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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3268/2022

ATA/1295/2022 du 20.12.2022 ( LAVI ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : LOI FÉDÉRALE SUR L'AIDE AUX VICTIMES D'INFRACTIONS;AIDE AUX VICTIMES;INFRACTIONS CONTRE L'INTÉGRITÉ SEXUELLE;CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;VICTIME;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);TORT MORAL;MOTIVATION DE LA DÉCISION;MAXIME INQUISITOIRE
Normes : Cst.29.al2; LAVI.2; LAVI.1.al3; LAVI.29.al2
Résumé : Violation du droit à une décision motivée et de la maxime inquisitoire au motif que l'autorité intimée n'a pas examiné le statut de victime du recourant sous l'angle de la vraisemblance prépondérante. L’absence d’une condamnation pénale ne fait pas échec à une indemnisation au sens de la LAVI. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3268/2022-LAVI ATA/1295/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 décembre 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______, agissant par sa curatrice et mère, Madame B______
représenté par Me Michael Anders, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI



EN FAIT

1) Par arrêt du 24 août 2021, la chambre pénale de recours de la Cour de justice (ci-après : CPR) a rejeté le recours formé par Monsieur A______, né le ______ 1997, contre l’ordonnance de classement prononcée par le Ministère public le 26 mai 2021.

La CPR a retenu les faits suivants :

a. M. A______ souffrait d'un retard mental moyen. Depuis le 11 mars 2015, il était placé sous la curatelle de portée générale de sa mère, Madame B______. Il vivait avec elle et son frère, C______, né le ______ 2000.

b. Le 5 octobre 2015, la mère et ses deux fils avaient déposé plainte contre Monsieur D______, qui entretenait une liaison amoureuse avec Mme B______, pour des actes de violences commis à leur encontre entre juin et octobre 2015, la prénommée lui reprochant, en sus, des viols et contraintes sexuelles.

c. Par jugement du 31 janvier 2017 du Tribunal correctionnel, partiellement confirmé par arrêt du 11 septembre 2017 de la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice, M. D______ avait été condamné à une peine privative de liberté de deux ans pour contrainte sexuelle, tentative de contrainte sexuelle, lésions corporelles simples, voies de fait, menaces, injure, séjour et travail illégaux. Une mesure thérapeutique institutionnelle avait été prononcée.

d. Le 2 décembre 2015, M. A______, représenté par sa mère, avait déposé plainte contre M. D______ pour contrainte sexuelle.

Le 27 novembre 2015, en l'étude de son conseil et en présence d'un interprète, il avait expliqué que M. D______, après l'avoir déshabillé, lui avait fait subir des pénétrations anales, à trois reprises. Il ne savait pas si le précité avait éjaculé, ce dernier s'étant « arrêté de lui-même ». Celui-ci avait menacé de le tuer ainsi que sa mère et son frère, s'il criait pendant les actes – douloureux – ou s'il en parlait à quelqu'un. Sans pouvoir les situer dans le temps, le jeune homme avait précisé que ces faits avaient eu lieu le matin, sur le canapé du salon, en l'absence de sa mère et de son frère. Il avait fait ces révélations à sa mère deux jours plus tôt, ne l'ayant pas fait avant par crainte.

Mme B______ avait constaté des taches de sang dans les slips de son fils à trois reprises, la dernière fois entre juillet et août 2015. N'ayant pas reçu d'explications de sa part, elle avait pensé à des problèmes de constipation. Elle se rappelait cependant que M. D______ lui avait dit, durant la nuit ayant mené à son interpellation du 5 octobre 2015, que son fils était « pédé » et qu'« ils l'avaient pénétré ».

M. A______ sollicitait, en raison de son handicap mental, son audition par un pédopsychiatre expérimenté et qu'un médecin légiste soit désigné pour assister à l'examen devant être effectué par un proctologue, des cicatrices de lésions pouvant encore être constatées.

e. Après avoir fait défaut à deux convocations de la police, le jeune homme avait été entendu le 21 juillet 2016 selon le protocole d'audition pour enfants victimes d'infractions graves (ci-après : EVIG), en présence d'une interprète de langue espagnole. Dans un discours mêlé d'explications relatives aux faits des 4 au 5 octobre 2015, il avait déclaré s'être fait violer par M. D______ à deux reprises, au salon. Alors qu'il était seul à la maison – son frère était au collège et sa mère au travail –, « le monsieur » était venu et avait « commencé à le violer ». Invité à en dire davantage, il a expliqué: « il a commencé à me violer et après il a arrêté de me violer. Il est parti. Et le lendemain il est revenu à nouveau pour me violer encore ».

Il écoutait de la musique au salon, avait entendu sonner à la porte, avait ouvert la porte et « là, il a[vait] commencé à le violer », ce qu'il avait répété plusieurs fois, précisant que M. D______ était « bourré ». L'inspectrice lui ayant demandé de parler « de ce monsieur qui [le] viole », le jeune avait répété que M. D______ les avait frappés, lui-même, sa mère et son frère. Interrogé sur le moment du viol, il avait précisé que M. D______ l'avait « serré comme ça (met son avant-bras devant sa gorge) fort » et lui avait « enlevé le pantalon »; « j'étais en train de courir et je lui ai demandé de pas me faire de mal jusqu'à ce moment-là où il m'a attrapé dans le cou il m'a serré très fort il m'a violé ».

L'inspectrice avait demandé à M. A______ ce que signifiait pour lui le mot « violer ». Il avait répondu « [q]ue une femme et un homme ils font du sexe de violation (tape sa main à plat sur son autre main, point fermé) », ajoutant qu'il avait « déjà répété beaucoup de fois sur D______ ». Il ne voulait pas que ce dernier lui enlève son pantalon, mais celui-ci l'avait pris par le cou et lui avait tordu la main, puis pris l'autre main, lui avait baissé son pantalon et l'avait violé, sur le tapis du salon.

f. Lors de l'audience du 15 octobre 2016, Mme B______ avait déclaré avoir, à la demande de l'assistante sociale, questionné son fils sur sa relation avec M. D______. Il lui avait expliqué que le précité lui avait descendu le pantalon et l'avait pénétré ; c'était arrivé deux fois, dans le salon, alors qu'elle était au travail et son autre fils à l'école. Celui-ci avait dit à son fils: « Agachate concha de tu madre, si no voy a matar a tu mamà y a tu hermano », soit « Mets-toi à genoux, fils de pute, sinon je vais tuer ta mère et ton frère! », expression qu'elle avait déjà entendue dans la bouche du premier cité. M. D______ avait aussi menacé son fils de s'en prendre à eux s'il en parlait. Son fils n'était pas en mesure de dire quand les faits s'étaient produits. Elle avait attiré son attention sur le fait qu'il ne devait pas inventer ou qu'il avait peut-être fait un rêve, mais son fils avait maintenu ses déclarations. Pendant cette discussion, son fils pleurait, lui rapportant que c'était très dur et qu'il avait eu mal. Il n'avait pas fui car il avait eu peur pour eux. Il avait toutefois fait promettre à sa mère de ne pas en parler, car sinon M. D______ les tuerait. Elle confirmait avoir constaté des traces de sang dans la culotte de son fils à trois reprises. Elle lui avait dit qu'il fallait qu'il se rende chez le médecin, ce qu'il avait refusé. Son fils lui avait demandé souvent si M. D______ allait sortir de prison.

g. Interrogé par le Ministère public, ce dernier avait contesté les faits reprochés.

h. Entendue le 19 mai 2017 par le Ministère public, la Docteure E______ avait confirmé que M. A______ était suivi au sein de l'Unité de Psychiatrie du Développement Mental depuis septembre 2014, et par elle-même depuis le 1er novembre 2015. Le retard mental dont souffrait son patient se manifestait par une limitation de ses capacités (lecture, écriture, compréhension générale, aspect cognitif et émotionnel, comprendre les situations et en tirer les conséquences). Il pouvait aussi avoir de la peine à situer les évènements dans le temps. Son patient avait, approximativement, l'âge mental d'un enfant de neuf ou dix ans. Elle confirmait qu'il avait un retard par rapport à la sexualité, sans pouvoir l'estimer. Il pouvait être influencé. Elle avait tenté, à plusieurs reprises, de parler des faits avec son patient, qui s'y était toujours opposé, se fâchant même à leur évocation. Il s'était « braqué » lorsqu'elle lui avait expliqué qu'elle allait être entendue et avait refusé de se rendre à l'examen anatomique et physique, acceptant uniquement une prise de sang.

i. Le mars 2020, le Docteur F______, médecin-adjoint responsable à l'Unité interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence (ci-après : UIMPV), avait informé le Ministère public que M. A______ avait fait défaut au rendez-vous fixé le 16 décembre 2015. Ne semblant pas prêt à parler de ce qu'il avait subi, sa prise en charge avait été organisée avec son psychiatre traitant.

j. Il ressortait des conclusions de l’expertise de crédibilité que les déclarations du jeune homme étaient, « de façon générale, plutôt crédibles », l'expert n'ayant toutefois pas pu se déterminer sur les aspects centraux de l'abus sexuel allégué.

k. Lors de son audition, l'expert avait exposé que le problème central était que le jeune homme n'avait pas décrit le viol. Il était difficile de savoir si l'on pouvait obtenir « plus » d'une seconde audition. Il faudrait refaire une audition EVIG, avec la même inspectrice, même si la question d'y faire procéder par un inspecteur se posait, pour que M. A______ se sente plus à l'aise. Si celui-ci comprenait le besoin d'obtenir plus de détails et qu'il ne s'énervait pas, cela pouvait être utile. Au contraire, s'il ne supportait pas d'en parler, il n'y aurait pas de meilleur résultat. Ce qui avait été dit entretemps pouvait avoir un impact sur ses déclarations. À l'inverse, si M. A______ faisait une description détaillée, ne permettant pas de rassembler les items, « on aurait plutôt la confirmation que l'abus n'a pas été vécu ». S'il rapportait un discours plus crédible et détaillé, il faudrait encore établir si celui-là avait été appris.

l. Le 4 mars 2021, le Ministère public avait informé les parties qu'une ordonnance de classement serait rendue, leur impartissant un délai pour lui adresser leurs réquisitions de preuve.

m. Dans le délai imparti, M. A______ avait sollicité sa réaudition, conformément au protocole EVIG.

2) Le Ministère public a classé la procédure le 26 mai 2021, retenant que les faits dénoncés ne pouvaient être considérés comme suffisamment crédibles pour justifier un renvoi en jugement. Ils étaient contestés et n’étaient corroborés par aucun élément objectif du dossier, le jeune homme se refusant à un examen anatomique et physique. Celui-ci cherchait peut-être à causer du tort à M. D______, afin qu’il ne sorte pas de prison. M. A______ n’avait pas détaillé les actes subis, de sorte que l’expert en crédibilité avait été dans l’impossibilité de se déterminer sur les aspects centraux de l’abus sexuel allégué. Le jeune homme s’était contredit dès lors qu’il avait affirmé s’être fait violer trois fois, alors qu’il n’avait parlé que de deux abus à la police et n’avait « contextualisé » que l’un d’entre eux.

3) Statuant sur recours de M. A______, la CPR a retenu, dans sa partie « en droit » de l’arrêt cité ci-dessus, qu’il ressortait du dossier que le 25 novembre 2015, l’intéressé avait confié à sa mère que le prévenu lui avait baissé son pantalon et l'avait pénétré, à deux reprises, dans le salon, alors qu'elle-même et son frère étaient absents. Deux jours plus tard, en l'étude de son conseil et en présence d'un interprète, il avait réitéré ses accusations, lesquelles avaient été rapportées par son avocat au Ministère public le 2 décembre 2015. Lors de cet entretien, le jeune homme avait déclaré que le prévenu avait agi à trois reprises ; il ne savait pas si le précité avait éjaculé, s'étant arrêté de lui-même. Tant l'avocat que la mère de M. A______ avaient expliqué que ce dernier avait fait l'objet de menaces et ne pouvait pas situer les faits dans le temps.

Lors de son audition, effectuée selon le protocole EVIG – en raison du retard mental dont il souffre –, le jeune homme avait exposé s'être fait « violer » à deux reprises par le prévenu. Questionné à ce sujet par l'inspectrice, il n'avait donné que des détails périphériques, ne précisant pas ses propos s'agissant de l'acte dénoncé. Pour le surplus, il avait toujours refusé d'en parler, en particulier à son médecin psychiatre et en ne se rendant pas au rendez-vous fixé à l'UIMPV. Il s'était même « braqué » lorsque son médecin l'avait informé de ce qu'elle allait être auditionnée par le Ministère public le 19 mai 2017. L'expert avait jugé les déclarations de M. A______ « plutôt crédibles » « de façon générale », ne pouvant toutefois pas se prononcer sur l'acte, faute de détails.

M. D______ avait toujours contesté les faits reprochés. Aucun des éléments du dossier ne permettait ainsi de privilégier la version de l’une ou l’autre des parties. Le jeune homme avait refusé de se soumettre à un examen anatomique, de sorte qu'aucun constat n'avait pu mettre en évidence d'éventuelles traces corporelles. Ses proches n'avaient pas allégué avoir observé chez lui de changement dans son comportement. Seules des traces de sang dans sa culotte avaient été constatées par sa mère, en juillet ou août 2015, soit pendant les vacances scolaires. Ces traces ne pouvaient donc pas être reliées aux faits dénoncés, M. A______ ayant indiqué que son frère était à l'école au moment des actes, sans pour autant réussir à les situer dans le temps.

L’on ne voyait pas quel acte d'enquête serait propre à établir les faits dénoncés. Il n'existait aucune garantie qu'une nouvelle audition du jeune homme permettrait d'obtenir davantage de détails sur l'acte en lui-même. Celui-ci, qui s'était déjà confié à de nombreuses reprises – soit tout d'abord à sa mère, puis à son avocat –, sans que l'on puisse toutefois déterminer la manière dont les questions avaient été posées, ni ce qu'il avait pu en comprendre, en raison notamment de son retard mental et dans sa sexualité, n'avait pas étayé ses accusations. À la police, malgré les questions de l'inspectrice, M. A______ n'avait pas non plus précisé ses propos. L’on ne voyait ainsi pas qu’il s’exprimerait désormais davantage, de surcroît en présence d'un médecin psychiatre comme le demandait son conseil, alors qu'il avait toujours refusé d'en parler à son propre thérapeute et ne s'était pas présenté à son rendez-vous à l'UIMPV. Aucune circonstance nouvelle n’était alléguée, telle le fait d'avoir surmonté un état de choc qui pourrait avoir libéré sa parole. Compte tenu du temps écoulé – soit près de six ans depuis les faits – et des personnes qui l'entouraient – qui avaient elles-mêmes été victimes d'autres agissements du prévenu pour lesquels celui-ci avait été condamné –, il n'existait aucune certitude que son discours ne serait pas « pollué », de sorte qu'une nouvelle audition n'apparaissait pas de nature à apporter de nouveaux éléments probants.

Bien que « possiblement crédibles », les déclarations de M. A______ ne rendaient pas les probabilités d'une condamnation nettement plus élevées que celles d’un acquittement, faute d'autres éléments pouvant les étayer. Le classement de la procédure était donc justifié.

4) Par décision du 5 septembre 2022, notifiée le 5 septembre 2022, l’Instance d’indemnisation selon de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5) a rejeté la requête de M. A______ visant l’octroi d’une indemnité de CHF 18'000.- à titre de réparation du tort moral.

L’intéressé n’apportait aucun élément permettant de conclure à la réalisation des éléments constitutifs objectifs d’une infraction et susceptible de justifier de s’écarter de la constatation de faits opérée par le Ministère public. L’existence d’une infraction selon le droit pénal suisse n’était pas établie, de sorte que la qualité de victime ne pouvait être retenue. Au surplus, la version de requérant ne présentait pas un degré de vraisemblance prépondérante permettant de la privilégier par rapport à celle de son prétendu agresseur.

5) Par acte expédié le 5 octobre 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre cette décision, concluant à l’octroi d’une indemnité pour tort moral de CHF 18'000.-.

L’autorité intimée avait violé la maxime d’office. L’ordonnance de classement ne se prononçait pas sur la réalité de l’infraction, constatant uniquement qu’aucun élément du dossier ne permettait de considérer la version du plaignant plus crédible que celle du prévenu. L’Instance d’indemnisation LAVI, en se référant à cette ordonnance, avait examiné la vraisemblance prépondérante de la condamnation du prévenu et non du statut de victime du plaignant.

L’autorité intimée n’avait pas examiné les dires du recourant lors de son audition EVIG, pourtant résumés dans l’arrêt de la CPR. Il en ressortait bon nombre d’éléments précis relatifs aux circonstances ayant entouré les agressions. Le recourant avait ainsi indiqué qu’il se trouvait seul dans le salon au domicile familial où il écoutait de la musique, que l’auteur avait sonné à la porte, avait décrit de manière précise les gestes de contrainte physique subie, précisant que l’auteur était « bourré », qu’il l’avait saisi par le cou, lui avait tordu la main puis l’autre main, lui avait baissé le pantalon, l’avait violé sur le tapis du salon. Répondant à la question de savoir ce qu’il entendait par « violer », il avait dit que « une femme et un homme font du sexe en violation (tape sa main à plat sur son autre main, poing fermé) », exprimant ainsi par geste le bris de résistance. À cela s’ajoutait que la Dre E______ avait expliqué le mutisme du recourant au sujet des faits comme signe d’un traumatisme. Il était notoire que le mutisme était fréquent chez les victimes d’infraction sexuelle, notamment chez les enfants, étant rappelé que l’âge mental du recourant était estimé à neuf/dix ans.

Ces éléments, pourtant dûment exposés dans la requête et les déterminations après l’arrêt de la CPR, n’avaient pas été examinés par l’Instance d’indemnisation LAVI. La décision était ainsi insuffisamment motivée et arbitraire.

6) L’intimée a conclu au rejet du recours.

Elle avait renoncé à entendre le recourant, dès lors qu’il souffrait d’un retard mental. Une audition n’aurait pas été appropriée à sa situation de handicap mental. La requête étant complète, le rapport d’expertise et les certificats médicaux figurant au dossier, l’Instance d’indemnisation LAVI avait décidé de statuer sur la base du dossier.

7) Dans sa réplique, le recourant a relevé que l’intimée avait expliqué pourquoi elle n’avait pas procédé à son audition. Ce point ne constituait cependant pas un grief. En revanche, il lui reprochait de ne pas avoir apprécié, sous l’angle de la vraisemblance prépondérante, le résumé de l’audition EVIG et les explications de la Dre E______.

8) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant se plaint d’un défaut de motivation de la décision querellée, qui n’examine pas le résumé de son audition EVIG, les explications de la Dre E______ et le constat de la CPR que ses allégations étaient « possiblement crédibles ».

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend le droit d'obtenir une décision motivée (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid 3.2.1). L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid 3.2.1). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée ; la motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 9C_701/2018 du 27 novembre 2018 consid. 5.2). En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 et les références citées).

b. Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation doit en principe entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond. Selon la jurisprudence, une telle violation peut néanmoins être considérée comme réparée lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une autorité de recours disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure et pouvant ainsi contrôler librement l'état de fait et les considérations juridiques de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

Une telle réparation doit, toutefois, rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte aux droits procéduraux de la partie lésée qui n'est pas particulièrement grave (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 135 I 276 consid. 2.6.1). Elle peut également se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2).

c. Selon la jurisprudence, l'échec de la procédure pénale n'exclut pas nécessairement le droit à l'aide aux victimes telle que la définit l'art. 2 LAVI. L'art. 1 al. 3 LAVI précise au demeurant que ce droit existe, que l'auteur de l'infraction ait ou non été découvert (let. a), qu'il ait eu un comportement fautif ou non (let. b) ou qu'il ait agi intentionnellement ou par négligence (let. c).

Dans un arrêt de principe, publié aux ATF 144 II 406, le Tribunal fédéral a retenu que dans le domaine de l'aide aux victimes, au regard de la nature juridique des prestations prévues par la LAVI – lesquelles englobent des éléments propres à la sécurité sociale –, la vraisemblance prépondérante, telle que développée par la jurisprudence en matière d'assurances sociales, est applicable non seulement à l’établissement du lien entre l'infraction et l'atteinte à la santé, mais également pour arrêter le statut de victime, en cas d'absence ou d'échec de la procédure pénale. Cette règle sur le degré de preuve exigé dans le cadre de la procédure LAVI est applicable, quand bien même elle pourrait avoir pour conséquence de soumettre la victime, dont les prétentions sont en premier lieu examinées dans le cadre de la procédure pénale, à des exigences plus strictes en matière de preuve, que celles auxquelles est soumis le demandeur renonçant à la participation ou à l'ouverture d'une procédure pénale (consid. 3).

Le statut de victime LAVI doit donc être établi au degré de la vraisemblance prépondérante (au sujet de cette notion ATF 140 III 610 consid. 4.1).

3) En l’espèce, l’autorité intimée a considéré que le recourant n’apportait aucun élément permettant de conclure à la réalisation des éléments constitutifs objectifs d’une infraction et susceptible de justifier de s’écarter de la constatation de faits opérée par le Ministère public. L’existence d’une infraction selon le droit pénal suisse n’était pas établie, de sorte que la qualité de victime ne pouvait être retenue. Au surplus, la version de requérant ne présentait pas un degré de vraisemblance prépondérante permettant de la privilégier par rapport à celle de son prétendu agresseur.

Ce faisant, bien que l’autorité intimée mentionne, à la fin de sa décision, le degré de preuve applicable en la matière, elle ne s’est nullement attachée à examiner les éléments ressortant de la procédure pénale sous cet angle. Elle ne motive d’ailleurs pas pourquoi elle ne procède pas à cet examen, se bornant à retenir que le recourant n’apportait pas d’éléments permettant de conclure à la réalisation de l’infraction. La décision ne comporte, à cet égard, aucune considération quant à l’audition EVIG, aux observations de la Dre E______ et à l’avis du psychologue jugeant les déclarations du recourant « plutôt crédibles ». Elle n’aborde pas non plus le constat de la CPR, selon lequel les déclarations du recourant étaient « possiblement crédibles », bien qu’elles ne rendaient pas les probabilités d'une condamnation nettement plus élevées que celles d’un acquittement, ce qui avait justifié le classement.

Or, ces éléments ont été mis en exergue par le recourant dans sa requête et durant la procédure devant l’autorité intimée. Il a, notamment, expressément relevé, dans son courrier du 14 mars 2022 à celle-ci, que l’arrêt de la CPR s’était limité à examiner la cause sous l’angle étroit des chances de succès de condamnation de l’auteur. L’autorité pénale avait néanmoins précisé que les allégations du recourant étaient « possiblement crédibles ».

Dès lors que l’absence d’une condamnation pénale ne fait pas échec à une indemnisation au sens de la LAVI et que, dans cette hypothèse, le statut de victime doit être déterminé selon la vraisemblance prépondérante, il incombait à l’autorité intimée d’examiner la requête qui lui était soumise sous cet angle. Elle ne pouvait, comme elle l’a fait, limiter son examen à la question de savoir si le requérant avait apporté d’autres éléments que ceux ayant conduit au classement de la procédure pénale. Le constat que la version de requérant ne présentait pas un degré de vraisemblance prépondérante permettant de la privilégier par rapport à celle de son prétendu agresseur n’est, de surcroît, pas motivé.

Pourtant, les éléments soulevés par le recourant, notamment les avis de la Dre E______ et du psychologue, le constat de la CPR que les allégations de l’intéressé étaient « possiblement crédibles » ainsi que les déclarations faites par celui-ci lors de son audition EVIG n'apparaissent, de prime abord, pas incompatibles avec les agressions sexuelles allégués. L’autorité intimée se devait ainsi de les apprécier, sous l’angle de la vraisemblance prépondérante, pour déterminer si le recourant revêt le statut de victime au sens LAVI. Cette obligation lui incombait également au regard de la maxime d'office applicable en la matière (art. 29 al. 2 LAVI).

Les griefs de violation du droit à une décision motivée et de la maxime inquisitoire sont ainsi fondés. Dans la procédure devant la chambre de céans, l’autorité intimée ne s’est pas prononcée sur ces deux points, se bornant à expliquer les motifs l’ayant conduite à renoncer à l’audition du recourant.

Dans ces circonstances, la violation du droit d’être entendu ne saurait être réparée dans la procédure de recours. Celle-ci ne permet, au demeurant, pas non plus de procéder à l’examen, sous l’angle de la vraisemblance prépondérante, du statut de victime du recourant, auquel l’autorité intimée aurait dû procéder, sous peine de priver le recourant d’un degré de juridiction.

Le recours sera donc partiellement admis et la cause renvoyée à l’Instance d’indemnisation LAVI pour qu'elle procède à un examen circonstancié de l'ensemble des moyens de preuve versés au dossier et rende une nouvelle décision dûment motivée.

4) Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 LPA). La procédure est gratuite (art. 30 al. 1 LAVI).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 octobre 2022 par Monsieur A______, représenté par sa mère Madame B______, contre la décision de l’Instance d’indemnisation LAVI du 1er septembre 2022 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

renvoie la cause à l’Instance d’indemnisation LAVI pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Monsieur A______, représenté par sa curatrice et mère Madame B______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michael Anders, avocat du recourant, à l'Instance d'indemnisation LAVI ainsi qu'à l'office fédéral de la justice.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :