant d’amener les occupants des appartements directement devant les entrées d’immeuble. Concernant la complémentarité offerte par les appartements quant à la possibilité d’occuper des espaces plus retirés, qui seraient standards pour des immeubles de ville, ou des espaces davantage projetés vers l’extérieur et en particulier vers les espaces verts du parc, lesquels faisaient plutôt référence à la manière d’occuper une villa, on pouvait faire un parallèle avec un projet de LE CORBUSIER à Alger. Ce projet, qui s’adressait à une nouvelle bourgeoisie aisée, mais n’avait jamais vu le jour, présentait une sorte de très long immeuble défini par des espaces à la fois projetés vers le collectif et donnant en même temps l’impression de disposer d’un espace privatif.

À l’issue de l’audience, le TAPI a invité la FONDATION D______ à produire des documents d’archives permettant de préciser le cas échéant l’idée de luxe entourant la résidence ou si possible l’appartement en cause, ainsi que le plan présenté durant l’audience pour cet appartement et qui mentionnait le travail de la maison G______.

g. Par courriel du 19 janvier 2023, anticipant l’envoi de plans numérisés relatifs à l’appartement litigieux, la FONDATION D______, a relevé que l’existence de ces plans ne certifiait pas qu’ils avaient été réalisés tels que dessinés. La maison G______ avait modifié le plan d’origine de D______ à plusieurs reprises, les 7 mars, 23 juin et 3 octobre 1955. Les modifications portaient sur le hall d’entrée (vestibule) et sur une salle de bains qui étaient déplacés. Les élévations de la salle à manger montraient un travail élaboré sur les parois d’inspiration néo rococo ou Louis XV. Elle associait, dans un souci d’unité et de bien-être, portes et dessus des portes avec moulures, surfaces organisées en damier, surfaces en toile peinte, glaces argentées. Un des plans présentait, au niveau du vestibule, un sol élaboré (possiblement en marqueterie de bois) représentant une rose des vents. Pour autant qu’ils aient été réalisés, ces changements étaient de nature à renforcer le caractère luxueux de l’appartement. En tant qu’historien et historien de l’architecture, les représentants de la FONDATION D______ ont précisé que la notion de luxe dans le domaine du logement était loin d’être immuable et qu’elle avait évolué significativement en lien avec la transformation des modes de vie, des goûts, des conceptions architecturales ou encore des possibilités techniques. Autrement dit, le caractère luxueux différait dans les logements de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, de l’entre-deux-guerres et du deuxième après-guerre (années 1950-1960).

h. Par courrier du 30 janvier 2023, le TAPI a communiqué aux parties ces derniers éléments, incluant les versions scannées des plans préparés par la maison G______ pour l’appartement litigieux, en les invitant à se prononcer sur le caractère luxueux de l’appartement.

i. Le département a pour l’essentiel souligné que la notion d’appartements luxueux devait être interprétée de manière restrictive, supposant que la mesure habituelle du confort soit clairement dépassée, l’impression générale étant décisive à cet égard. Or, l’ensemble des éléments mis en évidence par la FONDATION D______ ne pouvait que conforter sa position. S’il présentait certains atouts, à savoir un nombre de pièces supérieur à sept, une surface totale importante et une vue sur le petit lac et le Salève, l’appartement ne dégageait aucune impression générale de luxe. La surface des chambres et de la cuisine n’était pas particulièrement importante, puisqu’elles variaient, pour les chambres, entre 14.34 m² et 22.07 m². Lors du transport sur place, le TAPI avait constaté que le sol des chambres était habillé de moquette posée directement sur la chape et que le parquet d’origine, s’il avait existé, avait été arraché. Les toiles tendues sur les murs de l’une des chambres étaient très abîmées. La grande menuiserie dont disposait une autre chambre sur les murs était de facture industrielle et les quelques moulures de facture standard. La chambre au bout du couloir, soit à droite, était sans particularité, les deux armoires murales dont elle disposait étant de facture moderne et standard. La cuisine ne présentait, pour sa part, aucun élément luxueux, le radiateur et le placard qu’elle comprenait étant de facture standard. S’agissant des autres pièces qui composaient l’appartement, le sol du bureau était recouvert d’un parquet de chêne usuel et les panneaux de bois qui en recouvraient les murs étaient de facture très simple. Le sol du salon était lui aussi recouvert d’une moquette posée directement sur la chape et le sol du dressing situé au bout du couloir était recouvert d’un linoléum sans particularité. L’appartement ne comportait aucune cheminée et les radiateurs étaient ordinaires. Le bâtiment ne disposait pas de piscine. De manière générale, l’agencement intérieur des pièces était pour l’essentiel standard. Malgré quelques rares éléments de niveau supérieur, l’appartement ne dégageait dans son ensemble aucune impression de somptuosité ni ne comportait des éléments de commodité hors du commun. On ne pouvait non plus retenir que l’appartement avait à l’origine été conçu comme un appartement présentant un certain degré de luxe. La FONDATION D______ n’avait pu fournir aucun élément certain à ce sujet. Les travaux projetés ne permettaient pas non plus de conclure qu’ils viseraient à amener un caractère de luxe à l’appartement, compte tenu de leur montant qui était de CHF 16'877.- par pièce, ce qui était dans la fourchette ordinaire, voire la fourchette basse de ce type de travaux. Aucune intervention n’était prévue non plus pour les sanitaires.

j. La propriétaire a souligné que la jurisprudence avait retenu qu’exceptionnellement un logement pouvait être luxueux même en comportant moins de sept pièces. C’était notamment le cas si, d’un point de vue esthétique et historique, le logement était considéré comme luxueux. De même, il avait été retenu qu’une construction ancienne, qui offrait un niveau de confort certes inférieur aux maisons modernes, mais qui possédait une valeur historique qui en faisait un objet exceptionnel rarement disponible sur le marché de la location, pouvait aussi entrer dans la catégorie des logements de luxe.

