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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/619/2022

ATA/1211/2023 du 07.11.2023 sur JTAPI/1298/2022 ( ICCIFD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/619/2022-ICCIFD ATA/1211/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 novembre 2023

4ème section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE recourante

contre

A______Sàrl

représentée par DEPIGEST SA, mandataire

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 novembre 2022 (JTAPI/1298/2022)


EN FAIT

A. a. A______Sàrl (ci-après : la société) est inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève depuis le 4 octobre 2010.

b. Elle a pour buts le commerce, l'importation, l'exportation, l'emmagasinement et le transport de produits agricoles, engrais, produits énergétiques de tout type et origine ainsi que leurs produits dérivés, ainsi que des activités d'affrètement et de financement.

c. La société est entièrement détenue par la société luxembourgeoise B______ Sàrl, qui est elle-même détenue par la société mère du groupe C______ dont le siège est aux États-Unis.

d. Selon l’art. 25 de ses premiers statuts, « l’exercice social débute le 1er janvier et se termine le 31 décembre de chaque année. Exceptionnellement, le premier exercice débutera le jour de l’inscription de la Société au registre du commerce et se terminera le 31 décembre 2011 ».

e. En 2013, le groupe japonais D______ a racheté le groupe C______, incluant ainsi la société.

f. Le groupe D______ ayant pour pratique de clore ses états financiers consolidés au 31 mars de chaque année, l’art. 25 des statuts de la société a été modifié comme suit : « Les gérants déterminent l’exercice social de la société ».

B. a. Par courriel du 31 mars 2014, la société a informé l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) que la date de clôture annuelle de ses comptes serait désormais au 31 mars de chaque année en lieu et place du 31 décembre. Elle priait dès lors l’AFC-GE de bien vouloir lui confirmer qu’aucune déclaration fiscale ne devrait être déposée pour l’année 2013 et que la déclaration 2014 couvrirait l’exercice allant du 1er janvier 2013 au 31 mars 2014.

b. Par courriel du 1er avril 2014, l’AFC-GE a répondu à la contribuable comme suit : « Nous avons pris bonne note de la nouvelle date de bouclement (31.03) et vous confirmons que, de ce fait, nous n’attendons plus de déclaration fiscale 2013. La déclaration fiscale 2014 portera sur la période fiscale du 01.01.2013 au 31.03.2014 ».

c. Dans sa déclaration fiscale 2020, la contribuable a mentionné un report de pertes pour les sept exercices précédents d’un total de CHF 9'363'602.-, selon le tableau suivant :

 

 

Exercice commercial n-1 : 2019 (18/19)

 

Exercice commercial n-2 : 2018 (17/18)

 

Exercice commercial n-3 : 2017 (16/17)

 

Exercice commercial n-4 : 2016 (15/16)

 

Exercice commercial n-5 : 2015 (14/15)

CHF - 781'805

Exercice commercial n-6 : 2014 (13/14)

 

Exercice commercial n-7 : 2013 (12/13)

CHF - 8'581'797

Total des pertes fiscalement reportables

CHF - 9'363'602

Compte tenu d’un bénéfice net déclaré de l’exercice de CHF 1'362'001.-, ce report de perte donnait lieu à une perte nette déclarée de CHF - 8'001'601.-.

d. Par bordereaux de taxation datés du 4 novembre 2021, l’AFC-GE a fixé l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) et l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) 2020 à respectivement CHF 62'650.- et CHF 68'425.-, sur la base d’un bénéfice net imposable de CHF 805'069.-.

Selon les avis joints à ces bordereaux de taxation, l’AFC-GE a admis la déduction d’un report de pertes de CHF 781'805.- uniquement.

C. a. Par courrier du 26 novembre 2021, la société a élevé réclamation à l’encontre de ces bordereaux de taxation ICC et IFD 2020. Elle a notamment sollicité la prise en compte de la perte de l’exercice fiscal 2012, étant donné que l’exercice commercial 2013 n’existait pas et qu’il avait été déclaré dans l’exercice commercial 2014.

b. Par deux décisions du 20 janvier 2022, l’AFC-GE a rejeté la réclamation. La perte réalisée lors de l’exercice 2012 ne pouvait pas être prise en compte, car « dans l’esprit du législateur, une perte d’un exercice long ne permet pas de créer un prolongement des pertes antérieurement réalisées prolongeant, de fait, le report de pertes d’une année supplémentaire ». En outre, la perte de CHF 781'805.- concernant l’exercice 2014 avait été faussement reportée dans la période 2015.

