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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4389/2022

ATA/1105/2023 du 10.10.2023 ( DIV ) , REJETE

Recours TF déposé le 20.11.2023, rendu le 23.04.2024, REJETE, 2C_653/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4389/2022-DIV ATA/1105/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 octobre 2023

 

dans la cause

 

A______ SÀRL recourante
représentée par Me Charles PIGUET, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ Sàrl (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce (ci‑après : RC) du canton de Genève le ______ 2020, et depuis le mois ______ 2022 au RC du canton de B______ ensuite du déménagement de son siège à C______ (dans une zone artisanale), a pour but notamment d’exercer en Suisse et à l'étranger toutes les activités dans le domaine de l'exploitation de crèches, jardins d'enfant et écoles et d’organiser des activités parascolaires.

D______, née le ______ 1989, en est l’associée gérante présidente et possède l'intégralité des parts, tandis que E______est gérante. Toutes deux ont la signature individuelle.

b. D______ est titulaire de l’équivalent d’un certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC) d’assistante socio-éducative, accordé par le secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (ci-après : SEFRI) à la suite de la reconnaissance, le 14 janvier 2013, d’un certificat d’aptitude professionnelle de la petite enfance obtenu à F______ en 2012.

c. Elle est domiciliée au G______ au H______.

B. a. Le 1er décembre 2016, D______ a transmis au service d’autorisation et de surveillance de l’accueil de jour (ci-après : SASAJ) un « Diplôme de fin d’études théoriques » en « psychologie de la petite enfance » et un « Diplôme d’État d’Éducateur de Jeunes Enfants ».

b. Le 22 décembre 2016, le SASAJ a dénoncé D______ auprès du Ministère public (ci-après : MP) pour avoir fabriqué et fait usage desdits diplômes afin d’exercer une activité d’éducatrice de la petite enfance.

c. Par ordonnance pénale du 14 février 2017, le MP a déclaré D______ coupable de faux dans les certificats et l’a condamnée à une peine pécuniaire de 150 jours-amende à CHF 40.- le jour.

D______ avait reconnu les faits. Elle avait eu l’idée de créer ces faux diplômes en raison de difficultés financières. Ses motivations relevaient de sa convenance personnelle.

C. a. Par décision du 7 février 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours, l’office des autorisations de construire a ordonné, avec effet immédiat, l’interdiction d’exploiter le local situé au G______, à H______, comme lieu d’accueil de type « crèche ».

b. Par décision du même jour, déclarée exécutoire nonobstant recours et qui n’a pas été contestée en justice, le département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) a fait interdiction à D______ et à l’association « I______», ainsi qu’à tout autre tiers, d’accueillir des enfants dans les locaux sis au G______, à H______. Il a également prononcé la fermeture immédiate du lieu.

c. Par ordonnance pénale du 25 février 2020, non contestée, le SASAJ a infligé à D______ une amende de CHF 1'000.- et décidé de la fermeture immédiate du local situé au G______, à H______.

d. Par décision du 4 juin 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours et doublée de la menace d’une peine comminatoire au sens de l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), le DIP a fait interdiction à D______ d’accueillir des mineurs pour une durée de deux ans, à titre personnel, dans le cadre d’un groupe ou d’une institution et cela notamment pour les recevoir, les réunir, les héberger, leur donner un enseignement, organiser ou diriger leurs loisirs.

Depuis 2016 et à réitérées reprises, D______ ne s’était pas conformée aux exigences légales, notamment de se soumettre à une autorisation pour accueillir des enfants en âge préscolaire dans une structure d’accueil ou à son domicile. Elle avait tenu des propos mensongers, erronés ou contradictoires au sujet de ses compétences en matière d’accueil d’enfants, des structures mises en place sans autorisation, des enfants gardés à son domicile et du personnel employé. Durant quatre ans, les conditions de prise en charge des enfants avaient été jugées insatisfaisantes. Les éléments disponibles mettaient en doute son intégrité, sa fiabilité et ses aptitudes éducatives. La sécurité et le bon développement des enfants accueillis par ses soins ne pouvaient pas être garantis.

e. Par arrêt du 22 décembre 2020 (ATA/1346/2020), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté le recours interjeté par D______ contre cette décision.

f. Le 7 février 2021, D______, en tant que « gérante » de A______, a déposé pour le compte de cette dernière une demande d'aide financière pour les structures d'accueil parascolaire auprès de l'office fédéral des assurances sociales (ci‑après : OFAS).

g. L'OFAS a refusé cette demande le 6 juillet 2022, considérant que les conditions n'étaient pas remplies.

h. L'OFAS a par ailleurs déposé une dénonciation pénale à l'encontre de D______, celle-ci lui ayant transmis une version tronquée de l'ATA/1346/2020.

i. Par décision du 30 mai 2022, le DIP a prolongé de deux ans sa décision prononcée le 4 juin 2020 à l'encontre de D______.

j. Le recours interjeté par la précitée auprès de la chambre administrative a été déclaré irrecevable le 18 août 2022 (ATA/814/2022) pour cause de paiement tardif de l'avance de frais.

k. Saisi d'un recours de A______ contre la décision de l'OFAS du 6 juillet 2022, le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) a rejeté le recours par arrêt du 24 janvier 2023 (B-3375/2022).

Il importait peu que le droit genevois exige ou non une autorisation pour l'accueil parascolaire, l'art. 33 (recte : 32) al. 1 let. c de la loi sur l'enfance et la jeunesse du 1er mars 2018 (LEJ ‑ J 6 01) étendant la compétence d'interdire l'accueil d'enfants hors du milieu familial de manière générale. Or, D______ était la propriétaire de A______ et sa directrice, et à ce titre gardait la maîtrise effective de la société. Le fait qu'elle soit en arrêt pour cause de maladie ne l'avait pas empêchée de faire des démarches juridiques, et l'interdiction prononcée par le DIP concernait aussi les tâches de gestion.

L'OFAS pouvait dès lors, sans enfreindre le droit fédéral, se fonder sur les décisions administratives et judiciaires cantonales ainsi que sur le préavis cantonal défavorable pour retenir que la structure d'accueil gérée par A______ ne répondait pas aux exigences de qualité prévues par la législation.

D. a. Par décision du 8 décembre 2022 déclarée exécutoire nonobstant recours et prononcée sous la menace de la peine prévue par l’art. 292 CP, le DIP a interdit avec effet immédiat à A______ d'accueillir des enfants dans les locaux sis G______ à H______ pour une durée indéterminée, prononcé la fermeture immédiate et pour une durée indéterminée du lieu d'accueil précité, ordonné à A______ – soit pour elle D______ en tant qu'associée gérante présidente de la société – de prévenir immédiatement les représentants légaux des enfants accueillis et d'adresser au DIP la liste de ceux-ci.

b. Au moment de l'inscription de A______ au RC, D______ était sous le coup de l'interdiction d'accueillir des enfants, prononcée le 4 juin 2020, laquelle avait fait le 30 mai 2022 l'objet d'une prolongation de deux ans qui était en force. A______ n'était pas au bénéfice d'une autorisation d'exploitation d'une structure d'accueil préscolaire. Elle proposait pourtant sur son site Internet un accueil tous les mercredis pour les enfants dès l'âge de 4 ans ainsi que des camps de vacances. Il avait été découvert dans le cadre d'une procédure d'assurances sociales qu'elle avait créé une crèche de 40 places accueillant des enfants cinq jours par semaine à tout le moins depuis le 5 avril 2021. Enfin, une procédure pénale engagée en 2020 avait révélé que D______ accueillait des enfants d'âge préscolaire à son domicile ainsi que dans les locaux de A______ au moins depuis avril 2020.

Outre ces problèmes de défaut d'autorisation et d'exploitation malgré des interdictions en force, la collaboration avec D______ ainsi que les conditions de l'accueil proposées dans les structures dont elle était la responsable avaient toujours été insatisfaisantes, et ces structures d'accueil avaient toujours exposé les enfants accueillis à une mise en danger.

E. a. Par acte posté le 23 décembre 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours et à la comparution personnelle des parties, et principalement à l'annulation de la décision attaquée ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Elle avait sollicité du DIP le 1er juillet 2022 une autorisation aux fins d'organiser un tel accueil, et il lui avait été répondu qu'il n'existait pas à Genève de dispositions particulières à ce sujet, mais qu'il lui fallait s'assurer que les personnes intervenant auprès des enfants présentent des garanties suffisantes à divers égards, et que les locaux utilisés devaient répondre aux normes. La gérante effective de la structure était E______, et l'activité d'accueil n'avait commencé qu'en septembre 2022.

Son droit d'être entendue avait été violé, puisque l'intimé ne l'avait pas informée de son intention de rendre la décision exécutoire nonobstant recours ni ne l'avait invitée à faire valoir son point de vue avant de prendre la décision qui lui était préjudiciable.

La décision attaquée lui interdisait d'exercer son activité dans les locaux qu'elle louait, et ce sur la base d'une compréhension manifestement erronée de la situation et d'une constatation inexacte des faits, dès lors que d'une part elle ne faisait pas d'accueil préscolaire, mais uniquement de l'accueil parascolaire (le mercredi et pendant les vacances, pour les enfants en âge scolaire), et que d'autre part D______ n'était pas impliquée personnellement dans l'exploitation de la structure d'accueil. A______ disposait d'une personnalité juridique propre et d'une gérante en la personne de E______. L'interdiction était dépourvue de base légale s'agissant de l'accueil parascolaire qui était l'activité de A______, puisqu'un tel accueil ne nécessitait pas d'autorisation. Enfin, aucun manquement concret ni aucune mise en danger n'avaient été constatés. La mesure violait ainsi l'art. 32 lit. c LEJ ainsi que le principe de la proportionnalité.

b. Le 16 janvier 2023, la recourante a transmis un « complément de recours », en indiquant que D______ était en incapacité complète de travail depuis le mois d'avril 2021. Des certificats médicaux étaient joints, couvrant la période d'avril 2021 à fin décembre 2022.

c. Par décision du 9 février 2023, la présidence de la chambre administrative a refusé de restituer l'effet suspensif au recours.

d. Le 7 mars 2023, le DIP, par l'intermédiaire de l'office de l'enfance et de la jeunesse (ci-après : OEJ) a conclu au rejet du recours.

À teneur du site Internet de A______, celle-ci proposait un accueil tous les mercredis de 08h00 à 18h30 pour les enfants dès l'âge de quatre ans, ainsi que des camps de vacances. Il ressortait par ailleurs de la page Facebook de A______ que la structure d'accueil était ouverte les lundis et mardis de 13h30 à 18h30, le mercredi de 08h00 à 18h30, le jeudi de 13h00 à 18h30 et le vendredi de 14h00 à 16h00, soit des horaires ne correspondant pas à un accueil parascolaire, mais bien préscolaire. Il résultait de divers courriels présents au dossier que A______ accueillait des enfants d'âge préscolaire tous les jours de la semaine pendant la journée, le terme « crèche » étant régulièrement utilisé. D'autres courriels donnaient à penser que D______ était consciente de l'illégalité de ses activités, dans la mesure notamment où elle mettait en garde de tierces personnes contre d'éventuelles visites du SASAJ.

Outre la position de D______ au sein de A______, son numéro de téléphone portable était toujours inscrit sur les affiches présentes à l'entrée des locaux de la structure d'accueil, sise au G______ à H______, et elle partageait une boîte aux lettres avec ladite structure. Elle était l'unique contact avec les autorités et les conseils mandatés dans les procédures concernant A______. Elle était aussi en charge des salaires, des horaires et de la gestion de l'équipe de A______ comme cela résultait de documents produits en annexe et extraits d'une procédure pénale. Il résultait de ce qui précédait que les faits retenus dans la décision attaquée étaient exacts et complets. Au vu notamment du danger encouru par les enfants accueillis, une décision immédiate avait dû être prise sans pouvoir entendre l'administrée, ce que permettait le droit de procédure administrative.

La recourante ne pouvait être suivie lorsqu'elle avançait que D______ n'avait pas de réelle activité en son sein. Son incapacité de travail ne changeait rien à ses pouvoirs sur la recourante. Les structures d'accueil illégales exploitées par D______ avaient toujours exposé les enfants accueillis à une mise en danger, l'intérêt de ceux-ci prévalait et la décision respectait le principe de la proportionnalité, d'autres mesures moins incisives ne pouvant être envisagées. Enfin, la décision reposait sur une base légale même concernant l'accueil parascolaire, puisque l'art. 32 al. 1 let. c LEJ s'étendait à tout type d'accueil, comme l'avait confirmé le TAF.

e. Le 10 mars 2023, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 21 avril 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

f. Le 21 avril 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions. Elle contestait avoir jamais ouvert de crèche. Le DIP maintenait « envers et contre tout » que A______ serait une structure d'accueil préscolaire, et que D______ y officierait dans l'accueil des enfants. Ces deux affirmations étaient fausses et constituaient le cœur du litige. Concernant D______, tout au plus était-elle propriétaire de la société dont elle avait pris le soin de déléguer la gestion à E______, qui disposait d'un pouvoir de signature individuelle, de sorte qu'il ne lui était pas nécessaire d'en référer à D______ pour prendre ses décisions.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger, le DIP ne s'étant pas manifesté.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Dans un grief d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, la recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue.

2.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).

2.2 Cependant, l'autorité n'est pas tenue d'entendre les parties avant de rendre des décisions lorsqu'il y a péril en la demeure (art. 43 let. d LPA). Pour appliquer cette clause, il faut non seulement que la mesure à prendre soit temporellement urgente, mais aussi qu'un intérêt public ou privé important le justifie. L'autorité doit mettre en balance l'intérêt au prononcé immédiat de la mesure et celui des parties au respect de leur droit d'être entendues (ATF 135 I 279 consid. 2.6.5 ; 99 Ia 22 consid. c ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 1534).

2.3 Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet,
celle-ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit qui implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_257/2019 du 12 mai 2020 consid. 2.5 ; ATA/1190/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b et les références citées).

2.4 En l'espèce, l'intimé reconnaît avoir agi rapidement et sans donner la possibilité à l'administrée de se déterminer avant le prononcé de la décision attaquée. On doit toutefois considérer que l'intérêt public important consistant en la sécurité de jeunes enfants étant en jeu, il pouvait y avoir péril en la demeure, si bien que l'absence d'interpellation préalable de la recourante était acceptable.

De plus, la recourante a pu recourir en connaissance de cause, s'exprimer à plusieurs reprises devant la chambre de céans et produire des pièces, si bien qu'une éventuelle violation de son droit d'être entendue devrait être considérée comme réparée.

3.             La recourante se plaint d'une constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents.

3.1 Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a), pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

3.2 Comme le prévoit expressément l'art. 61 al. 1 let. b LPA précité, la question de la constatation inexacte ou incomplète des faits ne se rapporte qu'aux faits pertinents pour l'issue du litige. Or, comme cela sera exposé ci-après et n'en déplaise à la recourante, les deux éléments qu'elle décrit comme centraux pour l'issue du litige ne revêtent en fait pas de pertinence à cet égard.

Le grief sera écarté.

4.             Le litige porte sur l'interdiction faite à la recourante avec effet immédiat d'accueillir des enfants dans les locaux sis G______ à H______ pour une durée indéterminée, avec fermeture immédiate et pour une durée indéterminée du lieu d'accueil précité.

4.1 Les règles sur le placement d’enfants sont énoncées au niveau fédéral dans l’ordonnance sur le placement d'enfants du 19 octobre 1977 (OPE - RS 211.222.338). À Genève, l’accueil de jour est réglé notamment dans la loi sur l’accueil préscolaire du 12 septembre 2019 (LAPr - J 6 28) – qui a remplacé l’ancienne loi sur les structures d'accueil de la petite enfance et sur l'accueil familial de jour du 14 novembre 2003 (aLSAPE) – ainsi que dans le règlement sur les structures d'accueil de la petite enfance et sur l'accueil familial de jour du 21 décembre 2005 (RSAPE - J 6 29.01), lesquels reprennent les principes énoncés par la législation fédérale. Pour les mêmes motifs, la LEJ, qui a abrogé l’ancienne loi sur l’office de l’enfance et de la jeunesse du 28 juin 1958 (aLOEJ) et de l’ancienne loi sur l’accueil et le placement d’enfants hors du foyer familial du 27 janvier 1989 (aLAPF), est applicable dans sa teneur en vigueur en 2022. Au demeurant, la LAPr et la LEJ reprennent les dispositions topiques des lois précitées qu’elles ont abrogées.

4.2 La LAPr s’applique à toutes les structures d’accueil soumises à surveillance autorisées à exercer une activité conformément à la législation fédérale et cantonale sur le placement d’enfants hors du milieu familial (art. 1 al. 1). Elle s’applique également à l’accueil familial de jour ainsi qu’aux structures qui en assurent la coordination (al. 2). Elle a notamment pour but de développer l’offre de places d’accueil de jour pour les enfants en âge préscolaire afin d’atteindre un taux d’offre d’accueil adapté aux besoins (art. 2 let. a LAPr) et de s’assurer de la qualité des prestations offertes pour le bien des enfants accueillis (let. b).

4.3 Les personnes qui publiquement s’offrent à accueillir régulièrement des enfants jusqu’à douze ans dans leur foyer, à la journée et contre rémunération, sont soumises à autorisation du département (art. 31 LAPr ; art. 10 RSAPE). Le département chargé de l’instruction publique autorise et surveille les structures d’accueil préscolaire sur tout le territoire cantonal en application des dispositions fédérales et cantonales relatives aux mineurs placés hors du foyer familial (art. 30 al. 1 LAPr ; art. 32 let. a LEJ). Il subordonne l’octroi de l’autorisation au respect des dispositions de l’OPE, ainsi qu’à celles de la LAPr et de son règlement d’application, afin d’assurer notamment la sécurité et le bien-être des enfants (al. 2). L'autorisation ne peut être délivrée que si les qualités personnelles, les aptitudes éducatives, l'état de santé de la personne pratiquant l'accueil familial de jour et des autres personnes vivant dans son ménage ainsi que les conditions de logement offrent toute garantie que l'enfant placé bénéficie de soins adéquats, d'une prise en charge respectant ses besoins fondamentaux et favorisant son développement et que le bien-être des autres enfants vivant dans la famille est sauvegardé (art. 10 al. 3 RSAPE).

4.4 Les compétences accordées au département sont exercées par le SASAJ (art. 2 al. 1 RSAPE).

4.5 Sous réserve de dispositions spécifiques, la LEJ s’applique : a) à tous les enfants domiciliés ou résidant dans le canton ou scolarisés dans les établissements publics ou subventionnés du canton ; et b) à tous les jeunes scolarisés dans les établissements publics ou subventionnés du canton (art. 2 LEJ).

4.6 Le département est l’autorité compétente pour interdire à une personne, pour une durée déterminée ou indéterminée, l’accueil de mineurs soit à titre personnel, soit dans le cadre d’un groupe ou d’une institution et cela notamment pour les recevoir, les réunir, les héberger, leur donner un enseignement, organiser ou diriger leurs loisirs. Cette compétence s’étend également aux personnes et institutions dispensées d’autorisation ou de surveillance (art. 32 let. c LEJ). Toute décision prise en vertu de la LEJ doit l’être dans l’intérêt supérieur de l’enfant ou du jeune (art. 3 al. 1 LEJ).

4.7 Les buts inscrits à l'art. 1 LEJ visent notamment à promouvoir des conditions propres à favoriser la santé des enfants qui, entre autres, fréquentent les structures d'accueil préscolaire (Projet de loi sur l’enfance et la jeunesse du 25 janvier 2017 [ci-après : PL 12054], p. 29). La délivrance et le maintien de l'autorisation d'ouvrir une structure d'accueil préscolaire ou une institution de placement d'enfants sont notamment subordonnés au respect des normes relatives à la santé des enfants, en particulier la prévention des maladies transmissibles, l'hygiène et l'alimentation. L’interdiction d'accueil de mineurs à titre personnel ou dans le cadre d'un groupe ou d'une institution vise notamment les moniteurs, répétiteurs, entraîneurs sportifs, éducateurs, enseignants, etc. qui auraient commis des actes de violence ou d'abus sexuels sur des mineurs (PL 12054, p. 43).

4.8 L’interdiction de l’abus de droit représente un correctif qui intervient dans l'exercice des droits (Giorgio MALINVERNI et al., Droit constitutionnel suisse, vol. II – Les droits fondamentaux, 4ème éd., 2021, n. 1307). L’abus de droit consiste à utiliser une institution juridique à des fins étrangères au but même de la disposition légale qui la consacre, de telle sorte que l’écart entre le droit exercé et l’intérêt qu’il est censé protéger s’avère manifeste (Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/ Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd., 2012, n. 6.4.4 p. 933 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 208 n. 583). L’interdiction de l’abus de droit vaut, tout comme la notion de fraude à la loi qui en constitue une composante, en droit administratif (ATF 142 II 206 consid. 2.3), et ce tant pour les administrés que pour l’administration (ATA/872/2023 du 22 août 2023 consid. 6.3).

Selon la jurisprudence, il y a fraude à la loi lorsqu'un justiciable cherche à éviter l'application d'une norme imposant ou interdisant un certain résultat par le biais d'une autre norme permettant d'aboutir à ce résultat de manière apparemment conforme au droit (ATF 144 II 49 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_370/2021 du 10 novembre 2022 consid. 3.1). La norme éludée doit alors être appliquée nonobstant la construction destinée à la contourner (ATF 134 I 65 consid. 5.1 ; 131 I 166 consid. 6.1 et les arrêts cités).

Pour décider s'il existe une fraude à la loi, il faut interpréter la norme d'interdiction en cherchant si, selon son sens et son but, celle-ci s'applique aussi à l'opération litigieuse, ou si cette dernière est exclue du champ d'application de la norme d'interdiction et est ainsi valable (SJ 2006 I 290, p. 291).

4.9 La chambre de céans a ainsi considéré comme une fraude à la loi le fait, pour un psychiatre qui s'était fait retirer le droit de pratiquer sa spécialité médicale durant plusieurs années, de s'inscrire au registre des pratiques complémentaires dans les domaines « Psychanalyse, thérapie de la famille, thérapie systémique, thérapie du couple » (ATA/487/2014 du 24 juin 2014). Cet arrêt a été confirmé par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_751/2014 du 23 février 2015).

4.10 En l'espèce, D______ s'est vu interdire d’accueillir des mineurs, dans le cadre d’un groupe ou d’une institution et cela notamment pour les recevoir, les réunir, les héberger, leur donner un enseignement, organiser ou diriger leurs loisirs. La décision prise en 2020 pour une durée de deux ans a été confirmée par la chambre de céans sans être contestée auprès du Tribunal fédéral, et celle de prolongation de ladite décision pour deux ans supplémentaires, prise en 2022, est également entrée en force à la suite de l'arrêt d'irrecevabilité rendu par la chambre de céans.

Or, si la recourante est en tant que société à responsabilité limitée, dotée de la personnalité morale (art. 772 al. 1 et 779 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220), D______ est l'unique détentrice des parts de la recourante, et a donc la complète maîtrise de sa destinée, quelle que soit l'étendue des pouvoirs qu'elle pourrait déléguer à sa gérante, qui dispose certes de la signature individuelle mais ne pourrait aucunement s'opposer à une décision de D______. De plus, comme l'a retenu le TAF, l'interdiction en force concerne non seulement l'accueil d'enfants, mais aussi le fait d'« organiser ou diriger leurs loisirs », soit des tâches de gestion. Or, il ressort du dossier que D______ est incontestablement active dans la gestion de la recourante, malgré son incapacité de travail telle que médicalement constatée.

De plus, il importe peu que l'activité de la recourante porte ou non exclusivement sur l'accueil parascolaire, dès lors que l'art. 32 al. 1 let. c LEJ – loi qui, contrairement à la LAPr, ne s'applique pas qu'aux activités d'accueil soumises à autorisation – prévoit la compétence d'interdire l'accueil d'enfants hors du milieu familial de manière générale.

Dès lors, on doit retenir que D______ a commis une fraude à la loi en exerçant les activités qui lui sont interdites par l'entremise d'une société dotée de la personnalité juridique, soit la recourante, qu'elle contrôle intégralement. Dans ces conditions, les interdictions et obligations y associées contenues dans la décision attaquée sont conformes au droit et ne peuvent qu'être confirmées.

Le recours sera ainsi rejeté.

5.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 décembre 2022 par A______ SÀRL contre la décision du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 8 décembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ SÀRL un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Charles PIGUET, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Christian COQUOZ, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :