Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1052/2022

ATA/106/2024 du 30.01.2024 sur JTAPI/1248/2022 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1052/2022-PE ATA/106/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 janvier 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Gazmend ELMAZI, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 novembre 2022 (JTAPI/1248/2022)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1969, est ressortissant du Kosovo.

b. En 2008, il a déposé une demande de visa de visite auprès de la représentation Suisse à Pristina. Selon ses dires, il se serait installé en Suisse cette année-là.

c. Il a sollicité plusieurs visas entre 2018 et 2022 pour se rendre au Kosovo, pour raisons familiales.

B. a. Le 14 septembre 2018, par l'intermédiaire d'un syndicat, A______ a déposé une demande de régularisation de ses conditions de séjour, indiquant séjourner en Suisse depuis l'année 2008.

À l’appui de sa demande, il a notamment joint : un extrait AVS mentionnant des cotisations sociales pour les années 2011 (8 mois), 2012 (5 mois), 2013 (11 mois), 2014 (9 mois), 2015 (10 mois) et 2016 (10 mois), une attestation de réussite du niveau A2 à l'oral de français, des attestations de l'office des poursuites et de l'Hospice général, copie de son casier judiciaire, des décomptes de salaires de B______Sàrl des mois de mai à juillet 2018 et trois quittances du café C______ mentionnant qu’il y avait travaillé en novembre 2008, mars et décembre 2009.

b. Par courriel du 23 juillet 2019, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a requis des pièces complémentaires, soit notamment des justificatifs pour les années 2009 et 2010.

c. Le 8 août 2019, A______ a notamment transmis à l’OCPM deux attestations : l’une du 8 août 2019 de D______, qui indiquait le connaître depuis 2008, avoir régulièrement eu des contacts avec lui de 2008 à 2013 et l’avoir logé dans un appartement de sa société « E______Sàrl » d’août 2008 à fin mai 2013, et l’autre du 7 août 2019 d'F______, indiquant qu’il avait travaillé dans sa société G______ Sàrl de mai à septembre 2009 et d’avril à septembre 2010.

d. Par courriel du 22 août 2019, faisant suite à une demande de complément de l’OCPM, A______ lui a fourni les explications et pièces requises relatives à l’attestation d'F______ et du café C______.

e. Par courrier du 2 septembre 2019, l’OCPM a informé A______ être disposé à faire droit à sa demande et transmis le dossier au secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) pour validation, précisant que sa décision d’octroi d’un titre de séjour était soumise à l’approbation de cette autorité, laquelle était, en l’état, réservée.

f. Par courrier du 29 octobre 2020, le SEM a retourné le dossier à l’OCPM pour nouvel examen. Il émettait de forts doutes quant à la présence de l’intéressé en Suisse (notamment) entre 2008 et 2010, au vu des pièces produites. Il lui transmettait pour le surplus copies de diverses demandes de visa déposées par A______ entre 2016 et 2017.

g. Le 19 octobre 2021, l’OCPM a informé A______ de son intention de refuser de soumettre son dossier avec un préavis positif au SEM, de prononcer son renvoi de Suisse et de transmettre ses actes ultérieurement à cette autorité, afin qu’elle juge de l'opportunité de prononcer une interdiction d'entrée en Suisse (ci‑après : IES) à son encontre.

Quand bien même il pouvait justifier de sa présence en Suisse depuis l'année 2008, il existait une forte contradiction entre les pièces produites et les preuves de sa résidence au Kosovo. Ainsi, l'attestation de logement de D______ était en contradiction avec sa demande de visa déposée au Kosovo en octobre 2008. Il avait par ailleurs déposé plusieurs demandes de visa auprès des représentations de la Slovénie à Pristina, de la Pologne et de la République tchèque également à Skopje courant 2017. Dans le cadre de ces demandes, lors desquelles il était physiquement présent, il avait confirmé par écrit et joint des justificatifs de sa résidence à H______ (RKS), soit notamment : un compte bancaire à son nom, un document de la société « I______ » indiquant qu’il en était salarié et propriétaire, une attestation des autorités fiscales, un certificat d'enregistrement de sa société, une déclaration de vie commune du 8 février 2017 avec son épouse, ses enfants (nés en 1994 et 2000) et ses parents ainsi que divers documents confirmant sa résidence au Kosovo. Dans ces conditions, force était de retenir qu’il n’était pas en mesure de justifier un séjour prouvé et continu de dix ans minimum à Genève pour une personne célibataire et sans enfants scolarisés et que sa situation ne répondait pas aux critères de l'« opération Papyrus ».

Il ne remplissait pas non plus les critères relatifs à un cas individuel d’extrême gravité, au sens des art. 30 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et 31 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), n’ayant pas démontré une intégration socio-culturelle particulièrement remarquable, une très longue durée de séjour en Suisse, ni aucun élément permettant de déroger à cette exigence. Finalement, il n’avait pas démontré qu’une réintégration dans son pays d’origine aurait de graves conséquences sur sa situation personnelle indépendamment des circonstances affectant l’ensemble de la population restée sur place, étant rappelé qu’il y avait toujours son épouse, ses enfants et ses parents.

Un délai de 30 jours lui était octroyé pour faire valoir son droit d’être entendu.

h. Par courrier du 22 novembre 2021, A______ a réfuté avoir fait les demandes de visas telles que présentées dans le courrier d’intention. Il devait s’agir d’une autre personne. Il persistait dans sa demande de régularisation.

i. Par courriel du 25 novembre 2021, le nouveau conseil constitué pour la défense des intérêts de A______ a expliqué que le courrier précité du syndicat ne correspondait pas à la réalité et qu’il avait été adressé à l'OCPM sans le consentement de l’intéressé. Ce dernier s’était effectivement rendu au Kosovo mi‑mars 2017. Alors qu’il souhaitait revenir en Suisse en avril 2017, sa demande de visa lui avait été refusée. Il avait ainsi entrepris diverses démarches (ouverture d’une société notamment) et déposé plusieurs demandes de visas auprès d’autres ambassades afin de revenir le plus rapidement possible en Suisse, ce qu’il avait fait en juin 2017. Son séjour au Kosovo avait duré environ trois mois. En 2008, en raison de problèmes d’ordre privé, il s’était également brièvement rendu au Kosovo (moins d’un mois). Séjournant depuis environ treize ans en Suisse, il remplissait tous les critères de l'« opération Papyrus », une absence d’environ trois mois de Suisse n’étant pas considérée par le SEM comme une interruption de séjour.

j. Par décision du 25 février 2022, l’OPCM a refusé d’accéder à la demande de A______ et par conséquent de soumettre son dossier avec un préavis positif au SEM, reprenant les motifs invoqués dans sa décision d’intention. Il a en outre prononcé son renvoi, lui impartissant un délai au 25 avril 2022 pour quitter la Suisse et l'ensemble des territoires des États membres de l'union européenne ainsi que des États associés à Schengen.

C. a. Par acte du 4 juillet 2022, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné à l’OCPM de préaviser favorablement l’octroi d’un permis de séjour en sa faveur et de transmettre son dossier au SEM. Préalablement, il a requis l’audition de J______et K______.

Il avait produit des « preuves de catégorie A et B » pour ses quatorze années de séjour en Suisse. Les pièces versées à la procédure attestaient pour le surplus de son indépendance financière complète et de son intégration réussie. S’il s’était effectivement rendu brièvement au Kosovo en 2008, il convenait de rappeler que, dans sa pratique, l’OCPM exigeait des preuves de séjour pour les dix dernières années depuis la date du traitement de la demande d’autorisation, soit, en l’occurrence, 2019. Il confirmait ses explications s’agissant de son séjour de moins de trois mois au Kosovo en 2017, alors que son père était gravement malade. La création de sa société avait uniquement eu pour but de faciliter l’obtention d’un visa auprès d’une ambassade d’un État européen. Elle n’avait jamais eu d’activité, ce que démontrait l’attestation fiscale délivrée par le Ministère des finances du Kosovo, et il n’avait pas été employé par cette société durant les années 2017 à 2021. La décision de l’OCPM était arbitraire et disproportionnée.

Outre des pièces déjà versées, il joignait un certificat de travail du café C______ confirmant l’avoir employé en novembre 2008, mars et novembre 2009 et février 2010, diverses attestations de proches exposant le connaître, à Genève, depuis 2008, un extrait AVS actualisé mentionnant des cotisations de six mois en 2017, douze mois en 2018 et 2019 et dix mois en 2020, des documents médicaux de janvier et février 2017 relatifs à l’état de santé de son père ainsi qu’une attestation fiscale du Ministère des finances du Kosovo du 24 janvier 2022 indiquant « non employé dans le business pendant les années 2017 – 2021 il n’a pas travaillé » ainsi que « la personne est inscrite à l’AFK et n’a pas de dettes actuelles fiscales impayées ou autres dettes passives ».

b. Le 29 août 2022, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

Quand bien même A______ était venu travailler régulièrement dans le canton de Genève, il avait manifestement conservé le centre de ses intérêts au Kosovo où vivaient son épouse et leurs enfants et où il possédait une société. Ses explications en relation avec sa situation administrative au Kosovo et ses demandes de visa n’étaient pas convaincantes. Tout au plus, elles sous-entendaient qu’il aurait obtenu ou tenté d’obtenir indûment des visas dans l’espace Schengen, ce qui n’était pas un argument en sa faveur.

c. Le 13 juillet 2022, A______ a répliqué. Il n’était pas venu travailler régulièrement dans le canton de Genève mais y avait vécu de manière ininterrompue. Il n’avait jamais produit de faux documents ni fourni de fausses informations pour obtenir des visas. Les pièces produites démontraient qu’il remplissait tous les critères de l’« opération Papyrus ».

d. Par jugement du 18 novembre 2022, le TAPI a rejeté le recours.

A______ était marié et père de deux enfants vivant avec leur mère au Kosovo. Il avait par ailleurs déposé, depuis le Kosovo, plusieurs demandes de visas auprès de représentations européennes à Pristina et à Skopje en 2017, auxquelles il avait joint des justificatifs de sa résidence à H______, soit au Kosovo, ce qui tendait à confirmer son séjour discontinu à Genève. Vu en outre l'absence d'autres pièces permettant de justifier de manière probante la réalité d'un séjour continu de dix ans en Suisse, c'était sans abuser de son pouvoir d'appréciation que l'OCPM avait considéré qu'il ne pouvait pas se prévaloir de l'« opération Papyrus ».

Il ne remplissait par ailleurs pas les conditions d'un cas d'extrême gravité. Aucun élément ne laissait pour le surplus supposer que l'exécution de son renvoi ne serait pas possible, pas licite ou qu'elle ne pourrait être raisonnablement exigée.

D. a. Par acte posté le 3 janvier 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant préalablement à l'audition de trois témoins, soit K______, L______et M______et à la production par l'OCPM de toute directive ou document interne concernant les critères de l'« opération Papyrus », et principalement à l'annulation du jugement attaqué et à ce que l'OCPM se voie ordonner de préaviser favorablement auprès du SEM l'octroi d'un permis de séjour pour cas d'extrême gravité.

Il avait prouvé la réalité de son séjour en Suisse depuis 2008 au moyen de « preuves de catégorie A », catégorie pour laquelle un seul document par année était suffisant, et de « catégorie B ». Il avait aussi produit une attestation de connaissance de la langue française, un extrait – vierge – de casier judiciaire et avait démontré sa complète indépendance financière.

Le TAPI avait procédé à une constatation inexacte des faits pertinents, puisqu'il avait produit tous les documents nécessaires à sa régularisation, que ce soit sous l'angle de l'« opération Papyrus » ou selon les critères postérieurs publiés dès 2019 par l'OCPM.

Le jugement attaqué ne respectait pas les principes de la proportionnalité et de l'égalité de traitement. Le TAPI avait à tort estimé que l'intéressé devait démontrer un séjour continu de dix ans au jour de sa requête, ce qui était faux, l'OCPM exigeant dans sa pratique les preuves de séjour pour dix années en partant de celle où il procédait à l'examen final de la demande. L'audition de K______, chef du secteur protection, asile et retour de l'OCPM permettrait de le démontrer. L'OCPM avait toujours agi de cette façon, et il n'y avait pas de raison qu'il fût le seul à être traité différemment, étant rappelé qu'il avait fallu à l'OCPM 41 mois pour traiter sa demande, soit un délai anormalement long.

Le critère de la présence continue depuis dix ans était ainsi rempli, de même que tous les autres critères (indépendance financière, maîtrise de la langue et absence d'antécédents pénaux), lesquels ne faisaient pas débat, si bien qu'il remplissait les conditions d'octroi d'une autorisation de séjour pour cas d'extrême gravité.

Il joignait diverses pièces, notamment une attestation de B______Sàrl, signée par son directeur M______, ainsi qu'une autre de L______, collègue du recourant au sein de l'entreprise précitée, attestations selon lesquelles il avait travaillé dans l'entreprise depuis le 7 mars 2013 à l'exception d'une période de deux mois en avril et mai 2017.

b. Le 1er mars 2023, l'OCPM a conclu au rejet du recours, ce dernier n'étant pas de nature à modifier sa position en l'absence d'éléments nouveaux ou probants. Les critères de l'« opération Papyrus » n'apparaissaient pas réalisés faute d'un séjour continu suffisant au moment de la demande de régularisation, soit en septembre 2018. Les conditions du cas de rigueur n'étaient pas non plus remplies à défaut de circonstances exceptionnelles en termes d'intégration et de rattachement véritable du recourant à la Suisse.

c. Le 12 mai 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions, rappelant que son dossier n'avait été traité qu'en 2022 et qu'il avait demandé la production des directives de l'OCPM concernant les critères de l'« opération Papyrus ».

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             À titre préalable, le recourant conclut à l'audition de trois témoins, soit K______, L______et M______et à la production par l'OCPM de toute directive ou document interne concernant les critères de l'« opération Papyrus ».

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit à l’audition orale ni à celle de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1), étant rappelé que la procédure administrative est en principe écrite (art. 18 LPA).

2.2 En l’espèce, le recourant s’est vu offrir l’occasion d’exposer ses arguments et de produire toute pièce utile tant devant l’OCPM que le TAPI et la chambre de céans. L'OCPM s'étant exprimé de manière autorisée dans ses diverses décisions et écritures, il n'y a pas lieu d'entendre l'un de ses chefs de service pour confirmer ou infirmer sa pratique. Quant à l'audition de L______et M______, ces derniers ont déjà signé des attestations que le recourant a jointes à son recours, et quoi qu'il en soit leur témoignage n'aurait pas d'incidence sur l'issue du litige au vu des pièces figurant déjà au dossier.

S'agissant de la production de directives ou de documents internes de l'OCPM au sujet de l'« opération Papyrus », elle ne servirait de rien au recourant, le fait que les dix ans de séjour continu se compte rétrochronologiquement à partir de la date de dépôt de la demande, soit nécessairement à partir d'une date antérieure au 31 décembre 2018, résultant d'une abondante jurisprudence de la chambre de céans (parmi les plus récents arrêts : ATA/1341/2023 du 12 décembre 2023 consid. 4.8 ; ATA/1257/2023 du 21 novembre 2023 consid. 3.8 ; ATA/1127/2023 du 6 octobre 2023 consid. 3.6 ; ATA/650/2023 du 20 juin 2023 consid. 3.10).

Il ne sera dès lors pas donné suite aux demandes d'actes d'instruction.

3.             Le recourant soutient qu’il remplit les conditions permettant l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas d’extrême gravité, y compris celles prévues par l’« opération Papyrus ».

3.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la LEI et de l’OASA. Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l’espèce, avant le 1er janvier 2019 sont régies par l’ancien droit.

3.2 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

3.3 L'art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur au moment des faits, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse (let. b), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière ainsi que de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI, état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

3.4 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2).

La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

3.5 L'« opération Papyrus » développée par le canton de Genève a visé à régulariser la situation des personnes non ressortissantes de l’UE/AELE bien intégrées et répondant à différents critères, à savoir, selon le livret intitulé « Régulariser mon statut de séjour dans le cadre de Papyrus » (disponible sous https://www.ge.ch/regulariser-mon-statut-sejour-cadre-papyrus/criteres-respecter), avoir un emploi ; être indépendant financièrement ; ne pas avoir de dettes ; avoir séjourné à Genève de manière continue sans papiers pendant cinq ans minimum (pour les familles avec enfants scolarisés) ou dix ans minimum pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires ; faire preuve d'une intégration réussie ; absence de condamnation pénale (autre que séjour illégal).

L'« opération Papyrus » n'emportait aucune dérogation aux dispositions légales applicables à la reconnaissance de raisons personnelles majeures justifiant la poursuite du séjour en Suisse (art. 30 al. 1 let. b LEI), pas plus qu'à celles relatives à la reconnaissance d'un cas individuel d'extrême gravité (art. 31 al. 1 OASA), dont les critères peuvent entrer en ligne de compte pour l'examen desdites raisons personnelles majeures (ATA/584/2017 du 23 mai 2017 consid. 4c).

3.6 Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit néanmoins être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

3.7 Dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI). L'autorité compétente dispose d'un très large pouvoir d'appréciation dans le cadre de l'examen des conditions de l'art. 31 al. 1 OASA.

3.8 En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction, en analysant la force probante des preuves administrées, dont ni le genre, ni le nombre n'est déterminant, mais uniquement la force de persuasion (art. 20 al. 1 LPA ; ATA/50/2024 du 16 janvier 2024 consid. 2.11 ; ATA/382/2023 du 18 avril 2023 consid. 5b).

3.9 En l'espèce, le recourant soutient être établi en Suisse de manière ininterrompue depuis 2008 et avoir prouvé sa présence par pièces depuis cette date.

Il ne peut être suivi. Il n’a pas apporté la preuve d’un séjour continu, comme l’a relevé à bon droit le TAPI. Ce dernier a pris en compte notamment ses cotisations AVS très irrégulières durant la période considérée, pour des périodes allant de cinq à onze mois par année, et des périodes de travail allant seulement de un à huit mois de 2008 à 2013 puis de six mois en 2017 ; le fait que le recourant est marié et père de deux enfants, vivant avec leur mère au Kosovo ; qu'il avait déposé en 2017, depuis le Kosovo, plusieurs demandes de visas auprès des représentations de la Slovénie à Pristina, de la Pologne à Skopje et de la République tchèque également à Skopje, auxquelles il a joint des justificatifs de sa résidence à H______, en particulier une déclaration de vie commune avec son épouse au Kosovo ainsi que la création d'une société sur place. Il a conclu que le recourant n’avait pu séjourner de manière continue dix ans en Suisse au moment du dépôt de sa requête en mai 2018, et qu’un séjour ininterrompu ne pouvait être retenu que depuis cette date.

Le recourant ne remet cette analyse en question que sous deux angles. Pour le décompte de son séjour continu de dix ans, il soutient que celui-ci doit remonter dans le temps à partir de l'année de traitement de la demande, et qu'une seule « preuve de catégorie A » est nécessaire pour chaque année. Comme déjà exposé, il résulte de la jurisprudence de la chambre de céans que pour bénéficier de l'« opération Papyrus », il y avait lieu de prouver dix ans de séjour continu en remontant à la date du dépôt de la demande. S'agissant des catégories de preuve, le recourant perd de vue qu'il s'agissait là uniquement de lignes directrices permettant de simplifier le traitement des demandes, et non d'un quelconque système de preuves légales, lesquelles seraient contraires au principe de la libre appréciation des preuves. Or, le raisonnement du TAPI exposé ci-dessus échappe à toute critique s'agissant de la discontinuité du séjour du recourant. Il en résulte qu'il ne pouvait pas bénéficier de l'« opération Papyrus ».

Du point de vue des conditions ordinaires du cas d'extrême gravité, l’intégration professionnelle du recourant, qui a travaillé dans la restauration et la construction, ne saurait être qualifiée d’exceptionnelle. Le fait de disposer d’un emploi, d’être autonome financièrement et d’entretenir sa famille, de n’avoir ni poursuites ni dettes, de ne pas émarger à l’aide sociale et de maîtriser le français au degré requis constituent des qualités pouvant être attendues de tout candidat à la régularisation de ses conditions de séjour.

Le recourant ne fait pas valoir qu’il aurait acquis en Suisse des connaissances si spécifiques qu’il ne pourrait en tirer profit dans un autre pays. Au plan social, il ne fait pas valoir d’intégration particulière et ne soutient notamment pas s’être investi dans la vie culturelle, sportive ou associative. Sa femme et ses enfants vivent au Kosovo, et il a produit en 2017 auprès de représentations européennes une attestation de vie commune avec elle. Il a de plus sollicité plusieurs visas entre 2018 et 2022 pour se rendre au Kosovo pour raisons familiales, ce qui achève de démontrer qu'il a encore des liens forts avec son pays d'origine.

Le recourant est âgé de 54 ans et apparemment en bonne santé. Sa réintégration au Kosovo ne sera sans doute pas aisée, mais elle ne présentera pas de difficultés supérieures à celles affrontées par ses compatriotes qui se trouvent dans la même situation. La durée de son séjour en Suisse ne permet en aucun cas de retenir que le retour constituerait un déracinement ou entraînerait pour lui une détresse profonde. Il pourra faire valoir au Kosovo l’expérience acquise en Suisse, et retrouvera sur place son épouse et ses deux enfants.

Il découle de ce qui précède que le refus de transmettre au SEM le dossier du recourant avec un préavis favorable est conforme au droit, les conditions d'un cas d'extrême gravité n'étant pas remplies.

4.             Il convient encore d’examiner si le renvoi prononcé par l’OCPM est fondé.

4.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation. Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI).

4.2 En l'espèce, dès lors qu'il a, à juste titre, refusé l’octroi d’une autorisation de séjour au recourant, l'intimé devait prononcer son renvoi. Le recourant n’invoque aucun élément permettant de retenir que son renvoi ne serait pas possible, licite ou ne pourrait raisonnablement être exigé, et de tels éléments ne ressortent pas non plus du dossier.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l'issue du recours, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 janvier 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 novembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gazmend ELMAZI, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.