D. a. Par acte du 21 février 2022, la société a interjeté recours contre les décisions sur réclamation précitées auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), concluant à ce qu’un report de pertes de CHF 8'581'797.- découlant notamment de l’exercice 2012 soit pris en compte dans sa taxation 2020.

Par une interprétation littérale des art. 67 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et 19 de la loi genevoise sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15), il fallait admettre la déduction des pertes de l’exercice 2012. Le septième exercice précédant la période fiscale 2020 était bien l’exercice 2012.

Ni le message du Conseil fédéral, ni les travaux préparatoires concernant la LIFD ne faisaient ressortir une volonté du législateur de restreindre la période de report de pertes à un maximum de 84 mois. Cela reviendrait en pratique à pénaliser notamment les sociétés créées en cours d’années qui procéderaient à un bouclement de leurs comptes pour une période supérieure à douze mois.

Pour des raisons inhérentes au groupe auquel elle appartenait, elle avait été contrainte de modifier la date de bouclement de ses comptes. On ne pouvait dès lors pas lui reprocher un quelconque abus de droit. De plus, le Tribunal fédéral s’était longuement prononcé sur la question dans un arrêt du 28 janvier 2020 et n’avait en aucun cas validé le raisonnement de l’AFC-GE.

b. Le 25 avril 2022, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Contrairement aux années fiscales précédentes, l’année fiscale litigieuse s’était terminée pour la première fois avec un bénéfice net imposable, de sorte que la société avait effectivement un intérêt actuel à recourir.

Depuis son assujettissement en octobre 2010, la société avait clos ses comptes de la manière suivante :

Année

Durée de l'exercice commercial

2011

04.10.2010 - 31.12.2011

2012

01.01.2012 - 31.12.2012

2013

Pas de clôture des comptes

2014

01.01.2013 - 31.03.2014

2015

01.04.2014 - 31.03.2015

2016

01.04.2015 - 31.03.2016

2017

01.04.2016 - 31.03.2017

2018

01.04.2017 - 31.03.2018

2019

01.04.2018 - 31.03.2019

Si le fait de ne pas avoir présenté de comptes commerciaux en 2013 était conforme au droit commercial, cette manière de faire posait problème au regard du droit fiscal, puisque celui-ci prévoyait que, chaque année civile, les personnes morales devaient procéder à la clôture de leurs comptes (art. 79 al. 3 LIFD).

Le présent cas était sensiblement différent de celui de l’arrêt du Tribunal fédéral cité par la société, dès lors que, à suivre cette dernière, la période de compensation des pertes serait de 87 mois (du 1er janvier 2012 au 31 mars 2019), alors que cette période devrait être de 84 mois (soit 7 fois 12 mois) selon le susdit arrêt.

Si les choses avaient été effectuées conformément à l’art. 79 al. 3 LIFD, un bouclement aurait dû avoir lieu en 2013 de la manière suivante :

 

Année

Durée de l'exercice commercial

 

2011

04.10.2010 - 31.12.2011

n-9

2012

01.01.2012 - 31.12.2012

n-8

2013

01.01.2013 - 31.12.2013

n-7

2014

01.01.2014 - 31.03.2014

n-6

2015

01.04.2014 - 31.03.2015

n-5

2016

01.04.2015 - 31.03.2016

n-4

2017

01.04.2016 - 31.03.2017

n-3

2018

01.04.2017 - 31.03.2018

n-2

2019

01.04.2018 - 31.03.2019

n-1

Contrairement au cas jugé par le Tribunal fédéral dans l’arrêt susmentionné, le tableau ci-dessus ne créait pas la fiction de deux bouclements en 2014, mais uniquement d’un seul bouclement, ce qui était conforme à l’art. 79 al. 3 LIFD. Par conséquent, la perte de l’année 2012 correspondait à l’année n-8 et n’était donc plus déductible dans la taxation 2020.

c. Par jugement du 28 novembre 2022, le TAPI a admis le recours.

La société avait informé l’AFC-GE que la date de clôture annuelle de ses comptes serait désormais au 31 mars de chaque année, en lieu et place du 31 décembre. Elle avait ainsi demandé et obtenu la confirmation de la part de l’AFC-GE, par courriel du 1er avril 2014, qu’aucune déclaration fiscale ne devrait être déposée pour l’année 2013 et que la déclaration 2014 porterait sur l’exercice allant du 1er janvier 2013 au 31 mars 2014.

Le Tribunal fédéral avait déjà admis l’existence d’une année longue en dehors de l’année de fondation, estimant que les autorités fédérales n’avaient manifestement pas pensé au besoin économique de prolonger ou de raccourcir un exercice commercial et que cela n’impliquait pas qu’une taxation soit également effectuée chaque année, étant donné que le résultat pouvait être réparti pro rata temporis sans effets secondaires dommageables. Il fallait également souligner que dans le cas présent, l’AFC-GE avait admis l’absence de bouclement au 31 décembre 2013.

De surcroît, conformément à l’arrêt du 28 janvier 2020, il fallait garder à l’esprit que l’art. 67 al. 1 LIFD prévoyait que la période ordinaire de compensation des pertes s’étendait sur les sept années précédant la période fiscale en cause, soit 84 mois (7 fois 12 mois). Le Tribunal fédéral s’en était alors tenu à la solution qui se rapprochait le plus de cette durée de 84 mois. Or, en l’occurrence, à suivre l’argumentation de l’AFC-GE, la période de compensation des pertes serait réduite à 75 mois. Il convenait ainsi de donner la préférence à la solution qui se rapprochait le plus de la durée de 84 mois de l’art. 67 al. 1 LIFD (ainsi que de l’art. 19 al. 1 LIPM) et, partant, de retenir la solution préconisée par la société, qui aboutissait à une période de compensation des pertes de 87 mois.

Enfin, les éléments du dossier permettaient d’exclure tout soupçon d’évasion fiscale ou d’abus de droit.

E. a. Par acte déposé le 23 décembre 2022, l'AFC-GE a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation et à la confirmation de ses décisions sur réclamation du 20 janvier 2022.

La loi fiscale partait du principe d'une année ordinaire de douze mois, tout comme le droit commercial. La période de compensation des pertes s'étendait donc sur sept fois douze mois, soit 84 mois. Le TAPI avait privilégié la solution se rapprochant le plus de cette durée, mais avait fait un raccourci en appliquant telle quelle au cas d'espèce la solution retenue par le Tribunal fédéral en 2020 malgré des différences factuelles considérables.

La société ayant fait l'objet de cet arrêt de 2020 tenait sa comptabilité en conformité avec l'année civile, mais avait intégré un exercice long unique, puis opté pour une année courte, avant de refaire coïncider sa comptabilité avec l'année civile. À l'exception d'une année ayant connu deux bouclements (l'un au 31 mai et l'autre au 31 décembre), toutes les autres années concernées étaient des années civiles entières. Le Tribunal fédéral avait admis la manière de procéder de la société surtout parce que le fisc s'était lui-même écarté de la loi en autorisant deux bouclements au cours de la même année, alors que selon la méthode de la contribuable, la période de compensation des pertes couvrait huit exercices mais exactement sept années ou 84 mois. Il avait donc conclu que si deux méthodes s'opposaient, qui s'écartaient toutes deux du texte de la loi, il fallait donner la préférence à celle qui correspondait le mieux à l'idée de base du législateur.

Or, l'intimée n'avait pas présenté de comptes commerciaux au cours de l'année civile 2013, la période fiscale 2013 n'existant tout simplement pas, et la période fiscale 2014 subséquente comportant un seul bouclement des comptes. La conception de la contribuable faisait porter la période de compensation des pertes sur 87 mois, tandis que la conception qu'elle-même défendait visait à rétablir une situation conforme, c'est-à-dire avec un bouclement chaque année. Peu importait qu'elle eût pris acte de l'absence de bouclement des comptes au 31 décembre 2013, car cela était sans corrélation directe avec la question de la durée de compensation des pertes, question qui ne s'était posée que six ans plus tard.

b. Le 10 mars 2023, l'intimée a conclu au rejet du recours et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Comme le relevait un auteur ayant commenté l'arrêt du Tribunal fédéral de 2020, lorsque la date de bouclement était modifiée, et sous réserve de l'abus de droit, il n'y avait aucune raison impérative de procéder à un bouclement des comptes chaque année civile. En application du principe de déterminance, la période fiscale devait impérativement correspondre à l'exercice commercial. Ainsi, la période n-6 était celle du 1er janvier 2013 au 31 mars 2014, et la période n-7 était celle du 1er janvier au 31 décembre 2012.

Si l'état de fait n'était pas absolument le même que dans celui de l'arrêt du Tribunal fédéral de 2020, les principes juridiques qui y étaient développés étaient parfaitement transposables en l'espèce.

Par le truchement de l'art. 79 al. 3 LIFD qui consacrait l'admissibilité d'un premier exercice long, pouvant aller jusqu'à 23 mois, le législateur avait clairement démontré sa volonté d'admettre un report de pertes allant au-delà de 84 mois. La solution retenue par le TAPI était ainsi celle qui correspondait le mieux à l'idée de la loi.

c. Le 17 mars 2023, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 28 avril 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 28 avril 2023, la recourante a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires.

e. L'intimée ne s'est quant à elle pas manifestée.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la question de savoir si l'exercice 2012 est ou non inclus dans les sept exercices précédant l'année 2020 dont les pertes peuvent être déduites.

2.1 La présente cause concerne la taxation IFD et ICC pour l’année fiscale 2020. Elle est régie par les dispositions de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) et de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15).

2.2 La question étant traitée de manière semblable en droit fédéral et en droit cantonal, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 1).

2.3 Aux termes de l’art. 67 al. 1 LIFD, les pertes des sept exercices précédant la période fiscale (art. 79 LIFD) peuvent être déduites du bénéfice net de cette période, à condition qu'elles n'aient pas pu être prises en considération lors du calcul du bénéfice net imposable de ces années.

2.4 L’impôt sur le bénéfice net est fixé et prélevé pour chaque période fiscale (art. 79 al. 1 LIFD). La période fiscale correspond à l’exercice commercial (art. 79 al. 2 LIFD). Chaque année civile, excepté l’année de fondation, les comptes doivent être clos et un bilan et un compte de résultats établis (art. 79 al. 3 1ère phrase LIFD).

Pour les personnes morales, la période fiscale correspond à l’exercice commercial pour lequel les comptes sont clos, quelle que soit l’année civile (art. 6 al. 1 de l’ordonnance sur le calcul dans le temps de l’impôt fédéral direct du 14 août 2013 - RS 642.117.1 ; ci-après : OCTIFD). La clôture des comptes doit être remise avec la déclaration fiscale (art. 6 al. 2 OCTIFD). Les personnes morales sont taxées chaque année civile, à l’exception de l’année de fondation, dans la mesure où les comptes ne sont pas clos cette année-là (art. 7 al. 1 1ère phr. OCTIFD).

2.5 L'art. 58 al. 1 let. a LIFD énonce le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance ; Massgeblichkeitsprinzip), selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques. L'autorité fiscale peut donc s'écarter du bilan remis par le contribuable lorsque des dispositions impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l'exigent (ATF 141 II 83 consid. 3.1 et les références; arrêts du Tribunal fédéral 2C_857/2020 du 11 février 2021 consid. 4.1 ; 2C_132/2020 du 26 novembre 2020 consid. 7.2). Selon ce principe, le contribuable est lié à la situation patrimoniale de la période fiscale, telle qu'elle ressort des livres de compte régulièrement établis (arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/2019 du 23 septembre 2019 consid. 5.2 et les références). En revanche, si la comptabilisation se fait de manière contraire au droit commercial, une correction de bilan est possible jusqu'à l'entrée en force de la déclaration d'impôt. La correction de bilan peut intervenir en faveur ou en défaveur du contribuable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_490/2016 du 25 août 2017 consid. 5.1 et les références).

2.6 Selon l’art. 25 al. 2 LHID, lorsqu’elles n’ont pas pu être prises en considération lors du calcul du bénéfice net imposable de ces années, les pertes des sept exercices précédant la période fiscale sont déduites du bénéfice net de cette période (art. 31 al. 2 LHID).

Cette dernière disposition prévoit que la période fiscale correspond à l’exercice commercial. Chaque année civile, excepté l’année de fondation, les contribuables doivent procéder à la clôture de leurs comptes et établir un bilan et un compte de résultats. Lorsque l’exercice comprend plus ou moins de douze mois, le taux de l’impôt sur le bénéfice est fixé sur la base d’un bénéfice net calculé sur douze mois.

2.7 Les art. 19 al. 1 et 37 LIPM ont une teneur similaire aux art. 67 al. 1 et 79 LIFD précités, ainsi qu’aux art. 25 al. 2 et 31 al. 2 LHID.

2.8 En l'état, il n'existe pas de circulaire ou de directive spécifique à la compensation des pertes (Peter LOCHER/Ernst GIGER/Andrea PEDROLI, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, vol. II, 2ème éd., 2022, n. 1 ad art. 67 LIFD).

2.9 En 2020, le Tribunal fédéral, dans un arrêt cité et discuté par les parties, a examiné la portée de l'art. 79 LIFD, en particulier son al. 3, en relation avec l'art. 67 al. 1 LIFD (arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2017 du 28 janvier 2020 = RDAF 2021 II 162 [rés.]).

Jusqu'à l'exercice 2002 inclus, la contribuable avait tenu sa comptabilité en conformité avec l'année civile. À la demande de la banque qui l'avait financée, la contribuable, qui avait auparavant subi des pertes opérationnelles considérables, avait ensuite intégré un exercice long unique. Par la suite, elle avait également opté pour une année courte (du 1er juin 2004 au 31 décembre 2004 inclus). Depuis le 1er janvier 2005, l'exercice comptable et l'année civile coïncidaient à nouveau.

Le fisc bernois avait refusé de prendre en compte un exercice passé de la société pour la compensation des pertes, au motif qu'elle avait bouclé trois exercices au total durant les années civiles 2003 et 2004 (1er janvier au 31 décembre 2003, 1er janvier au 31 mai 2004, 1er juin au 31 décembre 2004), si bien que trois décisions de taxations avaient été rendues et étaient entrées en force. La contribuable soutenait au contraire qu'il n'y avait eu que sept bouclements de compte durant la période considérée et non huit. Le Tribunal administratif du canton de Berne avait admis son recours et retenu que le bouclement au 31 décembre 2003 avait été opéré pour satisfaire aux exigences légales (fiscales), selon lesquelles une clôture des comptes doit être effectuée chaque année civile, à l'exception de l'année de fondation, même si aucun exercice n'a pris fin au cours de l'une des deux années civiles ; il n'y avait aucune raison objective de supposer que la séquence « année courte - année longue » soit autorisée, mais pas la séquence « année longue - année courte » : dans un cas, la possibilité de compensation était réduite de douze mois, dans l'autre, la durée légale de 84 mois était maintenue.

Selon le Tribunal fédéral, les règles relatives à la comptabilité commerciale et à la présentation des comptes ne contenaient aucune norme fixant expressément la durée de l'exercice (consid. 2.2.3). Pour des raisons de gestion d'entreprise, une année courte et/ou longue peut être exceptionnellement indiquée ; le changement de date de bouclement était fréquent dans les relations internationales, lorsqu'une société était reprise et intégrée dans un groupe qui suivait un autre rythme de bouclement. En tout état de cause, le droit commercial ne s'opposait pas à de telles circonstances exceptionnelles (consid. 2.2.4).

L'exigence de l'art. 79 al. 3, 1ère phr. LIFD pouvait entrer en conflit avec le besoin objectivement justifié de déphasage, bien que tel ne fût pas nécessairement le cas. Dans le cas d'une séquence « année courte - année longue », les exigences du droit commercial et surtout du droit fiscal direct étaient satisfaites, mais il en allait autrement dans le cas d'une séquence « année longue - année courte » (consid. 2.3.3). On ne voyait pas de raison impérative pour laquelle une clôture des comptes devrait être établie chaque année civile, même si cela constituait la règle (consid. 2.4.5). Les exercices courts ou longs pouvaient cependant dans certains cas servir de moyen d'éluder l'impôt, ce qui n'était pas acceptable du point de vue du droit fiscal (consid. 2.4.8).

En droit commercial, la prolongation de cinq à dix-sept mois d'un exercice initialement de douze mois, comme l'avait fait la contribuable, pouvait être qualifiée de modérée, mais aussi d'isolée, car il s'agissait d'une opération unique. Il n'y avait aucun doute sur la conformité avec le droit commercial ; en ce qui concernait le droit fiscal, la contribuable n'avait pas présenté de bouclement commercial au cours de l'année civile 2003, bien qu'un tel bouclement eût dû être effectué selon le libellé de l'art. 79 al. 3 1ère phr. LIFD (consid. 3.2.2).

Il était en outre déterminant que la manière de procéder de l'autorité de taxation contrevenait également à la lettre de la loi : alors que l'art. 79 al. 3 1ère phr. LIFD prévoyait la présentation d'« une » clôture des comptes pour chaque année civile, son approche pour l'année civile 2004 impliquait l'établissement de deux clôtures des comptes. Si deux méthodes s'opposaient, qui s'écartaient toutes deux du texte de la loi, il fallait donner la préférence à celle qui correspondait le mieux à l'idée de base de la loi. À cet égard, il était important de noter que l'art. 67 al. 1 LIFD partait du principe d'une période ordinaire de compensation des pertes de sept fois douze mois, soit 84 mois. Si l'on suivait l'autorité de taxation, la période de compensation des pertes serait réduite de 84 à 72 mois, car deux clôtures de comptes devaient être présentées au cours d'une année civile. En revanche, la période de compensation des pertes s'élevait à 84 mois dans le cas de la procédure selon l'instance précédente, ce qui correspondait à la réglementation légale ordinaire et était plus proche de la conception de la loi que la solution de l'autorité de taxation. Il n'était donc pas nécessaire de décider si la période de compensation des pertes pourrait, dans certaines circonstances, s'étendre sur plus de 84 mois (consid. 3.2.3).

Enfin, il n'y avait pas d'indices d'une évasion fiscale qui conduirait à ne pas protéger l'aménagement des contribuables, l'interposition d'abord de l'année longue, puis de l'année courte, ayant été effectuée pour des raisons liées à l'assainissement et n'ayant pas servi à réduire la charge fiscale (consid. 3.2.4). Cela signifiait que la contribuable avait pu, conformément au droit fédéral, présenter une seule clôture des comptes pour la période du 1er janvier 2003 au 31 mai 2004 : même du point de vue de la compensation des pertes, il s'agissait d'un seul bouclement (du 1er janvier 2003 au 31 mai 2004), suivi d'un bouclement pour le reste de la période (du 1er juin au 31 décembre 2004 inclus). Il convenait dès lors de confirmer l'arrêt du Tribunal administratif bernois, qui avait donné raison à la contribuable (consid. 3.3).

2.10 La pratique des tribunaux zurichois, matérialisée par des arrêts plus anciens, allait quant à elle dans un autre sens. Ainsi, dans deux cas où les sociétés contribuables avaient effectué des bouclements intermédiaires au 31 décembre, le Tribunal administratif zurichois avait considéré que la perte de l'exercice dépassant une année devait être convertie sur douze mois, et la part de perte dépassant douze mois ne pouvait pas être compensée (TA/ZH, arrêt du 14 décembre 2005 in StE 2006 B 74.32 n. 1 ; arrêt du 16 novembre 1993 in ZStP 1994 127, confirmant la décision de première instance reproduite in StE 1993 B 72.19 n. 4).

2.11 La doctrine retient quant à elle de façon quasi-unanime que la présence d'un exercice inférieur ou supérieur à douze mois peut, respectivement, raccourcir ou prolonger la période de report des pertes, de sorte que celle-ci peut aller dans de tels cas en-deçà ou au-delà de sept années civiles, pour autant que le choix de retenir un exercice long ou court soit dicté par des motifs de nature commerciale et non fiscale (Peter LOCHER/Ernst GIGER/Andrea PEDROLI, op. cit., n. 8 ad art. 67 LIFD ; Andreas HELBING/Michel FELBER, in Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer [DBG] – Kommentar, 4ème éd., 2022, n. 12 ad art. 67 LIFD ; Peter BRÜLISAUER/Walter SOMMER, in Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden [StHG] – Kommentar, 4ème éd., 2022, n. 121 ad art. 25 LHID ; Frank LAMPERT, Die Verlustverrechnung von juristischen Personen im Schweizer Steuerrecht, 2000, n. 2.3.3.3 p. 59 s., qui parle cependant d'une durée maximale totale de huit ans en lien avec l'exigence de l'art. 79 al. 3 LIFD ; Madeleine SIMONEK, Ausgewählte Probleme der steuerlichen Behandlung von Verlusten bei Kapitalgesellschaften, Archives 67/1999 513-550, p. 519).

2.12 En l'espèce, l'intimée n'a pas effectué de bouclement de compte en 2013. Pour des motifs commerciaux liés à sa reprise par un groupe étranger – motif expressément cité par le Tribunal fédéral comme susceptible d'entraîner un changement légitime de date de bouclement des comptes et donc un exercice plus court ou plus long que l'année civile –, elle a étendu son exercice commercial 2013 jusqu'au 31 mars 2014, soit quinze mois. Ce choix a de plus été avalisé par la recourante, qui lui a expressément indiqué avoir pris bonne note de la nouvelle date de bouclement au 31 mars 2014, lui confirmant qu'elle n'attendait dès lors plus de déclaration fiscale 2013 et que la déclaration fiscale 2014 porterait sur la période fiscale du 1er janvier 2013 au 31 mars 2014.

Dans l'arrêt 2C_793/2017 précité, le Tribunal fédéral a certes laissé ouverte la question de savoir si, dans certaines circonstances, la période de compensation des pertes pourrait s'étendre sur plus de 84 mois (consid. 3.2.3). Il a néanmoins retenu que l'art. 79 al. 3 LIFD ne faisait pas obstacle à ce qu'une société puisse présenter une seule clôture des comptes pour la période du 1er janvier d'une année au 31 mai de l'année suivante, soit 17 mois, et que, même du point de vue de la compensation des pertes, il s'agissait d'un seul bouclement (consid. 3.3).

Or, à partir du moment où un exercice long avec un seul bouclement de compte est conforme au droit fédéral en l'absence d'abus de droit, les arguments de la doctrine récente, en particulier ceux développés par HELBING/FELBER, en faveur d'une possible réduction ou extension de la durée de compensation des pertes apparaissent convaincants. En effet, le texte de l'art. 67 al. 1 LIFD parle des pertes de sept « exercices commerciaux » précédant la période fiscale. Il ne limite donc pas le report de pertes dans le temps en se référant aux années civiles ou à une période de douze mois, mais aux exercices commerciaux, seule une interprétation systématique fondée sur une lecture stricte de l'art. 79 al. 3 LIFD – non adoptée par le Tribunal fédéral, comme déjà exposé – pouvant amener à une conclusion contraire. Ainsi, dans la mesure où il y a une prolongation ou un raccourcissement modéré et isolé de l'exercice, justifié sur le plan commercial, celui-ci est également déterminant sur le plan fiscal – nonobstant le texte de l'art. 79 al. 3 LIFD –, du moins dans la mesure où il n'existe pas d'indices d'évasion fiscale.

En l'occurrence, comme déjà mentionné, l'on a affaire à une unique prolongation d'un exercice fiscal, extension d'une durée limitée à trois mois, justifiée par des motifs commerciaux – à savoir la reprise par un groupe étranger ayant des pratiques comptables différentes – et expressément avalisée par la recourante, si bien que l'on peut exclure tout abus de droit ou motivation purement fiscale, ce d'autant qu'il eût été difficile à la contribuable de prévoir qu'elle subirait des pertes jusqu'à l'année 2019 mais ferait des bénéfices en 2020.

L'intimée pouvait dès lors, de manière conforme au droit, ne pas procéder à un bouclement en 2013, si bien que la période du 1er janvier 2013 au 31 mars 2014 ne constituait, même du point de vue de la compensation des pertes au plan fiscal, qu'un seul exercice, correspondant à l'exercice n-6. Il en découle que l'exercice 2012 est le n-7 et peut donc, conformément à l'art. 67 al. 1 LIFD, faire encore l'objet d'une compensation des pertes. L'extension au-delà de 84 mois de la période de compensation des pertes apparaît comme une conséquence réflexe de l'interprétation faite par le Tribunal fédéral de l'art. 79 al. 3 LIFD et de la possibilité d'étendre un exercice au-delà de douze mois pour des motifs justifiés de nature commerciale.

Les dispositions régissant l'ICC (cf. supra consid. 2.7) étant identiques aux art. 67 et 79 LIFD, la même solution s'impose dans ce cadre.

Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.

3.             Vu la qualité de la recourante et l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 2ème phr. LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à l'intimée, qui y a conclu et a exposé des frais pour sa défense, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 décembre 2022 par l'administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 novembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à A______SÀRL une indemnité de procédure de CHF 1'000.‑, à la charge de l'État de Genève (administration fiscale cantonale) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à DEPIGEST SA, mandataire de l'intimée, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :