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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2211/2023

ATA/1144/2023 du 17.10.2023 ( LAVI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2211/2023-LAVI ATA/1144/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 octobre 2023

 

dans la cause

 

A______, agissant par sa curatrice et mère, B______ recourant
représenté par Me Michael ANDERS, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI intimée



EN FAIT

A. a. Par arrêt du 24 août 2021, la chambre pénale de recours de la Cour de justice (ci‑après : CPR) a rejeté le recours formé par A______, né le ______ 1997, contre l’ordonnance de classement prononcée par le Ministère public (ci-après : MP) le 26 mai 2021.

La CPR a retenu les faits suivants :

b. A______ souffrait d'un retard mental moyen. Depuis le 11 mars 2015, il était placé sous la curatelle de portée générale de sa mère, B______. Il vivait avec elle et son frère, C______, né le ______ 2000.

c. Le 5 octobre 2015, la mère et ses deux fils avaient déposé plainte contre D______, qui entretenait une liaison amoureuse avec B______, pour des actes de violences commis à leur encontre entre juin et octobre 2015, la prénommée lui reprochant, en sus, des viols et contraintes sexuelles.

d. Par jugement du 31 janvier 2017 du Tribunal correctionnel, partiellement confirmé par arrêt du 11 septembre 2017 de la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice, D______ avait été condamné à une peine privative de liberté de deux ans pour contrainte sexuelle, tentative de contrainte sexuelle, lésions corporelles simples, voies de fait, menaces, injure, séjour et travail illégaux. Une mesure thérapeutique institutionnelle avait été prononcée.

e. Le 2 décembre 2015, A______, représenté par sa mère, avait déposé plainte contre D______ pour contrainte sexuelle.

Le 27 novembre 2015, en l'étude de son conseil et en présence d'un interprète, il avait expliqué que D______, après l'avoir déshabillé, lui avait fait subir des pénétrations anales, à trois reprises. Il ne savait pas si le précité avait éjaculé, ce dernier s'étant « arrêté de lui-même ». Celui-ci avait menacé de le tuer ainsi que sa mère et son frère, s'il criait pendant les actes – douloureux – ou s'il en parlait à quelqu'un. Sans pouvoir les situer dans le temps, le jeune homme avait précisé que ces faits avaient eu lieu le matin, sur le canapé du salon, en l'absence de sa mère et de son frère. Il avait fait ces révélations à sa mère deux jours plus tôt, ne l'ayant pas fait auparavant par crainte.

B______ avait constaté des taches de sang dans les slips de son fils à trois reprises, la dernière fois entre juillet et août 2015. N'ayant pas reçu d'explications de sa part, elle avait pensé à des problèmes de constipation. Elle se rappelait cependant que D______ lui avait dit, durant la nuit ayant mené à son interpellation du 5 octobre 2015, que son fils était « pédé » et qu' « il l'avait pénétré ».

A______ sollicitait, en raison de son handicap mental, son audition par un pédopsychiatre expérimenté et qu'un médecin légiste soit désigné pour assister à l'examen devant être effectué par un proctologue, des cicatrices de lésions pouvant encore être constatées.

f. Après avoir fait défaut à deux convocations de la police, le jeune homme avait été entendu le 21 juillet 2016 selon le protocole d'audition pour enfants victimes d'infractions graves (ci-après : EVIG), en présence d'une interprète de langue espagnole. Dans un discours mêlé d'explications relatives aux faits des 4 au 5 octobre 2015, il avait déclaré s'être fait violer par D______ à deux reprises, au salon. Alors qu'il était seul à la maison – son frère était au collège et sa mère au travail –, « le monsieur » était venu et avait « commencé à le violer ». Invité à en dire davantage, il avait expliqué: « il a commencé à me violer et après il a arrêté de me violer. Il est parti. Et le lendemain il est revenu à nouveau pour me violer encore ».

Il écoutait de la musique au salon, avait entendu sonner à la porte, avait ouvert la porte et « là, il a[vait] commencé à le violer », ce qu'il avait répété plusieurs fois, précisant que D______ était « bourré ». L'inspectrice lui ayant demandé de parler « de ce monsieur qui [le] viole », le jeune avait répété que D______ les avait frappés, lui‑même, sa mère et son frère. Interrogé sur le moment du viol, il avait précisé que D______ l'avait « serré comme ça (met son avant‑bras devant sa gorge) fort » et lui avait « enlevé le pantalon » ; « j'étais en train de courir et je lui ai demandé de pas me faire de mal jusqu'à ce moment-là où il m'a attrapé dans le cou il m'a serré très fort il m'a violé ».

L'inspectrice avait demandé à A______ ce que signifiait pour lui le mot « violer ». Il avait répondu « [q]ue une femme et un homme ils font du sexe de violation (tape sa main à plat sur son autre main, point fermé) », ajoutant qu'il avait « déjà répété beaucoup de fois sur D______ ». Il ne voulait pas que ce dernier lui enlève son pantalon, mais celui-ci l'avait pris par le cou et lui avait tordu la main, puis pris l'autre main, lui avait baissé son pantalon et l'avait violé, sur le tapis du salon.

g. Lors de l'audience du 15 octobre 2016, B______ avait déclaré avoir, à la demande de l'assistante sociale, questionné son fils sur sa relation avec D______. Il lui avait expliqué que le précité lui avait descendu le pantalon et l'avait pénétré ; c'était arrivé deux fois, dans le salon, alors qu'elle était au travail et son autre fils à l'école. Celui-ci avait dit à son fils : « Agachate concha de tu madre, si no voy a matar a tu mamà y a tu hermano », soit « Mets-toi à genoux, fils de pute, sinon je vais tuer ta mère et ton frère ! », expression qu'elle avait déjà entendue dans la bouche du premier cité. D______ avait aussi menacé son fils de s'en prendre à eux s'il en parlait. Son fils n'était pas en mesure de dire quand les faits s'étaient produits. Elle avait attiré son attention sur le fait qu'il ne devait pas inventer ou qu'il avait peut-être fait un rêve, mais son fils avait maintenu ses déclarations. Pendant cette discussion, son fils pleurait, lui rapportant que c'était très dur et qu'il avait eu mal. Il n'avait pas fui car il avait eu peur pour eux. Il avait toutefois fait promettre à sa mère de ne pas en parler, car sinon D______ les tuerait. Elle confirmait avoir constaté des traces de sang dans la culotte de son fils à trois reprises. Elle lui avait dit qu'il fallait qu'il se rende chez le médecin, ce qu'il avait refusé. Son fils lui avait demandé souvent si D______ allait sortir de prison.

h. Interrogé par le MP, ce dernier avait contesté les faits reprochés.

i. Entendue le 19 mai 2017 par le MP, la Docteure E______ avait confirmé que A______ était suivi au sein de l'Unité de Psychiatrie du Développement Mental depuis septembre 2014, et par elle-même depuis le 1er novembre 2015. Le retard mental dont il souffrait se manifestait par une limitation de ses capacités (lecture, écriture, compréhension générale, aspect cognitif et émotionnel, comprendre les situations et en tirer les conséquences). Il pouvait aussi avoir de la peine à situer les événements dans le temps. Son patient avait, approximativement, l'âge mental d'un enfant de 9 ou 10 ans. Elle confirmait qu'il avait un retard par rapport à la sexualité, sans pouvoir l'estimer. Il pouvait être influencé. Elle avait tenté, à plusieurs reprises, de parler des faits avec son patient, qui s'y était toujours opposé, se fâchant même à leur évocation. Il s'était « braqué » lorsqu'elle lui avait expliqué qu'elle allait être entendue et avait refusé de se rendre à l'examen anatomique et physique, acceptant uniquement une prise de sang.

j. Le 12 mars 2020, le Docteur F______, médecin-adjoint responsable à l'Unité interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence (ci-après : UIMPV), avait informé le MP que A______ avait fait défaut au rendez-vous fixé le 16 décembre 2015. Ne semblant pas prêt à parler de ce qu'il avait subi, sa prise en charge avait été organisée avec son psychiatre traitant.

k. Il ressortait des conclusions de l’expertise de crédibilité que les déclarations du jeune homme étaient, « de façon générale, plutôt crédibles », l'expert n'ayant toutefois pas pu se déterminer sur les aspects centraux de l'abus sexuel allégué.

l. Lors de son audition, l'expert avait exposé que le problème central était que le jeune homme n'avait pas décrit le viol. Il était difficile de savoir si l'on pouvait obtenir « plus » d'une seconde audition. Il faudrait refaire une audition EVIG, avec la même inspectrice, même si la question d'y faire procéder par un inspecteur se posait, pour que A______ se sente plus à l'aise. Si celui-ci comprenait le besoin d'obtenir plus de détails et qu'il ne s'énervait pas, cela pouvait être utile. Au contraire, s'il ne supportait pas d'en parler, il n'y aurait pas de meilleur résultat. Ce qui avait été dit entretemps pouvait avoir un impact sur ses déclarations. À l'inverse, si A______ faisait une description détaillée, ne permettant pas de rassembler les items, « on aurait plutôt la confirmation que l'abus n'a pas été vécu ». S'il rapportait un discours plus crédible et détaillé, il faudrait encore établir si celui-là avait été appris.

m. Le 4 mars 2021, le MP avait informé les parties qu'une ordonnance de classement serait rendue, leur impartissant un délai pour lui adresser leurs réquisitions de preuve.

n. Dans le délai imparti, A______ avait sollicité sa réaudition, conformément au protocole EVIG.

B. a. Le MP a classé la procédure le 26 mai 2021, retenant que les faits dénoncés ne pouvaient être considérés comme suffisamment crédibles pour justifier un renvoi en jugement. Ils étaient contestés et n’étaient corroborés par aucun élément objectif du dossier, le jeune homme se refusant à un examen anatomique et physique.
Celui-ci cherchait peut-être à causer du tort à D______, afin qu’il ne sorte pas de prison. A______ n’avait pas détaillé les actes subis, de sorte que l’expert en crédibilité avait été dans l’impossibilité de se déterminer sur les aspects centraux de l’abus sexuel allégué. Le jeune homme s’était contredit dès lors qu’il avait affirmé s’être fait violer trois fois, alors qu’il n’avait parlé que de deux abus à la police et n’avait « contextualisé » que l’un d’entre eux.

b. Statuant sur recours de A______, la CPR a retenu, dans sa partie « en droit » de l’arrêt cité ci-dessus, qu’il ressortait du dossier que le 25 novembre 2015, l’intéressé avait confié à sa mère que le prévenu lui avait baissé son pantalon et l'avait pénétré, à deux reprises, dans le salon, alors qu'elle-même et son frère étaient absents. Deux jours plus tard, en l'étude de son conseil et en présence d'un interprète, il avait réitéré ses accusations, lesquelles avaient été rapportées par son avocat au MP le 2 décembre 2015. Lors de cet entretien, le jeune homme avait déclaré que le prévenu avait agi à trois reprises ; il ne savait pas si le précité avait éjaculé, s'étant arrêté de lui-même. Tant l'avocat que la mère de A______ avaient expliqué que ce dernier avait fait l'objet de menaces et ne pouvait pas situer les faits dans le temps.

Lors de son audition, effectuée selon le protocole EVIG – en raison du retard mental dont il souffrait –, le jeune homme avait exposé s'être fait « violer » à deux reprises par le prévenu. Questionné à ce sujet par l'inspectrice, il n'avait donné que des détails périphériques, ne précisant pas ses propos s'agissant de l'acte dénoncé. Pour le surplus, il avait toujours refusé d'en parler, en particulier à son médecin psychiatre et en ne se rendant pas au rendez-vous fixé à l'UIMPV. Il s'était même « braqué » lorsque son médecin l'avait informé de ce qu'elle allait être auditionnée par le MP le 19 mai 2017. L'expert avait jugé les déclarations de A______ « plutôt crédibles » « de façon générale », ne pouvant toutefois pas se prononcer sur l'acte, faute de détails.

D______ avait toujours contesté les faits reprochés. Aucun des éléments du dossier ne permettait ainsi de privilégier la version de l’une ou l’autre des parties. Le jeune homme avait refusé de se soumettre à un examen anatomique, de sorte qu'aucun constat n'avait pu mettre en évidence d'éventuelles traces corporelles. Ses proches n'avaient pas allégué avoir observé chez lui de changement dans son comportement. Seules des traces de sang dans sa culotte avaient été constatées par sa mère, en juillet ou août 2015, soit pendant les vacances scolaires. Ces traces ne pouvaient donc pas être reliées aux faits dénoncés, A______ ayant indiqué que son frère était à l'école au moment des actes, sans pour autant réussir à les situer dans le temps.

L’on ne voyait pas quel acte d'enquête serait propre à établir les faits dénoncés. Il n'existait aucune garantie qu'une nouvelle audition du jeune homme permettrait d'obtenir davantage de détails sur l'acte en lui-même. Celui-ci, qui s'était déjà confié à de nombreuses reprises – soit tout d'abord à sa mère, puis à son avocat –, sans que l'on puisse toutefois déterminer la manière dont les questions avaient été posées, ni ce qu'il avait pu en comprendre, en raison notamment de son retard mental et dans sa sexualité, n'avait pas étayé ses accusations. À la police, malgré les questions de l'inspectrice, A______ n'avait pas non plus précisé ses propos. L’on ne voyait ainsi pas qu’il s’exprimerait désormais davantage, de surcroît en présence d'un médecin psychiatre comme le demandait son conseil, alors qu'il avait toujours refusé d'en parler à son propre thérapeute et ne s'était pas présenté à son rendez-vous à l'UIMPV. Aucune circonstance nouvelle n’était alléguée, tel le fait d'avoir surmonté un état de choc qui pourrait avoir libéré sa parole. Compte tenu du temps écoulé – soit près de six ans depuis les faits – et des personnes qui l'entouraient – qui avaient elles-mêmes été victimes d'autres agissements du prévenu pour lesquels celui-ci avait été condamné –, il n'existait aucune certitude que son discours ne serait pas « pollué », de sorte qu'une nouvelle audition n'apparaissait pas de nature à apporter de nouveaux éléments probants.

Bien que « possiblement crédibles », les déclarations de A______ ne rendaient pas les probabilités d'une condamnation nettement plus élevées que celles d’un acquittement, faute d'autres éléments pouvant les étayer. Le classement de la procédure était donc justifié.

C. a. Par décision du 5 septembre 2022, notifiée le même jour, l’instance d’indemnisation selon de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5) a rejeté la requête de A______ visant l’octroi d’une indemnité de CHF 18'000.- à titre de réparation du tort moral.

L’intéressé n’apportait aucun élément permettant de conclure à la réalisation des éléments constitutifs objectifs d’une infraction et susceptible de justifier de s’écarter de la constatation de faits opérée par le MP. L’existence d’une infraction selon le droit pénal suisse n’était pas établie, de sorte que la qualité de victime ne pouvait être retenue. Au surplus, la version de requérant ne présentait pas un degré de vraisemblance prépondérante permettant de la privilégier par rapport à celle de son prétendu agresseur.

b. Par acte expédié le 5 octobre 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a recouru contre cette décision, concluant à l’octroi d’une indemnité pour tort moral de CHF 18'000.-.

L’autorité intimée avait violé la maxime d’office. L’ordonnance de classement ne se prononçait pas sur la réalité de l’infraction, constatant uniquement qu’aucun élément du dossier ne permettait de considérer la version du plaignant plus crédible que celle du prévenu. L’instance d’indemnisation LAVI, en se référant à cette ordonnance, avait examiné la vraisemblance prépondérante de la condamnation du prévenu et non du statut de victime du plaignant.

c. Par arrêt du 20 décembre 2022 (ATA/1295/2022), la chambre administrative a admis partiellement le recours. La cause était renvoyée à l’instance d’indemnisation LAVI pour qu'elle procède à un examen circonstancié de l'ensemble des moyens de preuve versés au dossier et rende une nouvelle décision dûment motivée.

Dès lors que l’absence d’une condamnation pénale ne faisait pas échec à une indemnisation au sens de la LAVI et que, dans cette hypothèse, le statut de victime devait être déterminé selon la vraisemblance prépondérante, il incombait à l’autorité intimée d’examiner la requête qui lui était soumise sous cet angle. Elle ne pouvait, comme elle l’avait fait, limiter son examen à la question de savoir si le requérant avait apporté d’autres éléments que ceux ayant conduit au classement de la procédure pénale. Le constat que la version du requérant ne présentait pas un degré de vraisemblance prépondérante permettant de la privilégier par rapport à celle de son prétendu agresseur n’était, de surcroît, pas motivé.

Les éléments soulevés par le recourant, notamment les avis de la Dre E______ et du psychologue, le constat de la CPR que les allégations de l’intéressé étaient « possiblement crédibles » ainsi que les déclarations faites par celui-ci lors de son audition EVIG n'apparaissaient, de prime abord, pas incompatibles avec les agressions sexuelles alléguées. L’autorité intimée se devait ainsi de les apprécier, sous l’angle de la vraisemblance prépondérante, pour déterminer si le recourant revêtait le statut de victime au sens de la LAVI. Cette obligation lui incombait également au regard de la maxime d'office applicable en la matière (art. 29 al. 2 LAVI).

Les griefs de violation du droit à une décision motivée et de la maxime inquisitoire étaient ainsi fondés. Dans la procédure devant la chambre de céans, l’autorité intimée ne s’était pas prononcée sur ces deux points, se bornant à expliquer les motifs l’ayant conduite à renoncer à l’audition du recourant.

Dans ces circonstances, la violation du droit d’être entendu ne pouvait être réparée dans la procédure de recours. Celle-ci ne permettait, au demeurant, pas non plus de procéder à l’examen, sous l’angle de la vraisemblance prépondérante, du statut de victime du recourant, auquel l’autorité intimée aurait dû procéder, sous peine de priver le recourant d’un degré de juridiction.

d. Par décision du 30 mai 2023, l’instance d’indemnisation LAVI a rejeté la requête formée par A______.

Sa qualité de victime, soit l’existence d’une infraction à son intégrité sexuelle, ne pouvait pas être retenue selon la règle de la vraisemblance prépondérante. « En d’autres termes, il n’existait pas de raisons objectives en faveur de l’existence d’infractions à l’intégrité sexuelle du requérant, à un point tel que d’autres possibilités envisageables n’entraient pas en ligne de compte ».

Les seules déclarations de A______ « émanant personnellement de lui, et non rapportées par des tiers », étaient celles faites lors de son audition EVIG à la police, le 21 juillet 2016. Il avait utilisé à plusieurs reprises le terme « violé », mais n’avait pas apporté d’éléments précis au sujet d’un tel viol.

L’expertise de crédibilité avait souligné qu’il avait fait un récit suffisant concernant le contexte et le début de l’abus sexuel allégué. Ces déclarations étaient ainsi à considérer comme suffisantes, du point de vue de leur crédibilité. En revanche, l’expertise n’apportait pas la même appréciation au sujet de l’abus sexuel allégué puisqu’elle relevait que l’aspect central de l’abus n’était pas détaillé.

Il ressortait de l’audition de l’expert par le MP, cité dans l’arrêt de la CPR, que le problème central était que A______ n’avait pas décrit le « viol » et qu’il était difficile de savoir si une nouvelle audition EVIG pourrait apporter « plus ». Une telle audition pourrait être utile si A______ comprenait le besoin d’obtenir plus de détails et qu’il ne s’énervait pas. En tout état, ce qui avait été dit depuis 2015 pouvait avoir un impact sur ces déclarations.

A______ n’avait pas été entendu une nouvelle fois. Les seules déclarations dont disposait l’instance d’indemnisation LAVI étaient donc celles de l’audition EVIG.

Les déclarations rapportées par le conseil de la mère de A______ dans son courrier du 2 décembre 2015 adressé au MP ne pouvaient pas, à elles seules, être considérées comme des « raisons objectives en faveur de » l’infraction alléguée, précisément parce qu’il s’agissait de propos rapportés par un tiers.

Le courrier du conseil de la mère du 2 décembre 2015 évoquait trois pénétrations anales, alors que l’audition EVIG mentionnait deux « viols » survenus deux matins consécutifs. Comme l’arrêt de la CPR l’avait relevé, un élément temporel suscitait le doute : A______ avait évoqué des événements survenus le matin, alors que son frère était à l’école. Sa mère avait, selon le courrier précité, évoqué le constat de sang dans les slips de son fils à trois reprises, la dernière fois au mois de juillet/août 2015. Or, il s’agissait de périodes de vacances scolaires. Si A______ avait été victime de pénétrations anales, il paraissait probable que les pertes de sang aient eu lieu dans les jours suivants, et non plusieurs semaines plus tard.

La Dre E______ était le médecin traitant de A______. Elle était dans une relation thérapeutique avec lui et n’avait pas une position d’expert. Elle n’avait jamais pu évoquer précisément des actes commis par D______ puisque A______ s’était toujours mis en colère et « braqué » lorsqu’elle avait tenté d’évoquer avec lui la question d’une agression sexuelle.

A______ avait par ailleurs refusé l’examen anatomique et physique à l’IUMPV. Cette absence de tout constat médical physique ne permettait pas d’accréditer la thèse de la commission d’une infraction pénale, sous l’angle de la vraisemblance prépondérante.

Le courrier du 2 décembre 2015 au procureur indiquait que B______ avait rapporté que D______ avait évoqué une pénétration anale commise par plus d’une personne, qui plus était des tiers. Or, lors de son audition EVIG, A______ n’avait jamais évoqué d’actes d’ordre sexuel commis par d’autres personnes que D______.

A______ et son frère avaient été témoins d’une partie des violences commises par D______ au préjudice de leur mère, en particulier des actes d’ordre sexuel. Il résultait de la procédure pénale que la nuit du 4 au 5 octobre 2015 avait été gravement traumatisante pour B______ et ses deux fils. A______ avait un attachement fort à sa mère. L’instance ne pouvait dès lors exclure que A______ ait pu reprendre pour lui-même les actes traumatisants dont sa mère avait été victime de la part de D______, et dont le jeune homme avait été partiellement témoin.

Enfin, l’instance soulignait la crainte éprouvée par A______ à l’égard de D______, en particulier à la suite des violences exercées dans la nuit précitée, et le souhait de celui-là que ce dernier quitte la Suisse.

En conclusion, il n’existait pas d’éléments objectifs suffisants pour retenir la réalité de la commission d’une infraction à l’intégrité sexuelle de A______ par D______. D’autres possibilités envisageables entraient en ligne de compte : une identification de A______ aux actes dont sa mère avait été victime, la pollution du récit de A______ par ceux de tiers proches, élément auquel il fallait encore ajouter le souhait de A______ que D______ quitte la Suisse à la suite des événements traumatisants commis par lui en particulier dans la nuit du 4 au 5 octobre 2015.

A______ ne pouvait pas être considéré comme victime, au sens de l’art. 1 LAVI.

D. a. Par acte du 3 juillet 2023, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative contre cette décision. Il a conclu à son annulation et à ce qu’une indemnité pour tort moral de CHF 18'000.- lui soit allouée. En application de la jurisprudence du Tribunal fédéral la question consistait à savoir si un état de fait différent entrerait raisonnablement en considération.

La Dre E______ avait évoqué un « retard également par rapport à la sexualité », même s’il était difficile de l’estimer. Le médecin avait ajouté que « le fait que A______ refuse de parler des faits était pour elle plutôt le signe d’un traumatisme, plutôt que le signe qu’une telle agression (sexuelle) n’avait pas eu lieu ». L’expert, dans la procédure pénale, avait qualifié les déclarations du recourant à la police le 21 juillet 2016 de « plutôt crédibles ». Les opinions de ces deux spécialistes conféraient ainsi au récit de la victime une vraisemblance prépondérante.

Les arguments divergents de l’autorité intimée n’étaient pas convaincants, d’autant moins qu’elle ne disposait pas des connaissances médicales qu’exigeait le profil particulier de la victime. Le recourant détaillait cinq points précis sur lesquels il sera revenu dans la partie en droit du présent arrêt.

Les éléments proposés par l’intimée à l’appui de faits différents de ceux exposés par la victime ne pouvaient être raisonnablement pris en considération, d’autant moins qu’ils s’écartaient des opinions spécialisées en matière de crédibilité. La négation de la vraisemblance prépondérante violait le droit fédéral.

b. L’autorité intimée a persisté dans ses considérants.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985
- LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur le refus, par l’instance d’indemnisation, de la qualité de victime du recourant et donc d’un droit à une réparation morale.

2.1 Toute personne qui a subi, du fait d’une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle (victime) a droit au soutien prévu par la LAVI (art. 1 al. 1 LAVI).

L’aide aux victimes comprend notamment la réparation morale (art. 2 let. e LAVI).

2.2 Selon la jurisprudence, l'échec de la procédure pénale n'exclut pas nécessairement le droit à l'aide aux victimes telle que la définit l'art. 2 LAVI ; l'art. 1 al. 3 LAVI précise du reste que ce droit existe, que l'auteur de l'infraction ait ou non été découvert (let. a), qu'il ait eu un comportement fautif ou non (let. b) ou qu'il ait agi intentionnellement ou par négligence (let. c). Le Tribunal fédéral a pour l'heure cependant laissé indécise la question de savoir si, dans un tel cas de figure, dans le cadre de l'examen de la demande d'indemnisation LAVI, la preuve de l'infraction, respectivement du statut de victime au sens de l'art. 1 al. 1 LAVI, était soumise à des exigences moins strictes qu'en procédure civile ou pénale. D'un point de vue général, en matière civile et dans le domaine des assurances sociales notamment, lorsque par la nature même de l'affaire, une preuve stricte n'est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée, le degré de preuve requis se limite à la vraisemblance prépondérante. Dans le domaine de l'aide aux victimes, au regard de la nature juridique des prestations prévues par la LAVI, lesquelles englobent des éléments propres à la sécurité sociale, la doctrine se prononce également en faveur de la vraisemblance prépondérante, telle que développée par la jurisprudence en matière d'assurances sociales, non seulement lorsqu'il s'agit d'établir le lien entre l'infraction et l'atteinte à la santé, mais également pour arrêter le statut de victime, en cas d'absence ou d'échec de la procédure pénale. Cette opinion est également partagée par la Conférence suisse des offices de liaison de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions (ci-après : CSOL-LAVI), de même que, plus récemment, par le Conseil fédéral. Cette règle sur le degré de preuve exigé dans le cadre de la procédure LAVI doit ainsi être confirmée, quand bien même elle pourrait avoir pour conséquence de soumettre la victime, dont les prétentions sont en premier lieu examinées dans le cadre de la procédure pénale, à des exigences plus strictes en matière de preuve que celles auxquelles est soumis le demandeur renonçant à la participation ou à l'ouverture d'une procédure pénale (ATF 144 II 406 consid. 3.1 et les référence citées).

2.3 Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ou probable ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références citées). Il importe ainsi que le tribunal acquière la conviction, sur la base d'une appréciation objective de toutes les circonstances, qu'un fait constitue la version la plus vraisemblable parmi plusieurs versions possibles (ATF 126 V 353 consid. 5b ; 130 III 321 = JT 2005 I 618 consid. 3.2 et 3.3 et les références citées). Le Tribunal fédéral a précisé que présente un degré de vraisemblance prépondérante la variante qui, parmi plusieurs hypothèses possibles, apparaît comme étant la plus probable et qu'il s'ensuit qu'un degré de vraisemblance général de 75% n'est manifestement pas exigé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_717/2009 du 20 octobre 2009 consid. 3.3 et les références citées).

2.4 Les Recommandations de CSOL-LAVI, du 21 janvier 2010 (ci-après: les Recommandations) précisent que les exigences liées à la preuve de la qualité de victime varient en fonction du genre et de l’étendue de l’aide demandée et du moment de la demande (ATF 134 II 33 ; 125 II 265 ; 122 II 216 et 321). On distingue trois niveaux : la consultation au sens étroit et l’aide financière immédiate ; l’aide à plus long terme fournie par un tiers ; l’indemnisation et la réparation morale.

« Lors de l’octroi d’indemnisation et de réparation morale, il faut retenir pour le degré de preuve celui de la vraisemblance prépondérante, en se basant sur le droit des assurances sociales. Le degré de vraisemblance qui plaide en faveur de la qualité de victime doit être si élevé qu’il ne reste plus aucune raison sérieuse d’envisager un autre état de fait. En d’autres termes, il est possible que les événements se soient passés autrement, mais cette possibilité ne doit pas être considérée comme déterminante. Exprimée en chiffre, la vraisemblance de la qualité de victime doit atteindre au moins 75%. […] L’autorité compétente ne peut pas exiger de la victime qu’elle ouvre une action pénale. Cependant, en l’absence de procédure pénale, la victime risque, dans les cas où il n’y a ni trace, ni indice ni aucun autre élément de preuve à disposition, de ne pouvoir également suffisamment prouver l’existence d’une infraction lors de la procédure relative à l’octroi de prestations d’aide aux victimes, que l’infraction ne puisse pas atteindre le degré de preuve exigé pour l’octroi d’une aide aux victimes. Lorsqu’il n’y a pas de procédure pénale, l’autorité compétente doit établir les faits d’office » (recommandations 2.8.2).

Les allégations de la personne requérante doivent être vérifiées du mieux possible, à l’aide de rapports médicaux, dossiers des assurances sociales ou autres. Il faut examiner dans chaque cas concret si les conditions de la LAVI sont remplies et tenir compte du fait que les exigences posées à la preuve de la qualité de victime divergent selon la prestation envisagée (commentaire 2.8.2).

L’obligation de collaborer implique en particulier que la personne qui a déposé la demande révèle les faits qu’elle est seule à connaître ou qu’il serait beaucoup plus difficile d’établir sans ses indications. Dans ce cadre, elle peut être astreinte à fournir des documents ou à habiliter l’autorité compétente à avoir accès au dossier (ATF 126 II 102). L’autorité doit expressément rendre attentive la victime à son obligation de collaborer. Si la victime ne respecte pas cette obligation, l’autorité peut se baser sur le seul dossier pour prendre sa décision (commentaire 4.3.2).

2.5 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références). Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 324 consid. 3.2 et 3.3 ; 126 V 360 consid. 5b). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 322 consid. 5a).

2.6 En l’espèce, l’instance LAVI indique se fonder sur l’audition EVIG du recourant, l’expertise de crédibilité ainsi que l’audition de l’expert par le MP. Elle relève l’absence d’éléments concrets et d’examens anatomique et physique. Elle relativise la portée des déclarations de la mère de l’intéressé ainsi que de la praticienne, qualifiée de médecin traitant.

2.6.1 Une force probante importante doit être attribuée à l’expertise de crédibilité.

Dans la synthèse et conclusion de son expertise, le spécialiste relève une différence significative entre la description des violences physiques et celle de l’abus sexuel, les premières étant détaillées et partiellement corroborées par les autres témoins, constatation laissant à penser que l’intéressé a les capacités de comprendre un événement vécu, le mettre en mémoire et le rapporter. La description du contexte et du début de la situation d’abus sexuel présente les mêmes caractéristiques alors que l’aspect central de l’abus ne fait état d’aucun détail. L’expert émet trois hypothèses, à savoir : 1) A______ n’a pas vécu d’abus sexuels ; 2) A______ a bien été victime d’un abus sexuel, mais ne veut pas en dire plus. L’expert en détaille les éventuelles raisons ; 3) A______ a bien été victime de l’abus en question, mais, traumatisé par l’expérience, il fait des efforts intenses pour ne pas y penser, ne pas en parler, afin d’éviter de le revivre. L’expert précise que l’audition EVIG, le reste du dossier ainsi que la méthode d’analyse de crédibilité ne permettent pas de valider, objectiver ou encore rejeter les trois hypothèses. Il conclut en indiquant :
« si nous prenons l’ensemble des déclarations, de manière globale, la CBCA comme la liste de pondération, étant donné que l’audition était conforme, donnent le résultat « crédible ». Il faut comprendre que l’absence de l’item 3 (détails) prend déjà en considération le manque de détails concernant l’abus sexuel. Sans cette considération, l’ensemble des déclarations est riche en détails et devrait être considéré comme présent. Nous aurions 10/19 un score clairement crédible. Toutefois, l’aspect quelque peu confus, par moments, compte tenu cependant du retard mental, [l’]amen[ait] à considérer les déclarations, dans leur globalité, comme "plutôt crédibles". Le manque de détails concernant l’aspect central de l’abus sexuel allégué ne [lui] permet[tait] pas de [s]e déterminer sur ce point particulier ».

L’expert écarte les détails concernant l’aspect central de l’abus allégué transmis par le conseil de la mère et non tirés de l’audition EVIG, mais d’un échange avec la maman, puis d’un entretien avec l’avocat. Il relève n’avoir aucune idée du contenu de cet entretien, notamment pas de verbatim ni d’enregistrement alors que certaines réponses laissent présager l’occurrence de questions directes, voire suggestives. Il relève toutefois que, si ces éléments avaient été obtenus dans le cadre de l’audition EVIG, la déclaration du recourant concernant un abus sexuel serait probablement considérée comme crédible.

Le fait que l’expert en crédibilité considère les déclarations du recourant, dans leur globalité, comme « plutôt crédibles » est un élément très important dans l’évaluation de la vraisemblance prépondérante.

2.6.2 L’instance d’indemnisation a relativisé les attestations médicales et l’audition de la Dre E______, médecin adjoint à l’unité de psychiatrie du développement mental des HUG, évoquant un statut de médecin traitant et la relation thérapeutique avec son patient.

Il ressort des certificats médicaux établis par la praticienne que le recourant est suivi depuis le 3 septembre 2014 en raison d’un retard mental moyen avec troubles du comportement. Lors de l’audience du 19 mai 2017 devant le MP, la médecin a précisé que l’intéressé avait l’âge mental d’un enfant de 9 à 10 ans et une limitation de ses capacités (lecture, écriture, compréhension générale, aspect cognitif, aspect émotionnel, comprendre les situations et en tirer les conséquences), qu’il pouvait avoir de la peine à situer les événements dans le temps et qu’il avait un retard par rapport à la sexualité, sans qu’elle puisse l’estimer.

Le centre LAVI semble avoir écarté les affirmations de la praticienne aux motifs qu’elle serait son médecin traitant et de l’importance du lien thérapeutique.

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en droit public et, notamment, en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

En cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral
I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 8C_755/2020 du 19 avril 2021 consid. 3.2 et les références citées). 

En conséquence, la position de la LAVI doit être nuancée, la détermination du médecin traitant ne pouvant être écartée au seul motif de l’existence d’un lien thérapeutique. À ce titre, le recourant doit être suivi lorsqu’il soulève la question des connaissances scientifiques nécessaires à la correcte appréhension du tableau clinique de l’intéressé. À cela s’ajoutent la connaissance qu’a la praticienne du recourant et son suivi médical, dans le temps, sur plusieurs années, y compris la période précédant les événements de la nuit du 4 au 5 octobre 2015, ce qui lui donne aussi la faculté d’analyser le comportement de son patient à l’aune d’éléments médicaux de façon plus complète.

Par conséquent, les attestations de la Dre E______, si elles n’ont pas une force probante aussi élevée que l’expertise de crédibilité, doivent être prises en considération dans le cadre de l’examen de la vraisemblance prépondérante et non être écartées au motif d’un lien thérapeutique.

Or, à teneur des considérations de l’intéressée, si son patient refusait de parler des faits concernant une agression sexuelle, « cela constituait plutôt le signe d’un traumatisme que celui que ladite agression n’aurait pas eu lieu. Il n’avait jamais eu de mots positifs au sujet de sa relation avec D______. Chaque fois qu’il abordait la question, il y avait de la colère ».

2.6.3 Les déclarations du recourant au conseil de sa mère ont été prises en compte par la LAVI avec la précision qu’elles « ne pouvaient pas, à elles seules, être considérées comme des "raisons objectives en faveur de" l’infraction alléguée ».

Cette appréciation apparaît fondée, d’autant plus au vu des remarques faites par l’expert en crédibilité sur le cadre dans lequel ces éléments ont été obtenus.

Toutefois, à la suite de la CPR, l’instance d’indemnisation LAVI relève qu’un élément temporel suscite le doute et semble en tenir compte pour tempérer la portée desdites déclarations. Or, d’une part, les conséquences à tirer de l’existence d’un doute ne sont pas similaires entre la procédure pénale et la présente procédure. D’autre part, la Dre E______ a notamment relevé que son patient avait de la peine à se situer dans le cadre d’un calendrier, que son appréciation du temps était approximative, qu’il avait des difficultés à situer des événements dans le temps et qu’il pourrait se tromper.

Il n’y a dès lors pas lieu d’atténuer, dans le cadre de la présente procédure, le poids à donner à ses déclarations à cause d’une confusion temporelle.

2.6.4 L’instance d’indemnisation conclut qu’il n’existe pas d’éléments objectifs suffisants pour retenir la réalité de la commission d’une infraction à l’intégrité sexuelle du recourant par D______.

Elle évoque deux autres possibilités envisageables : soit une identification de l’intéressé aux actes dont sa mère a été victime, soit la pollution de son récit par ceux de tiers proches. L’instance d’indemnisation LAVI précise : « éléments auxquels il faut encore ajouter le souhait de A______ que D______ quitte la Suisse ».

L’instance d’indemnisation LAVI peut être suivie lorsqu’elle indique que deux autres possibilités de déroulement des faits sont envisageables. Cela n’exclut toutefois pas que la condition de la vraisemblance prépondérante puisse être remplie. L’instance d’indemnisation n’examine pas l’articulation entre ces deux autres hypothèses et le récit du recourant. Elle ne précise notamment pas pourquoi elle considère ces deux autres hypothèses comme déterminantes. L’on comprend que le manque de précision dans le récit de l’intéressé, le fait que l’expert ait relevé que l’aspect central de l’abus n’ait pas été détaillé, les incohérences temporelles du récit, l’absence d’éléments concrets accompagnant le « viol » et d’examens anatomiques et physiques, le statut de médecin traitant de la Dre E______, l’évocation par D______ d’une pénétration anale commise sur le recourant par plus d’une personne, non évoquée par celui-ci lors de son audition EVIG, cumulée à son statut de témoin d’une partie des violences commises par D______ sur sa mère dans la nuit du 4 au 5 octobre 2015 ont conduit l’instance d’indemnisation à considérer que la condition de la vraisemblance prépondérante n’était plus remplie.

La jurisprudence retient que « le degré de vraisemblance qui plaide en faveur de la qualité de victime doit être si élevé qu’il ne reste plus aucune raison sérieuse d’envisager un autre état de fait. En d’autres termes, il est possible que les événements se soient passés autrement, mais cette possibilité ne doit pas être considérée comme déterminante ».

Les quelques nuances apportées au raisonnement de l’autorité intimée dans les considérants qui précèdent ne permettent pas d’en modifier l’issue : il reste des raisons sérieuses d’envisager un autre état de fait. La possibilité que les faits se soient déroulés autrement que ce qui ressort du récit du recourant reste déterminante, ce qui implique que, sans exclure que sa version soit exacte, la vraisemblance de celle-ci n’atteint pas le seuil de la vraisemblance prépondérante requis.

Le recours sera donc rejeté.

3.             Il ne sera pas perçu d’émolument, la procédure étant gratuite (art. 30 al. 1 LAVI) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée.

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 juillet 2023 par A______, représenté par sa mère B______, contre la décision de l’instance d’indemnisation LAVI du 30 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michael ANDERS, avocat du recourant, à l'instance d'indemnisation LAVI ainsi qu'à l'office fédéral de la justice.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Claudio MASCOTTO, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :