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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2003/2022

ATA/1366/2023 du 19.12.2023 sur JTAPI/882/2023 ( ICC ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : DROIT FISCAL;IMPÔT CANTONAL ET COMMUNAL;IMPÔT SUR LE BÉNÉFICE DES ENTREPRISES;ÉTABLISSEMENT STABLE;REPORTAGE;DOCUMENT ÉCRIT;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;DROIT DE S'EXPLIQUER
Normes : Cst.29.al2; LPA.19; LPA.22; CC.8; LIPM.3; LPA.69.al3
Résumé : À la suite d'un contrôle de l'administration fiscale dans les locaux de la société sœur de la recourante, l'autorité intimée a retenu l'existence d'un établissement stable à Genève. Il n'apparaît toutefois pas que la recourante ait pu prendre connaissance du compte rendu établi par les contrôleurs fiscaux à la suite de leur visite et se déterminer à son propos. En outre, d'autres points méritent des éclaircissements, compte tenu du dossier peu documenté fourni par l'intimée. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2003/2022-ICC ATA/1366/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 décembre 2023

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Antoine BERTHOUD, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 août 2023 (JTAPI/882/2023)


EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) est une société anonyme qui a été inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève entre le 9 juillet 1982 et le 3 décembre 2008, date à laquelle elle a transféré son siège à H______ dans le canton de Schwytz, avec comme but notamment l'importation, la fabrication, la vente, l'installation et la réparation d'appareils électroniques, particulièrement dans le domaine de l'audiovisuel.

Son siège genevois se situait à l’adresse B______ dans la commune de C______, qui correspondait à celle du domicile de son actionnaire et administrateur unique (avec signature individuelle), D______.

Selon le registre informatisé « Calvin » de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), ce dernier a également quitté Genève, le 1er décembre 2008, pour H______.

b. D______ est également l'associé-gérant, avec signature individuelle, d’E______ (ci-après : E______).

Il détient 49 parts (sur 50) du capital social de cette société, une part étant détenue par son épouse. À teneur du RC de Genève, son but est l'importation, le commerce et la réparation d'appareils audiovisuels et de communication professionnels ; l'étude, la conception et la réalisation d'installations audiovisuelles et de communication professionnelles, l'engineering, l'expertise de problèmes en matière audiovisuelle et de communication. Son siège se situe au B______ à C______. Elle dispose de locaux sis F______ à G______.

B. a. Du 15 au 17 janvier 2018, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC‑GE) a effectué un contrôle dans les locaux d’E______.

Les contrôleurs fiscaux se sont entretenus avec des collaborateurs présents sur place.

b. Le 26 novembre 2020, l'AFC-GE a informé A______ de l’ouverture à son encontre de procédures en rappel et en soustraction d’impôts pour les années 2010 à 2014 et d’une procédure en tentative de soustraction pour les années 2015 à 2018. Selon les informations dont elle disposait, la contribuable exerçait, à tout le moins depuis 2010, une partie de ses activités commerciales dans les locaux de G______. De ce fait, elle entendait l’assujettir aux impôts à Genève de manière limitée. La contribuable était invitée à lui remettre ses grands livres 2010 à 2018 ainsi que « des propositions » de répartition intercantonale pour toutes ces périodes fiscales.

c. Le 31 mai 2021, A______ a indiqué être l'importateur officiel et « en partie exclusif » de systèmes audiovisuels pour la Suisse et qu’elle les vendait à des revendeurs et partenaires dans le pays. L’un de ces revendeurs était E______, qui vendait et installait des systèmes de communication audiovisuelle à des organisations internationales, entreprises, écoles, universités et autres clients depuis plus de 30 ans. Outre ses propres produits, elle proposait ceux de fournisseurs tiers. Elle fournissait des services également à E______ en les facturant au prix du marché. Elle ne maintenait aucune installation commerciale fixe à Genève et, donc, aucun établissement stable au sens de la loi, si bien qu’aucune répartition intercantonale ne devait être établie. Elle ne produirait donc pas ses grands livres 2010 à 2018.

d. Le 10 décembre 2021, l'AFC-GE a notifié à A______ un bordereau de taxation pour les impôts cantonal et communal (ci-après : ICC) 2016, à teneur duquel son bénéfice (CHF 519’325.- après un préciput de CHF 129'831.- attribué au canton de Schwytz) était imposé à Genève à concurrence de 50 %, tandis que son capital imposable était entièrement attribué au canton de Schwytz.

e. A______ a formé réclamation contre ces bordereaux, concluant à ce qu’ils soient déclarés « sans objet » et à l’annulation de son assujettissement limité à Genève.

Les produits qu’elle commandait à l’étranger étaient livrés à l'entrepôt d’E______, d’où ils étaient transmis aux clients. E______ « achetait » des services de ses employés à A______, pour l'accomplissement de certaines tâches administratives et notamment pour des travaux de comptabilité. Ces mandats étaient rémunérés aux prix du marché et comptabilisés par les deux sociétés.

Elle ne disposait d'aucune installation commerciale fixe dans le canton de Genève. L'entrepôt d’E______, où les produits commandés par A______ étaient livrés et réexpédiés, n’était qu’un simple entrepôt de transit. Son utilisation pour stocker temporairement des produits s'expliquait par le fait que le siège des deux sociétés se trouvait dans la même commune genevoise, avant son déplacement à H______. À part cet entrepôt et l'exécution « commune de commandes de tiers », les deux sociétés sœurs n'avaient aucun point de contact. Le déroulement technique de l'approvisionnement ainsi que la vente effective des produits s'effectuaient depuis ses bureaux à H______ et non pas dans le canton de Genève. La livraison des produits à l'entrepôt d’E______ et leur transmission aux clients finaux était de nature secondaire et rémunérée de manière appropriée. Le simple stockage local de produits, sans gestion ni exploitation d'un entrepôt, constituait une activité quantitativement négligeable et ne générait pas de rendement économique permettant de considérer qu'il s'agissait d'un établissement stable. Ses principales activités commerciales se déroulaient exclusivement à H______.

Les deux employés d'A______, qui travaillaient parfois pour E______, n'exerçaient pas d'activités commerciales pour A______ durant leurs activités pour E______. En conséquence, ils étaient rémunérés séparément pour leurs mandats d'importance mineure exécutés chez E______.

Enfin, elle disposait de locaux à H______ qui lui permettaient d'exercer pleinement ses activités « en relation avec les visites régulières et étendues de ses clients ».

Différentes pièces étaient annexées, dont un contrat de location du 13 décembre 2008. Toutefois, ces dernières ne figurent pas au dossier produit par l'AFC-GE.

f. Par décision du 17 mai 2022, l'AFC-GE a rejeté la réclamation, maintenu l'assujettissement à l'impôt à Genève en raison d'un rattachement économique au sens de la loi et maintenu le bordereau de taxation ICC 2016.

Elle s’est fondée sur les éléments suivants :

-          lors du contrôle d’E______, les trois employés de la contribuable, soit D______, I______ et J______, se trouvaient dans les locaux de cette première, où ils disposaient de places de travail fixes ;

-          des classeurs, des documents et des « pelles de classements » d'A______ se trouvaient dans les locaux d’E______ à G______ ;

-          un contrôle de la TVA de la contribuable avait eu lieu dans ces mêmes locaux ;

-          les comptes de la contribuable étaient établis en français, par le même mandataire, situé à Genève, que celui d’E______ ;

-          la carte de visite qu'I______ avait remise lors du contrôle mentionnait l’adresse genevoise de la contribuable ainsi que ses numéros de téléphones et de télécopie genevois ;

-          I______ était responsable de la préparation du matériel « Crestron » distribué par la contribuable. La préparation du matériel à destination de la Suisse Romande s'effectuait dans les bureaux à G______. I______ fournissait du conseil sur les projets importants des « intégrateurs » (entreprises tierces qui effectuaient l'installation), comme l'entité sœur, quant au produit « Crestron » les plus adaptés. Il avait indiqué, lors du contrôle, travailler environ 50% de son temps à G______ et environ 50% à Schwytz. Il disposait dans les locaux à G______ d’un bureau contenant divers documents établis aux noms de la contribuable et d’E______ ainsi que d’une pièce beaucoup plus grande destinée au contrôle technique des objets « Crestron ». Cette pièce était utilisée en tant qu’atelier et disposait de tout l'outillage nécessaire pour effectuer cette activité ;

-          J______, qui effectuait des tâches administratives pour les deux sociétés, était présente à G______ une partie de la semaine et y disposait également d’un bureau ;

-          D______ – qui s'occupait de la prospection, du design et de la programmation – possédait également un bureau dans les locaux à G______ et y disposait de tout le matériel nécessaire pour effectuer son travail ;

-          à Schwytz, les locaux de la contribuable se situaient dans l'habitation privée d'D______, qui y vivait avec J______. L'appartement en question comportait 2,5 pièces d'environ 80 m2 et était loué à l'entité sœur ;

-          les comptes 2016 de la contribuable ne faisaient état d’aucune immobilisation (matériel informatique, matériel de bureau ou autres), excepté un véhicule. Les charges d’exploitation étaient très basses. Par exemple, le coût annuel de l’électricité n’était que d’environ CHF 240.-. Les seules charges importantes étaient les salaires des employés ;

-          en 2018, au moment du contrôle sur place, le site internet de la contribuable indiquait qu’elle avait une succursale à G______ à l'adresse d’E______ ;

-          à la suite du contrôle d’E______ et aux remarques formulées par les contrôleurs sur place, la contribuable avait modifié son site internet en supprimant la mention de l'adresse genevoise. Néanmoins, pendant un certain temps, la carte géographique y figurant continuait à mentionner l'adresse genevoise même si celle-ci n'était plus formellement indiquée sur le site ;

-          les factures adressées par la contribuable à ses clients mentionnaient simultanément les adresses et les numéros de téléphones et de fax de la succursale à Genève et du siège à H______.

Au vu de ces éléments, A______ avait constitué un établissement stable dans le canton de Genève. L'AFC-GE avait réparti le bénéfice et le capital imposables entre le siège et la succursale de la manière suivante : les actifs avaient été attribués au siège (Schwytz), et partant l'intégralité du capital propre, et le bénéfice restant, après octroi d'un préciput au siège, avait été réparti à 50% à la succursale de Genève et à 50% au siège, considérant la répartition sur les différents sites du temps de travail d'D______.

C. a. Par acte 16 juin 2022, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation.

Son activité se déployait dans le domaine des installations professionnelles de communication audio-visuelle, en particulier de vidéoconférence. À titre principal, elle œuvrait dans le concept de projets d'infrastructures (établissement des plans, détail du matériel et budget), dont l'installation était effectuée par des entreprises tierces (« intégrateurs »). Une fois l'installation effectuée, elle assurait un support technique et le développement des logiciels. Par ailleurs, elle était le distributeur en Suisse de « plusieurs marques de pointe reconnues dans le monde professionnel », qu’elle livrait aux « intégrateurs ».

E______ avait pour activité principale l'installation de systèmes de communication audio-visuelle. A______ lui vendait du matériel.

A______ avait trois collaborateurs, soit D______, I______ et J______. Le premier, lorsqu'il n’était pas en déplacement chez les clients, effectuait principalement son travail depuis son domicile de H______. J______ assumait tout le suivi administratif, activité qu'elle effectuait exclusivement depuis le domicile d'D______, dont elle était la compagne. Elle consacrait environ 64 heures de travail par mois au suivi administratif d’E______, activité qu’elle accomplissait dans ses locaux situés à G______. I______ était le responsable technique. Il accomplissait son activité principalement dans les locaux des clients. Il n'effectuait aucune réparation de matériel et n'avait pas besoin d'un atelier. Pour les interventions « logicielles sur les installations », il utilisait un ordinateur portable chez les clients. Il disposait d'un bureau à H______ et venait occasionnellement dans les locaux d’E______ à G______, où il ne disposait toutefois d'aucune place de travail fixe.

A______ ne disposait d'aucun stock physique. Le matériel choisi par ses clients était commandé à l'étranger et livré en Suisse. Pour des raisons « historiques et pratiques », ce matériel transitait par les locaux d’E______ à G______, qui ne fonctionnait que comme lieu de stockage temporaire géré par un magasinier.

En janvier 2017, E______ avait fait l'objet d'un contrôle TVA. Lorsqu'il était sur place, le contrôleur avait demandé à étendre son examen à la société sœur, soit à A______. Pour « lui être agréable », D______ avait accepté de transférer ses dossiers de H______ à G______, ce qui expliquait leur présence lors du contrôle effectué par l’AFC-GE en 2018.

Compte tenu de ces éléments, A______ ne disposait, en 2016, d'aucune installation fixe dans le canton de Genève. Le seul fait d'utiliser régulièrement les locaux d’E______ « pour la réception et la réexpédition de matériel commandé » par A______ n'était pas, « en tant que simple lieu de stockage », constitutif d'établissement stable.

b. L'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Lors du contrôle mené dans les locaux d'E______, D______ avait indiqué qu'il était ingénieur en informatique, n'était pas salarié d’E______, mais de la contribuable, et s'occupait pour A______ du développement d'installations professionnelles audiovisuelles (logiciels software, design et autres). Ces produits, une fois finalisés, étaient revendus à E______, qui les commercialisait grâce aux contacts d'D______. Selon les indications de ce dernier, E______ louait un appartement situé à H______, d’une surface d’environ 80 m2, soit 2,5 pièces, à A______ qui le sous‑soulait à D______. Il utilisait cet appartement à la fois comme son logement et comme bureau de la contribuable. La délocalisation d'A______ à H______ avait été opérée pour des raisons privées, mais également au motif qu’à Genève, elle était éloignée de l'important marché allemand.

Lors de leur visite des locaux à G______ en janvier 2018, les contrôleurs fiscaux avaient constaté que le bâtiment où travaillaient les employés d'A______ et d’E______ se composait de deux étages. Le rez-de-chaussée comportait des bureaux, une salle de conférence, une salle de montage et une cuisine. Au sous-sol se trouvaient une salle d'archives et un entrepôt où était stocké le matériel d'A______. Ce bâtiment appartenait à E______, qui disposait d'un droit de superficie sur le terrain. D______ y disposait d’un bureau pour son activité de salarié chez A______. Celle-ci versait un loyer à E______ pour la location de ce bureau. D______ avait indiqué aux collaborateurs de l'AFC-GE qu'il se rendait à Genève deux à trois fois par semaine pour son activité pour le compte d'A______. Il séjournait alors dans une maison sise à Segny, en France voisine.

I______ avait indiqué aux contrôleurs de l'AFC-GE être responsable de la réparation du matériel « Crestron » distribué par A______ et fournir des conseils à des « intégrateurs » sur des produits « Crestron » les plus adaptés. La facturation finale était établie par A______. Pour cette activité, il disposait de deux pièces dans ce bâtiment, soit un bureau et un atelier avec l'outillage nécessaire. Il avait expliqué que les bureaux genevois d'A______ étaient utilisés pour la réparation du matériel à destination de la Suisse romande, tandis que le bureau à H______ était destiné au matériel distribué en Suisse alémanique. Il passait la moitié de la semaine à Schwytz (soit du jeudi au vendredi) et la nuit du jeudi au vendredi à l'hôtel. Le trajet de son domicile de K______ à H______, qu'il effectuait avec son véhicule privé, durait environ 2h30, alors que selon le calculateur d'itinéraire du Touring Club Suisse Genève (ci-après : TCS), le temps de parcours annoncé était de 3h57, avec un départ à 8h20 (distance de 339 km et 3h31 sans trafic). I______ avait répondu, mais après une longue hésitation, aux contrôleurs de l'AFC-GE que la nuit d'hôtel passée dans le canton de Schwytz lui était remboursée par A______. Il avait remis auxdits contrôleurs sa carte de visite mentionnant l'adresse des bureaux genevois d'A______ et des numéros de téléphone genevois.

Les contrôleurs de l'AFC-GE avaient aussi constaté qu'J______, troisième employée d'A______, avait également un bureau dans les locaux à G______ et y disposait de tout le matériel nécessaire à son activité (notamment courriers, classeurs, pelles, etc., au nom d'A______). Le contrôle initial d'E______ par l'autorité fiscale en matière de TVA avait eu lieu en septembre 2017, et celui de l'AFC-GE en janvier 2018.

Dans la mesure où l’appartement de 80 m2 à H______ servait non seulement de bureau pour l'activité menée par A______ en Suisse alémanique, mais également de domicile d'J______ et D______, il était difficilement imaginable que toute sa documentation comptable y fût stockée. Par ailleurs, L______, une employée d’E______, avait indiqué « donner un coup de main de temps en temps » à A______, lorsque celle-ci avait beaucoup de travail, ce qui expliquait le fait que son nom figurait régulièrement sur les factures établies par la contribuable. Ainsi, cette employée devait disposer, à G______, des dossiers d'A______.

Des factures établies en 2015 et 2016 à l’attention des clients mentionnaient comme adresse, de même que numéros de téléphone et de télécopie, tant ceux de son adresse genevoise que ceux du siège social à H______, ce qui démontrait qu’elle exerçait son activité à tout le moins à parts égales entre son siège social et l'établissement stable de G______. En outre, ses bilans 2015 et 2016, établis par une société genevoise, ne faisaient état d’aucune immobilisation ou stocks.

Après le contrôle de janvier 2018, le site internet d'A______ faisait seulement référence à son adresse dans le canton de Schwytz, alors qu'elle mentionnait auparavant non seulement son siège social, à H______, mais également, sous « succursale » l'adresse de ses locaux, au F______, à G______. Le site internet d'E______ indiquait qu'D______, I______ et J______ étaient ses employés, alors que dans son recours, A______ précisait que ces personnes étaient ses salariés à elle. Depuis lors, le site internet d'E______ avait été modifié en ce sens que sous la rubrique « composition du personnel » d'E______, il n'était plus fait mention que du « chef d'entreprise : D______ ». Les noms d'I______ et d'J______ ne figuraient désormais plus sur le site internet d'E______.

La régularité de la présence de ces trois salariés – chargés respectivement du développement des produits, de la réparation du matériel « Crestron » et du suivi administratif d'A______ dans les locaux de G______ – permettait de qualifier ceux‑ci d'installation fixe et permanente dans laquelle était exercée une partie quantitativement et qualitativement importante de l'activité technique et commerciale d'A______. Les locaux de G______ ne servaient ainsi pas seulement de simple « lieu de stockage temporaire géré par un magasinier ».

Il en résultait qu'A______ exploitait un établissement stable à Genève au sens du droit intercantonal, créant un rattachement économique et donc un assujettissement limité d'A______ dans le canton de Genève, nonobstant l'existence de son siège à H______, dans le canton de Schwytz.

L'AFC-GE a produit notamment une carte de visite établie au nom d'A______, pour I______, mentionnant exclusivement les bureaux de la rue M______ à G______, et les numéros de téléphones et de télécopie à Genève, une facture établie le 30 novembre 2015 d'un transporteur adressée à A______ mentionnant l'adresse à G______, des factures établies par L______ en 2015 et 2016 au nom d'A______ comportant les adresses à G______ et à Schwytz, une page internet (non datée) d'A______. Selon cette pièce, son « siège social » se situait à H______ et elle disposait d’une « succursale » à G______. L'AFC-GE a également remis une page internet imprimée le 19 septembre 2022 du site d'A______ ne mentionnant que l'adresse du siège social dans le canton de Schwytz, une page internet (non datée) d'E______ mentionnant que celle-ci employait treize personnes avec un rayon d'activité principal sur la Suisse romande ; une société sœur de taille identique s'occupait des projets en Suisse alémanique (D______, I______ et J______ figuraient dans la « Composition du personnel » d'E______), la page internet imprimée le 19 septembre 2022 du site d'E______ ne faisant pas mention de la société sœur, ni d'I______ ou d'J______. D______ figurait toujours dans la composition du personnel.

c. Dans sa réplique, A______ a relevé qu’D______, I______ et J______ ne travaillaient pas pour A______ à G______. Elle n’y déployait pas une activité commerciale, mais y disposait seulement d’un entrepôt, dans lequel elle stockait temporairement des articles commandés pour les clients et qui leur étaient livrés à partir de ce lieu. Aucun document produit par l'AFC-GE ne démontrait le contraire.

D______ ne disposait pas d'un bureau à G______. Le versement du loyer, relevé par l'AFC-GE dans sa réponse, correspondait à la location de locaux situés à H______, dont E______ était propriétaire, et non un loyer pour des locaux de G______.

I______ avait indiqué à A______ ne pas avoir tenu les propos rapportés par l'AFC-GE. En particulier, celui-ci n'effectuait aucune réparation ni contrôle du matériel « Crestron » et ne disposait d'aucun atelier à cet effet. Il avait nié avoir remis à l'AFC-GE sa carte de visite professionnelle, et les numéros de téléphone y figurant n'étaient plus utilisés depuis des années. L'adresse électronique n'était pas non plus celle d'A______.

Les factures produites par l'AFC-GE ne permettaient pas de justifier l'existence d'un établissement stable à Genève dans la mesure où elles provenaient d'un ancien stock de papier utilisé. Les propos prêtés à L______ étaient également contestés. Il était en revanche possible qu'elle eût préparé les factures destinées à E______, raison pour laquelle son nom y figurait.

L'absence, dans ses bilans, d'immobilisations et de stocks confirmait ce qu’elle avait déjà indiqué, à savoir qu'elle ne procédait à des commandes de matériel auprès des fournisseurs qu'en vue de leur livraison immédiate aux clients. Dès lors, l'entreposage à G______ n'était que temporaire et ne pouvait donc constituer un établissement stable.

Son site internet était à l'abandon depuis plusieurs années, parce qu'elle n'y effectuait aucune vente par ce canal. Pour cette raison, sa mise à jour avait été effectuée tardivement.

d. Dans sa duplique, l'AFC-GE s’est étonnée qu'A______ soutienne que la carte de visite d'I______ n'aurait pas été remise par ce dernier aux contrôleurs, alors même qu'une copie avait été jointe à la réponse du 22 septembre 2022. À toutes fins utiles, elle en produisait l’original, observant que cette pièce ne pouvait pas se trouver dans son dossier sans avoir été remise par l’intéressé lui-même ou par D______.

À la suite du contrôle de janvier 2018, ses contrôleurs avaient établi, le 6 février 2018, un compte rendu des éléments constatés et des entretiens qu’ils avaient tenus notamment avec D______, I______ et L______. C’était dans le cadre de leur fonction, qui relevait du pouvoir d'autorité, que les contrôleurs avaient établi ce compte rendu. Ils étaient au bénéfice d'une carte de légitimation attestant de leur statut de fonctionnaires d’une autorité publique. De manière générale, les comptes rendus par des fonctionnaires, dans le cadre de leurs prérogatives légales, avaient une force probante particulière. Un simple déni d'éléments factuels consignés par eux ne pouvait remettre en cause leur force probante.

D______ avait informé les contrôleurs du fait qu’il n’était pas salarié d’E______, mais d'A______, et fourni les renseignements sur I______ et J______. Il leur avait par ailleurs indiqué que lors de ses venues à Genève (deux à trois jours par semaine), il occupait un appartement de fonction situé en France voisine (N______) et qu’E______ ne refacturait pas à la contribuable son utilisation des locaux et aménagements à G______. On devait en déduire que si D______ disposait d'un appartement de fonction lorsqu'il venait travailler à Genève deux à trois jours par semaine, c'était pour éviter de faire les trajets de H______ à Genève et, qu'en journée, il travaillait dans les locaux ______ de ses deux sociétés, en s'occupant de leurs affaires commerciales et de la gestion de leurs employés.

L'AFC-GE détaillait les éléments recueillis auprès d'I______ lors de l'entretien du 16 janvier 2018 avec les contrôleurs. Il leur avait expliqué que les bureaux genevois (c/o E______) étaient utilisés pour la réparation du matériel à destination de la Romandie tandis que le bureau à H______ (siège d'A______) était destiné au matériel distribué en Suisse alémanique. Sa carte de visite leur avait été remise à ce moment-là.

Il ne découlait pas de l'expérience de la vie et du bon sens que l'administrateur et détenteur des deux sociétés, qui partageaient le même espace professionnel à G______, travaillait exclusivement pour E______ lorsqu'il était à Genève et pour A______ seulement depuis son bureau de H______. Ce prétendu découpage de l'activité commerciale exercée par D______ pour ses deux sociétés avait pour finalité de préserver l'assujettissement d'A______ uniquement dans le canton de Schwytz, même si son activité commerciale s’effectuait également à Genève. À cela s’ajoutait le fait que les locaux d'A______ à H______ étaient situés dans le logement d'D______ et d'J______.

Les contrôles TVA des deux sociétés avaient eu lieu en janvier et mai 2017. Si le back office était mené de manière aussi étanche que le soutenait A______, ses dossiers auraient dû logiquement être retransférés à H______ après le contrôle TVA d'A______. Tel n'avait pas été le cas, puisque des dossiers de la contribuable avaient été trouvés dans les locaux à G______.

Elle reprenait son argumentation précédente, en reproduisant –vraisemblablement – des extraits du contenu du compte rendu de ses contrôleurs du 6 février 2018 sans toutefois produire ledit document.

e. A______ a répondu que les explications de l'AFC-GE à propos de sa prise de possession de la carte de visite d'I______ étaient contradictoires et confuses, si bien que ce document n'avait aucune force probante. Il pouvait s'agir d'une ancienne carte de visite, plus utilisée par I______, découverte fortuitement à l'occasion du contrôle sur place.

Alors que l'AFC-GE faisait référence à un compte rendu du déroulement du contrôle et des entretiens menés, l'administration fiscale n'avait produit ni ce document ni les procès-verbaux des auditions.

Elle contestait les propos prêtés à I______, D______ et L______. Enfin, elle n'était pas responsable d'une erreur dans la facture émise par un fournisseur.

f. L'AFC-GE a souligné que I______ lui avait bien remis sa carte de visite le jour de la venue des contrôleurs de l'AFC-GE.

A______ reconnaissait qu'D______ passait un certain temps à Genève, dans les locaux de G______. Étant salarié de la contribuable, cette dernière ne pouvait soutenir qu'il n'effectuait aucune tâche pour A______ lorsqu'il se trouvait à Genève et qu'il réservait cette activité lorsqu'il se trouvait dans le canton de Schwytz.

La « charge de travail importante » de L______ « pour son employeur E______ » ne justifiait en rien le fait qu'elle travaillât pour A______, en établissant des factures pour cette dernière.

Les entretiens avec D______, I______ et L______, effectués par des contrôleurs fiscaux, avaient été avaient consignés. Ils se tenaient à disposition du TAPI pour être entendus.

g. Par jugement du 21 août 2023, le TAPI a rejeté le recours.

A______ et E______ étaient très étroitement liées, ce tant par leur relation commerciale que de par leur lien d’actionnariat. Elles exerçaient dans le même domaine économique, la seconde étant en plus la cliente de la première, relation dans laquelle elles avaient partagé, en 2016 en tout cas, une partie des locaux à G______, ainsi que les services de trois employés, ce à tout le moins jusqu’en 2018, comme le précisait E______ sur son site internet. Par ailleurs, elles étaient détenues par le même actionnaire, qui, au demeurant, les administrait.

L'activité commerciale d'A______ consistait en deux volets. D’une part, elle conceptualisait et commercialisait des projets d'infrastructure de communications audiovisuelles et, d’autre part, agissait comme distributeur en Suisse du matériel y relatif, qu’elle commandait auprès des fournisseurs étrangers puis les revendait à des « intégrateurs », activité pour laquelle elle avait nécessairement besoin de locaux d’entreposage, comme ceux dont elle avait disposé en 2016 à G______.

Au vu de tous les éléments figurant au dossier, il apparaissait qu’en 2016, A______ avait exercé à Genève à tout le moins son activité de distributeur du matériel audiovisuel, si ce n’était l’essentiel des deux volets de son activité. C’était en effet uniquement à Genève qu’elle avait disposé de locaux pour la réception et la distribution de ce matériel. Elle ne fournissait absolument aucun élément concret probant permettant de retenir que les opérations de commandes et de reventes de celui-ci avaient été effectuées depuis le canton de Schwytz. Elle se limitait à soutenir, sans fournir le moindre début de preuve, que ses locaux à H______ se situaient dans l’appartement qu’elle y louait à sa société sœur, puis sous-louait à son actionnaire unique, au titre de sa résidence principale et celle de sa conjointe. Or, au vu de la petite taille de ce logement (2,5 pièces d’environ 80 m2) et du volume de ses activités, il apparaissait invraisemblable que la contribuable eût pu les accomplir intégralement à cet endroit, d’autant moins que, selon ses propres dires, trois personnes y travaillait simultanément pour elle, à savoir D______, I______ et J______. A______ n'avait d'ailleurs pas fourni le moindre indice d’un accomplissement dans cet appartement d’une quelconque activité commerciale, tel que, par exemple, des factures qui lui auraient été adressées en 2016. Au contraire, ses factures 2015 et 2016, que l'AFC-GE avait versées au dossier, indiquaient clairement son adresse genevoise. Elle avait également expressément refusé de remettre à l'AFC-GE ses grands livres 2010 à 2018. En outre, elle n’expliquait pas pourquoi elle ne disposait toujours pas en 2016 d’un entrepôt dans le canton de son siège, alors qu’elle y aurait agi depuis décembre 2008 comme distributeur du matériel audiovisuel pour toute la Suisse et que le marché alémanique était potentiellement bien plus important que celui de la Suisse romande.

Le fait que jusqu’en 2018 à tout le moins, A______ indiquait publiquement à ses clients potentiels, sur son site internet, disposer d’une « succursale » à G______ plaidait fortement en faveur de l’existence effective, en 2016, d’un établissement stable à cet endroit. De plus, lors du contrôle effectué en janvier 2018 dans les locaux à G______, ses trois employés ainsi qu’une importante documentation la concernant s’y trouvaient. Elle n’expliquait pas pourquoi sa documentation avait été gardée à G______ jusqu’à janvier 2018. Les prétendues raisons de son déplacement depuis H______, en janvier 2017, n'étaient pas pertinents. Enfin, la contribuable indiquait elle-même que les locaux à G______ lui avaient servi « pour la réception et la réexpédition de matériel », soit les opérations intégrantes et indissociables de son activité de distribution, lesquelles nécessitaient la présence physique permanente en ce lieu d'au moins l’un/e de ses employés. Ainsi, elle admettait à demi-mot qu’il ne s’agissait pas d’un « simple lieu de stockage ».

Il convenait de retenir qu'A______ avait effectivement disposé en 2016 d’un établissement stable à Genève. Quant au montant du bénéfice que l'AFC-GE avait attribué à cette entité, elle ne le remettait pas en cause en tant que tel.

Il était certes regrettable que l'AFC-GE n’ait pas fait signer un procès-verbal aux personnes auditionnées lors du contrôle de janvier 2018. Néanmoins, A______ ne pouvait se contenter de simplement nier en bloc, après coup, les propos de ses employés – en s’appuyant sur le fait que le compte rendu du 6 février 2018 ne comportait pas leur signature –, sans expliquer pour quel motif l'administration fiscale lui aurait attribué des informations que ces derniers ne lui auraient pas données. Il fallait également rappeler qu'A______ ne contestait pas que ses employés avaient été effectivement auditionnés par l'AFC-GE. En tout état, c’était l’ensemble des éléments objectifs ressortant du dossier – et en particulier ceux relevés plus haut – qui avaient guidé le TAPI dans sa décision, et non pas spécifiquement ceux rapportés dans ledit compte rendu.

D. a. Par acte du 20 septembre 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant au renvoi de la cause au TAPI pour instruction complémentaire et nouveau jugement ainsi qu'à l'annulation de la décision de l'AFC-GE du 17 mai 2022 et du bordereau établi le 10 décembre 2021.

Les principaux allégués de fait litigieux de l'AFC-GE reposaient sur un « compte rendu » du 6 février 2018 qui n'avait pas pu être consulté, même s'il apparaissait avoir été connu par le TAPI, puisqu'il indiquait dans son jugement qu'il n'avait pas été signé par les salariés auditionnés. Sans avoir pu prendre connaissance de ce document, la contribuable avait été dans l'incapacité de contester de manière plus précise les allégués litigieux et de formuler une offre de preuve, en particulier de demander l'audition des personnes concernées à titre de témoins. Une telle violation de son droit d'être entendue ne pouvait pas être réparée devant l'instance de recours.

Si le TAPI n'avait pas eu connaissance dudit « compte rendu », force était de constater que les faits essentiels sur lesquels reposaient son jugement n'étaient justifiés que par des simples allégués d'une partie à la procédure et ne reposaient sur aucune pièce produite. Ces allégués ayant été au surplus contestés, le TAPI aurait dû les considérer comme non établis. Il n'y avait aucune raison que l'administration fiscale fût favorisée et que plus de crédit fût accordé à ses allégations plutôt qu'aux siennes.

Avec l'usage de moyens électroniques de communication, le traitement des commandes ne nécessitait pas une grande infrastructure, laquelle pouvait parfaitement se trouver au siège social d'A______. I______ déployait très principalement son activité dans les locaux des clients chez qui il intervenait pour la mise en place et la maintenance des systèmes installés. L'activité principale de conception et commercialisation d'infrastructures de communication audiovisuelle était effectuée principalement par D______ depuis son domicile. Les locaux d'E______ à G______ n'étaient utilisés que très occasionnellement pour des raisons pratiques évidentes. Pour les mêmes raisons, il avait été décidé d'utiliser les locaux existants d'E______ comme lieu de stockage temporaire unique plutôt que de louer un tel emplacement à un tiers. En critiquant le fait qu'elle ne disposait pas d'une infrastructure similaire en Suisse allemande, le TAPI s'immisçait dans la politique commerciale d'A______, ce qui échappait à tout contrôle de l'AFC-GE en raison du principe de la liberté économique. Seul l'usage régulier des locaux de G______ comme emplacement de livraison et de stockage temporaire du matériel commandé et immédiatement redistribué aux clients était admis et pouvait être retenu, si bien qu'il n'existait pas d'établissement stable à Genève. Subsidiairement, la proportion d'imposition à hauteur de 50% du bénéfice réalisé n'était pas soutenable au vu de la très faible activité déployée à G______.

b. L'AFC-GE a conclu à l'irrecevabilité de la conclusion subsidiaire relative à la proportion d'imposition à hauteur de 50% et au rejet du recours pour le surplus.

Elle ne voyait pas ce qui aurait pu empêcher A______ de solliciter, devant le TAPI, l'audition des personnes entendues lors de la venue des contrôleurs fiscaux dans la mesure où il ressortait des écritures déposées devant la juridiction inférieure que les propos des collaborateurs entendus et rapportés par l'administration fiscale étaient contestés. Les éléments sur lesquels s'était fondé le TAPI découlaient de documents publics (RC), d'informations données par la recourante et des pièces produites par elle-même.

Il n'avait jamais été contesté que les trois employés de la contribuable avaient été effectivement auditionnés par elle. L'ensemble des éléments objectifs du dossier avait conduit le TAPI, en application du principe de la libre appréciation des preuves, à juger qu'A______ disposait d'un établissement stable à Genève.

Enfin, A______ n'avait jamais remis en cause la proportion du bénéfice attribué à l'établissement stable à Genève.

c. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

Son avocat s'était rendu le 25 octobre 2023 au greffe de la chambre administrative afin de consulter le dossier. Le « compte rendu » d'entretien du 6 février 2018 ne figurait pas dans les pièces transmises par le TAPI et/ou l'AFC-GE. Il n'y avait pas non plus de procès-verbal ou autre document équivalent transcrivant les témoignages recueillis par les contrôleurs de l'AFC-GE. Les pièces de réclamation du 10 janvier 2022 figurant au dossier de l'administration fiscale n'étaient pas jointes. A______ les tenait à la disposition de la chambre de céans.

Le « compte rendu » litigieux ne figurant pas au dossier, l'observation du TAPI selon laquelle il n'avait pas été signé par les salariés auditionnés ne semblait reposer que sur une simple spéculation.

Dans la mesure où aucune pièce ne venait constater les faits allégués par l'AFC-GE et où cette dernière supportait le fardeau de la preuve, le bordereau contesté devait être annulé.

Conformément au principe « qui peut le plus peut le moins » et dans la mesure où le TAPI n'était pas lié par les conclusions, la juridiction inférieure aurait pu attribuer au canton de Genève une part inférieure à 50% du bénéfice imposable. De plus, la problématique s'inscrivait dans un contexte de double imposition intercantonale, laquelle était de rang constitutionnel et devait être examinée d'office par les juridictions cantonales. Si la chambre administrative devait confirmer l'existence d'un établissement stable et puisque cette question n'avait pas été examinée par le TAPI, le dossier devait lui être renvoyé pour instruction complémentaire et détermination de la part du bénéfice devant lui être attribué.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées par courrier de la juge déléguée du 14 novembre 2023.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 17 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue au motif que les principaux allégués de fait litigieux de l'AFC-GE reposent sur un « compte rendu » établi le 6 févier 2018 auquel elle n'a pas eu accès.

2.1 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend le droit pour l'intéressé de prendre connaissance du dossier et de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat. Il n'empêche toutefois pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 143 III 65 consid. 3.2 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_42/2019 du 25 mars 2020 consid. 3.1).

2.2 Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation doit en principe entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond. Selon la jurisprudence, une telle violation peut néanmoins être considérée comme réparée lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une autorité de recours disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure et pouvant ainsi contrôler librement l'état de fait et les considérations juridiques de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

Une telle réparation doit rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte aux droits procéduraux de la partie lésée qui n'est pas particulièrement grave (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 135 I 276 consid. 2.6.1). Elle peut également se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/1108/2019 du 27 juin 2019 consid. 4c et les arrêts cités).

2.3 En matière fiscale, les règles générales du fardeau de la preuve ancrées à l'art. 8 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), destinées à déterminer qui doit supporter les conséquences de l'échec de la preuve ou de l'absence de preuve d'un fait, ont pour effet que l'autorité fiscale doit établir les faits qui justifient l'assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment (ATF 144 II 427 consid. 8.3.1 ; 140 II 248 consid. 3.5). Ainsi, si les preuves recueillies par l'autorité fiscale apportent suffisamment d'indices révélant l'existence d'éléments imposables, il appartient au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations et de supporter le fardeau de la preuve du fait qui justifie son exonération (arrêts du Tribunal fédéral 2C_722/2017 du 13 décembre 2017 consid. 5.2 ; 2C_1201/2012 du 16 mai 2013 consid. 4.6).

2.4 En l'espèce, il n'est pas contesté que des contrôleurs fiscaux se sont rendus dans les locaux situés à l'adresse F______ à G______ du 15 au 17 janvier 2018 et que des personnes se trouvant sur place ont répondu à des questions posées par ceux-ci.

Dans sa réponse au recours par-devant le TAPI, l'intimée a allégué un certain nombre de faits, notamment des propos qu'aurait tenus D______. Elle fait également référence notamment aux informations qu'aurait données I______, à des observations sur place, à une carte de visite que ce dernier aurait remise aux contrôleurs ainsi qu'aux sites internet de la recourante et d'E______. Elle n'a toutefois pas produit de pièces relatives aux constats effectués sur place ou aux déclarations de ces personnes.

Ce n'est qu'au stade de la duplique devant le TAPI que l’AFC-GE a précisé que « les informations alors fournies aux contrôleurs par MM. D______, I______ et Mme L______ ont été consignées par les contrôleurs dans leur compte rendu du 6 février 2018 » (p. 3 4ème paragraphe).

Toutefois, force est de constater que l'intimée n'a pas produit ce « compte rendu » à l'appui de son écriture, ni d’ailleurs devant la chambre de céans. De ce fait, elle a privé la recourante de se déterminer à son propos et de s'exprimer par rapport aux éléments qu'il contient. Même s'il semble ressortir de la duplique précitée que des éléments du compte rendu précité ont été retranscrits dans cette écriture, le TAPI ne pouvait pas retenir comme établis des faits issus de ce compte rendu sans en requérir la production. La recourante a contesté les propos prêtés par les collaborateurs de l’AFC-GE à D______, I______ et L______ ainsi que la force probante de la carte de visite qui aurait été remise par I______.

Ce document n’ayant pas non plus été produit devant la chambre administrative, la question d'une éventuelle réparation du droit d'être entendue de la recourante ne se pose même pas. La violation du droit d’être entendue de la recourante doit donc être retenue, ce qui conduit à l’admission du recours et au renvoi de la cause au TAPI, afin qu’il ordonne la production du procès-verbal litigieux en question et, si le secret fiscal l’exige, en en communiquant les éléments essentiels à la recourante, afin qu’elle puisse se déterminer sur ceux-ci.

Ce renvoi permettra également d’approfondir les éléments de faits relatifs à la location de l'appartement à Schwytz. Selon la décision sur réclamation, cet appartement « est loué à l'entité sœur », soit E______. Toutefois, dans sa réponse au TAPI et selon les dires d'D______ – vraisemblablement retranscrits dans le compte rendu précité – ce serait E______ qui louerait l'appartement à la recourante. L'apport à la procédure du compte rendu précité ainsi que des pièces jointes à la réclamation – parmi lesquelles figure notamment « un contrat de location du 13.12.2008 », mais manquantes au dossier remis par l'intimée – permettra également de lever tout doute sur ce point. Il en est de même de la question d'un éventuel loyer versé par la recourante à E______ pour la location d'un bureau dans le bâtiment sis à G______ dont fait état l'administration fiscale dans cette même écriture.

En outre, l'intimée a varié sur le moment du contrôle TVA de la recourante. Dans la décision sur réclamation, il n'est pas précisé quand celui-ci a eu lieu mais uniquement qu'il s'était tenu dans les locaux à G______. Dans la réponse au TAPI, elle a indiqué que « l'on ne connaît pas la date à laquelle a été opéré le contrôle TVA d'A______ ». Puis, dans sa duplique, l'AFC-GE a indiqué que le contrôle TVA avait eu lieu en mai 2017 sans fournir de pièce à l'appui de cette explication. Dans la mesure où la recourante soutient que ses dossiers se trouvaient dans les locaux d'E______ pour faciliter ce contrôle TVA, la date précise de celui-ci pourrait avoir une importance sur la question de la présence de documents de la recourante à G______ et in fine de l'existence d'un établissement stable au sens de l'art. 3 de de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15) à Genève.

Enfin, dans son jugement, le TAPI fait référence au site internet de la recourante avant le contrôle de janvier 2018. Or, la pièce en question ne comporte pas de date, de sorte qu'on ignore quand cette page internet a été imprimée et la période pendant laquelle elle était disponible. Une instruction complémentaire sur ce point pourrait également apporter des éléments pertinents aux fins de statuer sur la question litigieuse, à savoir la présence d'un établissement stable de la recourante dans le canton de Genève.

Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis partiellement et le jugement querellé annulé en conséquence. La cause sera renvoyée au TAPI pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants précités, afin de préserver le double degré de juridiction et afin de permettre à la chambre administrative d’exercer sa fonction de contrôle (art. 69 al. 3 LPA).

3.             Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 septembre 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 août 2023 ;

au fond :

l'admet partiellement et annule le jugement précité ;

renvoie le dossier au Tribunal administratif de première instance pour instruction complémentaire et nouvelle décision ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève (administration fiscale cantonale) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Antoine BERTHOUD, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

la greffière :