Dans le cas d’espèce, les architectes avaient eu l’intention de concevoir des immeubles de très haut standing. La conception de l’équipement des logements était avant-gardiste pour l’époque et visait à apporter un confort optimal à ses habitants. Outre le confort spatial, le logement bénéficiait d’un confort technique avec des équipements de pointe. Il fallait souligner que la maison G______ était une enseigne renommée du 16e arrondissement de Paris et connue dans le monde de la décoration et du design pour avoir comme clientèle des familles royales et des institutions prestigieuses, telles que la reine Élisabeth II ou encore le roi d’Espagne. Cette enseigne se présentait d’ailleurs sur son site Internet comme « un label, une marque internationalement positionnée dans le domaine du luxe ». Les éléments soulignés par la FONDATION D______ concernaient notamment le travail élaboré qui avait été prévu sur les parois de la salle à manger. Il avait également été rappelé que la notion de logement de luxe évoluait significativement au fil du temps et qu’il fallait prendre en compte l’histoire du bien en question pour apprécier son caractère luxueux.

D. a. Par jugement du 20 juin 2023, le TAPI a prononcé la jonction des procédures A/1748/2022 et A/2593/2022 sous le n° de procédure A/1748/2022 et admis les recours. Les autorisations APA 1______/1 et APA 1______/2 étaient annulées en ce qu’elles prononçaient le contrôle du loyer du logement après travaux.

Les parties s’accordaient sur le fait que l’objet du litige concernait uniquement le caractère luxueux ou non de l’appartement. En effet, l’art. 10 al. 2 LDTR prévoyait que le département renonçait à la fixation des loyers prévue en cas de transformation d’un appartement lorsque cette mesure apparaissait disproportionnée, notamment lorsque les logements à transformer étaient des logements de luxe. Par conséquent, la légitimité de la fixation du loyer dans les décisions en cause dépendait de savoir si l’appartement devait être considéré comme étant de luxe.

b. On ne pouvait faire abstraction du contexte urbain dans lequel s’était inscrit à l’époque de sa construction et encore aujourd’hui l’ensemble immobilier C______, ni de l’intention des architectes. Ainsi, encadrant une ancienne demeure de maître et son parc arboré, et faisant face par ailleurs au C______, au panorama du lac et des Alpes, ainsi qu’au parc de H______ et au coteau de Cologny, l’ensemble était expressément destiné à séduire une clientèle internationale en lui offrant un cadre prestigieux. La présence de logements jusqu’à treize pièces dans certaines parties de la résidence, de même que la présence d’espaces de travail et de nuit pour du personnel de maison, ne faisait que confirmer l’intention, dès le départ, de faire de ces logements des biens d’exception destinés à une catégorie particulièrement aisée de la population, soucieuse de pouvoir afficher cette appartenance. C’était ici en particulier que pouvait se lire l’évolution de la notion de faste en matière de logement, tant il était vrai que la notion de luxe et d’appartement hors norme ne saurait a priori se discuter pour un logement de treize pièces situé sans aucun vis-à-vis en face du lac et des Alpes, mais malgré tout doté de plafonds situés à moins de 3 m de haut.

Il en allait de même s’agissant de la facture relativement sobre d’un certain nombre d’éléments standards constatés lors du transport sur place, vraisemblablement soustraits au goût du preneur (p. ex. menuiseries et ferronneries extérieures), puisqu’ils apparaissaient à l’identique sur l’ensemble des façades.

Ainsi, la question de savoir si l’appartement litigieux devait être considéré comme un logement de luxe ne devait-elle pas s’attacher de trop près aux critères souvent mis en évidence par la jurisprudence par rapport à des demeures plus anciennes.

Une approche tenant compte davantage de l’impression d’ensemble, telle que préconisée par le Tribunal fédéral, permettait de souligner, outre les éléments historiques et d’extérieur déjà mentionnés, le sentiment d’appartement hors-norme qui traversait le visiteur lorsqu’il y pénétrait, prenait la mesure des très grands espaces (salon, salle à manger, bureau) qui s’ouvraient depuis la porte d’entrée principale, mais aussi de l’espace très important qu’offraient globalement les 295 m² de l’appartement, avec ses quatre chambres à coucher, ses deux salles d’eau, ses espaces de rangement séparés, son grand vestibule d’entrée, espaces auxquels s’ajoutait celui destiné au personnel de maison qui, outre la cuisine et le laboratoire, offrait à nouveau une chambre et une salle d’eau ainsi que des toilettes supplémentaires. À ceci s’ajoutait le fait que le pourtour de l’appartement s’ouvrait généreusement sur trois côtés par de grandes fenêtres et portes-fenêtres, offrant une vue tout à fait exceptionnelle sur le parc historique du C______, sur le lac et les Alpes ainsi que sur le parc de H______.

L’appartement, en l’état, présentait de curieux contrastes du fait que certaines parties étaient relativement dégradées (p. ex. le vestibule d’entrée) et d’autres presque comme neuves (l’une des salles de bains en particulier), mais aussi du fait que certains de ses éléments semblaient tout à fait standards par rapport à l’époque de construction (p. ex. les meubles de cuisine), tandis que d’autres (p. ex. panneaux de bois à moulures) dénotaient un souci d’apparat. Il n’était pas possible d’être affirmatif sur la manière dont l’appartement avait été aménagé et décoré à l’origine, puisque, comme l’avait souligné la FONDATION D______, il n’était pas certain que les plans préparés par la maison G______ eussent été effectivement réalisés. Toutefois, une partie au moins de ces derniers paraissent l’avoir été, puisque le transport sur place avait montré l’existence de panneaux de bois à moulures et de menuiseries intérieures qui pourraient correspondre à ces plans. Quoi qu’il en soit, qu’ils aient été seulement dessinés ou également réalisés, les plans de la maison G______, dont la recourante avait mis en évidence le positionnement dans le domaine du luxe et les références prestigieuses dont elle pouvait se prévaloir, signifiaient que les premiers occupants de l’appartement, en 1955, disposaient de moyens suffisamment importants pour envisager de confier à cette entreprise la décoration d’un logement de 295 m². Ceci ramenait à ce qui avait déjà été mentionné en ce qui concernait le prestige que les promoteurs du projet avaient visé à rattacher tout au moins aux plus grands logements de la résidence, ainsi qu’au style de clientèle que cela concernait.

Certes, comme le relevait le Tribunal fédéral, on ne pouvait exclure qu’un appartement qui correspondait originellement à la notion de luxe perde cette caractéristique au fil du temps, par exemple parce que les éléments de prestige paraissaient devenus complètement obsolètes, ou encore parce qu’un manque complet d’entretien l’avait conduit à un état de délabrement qui ne laissait plus vraiment subsister le faste dont il bénéficiait au début. Dans le cas d’espèce, si l’on pouvait effectivement relever une certaine dégradation de l’appartement, il n’en demeurait pas moins que son caractère luxueux résidait avant tout dans des aspects – notamment immatériels – qui demeuraient entièrement valables à ce jour.

Pour finir, en considérant l’objet du litige avec un peu de recul, on demeurait en peine de retenir qu’il pourrait, même de loin, se rapprocher des logements correspondant aux besoins prépondérants de la population (ci-après : BPP) que la LDTR visait à maintenir dans le marché locatif à des loyers abordables. À cet égard, il n’était pas insignifiant de relever que selon l’arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux BPP dans sa teneur au 12 janvier 2022 (ArRLoyers - L 5 20.05), les loyers correspondant aux BPP, fondés sur le revenu brut médian des contribuables personnes physiques 2018, étaient compris entre CHF 2'627.- et CHF 3'528.- la pièce par année. Or, le loyer fixé par la seconde décision litigieuse, qui était de CHF 7'467.- la pièce, était plus de deux fois plus élevé que la limite supérieure fixée par cet arrêté, ce qui signifiait que, même durant la période de contrôle, le loyer serait situé très au-dessus des moyens de la très grande majorité de la population genevoise.

Enfin, s’agissant de l’argument du département relatif au fait que le montant total des travaux apparaissait trop modeste pour correspondre à ceux que l’on ferait dans un logement de luxe, la propriétaire avait relevé de manière pertinente que l’art. 10 al. 2 LDTR était formulé de telle manière que l’appréciation que l’on devait faire au sujet du caractère luxueux ou non de l’appartement concerné se rapportait à ce qu’il était avant les transformations, et non pas après. Par conséquent, si, comme en l’espèce, l’appartement pouvait être considéré comme luxueux avant transformation, il importait peu que le propriétaire décide de procéder à de simples travaux d’entretien.

E. a. Le département a formé recours contre ce jugement par acte expédié le 28 août 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à son annulation et à la confirmation des décisions des 26 avril et 4 juillet 2022.

a.a. Le TAPI expliquait que le contexte urbain dans lequel s’était inscrit, à l’époque de sa construction et prétendument à l’époque actuelle, l’ensemble immobilier C______, sa destination, son nombre de pièces et sa situation en face du lac et des Alpes l’avaient conduit à ne pas s’attacher de trop près aux critères souvent mis en évidence par la jurisprudence par rapport à des demeures anciennes. Cette approche était cependant contraire à la jurisprudence, puisque le TAPI admettait s’être écarté, sans motifs justifiés, de l’interprétation restrictive imposée par le Tribunal fédéral.

S’agissant du contexte urbain et historique de l’ensemble, les renseignements donnés par la FONDATION D______ sur lesquels s’appuyait principalement le TAPI, ne démontraient pas que l’appartement avait été tout d’abord conçu comme un logement de luxe, puis réalisé comme tel. Certes, lors du transport sur place du 19 décembre 2022, elle avait relevé que l’ensemble constituait une réalisation emblématique dans un site unique et que les logements représentaient l’habitat bourgeois modernisé, réparti entre représentation et « privacité ». Or, ces éléments n’étaient pas, à teneur de la jurisprudence, des critères permettant de conférer un caractère luxueux à un logement. La FONDATION D______ avait d’ailleurs indiqué qu’il restait à vérifier que les étages 5 et 6 correspondaient à des appartements de plus haut standing, étant précisé qu’elle n’évoquait que la vraisemblance d’un tel standing. Quant aux plans présentés, elle n’avait pas certifié qu’ils avaient été réalisés tels que dessinés. Elle n’avait pas non plus pu certifier que les changements prévus par la maison G______ avaient été réalisés. Ainsi, l’affirmation du TAPI selon laquelle l’ensemble était expressément destiné à séduire une clientèle internationale en lui offrant un cadre prestigieux résultait d’une interprétation qui dépassait largement ce que l’instruction de la cause avait établi de manière certaine. Les premiers juges s’étaient trompés sur la portée des renseignements fournis et en avaient tiré des renseignements erronés et insoutenables tombant dans l’arbitraire.

a.b. Si l’on pouvait admettre que la notion de luxe en architecture était évolutive, il n’en demeurait pas mois que la jurisprudence genevoise posait des critères très précis et intemporels pour déterminer si un logement devait être qualifié de luxueux. Le TAPI semblait considérer que la facture relativement sobre d’un certain nombre d’éléments standards constatés lors du transport sur place ne devrait pas être prise en compte, ceux-ci étant soustraits au goût du preneur et dans la mesure où ils apparaissaient à l’identique sur l’ensemble de la façade. Or, ces motifs ne pouvaient pas justifier de ne pas tenir compte des nombreux éléments standards et dégradés constatés sur place.

a.c. Le TAPI poursuivait son raisonnement en considérant qu’une approche tenant d’avantage compte de l’impression d’ensemble permettait de souligner le sentiment d’appartement hors-norme qui traversait le visiteur lorsqu’il y pénétrait. Ce faisant, il avait méconnu la jurisprudence qui précisait que l’impression générale sur laquelle devait se fonder le juge dépendait de l’examen concret de toutes les caractéristiques du logement en cause, au moment où cet élément devait être apprécié. Or, il ressortait clairement du jugement litigieux que pour justifier le caractère luxueux, les premiers juges s’étaient contentés de ne retenir que le contexte historique de l’ensemble, la clientèle et quelques atouts de l’appartement, tout en faisant fi des nombreux éléments standards et dégradés, voire même délabrés, ainsi que du mauvais entretien. Le TAPI reconnaissait que l’état de l’appartement laissait une impression contrastée, ce qui plaidait contre l’impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire requise par la jurisprudence. À l’extérieur déjà l’immeuble présentait certaines dégradations, en particulier les boiseries des « bow windows ». De plus, la surface des chambres et de la cuisine n’était pas particulièrement importante. Elle variait, pour les chambres, entre 14.34 m² et 22.07 m². Or, la chambre administrative avait refusé de reconnaître le caractère luxueux d’un appartement de huit pièces dont la surface brute moyenne de chaque pièce s’élevait à 27.38 m², soit une surface bien supérieure. Le TAPI avait relevé la dégradation de l’appartement mais néanmoins considéré que son caractère luxueux résidait avant tout dans ses aspects qui demeuraient entièrement valables. Or, il ne précisait pas quels étaient ces aspects. Il évoquait des aspects notamment immatériels laissant penser qu’il se référait aux vues qui constituaient certes des atouts. Elles ne pouvaient cependant à elles seules lui conférer un caractère luxueux mais constituaient de simples indices. Quant au caractère historiquement luxueux de l’appartement, il n’avait pas été démontré et ne pouvait être retenu.

a.d. Si la chambre administrative devait retenir que le logement était historiquement luxueux, car conçu comme tel, il n’en demeurait pas moins qu’il avait perdu cette qualité puisqu’il n’avait à l’évidence pas été correctement entretenu. Par ailleurs, le fait que les premiers occupants de l’appartement, en 1955, auraient disposé de moyens suffisamment importants pour envisager de confier à la maison G______ la décoration du logement n’était pas pertinent, puisqu’il fallait prendre en considération le logement en tant que tel, et non le type ou le style de locataires qui occupaient l’immeuble.

a.e. Enfin, le fait que l’appartement ne correspondait pas aux BPP n’était pas pertinent. Il ne s’agissait, d’une part, pas de critères permettant de conférer le caractère luxueux à un logement. D’autre part, l’autre exception prévue par l’art. 10 al. 2 LDTR, qui faisait référence aux logements correspondant aux BPP, disposait que le département pouvait renoncer à la fixation des loyers lorsque ceux-ci dépassaient d’ores et déjà d’au moins deux fois et demie les BPP. Or, comme l’avait relevé le TAPI, le loyer de l’appartement était de CHF 7'467.- la pièce par an, ce qui était bien inférieur à la limite prévue par l’art. 10 al. 2 let. b LDTR de CHF 8'820.- (soit CHF 3'528.- x 2.5).

b. Le 28 septembre 2023, A______ a conclu au rejet du recours.

Trois conditions devaient cumulativement être remplies pour qu’un appartement soit qualifié de luxueux. S’agissant d’un appartement de neuf pièces d’une surface de 295 m2, seule la question de savoir si des éléments donnant une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire se posait. Il découlait de la jurisprudence une certaine souplesse de la notion de logements de luxe. Le TAPI avait du reste rappelé que sans rattacher la notion de luxe à tels ou tels éléments spécifiques d’un logement, il fallait garder à l’esprit l’impression générale qu’il dégageait, la notion de luxe pouvant être admise lorsque, globalement, il apparaissait que la mesure habituelle du confort était clairement dépassée.

b.a. Le TAPI avait, conformément à la jurisprudence, considéré qu’il ne pouvait être fait abstraction du contexte urbain dans lequel s’insérait l’ensemble immobilier, ni de l’intention des architectes. Il avait retenu que, en tenant compte de l’impression d’ensemble, le caractère luxueux résidait avant tout dans des aspects qui demeuraient valables de nos jours. La jurisprudence retenait en effet qu’une construction ancienne, qui offrait un niveau de confort certes inférieur aux maisons modernes, mais qui possédait une valeur historique en faisant un objet exceptionnel se trouvant rarement sur le marché de la location pouvait entrer dans la catégorie du luxe. Des éléments extérieurs comme la vue sur la rade et le Jet d’eau conféraient à l’appartement un caractère luxueux car ils le valorisaient.

b.b. Le TAPI avait tenu compte des explications de la FONDATION D______ laquelle avait notamment expliqué que l’intention des architectes de s’adresser éventuellement à différentes classes sociales ne semblait pas pouvoir se lire à travers la distribution des appartements au nombre de pièces de 2 à 13. Les appartements de peu de pièces pouvaient s’expliquer par le fait que l’ensemble était destiné à une clientèle internationale qui pouvait se servir d’appartements de taille réduite en tant que simple pied à terre. Les représentants de la FONDATION D______ avaient fait un parallèle avec un projet de LE CORBUSIER à Alger, projet destiné à une nouvelle bourgeoisie aisée. Il était incontestable que les immeubles de C______ étaient destinés à une classe extrêmement aisée. D______ avaient fait partie des personnalités qui avaient transformé Genève. L’historique de la conception des immeubles soulignait une valorisation des parties communes. Le hall des immeubles dénotait également du très haut standing puisqu’ils étaient spacieux et décorés de grands miroirs, de recouvrement en pierres avec des fixations en bronze, de double hauteur et le seul en pierre. L’ensemble occupait une magnifique propriété en bordure des quais, avec une végétation généreuse et avait permis de préserver la maison de maître. Le TAPI avait à juste titre pris en considération ces éléments historiques et contextuels.

Le département tentait à tort de relativiser les éléments mis en évidence par la FONDATION D______ en soutenant qu’ils ne permettaient pas de démontrer le caractère luxueux. Ses représentants avaient en effet mis en évidence que les logements de C______ offraient un confort spatial par de grands espaces, des enfilades de pièces et la dissociation entre espaces servants et servis. Les logements représentaient l’habitat bourgeois modernisé, entre représentations et « privacité ». Il y avait une ouverture préférentielle des pièces de vie sur le panorama du lac et des Alpes. Ils avaient en outre souligné que le parc, qui se situait au centre de l’ensemble, pouvait être qualifié de considérable.

b.c. Pour les plans réalisés par la maison G______, les représentants de la FONDATION D______ n’avaient pas pu certifier qu’ils avaient été réalisés tels que dessinés. Le TAPI avait justement considéré que même s’il n’était pas possible d’en être certain, le transport sur place avait montré que les plans de la maison G______ semblaient avoir été réalisés. Le fait que cette maison avait été mandatée pour établir des plans démontrait déjà que l’appartement était conçu comme luxueux. Les conclusions auxquelles était parvenu le TAPI étaient corroborées par les faits de la cause et en particulier les transports sur place. Le département portait une importance démesurée aux prétendus éléments standards ou dégradés ou encore au prétendu manque d’entretien pour relayer au second plan l’impression générale qui traverse le visiteur lorsqu’il pénètre dans l’appartement. Les premiers juges avaient correctement apprécié les différents éléments constatés au regard de la prétendue dégradation et de l’utilisation de certains matériaux standard et retenu qu’ils n’étaient pas de nature à faire perdre à l’appartement son caractère luxueux.

b.d. Enfin, le département mettait en évidence l’importance du loyer. Certes, il ne dépassait pas le seuil de 2.5 mais le frôlait toutefois, laissant ainsi douter que l’appartement puisse répondre aux logements correspondant au BPP de la LDTR. Il était erroné de considérer qu’un loyer annuel de CHF 7'467.- par pièces – soit 2.12 fois supérieur aux loyers correspondant aux BPP – était bien inférieur à la limite de 2.5 fois exprimée à l’art. 10 al. 2 let. b LDTR.

c. Le 16 octobre 2023, le département a persisté dans ses conclusions.

L’intimée soutenait que parmi les conditions permettant de qualifier un logement de luxueux, seule la dernière était litigieuse. Elle se trompait, puisque l’existence de surfaces inhabituellement grandes était également contestée. Il ne suffisait pas de tenir compte de la surface totale du logement pour considérer cette condition comme respectée. Une surface totale et des pièces particulièrement grandes constituaient un indice de luxe. En l’occurrence, la surface des chambres et de la cuisine n’était pas particulièrement importante.

La propriétaire tentait ensuite de défendre que le caractère luxueux du logement se dégageait de certains aspects immatériels tels que le contexte urbain, l’intention des architectes ainsi que l’impression d’ensemble. Elle n’apportait cependant aucun élément qui permettait de contredire le fait que rien ne démontrait que l’appartement concerné avait été conçu comme un logement de luxe puis réalisé comme tel. La FONDATION D______ avait reconnu qu’il restait à vérifier que les étages 5 et 6 correspondaient à des appartements de plus haut standing. Elle n’avait pas non plus certifié la réalisation des plans de la maison G______. Le fait que l’ensemble aurait été destiné à la clientèle internationale n’avait que peu de poids dans l’analyse du caractère luxueux. D’une part, l’instruction de la cause n’avait pas permis de démontrer que tel avait été le cas et, d’autre part, c’était le logement en tant que tel qu’il fallait prendre en considération et non le type ou le style de locataires qui occupaient l’immeuble.

Certes, l’appartement présentait certains atouts. Il n’en demeurait pas moins qu’il présentait de nombreux éléments standards, pour certains très dégradés voire délabrés. Au lieu d’être traversé d’un sentiment hors norme, le TAPI avait été saisi d’une impression contrastée comme il l’avait reconnu, les éléments précités ayant manifestement éclipsé toute impression de somptuosité ou de confort extraordinaire. En tout état, si historiquement l’appartement était entré dans la catégorie du luxe, il avait manifestement perdu cette qualité avec le temps.

d. Le 30 octobre 2023, A______ a persisté dans ses arguments et conclusions.

Le département soutenait que la surface totale de l’appartement ne suffirait pas pour considérer que sa surface était inhabituellement grande mais qu’il fallait apprécier la surface de chacune des pièces. Il se fondait pour cela sur une jurisprudence de la chambre administrative. Or, dans l’arrêt cité, ce n’était pas la grandeur des pièces qui avait conduit la chambre administrative à nier le caractère luxueux mais l’absence d’impression de somptuosité. En l’espèce, les pièces de réception en enfilade totalisaient une surface de près de 104 m². Si les chambres ne revêtaient pas une surface aussi grande que celle de l’arrêt cité à teneur duquel une surface de 27.38 m² était considérée comme importante, elles demeuraient néanmoins spacieuses, puisque les chambres destinées aux enfants avaient une surface d’environ 15 m², une autre chambre en pignon avec vue faisait 22 m². Quant à la dernière chambre, réservée au maître de maison, elle faisait plus de 19 m² avec salle de bains privative et accès à un balcon avec vue. En définitive, à défaut d’être aussi spacieuses que celles de l’arrêt cité par le département, elles étaient toutes pourvues de caractéristiques relayant au second plan leur surface.

Le département se focalisait ensuite sur la surface de la cuisine sans considérer qu’elle était composée de deux pièces et qu’elle était utilisée uniquement par le personnel de maison.

Le département soutenait qu’elle et le TAPI n’avaient apporté aucun élément permettant de contredire que l’appartement avait été conçu comme un logement de luxe puis qu’il avait été réalisé comme tel. Pourtant, l’instruction de la cause avait montré que l’appartement avait été conçu comme de luxe (deux entrées, surface de l’appartement, localisation en pignon, vue à 180% sur le lac, la chaîne du Mont‑Blanc et la parc H______, de nombreux éléments de détail) et qu’il n’était pas destiné à être proposé à la classe moyenne. L’instruction de la cause avait en outre permis de démontrer que les plans de la maison G______ avaient bien été réalisés.

Pour finir, le département retenait que l’appartement avait perdu sa qualité de luxe avec le temps. Or, le dernier locataire avait occupé les lieux dès le 1er avril 1974, puis pendant 48 ans. Durant cette période, elle avait été, en sa qualité de propriétaire, limitée dans ses possibilités d’y réaliser des travaux.

e. Les parties ont été informées, le 2 novembre 2023, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

3.             L’objet du litige tel que défini par le TAPI, à savoir le caractère luxueux ou non de l’appartement, n’est pas remis en cause. Il n’est toutefois pas inutile de rappeler les dispositions et principes qui s’appliquent au cas d’espèce.

3.1 Selon son art. 1, la LDTR a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l’habitat dans les zones visées à l’art. 2 (al. 1). À cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d’appartements, elle prévoit notamment des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d’affectation des maisons d’habitation (al. 2 let. a).

La LDTR vise à éviter la disparition de logements à usage locatif (arrêt du Tribunal fédéral 1P.406/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3). Sa réglementation correspond à un intérêt public évident selon le Tribunal fédéral (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4 ; ATA/1332/2023 du 12 décembre 2023 consid. 6.3 et les arrêts cités).

3.2 L’art. 2 LDTR prévoit qu’est soumis à cette loi tout bâtiment situé dans l’une des zones de construction prévues par l’art. 19 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire, du 4 juin 1987, ou construit au bénéfice des normes de l’une des quatre premières zones de construction en vertu des dispositions applicables aux zones de développement (al. 1 let. a) ; comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l’habitation (al. 1 let. b). Ne sont pas assujetties à la LDTR les maisons individuelles ne comportant qu’un seul logement, ainsi que les villas en 5e zone comportant un ou plusieurs logements (al. 2).

Par transformation, on entend notamment tous les travaux qui ont pour objet la rénovation, c’est-à-dire la remise en état, même partielle, de tout ou partie d’une maison d’habitation, en améliorant le confort existant sans modifier la distribution des logements, sous réserve d’exceptions non réalisées en l’espèce et prévues à l’al. 2 (art. 3 al. 1 let. d LDTR).

Une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation au sens de l’art. 3 al. 1. L’autorisation est accordée pour les travaux de rénovation (art. 9 al. 1 let. e LDTR). Le département accorde l’autorisation si les logements transformés répondent, quant à leur genre, leur loyer ou leur prix, aux BPP ; il tient compte, dans son appréciation, de cinq éléments décrits sous let. a à e de l’al. 2. Selon l’al. 3, par BPP, il faut entendre les loyers accessibles à la majorité de la population. Au 1er janvier 1999, les loyers correspondant aux BPP sont compris entre CHF 2'400.- et CHF 3'225.- la pièce par année. Les loyers répondant aux BPP peuvent être révisés tous les deux ans par le Conseil d’État en fonction de l’évolution du revenu brut fiscal médian des contribuables personnes physiques.

À teneur de l’art. 10 LDTR, le département fixe, comme condition de l’autorisation, le montant maximum des loyers des logements après travaux ; il en fait de même pour les prix de vente maximaux des logements si ceux-ci sont soumis au régime de la propriété par étages ou à une autre forme de propriété analogue (al. 1). Le département renonce à la fixation des loyers et des prix prévue à l’al. 1 lorsque cette mesure apparaît disproportionnée, notamment : lorsque les logements à transformer sont des logements de luxe ou que leurs loyers dépassent d’ores et déjà d’au moins 2.5 fois les BPP (al. 2 let. b).

3.3 En l’espèce, l’immeuble est situé en zone à bâtir ordinaire 2 et est affecté à l’habitation (art. 2 al. 1 LDTR). Les travaux prévus sont des travaux de transformation au sens de la LDTR (art. 3 al. 1 let. d LDTR). L’autorisation doit être accordée dès lors que le loyer avant les travaux, soit CHF 7'467.- la pièce par an, était supérieur aux BPP (l’arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux BPP du 12 janvier 2022 [ArRLoyers - L 5 20.05] prévoit que les loyers correspondant aux BPP sont compris entre CHF 2'627.- et CHF 3'528.- la pièce par année) et que l’appartement litigieux, qui compte neuf pièces, n’entre pas dans la catégorie des logements où sévit une pénurie au sens de l’arrêté déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l’application des art. 25 à 39 LDTR, dans son état au 12 février 2022 applicable ici (ArAppart - L 5 20.03). Reste à vérifier si le département devait renoncer à la fixation du loyer en raison du caractère luxueux du logement en cause (art. 10 al. 2 let. b LDTR).

4.             Le département reproche en premier lieu au TAPI de s’être écarté sans justes motifs de l’interprétation restrictive de la notion de luxe.

4.1 La notion de logement de luxe procède tant du droit public cantonal que du droit civil fédéral. Cette notion du droit cantonal est la même que celle du droit du bail fédéral (art. 253b al. 2 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 [Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220]) (ATA/229/2002 du 7 mai 2002 consid. 4a ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d’affectation et aliénation : immeubles de logements et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 277).

La loi ne définit pas la notion de luxe. Celle-ci comporte des traits quantitatifs (nombre minimal de pièces) et qualitatifs (caractère luxueux). Le juge doit se fonder sur son impression générale, laquelle dépend de l’examen concret de toutes les caractéristiques du logement en cause. La notion de luxe peut évoluer avec le temps. Une habitation peut acquérir cette qualité en fonction des transformations effectuées, ou au contraire la perdre au fil des ans. Aussi faut-il examiner si l’habitation possède une telle caractéristique au moment où cet élément est propre à exercer une influence (arrêt du Tribunal fédéral 4D_59/2017 du 7 mars 2018 consid. 2.2.2 et l’arrêt cité).

Aux termes de l’art. 253b al. 2 CO, les dispositions sur la protection contre les loyers abusifs (art. 269 ss CO) ne s’appliquent pas aux baux d’appartements et de maisons familiales de luxe comprenant six pièces ou plus (cuisine non comprise). Le nombre minimum de pièces et le caractère luxueux de ces logements constituent des conditions cumulatives. Leurs loyers suivent les seules lois du marché (arrêt du Tribunal fédéral 4A_257/2015 du 11 janvier 2016 consid. 3.1 et les références citées).

Constituent des indices de luxe la présence de marbre à l’entrée de l’immeuble, une piscine, un sauna, des sanitaires en surnombre, une surface totale et des pièces particulièrement grandes, un jardin spacieux, un environnement très protégé. La notion de luxe doit s’interpréter de manière restrictive ; elle suppose que la mesure habituelle du confort soit clairement dépassée (arrêt du Tribunal fédéral 4D_59/2017 du 7 mars 2018 consid. 2.2.2). La présence d’un seul ou de quelques‑uns seulement de ces indices ne suffit pas ; il faut que le luxe se dégage de l’ensemble. Pour décider si un logement est de luxe, le juge doit se fonder sur son impression générale, laquelle dépend de l’examen concret de toutes les caractéristiques du logement en cause, au moment où cet élément doit être apprécié (arrêt du Tribunal fédéral 4A_257/2015 du 11 janvier 2016 consid. 3.1 et les références citées).

4.2 Selon la jurisprudence cantonale, pour être qualifié de luxueux, le logement doit avoir six pièces au moins, cuisine non comprise, c’est-à-dire à Genève sept pièces ou plus, des surfaces inhabituellement grandes, des éléments donnant une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire. Il s’agit de conditions cumulatives. Un logement ancien peut être luxueux s’il a été conçu comme tel et qu’il est correctement entretenu (ATA/441/1997 du 5 août 1997 consid. 6). Un logement peut être luxueux, quel que soit le quartier où il se trouve et même si une partie de l’immeuble comprend des locaux commerciaux de bureaux. Il faut prendre en considération le logement en tant que tel, et non le type ou le style de locataires qui occupent l’immeuble (ATA/214/2003 du 15 avril 2003 consid. 5). Dès lors, un logement peut être luxueux même s’il est mal situé géographiquement, avec une vue et une luminosité ambiante réduites (ATA/1736/2019 du 15 janvier 2019 consid. 7e). Par ailleurs, des éléments extérieurs à l’appartement lui-même peuvent lui conférer un caractère luxueux s’ils le valorisent. C’est le cas de la vue sur le Jet d’eau et la rade de Genève (ATA/214/2003 précité consid. 5 ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 277 et 278).

4.3 Dans sa jurisprudence, le Tribunal administratif, dont les compétences ont été reprises par la chambre de céans, a retenu le caractère luxueux d’un logement de huit pièces réparties sur 280 m2, dont plusieurs de dimensions importantes et en enfilade, pourvues de boiseries bien entretenues de la fin du XVIIIe siècle et de plusieurs cheminées de marbre, ainsi que de plafonds particulièrement hauts donnant à l’ensemble un caractère luxueux (ATA/441/1997 du 5 août 1997).

Le Tribunal administratif a également qualifié de luxueux un logement de quatre ou quatre pièces et demie de 120 m2 ayant du parquet et des moulures au plafond, des radiateurs de l’époque de sa construction en 1920, avec un hall d’entrée d’immeuble de qualité, cossu et d’une taille inhabituelle. La présence d’un concierge, le caractère bourgeois de la façade en pierres de taille, les carreaux de faïence sur les balcons, le bâtiment ayant une vue magnifique sur la rade, le Mont‑Blanc et les autres montagnes des Alpes étaient autant d’indices déterminants (ATA/229/2002 du 7 mai 2002).

La chambre de céans a exceptionnellement admis le caractère luxueux de deux appartement de cinq pièces d’environ 130 m2 issus d’une division dans un immeuble à l’entrée soignée avec des boiseries bien entretenues, avec un hall d’entrée particulièrement spacieux (25 m2), un sol en bois entouré de dalles en pierre, un sol de l’appartement choisi avec soin en planelles et en bois exotique, un salon d’environ 30 m2, deux cheminées dont l’une en marbre, une décoration raffinée constituée de matériaux et de revêtements de qualité supérieure – les revêtements des salles de bain et salles de douche étant constitués de mosaïque de type « pâte de verre » 2 x 2 cm de haute qualité, une hauteur du plafond pour le grand salon d’environ 2.74 m, des détails de type corniche inversée dans la plupart des pièces de jour et enfin une vue directe sur le lac et le Mont-Blanc (ATA/1736/2019 précité).

Le Tribunal administratif a toutefois nié le caractère luxueux d’un appartement composé de huit pièces dont la surface brute moyenne de chaque pièce s’élevait à 27.38 m2. Cette surface était importante ; toutefois, le logement ne donnait aucune impression de somptuosité malgré certains atouts (terrasses dont la surface était conséquente, une situation en attique et une vue dégagée). La hauteur des plafonds n’était pas exceptionnelle, son entrée était modeste et l’agencement intérieur était standard. L’escalier, pourvu d’une rampe en bois, était fonctionnel et banal. Les matériaux utilisés pour la serrurerie, les fenêtres et les portes étaient courants. De même en était-il des revêtements de sol : le salon et les couloirs étaient pourvus d’un parquet simple et les chambres d’une moquette ordinaire. Enfin, l’architecture de l’immeuble ne présentait aucune particularité (ATA/859/2010 précité).

Le TAPI a également nié le caractère luxueux d’un logement sis dans un immeuble ayant une entrée spacieuse, avec un sol en marbre, un plafond en bois, un lustre, des fauteuils et une table, deux ascenseurs ainsi qu’une piscine chauffée toute l’année, fermée par des parois vitrées, s’ouvrant sur le jardin privatif de l’immeuble et comprenant toilettes, douches, vestiaires et chaises longues pour les habitants de l’immeuble ; un palier boisé du 6e étage de l’immeuble où se situait l’appartement de quatre pièces d’environ 130 m2, lequel comprenait un living et une cuisine donnant sur un balcon duquel on pouvait voir le sommet du Jet d’eau et le parc arborisé bien entretenu de l’immeuble, la cuisine étant entièrement équipée, ainsi qu’un WC visiteur, une douche/lavabo et une salle de bains, ainsi que deux chambres à coucher. La chambre de céans s’était ralliée à cet avis non contesté devant elle (ATA/826/2012 du 11 décembre 2012). Cette jurisprudence a paru sévère pour la doctrine (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 279).

4.4 En l’espèce, il n’est pas contesté que l’appartement compte neuf pièces. Une des conditions cumulatives posées par la jurisprudence du Tribunal fédéral est ainsi remplie.

Pour ce qui concerne la condition du caractère luxueux du logement, dans la partie en droit de son jugement le TAPI mentionne les principaux griefs que le département a soulevé devant lui, à savoir le manque de somptuosité, l’absence de hauts plafonds, de cheminée, de parquets recherchés et autres éléments du second œuvre ou fournitures témoignant d’une notion de luxe, la taille des chambres (22.7 m² pour la plus grande et 14.34 m² pour la plus petite) et le caractère relativement dégradé de certaines parties de l’appartement (remplacement d’un éventuel parquet d’origine par de la moquette voire du linoléum, toiles tendues très abîmées dans une chambre). En réponse à ces griefs, le TAPI rappelle que la notion de luxe en architecture est évolutive avant de souligner que sans rattacher la notion de luxe à certains éléments spécifiques du logement, il faut garder à l’esprit l’impression générale qu’il dégage. Le TAPI poursuit en soulignant qu’on ne peut faire abstraction du contexte urbain dans lequel s’inscrit l’ensemble immobilier de C______, de l’intention des architectes, de son panorama, du nombre de pièces des logements ou encore de sa destination à une catégorie aisée de la population. Les premiers juges relativisent néanmoins ces éléments positifs en rappelant la hauteur modeste des plafonds (à moins de trois mètres du sol) et la facture relativement sobre d’un certain nombre d’éléments standards. Le TAPI ajoute que la question de savoir si l’appartement doit être considéré comme un logement de luxe ne doit pas s’attacher de trop près aux critères souvent mis en évidence par la jurisprudence par rapport à des demeures plus anciennes.

L’immeuble ayant été construit au milieu des années 50, il n’y a rien de choquant à ce que le TAPI indique qu’il convient de ne pas s’attacher de trop près aux critères souvent mis en évidence par la jurisprudence par rapport à des demeures plus anciennes. Par exemple, comme cela ressort des explications fournies par les représentants de la FONDATION D______, indications dont il n’y a pas lieu de douter et qui ne sont pas remises en cause, les plafonds hauts étaient alors délaissés et l’existence d’appartements de deux pièces dans l’ensemble C______ ne signifie pas que les architectes avaient souhaité s’adresser à plusieurs classes sociales, les appartements de peu de pièces pouvant s’expliquer par le fait que cet ensemble était notamment destiné à une clientèle internationale qui pouvait s’en servir comme pied-à-terre. Ces mêmes représentants ont expliqué que le confort constructif se signalait par des murs pleins et du double vitrage et le confort technique par la présence d’équipements électriques de pointe, éléments qu’on ne peut pas trouver dans des immeubles anciens. Il en va de même avec l’existence de parkings souterrains.

Les premiers juges poursuivent en retenant qu’une approche tenant compte davantage de l’impression d’ensemble permettait de souligner le sentiment d’appartement hors norme qui traverse le visiteur lorsqu’il y pénètre. Les premiers juges n’ont néanmoins pas fait abstraction de l’examen concret de toutes les caractéristiques du logement. Le TAPI a en effet procédé à une instruction complète et à un examen attentif de la cause en organisant notamment un transport sur place qui a donné lieu à un compte rendu fouillé et détaillé de l’appartement. Dans le jugement litigieux, il est fait état des très grands espaces (salon, salle à manger, bureau) qui s’ouvrent depuis la porte d’entrée principale, de portes à double battant, des 295 m² de l’appartement, des quatre chambres à coucher, des deux salles d’eau, des espaces de rangement séparés, du grand vestibule d’entrée, espaces auxquels s’ajoute celui destiné au personnel de maison qui, outre la cuisine et le laboratoire, offre à nouveau une chambre et une salle d’eau ainsi que des toilettes supplémentaires. Le TAPI fait en outre état du pourtour de l’appartement qui s’ouvre généreusement sur trois côtés par de grandes fenêtres et portes-fenêtres offrant une vue exceptionnelle sur les parcs, le lac et les Alpes.

Les premiers juges mettent également en évidence le fait que, dans son état actuel, l’appartement présente de curieux contrastes, certaines parties étant relativement dégradées et d’autres presque neuves, certains éléments semblant standards par rapport à l’époque de construction, tandis que d’autres dénotent un souci d’apparat. Le TAPI retient également qu’il n’est pas possible d’être affirmatif sur la manière dont l’appartement était aménagé et décoré à l’origine, puisqu’il n’est pas certain que les plans préparés par la maison G______ aient été réalisés. Les premiers juges estiment toutefois qu’une partie de ces derniers paraissent l’avoir été, le transport sur place ayant montré l’existence de panneaux de bois à moulures et de menuiseries intérieures qui pourraient correspondre aux plans. Le jugement retient que quoi qu’il en soit, cela signifie que les premiers occupants disposaient de moyens suffisants pour envisager de confier à cette maison la décoration du logement. Le TAPI termine en retenant une certaine dégradation de l’appartement mais qu’il n’en demeure pas moins que son caractère luxueux réside avant tout dans des aspects – notamment immatériels – qui demeurent valables à ce jour.

Il découle de ce qui précède que le TAPI s’est attaché à décrire l’appartement en détail et qu’il a tenu compte des éléments tangibles à sa disposition pour trancher le litige qui lui était soumis, que ces éléments plaident en faveur du caractère luxueux ou non.

Le recourant met en évidence que les chambres ne sont en l’espèce pas très grandes, puisque mesurant entre 14.34 m² et 22.07 m². Il ressort toutefois des plans versés à la procédure que d’autres pièces sont d’une surface plus importante, le salon mesurant 43.67 m² et la salle à manger 36.35 m². Il est établi que ces deux pièces constituent avec le bureau les pièces de réception et que cet ensemble de trois pièces mesure 104 m². Les représentants de la FONDATION D______ ont du reste précisé que le confort spatial des logements de C______ se caractérisait par de grands espaces, des enfilades de pièces et la dissociation entre espaces servants et servis. L’appartement compte par ailleurs un dressing, trois salles d’eau et au moins quatre toilettes.

Il n’est pas contesté que certaines parties de l’appartement présentent un aspect dégradé. L’intimée expose toutefois de manière convaincante que le dernier locataire a occupé les lieux pendant 48 ans, ce qui a limité l’intervention du propriétaire.

Au final, le TAPI n’a ainsi pas violé le droit en retenant principalement et après s’être rendu sur place qu’un appartement de près de 300 m², disposant de deux entrées – l’une pour le personnel de maison et l’autre pour les occupants – et doté de grands espaces avec vue sur le lac et les Alpes était luxueux même s’il est passablement dégradé, qu’il présente des éléments standards et que certaines pièces mesurent entre 14.34 et 22.07 m².

Au vu de ce qui précède, entièrement mal fondé, le recours sera rejeté. L’annulation des autorisations APA 1______ et APA 1______/2, en ce qu’elles prononcent le contrôle du loyer du logement après travaux, sera confirmée.

5.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de l’autorité recourante, qui défend sa propre décision (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à l’intimée, qui y a conclu et fait appel aux services d’un avocat, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 août 2023 par le département du territoire - OAC contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 juin 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à A______ FONDATION à la charge de l’État de Genève (département du territoire) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au département du territoire - OAC, à Mes David BENSIMON et Mélissa PALIN, avocats de A______ FONDATION, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Gaëlle VAN HOVE, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :