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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1807/2023

ATA/1106/2023 du 10.10.2023 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1807/2023-FPUBL ATA/1106/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 octobre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Pierre OCHSNER, avocat

contre

COMMANDANTE DE LA POLICE intimée



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : l’aspirant), né le ______ 1989, de nationalité française, au bénéfice d’un permis C, domicilié au _______, marié, père de deux enfants, nés en 2015 et 2020, a travaillé en France, en qualité de gendarme adjoint volontaire de 2009 à 2012 et sous-officier de gendarmerie de 2012 à 2022.

b. Il a été engagé, par contrat du 13 juillet 2022, au sein de l’administration cantonale en qualité d’aspirant de police.

À teneur du contrat, la durée de la formation académique est de douze mois à compter du 1er septembre 2022 (art. 1). Le montant de l’indemnité est fixé à
CHF 4'854.- brut par mois (classe 08 ; annuité 01). Dès son entrée en formation, l’aspirant est subordonné hiérarchiquement à l’officier supérieur genevois en charge de l’instruction au sein de l’académie de police de Savatan (ci-après : l’académie) (art. 3), où la formation a lieu (art. 4). L’engagement peut prendre fin en tout temps, si, entre la signature du contrat et la fin de la formation, l’aspirant, notamment, n’est plus en adéquation avec la charte éthique de l’administration cantonale ou s’il a commis une violation avérée, grave ou répétée des règles internes de l’académie ou des prescriptions de service (art. 11). Pendant toute la durée du contrat, l’État et l’aspirant peuvent l’un et l’autre résilier les rapports de service. Le délai de résiliation est d’un mois pour la fin d’un mois (art. 12).

c. Selon la conclusion du compte rendu de l’entretien d’évaluation de l’aspirant (ci‑après : EEAS) du 14 novembre 2022, A______ avait commencé son école d’« une très bonne façon » et avait mis en avant « de belles qualités durant les exercices pratiques ». De nature authentique, il devait continuer à partager son expérience avec ses camarades pour les faire évoluer, mais devait faire attention que ses propos restent adaptés au cadre de l’académie. Il était participatif et avait envie d’apprendre. Il était très fort en communication, devait faire preuve de plus d’empathie et adapter son rythme par rapport aux victimes (personnes âgées).

Les critères de l’engagement, de la maîtrise de soi, de la faculté d’adaptation, de la communication, du respect envers son entourage, de l’esprit d’équipe et du respect des règles étaient tous évalués comme correspondant aux attentes. Parmi les commentaires, il était précisé qu’il avait une bonne gestion des émotions et du stress, qu’il était très à l’aise et très authentique en communication orale et non verbale, mais qu’il devait veiller de ne pas prendre trop confiance en lui et devait utiliser un langage académique et adapté. Il était respectueux envers ses camarades et les instructeurs, mais devait faire attention à ne pas abuser des touches d’humour. Il devait éviter de faire des remarques durant les cours. Il avait un bon esprit d’équipe, envie de faire évoluer la classe en les guidant grâce à son expérience et avait du plaisir à aider ses camarades lorsqu’ils étaient en difficulté (trail).

B. a. Le 28 février 2023, le major B______ a informé la commandante de la police (ci-après : la commandante) que l’aspirant avait eu un comportement et des propos déplacés à l’encontre des femmes aspirantes de sa classe, de manière réitérée. Il joignait copie des procès‑verbaux d’audition du 28 février 2023 des aspirantes C______, D______, E______, et de A______ ainsi que des notes d’F______, instructrice en psychologie, et du caporal G______, titulaire de la classe 1 concernée (ci-après : la classe).

b. Il ressort de ces documents les éléments suivants :

ba. Selon C______, la classe comprenait un groupe de « garçons », très solidaires, qui se moquaient des « filles », soit de leur physique ou dès qu’elles commettaient une erreur. A______ était le meneur, suivi par plusieurs aspirants. Au début, les remarques avaient été frontales. Depuis quelques temps, elles étaient faites « par derrière ». L’aspirante H______ avait aussi subi des pressions de la part de ce groupe en étant mise de côté lors d’un travail de groupe. Par ailleurs, les « filles » avaient des difficultés à pouvoir utiliser les véhicules de la classe pour se déplacer : elles étaient mises de côté et devaient parfois s’arranger avec des chauffeurs d’autres classes. Le groupe des meneurs n’appréciait pas non plus que certaines personnes de la classe, telles que l’aspirante I______, aient été volontaires pour le reportage que la radio-télévision suisse romande (ci-après : RTS) venait enregistrer sur l’académie.

bb. D______ a indiqué qu’un groupe de « garçons » s’était formé dans la classe, qui créait une très mauvaise ambiance. Il tenait régulièrement des propos misogynes et particulièrement dégradants envers les « filles », à tout le moins envers certaines de la classe. Fin novembre-début décembre 2022, une scission s’était créée. Il y avait un groupe de meneurs, un de suiveurs, et quelques éléments neutres. A______ était clairement l’instigateur du groupe. Elle n’avait pas ressenti directement de pression, mais certains aspirants masculins en subissaient une de la part du groupe de meneurs afin qu’ils prennent parti contre les femmes. Elle avait assumé la fonction de cheffe de classe durant deux semaines au mois de décembre 2022. Pendant cette période, qui s’était moins bien passée que ce qu’elle avait imaginé, A______ l’avait contrée dans certaines décisions et avait maintenu une ambiance délétère. C______ et E______ avaient subi de nombreux propos dégradants, certains provenant de A______. Le groupe de « leaders négatifs » avait clairement pour but de les rabaisser et avait donné des impulsions aux chauffeurs des véhicules à disposition de la classe 1 pour éviter de prendre les « filles ». Il était ainsi arrivé que les bus soient partis sans que les « filles » en soient informées. A______ imposait ses horaires pour les transports, notamment le dimanche soir, à charge pour les autres de s’adapter. Il existait par ailleurs des soirées intitulées « non-dits », plusieurs fois par semaine, dont elle avait entendu parler par des aspirants masculins qui ne cautionnaient pas les propos qui y étaient tenus.

bc. E______ a confirmé qu’il y avait du sexisme, du racisme, du harcèlement dans la classe 1. Elle subissait un acharnement de la part de certaines personnes. Il y avait des clans. A______ était le meneur, suivi d’un autre aspirant. Tous deux étaient des « leaders négatifs ». Suivait un certain nombre d’autres aspirants qu’elle qualifiait de « bonnes personnes ». Les « leaders négatifs » avaient une réelle emprise sur le reste du groupe. Si certains ne les suivaient pas, ils étaient mis à l’écart systématiquement, avant de devenir de potentielles futures victimes. Les hommes de la classe n’avaient donc pas forcément d’autre choix que de suivre ces leaders. Il y avait beaucoup de remarques, principalement liées au physique de certaines femmes. Les « leaders négatifs » attendaient la moindre petite chose pour pouvoir s’acharner sur elles avec l’appui du groupe des suiveurs. Elle citait plusieurs remarques entendues et le nom de quatre autres aspirantes qui subissaient ces critiques. A______ avait imposé un horaire de bus et des chauffeurs à 22h30 le dimanche. De septembre à décembre 2022, elle avait sollicité des chauffeurs d’autres classes. Elle avait entendu parler des soirées « non-dits » qui avaient lieu généralement le jeudi. Les « garçons » allaient chercher à manger et faisaient cette séance en soupant ensemble, dans une des chambres des hommes. Ils ne s’en cachaient pas. Elle avait appris par un aspirant de la classe ce qui s’y disait, à savoir des propos dégradants concernant certaines « filles ». À la décharge de A______, elle précisait que, lors de la marche des 20 km, il était resté constamment à ses côtés pour la motiver, ce qui lui avait fait plaisir. Elle l’en avait remercié, mais dès le lendemain, sachant que « on n’avait pas fait un bon résultat à la marche », il avait envoyé un message à la classe pour dire qu’il « avait le seum », ce qui signifiait « ça me saoule ». Un responsable de l’académie était intervenu en classe, la veille, aux fins d’apaiser la situation. A______ avait mimé qu’il « allait nous égorger s’il devait quitter l’académie ». Elle ne souhaitait pas déposer plainte, faisant confiance à sa hiérarchie pour traiter le cas. Elle avait hésité à quitter l’académie après cinq semaines, à cause des remarques négatives. Elle était soulagée que la hiérarchie soit maintenant au courant des faits.

bd. Dans son audition du 28 février 2023, A______, interpellé sur l’ambiance de la classe, a indiqué se rappeler qu’en début d’année E______ lui avait reproché de ne pas parler correctement aux gens et de faire des blagues lourdes, voire très lourdes, ce qui la dérangeait. Il avait discuté avec C______ car il lui était arrivé de lui faire des remarques sur sa tenue. Il ignorait si certaines de ses réflexions avaient été mal perçues. Il avait conscience d’être lourd, à la limite « chiant avec [s]es blagues ». Il ignorait comment ses interlocutrices prenaient ses blagues. Elles ne lui avaient jamais dit que cela les gênait. Il admettait avoir dit « les grosses vont devant parce qu’elles vont lentement ». Il reconnaissait que c’était une blague complètement déplacée. Il avait tout à fait pu dire « ton corps a 54 ans » probablement à quelqu’un qui avait des difficultés en sport. Il avait dû dire à plusieurs personnes : « ferme ta gueule, tu sers à rien ! ». Il était possible qu’il l’ait dit à E______ lorsqu’elle « râlait » derrière lui. Elle l’avait traité de « connard », raison pour laquelle il lui avait répondu sèchement. Il était possible qu’il ait dit à C______, qui pleurait avant un examen : « elle n’a rien à faire [à l’Académie] ». Il ne voyait pas dans quel contexte il aurait pu dire « bon appétit à tous, sauf aux femmes parce qu’elles puent de la chatte et avalent du sperme ». Il ne se souvenait pas avoir dit « F______, je lui chie sur la gueule », quand bien même il était vrai qu’il était assez réfractaire, en début d’année, au cours de psychologie. Après réflexion, il avait toutefois avoué qu’il était possible qu’il l’ait dit sur le coup de l’énervement. Il était également possible qu’il ait fait une « blague aussi nulle » que « s’il y a un accident, il faudra une brigade spécialisée pour désincarcérer C______ », mais il ne se souvenait plus du contexte. De même, il était possible qu’il ait dit « je ne veux pas tomber avec une femme à ECO ». Après réflexion, il admettait l’avoir dit. De même, il était possible qu’il ait dit « elle réussit tout, mais elle pleure pour attirer l’attention » en parlant de C______. C’était dû à un agacement de sa part qui remontait à plusieurs mois. Depuis, elle avait gagné en confiance en elle. Il était possible que « dans le contexte de l’humour noir », il se soit moqué des handicapés à la suite d’une diffusion sur un réseau social. Il avait toutefois une petite sœur et un grand frère, tous les deux handicapés, et était plutôt bienveillant à l’égard des personnes vulnérables. La phrase « je me réjouis de voir l’aspirante C______ au parcours Agility pour la voir galérer » ne lui évoquait rien. Il n’avait toutefois pas le monopole des blagues lourdes. Il y avait d’autres garçons qui en faisaient tout autant. Il ne pensait pas incarner de modèle en matière d’humour noir pour ses collègues. Il reconnaissait faire des blagues complètement nulles, mais n’avait jamais eu pour intention de faire du mal à quelqu’un. Il était possible qu’il ait dit « C______, la grosse, mange tout le temps ». Le but n’était pas de la stigmatiser ou de lui nuire directement car il n’avait aucune animosité contre elle. C’était une personne attachante, qui rigolait tout le temps. Il avait effectivement dit « I______ vulva actrice porno », ce que l’intéressée n’avait pas mal pris.

Avant les vacances, les aspirants se réunissaient et parlaient « de vannes ou autres ». Ces réunions étaient intitulées les soirées « non-dits ». Ils discutaient de la journée, de l’ambiance de classe et échangeaient des blagues de très mauvais goût, qui n’étaient toutefois pas toujours sur les filles. Tous les garçons de la classe se réunissaient. Par son expérience, sa maturité professionnelle, son vécu, le fait d’être marié et père de famille, il avait peut-être un rôle d’exemple au sein de la classe. Il comprenait que certains aspirants le prennent en exemple pour son parcours, mais il n’avait pas la prétention de l’être et ne pensait pas avoir de l’emprise sur le reste de la classe. À la question de savoir comment il se déterminait sur le fait qu’il était considéré comme un meneur négatif au sein de la classe avec un groupe de suiveurs, il avait indiqué que des aspirants étaient bon public, riaient à ses blagues, autant les « filles » que les « garçons ». Il reconnaissait que parfois il pouvait aller un peu loin avec son humour.

be. Dans sa note de service adressée au colonel J______, commandant de l’académie, le 21 février 2023, l’instructrice en psychologie a relevé que A______ « véritable leader de la classe, repéré par nos instructeur (sic) pour son langage direct et son manque d’empathie, puis qualifié de misogyne par un instructeur externe, s’obstine à tenir des propos dégradants et humiliants, le plus souvent à caractère sexiste ou sexuel à l’encontre des femmes de sa classe, mais plus spécifiquement envers trois jeunes femmes qui ont souffert d’un réel rejet de la part de leurs camarades ». Ses paroles étaient rarement adressées directement à ces dernières, mais soit exprimées en leur absence, soit en classe, suffisamment fort pour faire rire les camarades, mais pas assez pour être perçues par les instructeurs.

Cet humour s’était développé en plusieurs phases : d’abord uniquement porté sur le physique de deux aspirantes ; puis en décrédibilisant la cheffe de classe, par exemple en invitant la classe à ne pas répondre à ses demandes sur le groupe WhatsApp ou en jalousant l’autre aspirante qui avait pu bénéficier d’appui en tir et en sport « elle n’est pas à sa place » ; « elle fait le Calimero » ; « elle fait exprès d’avoir mal au dos » ; avant de s’adresser finalement à l’ensemble de la gente féminine à l’instar du tirage au sort des binômes éco, de la phrase « bon appétit à tous, sauf aux femmes parce qu’elles puent de la chatte et elles avalent du sperme  » ; « je ne monte pas dans le bus des femmes » ou, auprès d’un futur papa, « tu sais déjà si c’est un garçon ou un avortement ? ». Elle relevait que les femmes de la classe se retrouvaient souvent, en raison de leur genre, sans moyen de locomotion au terme de la journée. Ayant à faire à des remarques telles que « nous ne sommes pas votre taxi », elles devaient s’organiser avec des chauffeurs d’autres classes. Il existait des soirées « non-dits », généralement le jeudi soir, durant lesquelles « il ferait le procès des femmes de la classe suite à leurs prestations dans les mises en situation réalisées durant la semaine ». Ils y relevaient tout ce qu’elles n’avaient pas ou mal appliqué, dans les différentes disciplines. Les propos lui avaient été rapportés par certains hommes de la classe qui ne supportaient plus les soirées en question, au cours desquelles ils s’isolaient en écoutant leur musique via des écouteurs. Deux des aspirantes visées avaient accepté de s’ouvrir aux cadres de l’école car la situation s’était dégradée. Elles étaient touchées dans leurs valeurs de respect et d’équité et ne toléraient plus une telle attitude. Elles devaient être filmées par la RTS pour un reportage sur l’académie. C’était au cours de la préparation qu’elles avaient évoqué leur ressenti. Elles avaient souhaité qu’aucune démarche ne soit entreprise avant les premières prises de vues, soit fin février 2023.

bf. Dans sa note du 21 février 2023 au colonel J______, le caporal G______ a détaillé le parcours de A______ depuis septembre 2022 au sein de l’académie. Il a conclu que l’aspirant démontrait une grande motivation ainsi que de bonnes qualités de policier. Les échanges qu’il avait eus avec lui depuis le début de l’école étaient, en général, bons. Il faisait du bon travail, était volontaire et avait une âme de leader. Malgré tout, il avait dû le reprendre à plusieurs reprises car son comportement dépassait les limites du cadre de l’académie. Lors d’un entretien en présence d’F______, les aspirantes I______ et C______ les avaient informés de problèmes. Il renvoyait à la note de l’instructrice en psychologie du 21 février 2023. À la suite de leur témoignage, il s’était rendu compte que le comportement de A______ n’était pas le même lorsqu’il était en sa présence, face à des instructeurs, ou avec sa classe. Par ailleurs, l’aspirant ne faisait pas l’unanimité au sein des instructeurs de Savatan, beaucoup le décrivant comme « trop confiant » et parfois à la limite du tolérable en matière d’humour.

C. a. Un entretien a réuni, le 28 février 2023, A______, le lieutenant K______ et l’inspectrice L______.

b. Le 1er mars 2023, A______ a présenté, par écrit, ses excuses à C______. Certains propos avaient été déplacés et injustes. Il n’avait jamais eu l’intention de la blesser ou de remettre en cause sa présence à l’académie.

c. Le même jour, il a présenté ses excuses écrites au colonel J______.

d. Par pli du 2 mars 2023, A______ a présenté ses excuses à la commandante. Tenter de justifier les propos qu’il avait tenus à l’encontre de sa camarade serait un non-sens. Ils n’étaient ni excusables ni justifiables. Il ne pouvait qu’en être profondément désolé et regrettait que sa camarade ne soit pas venue lui faire part directement de son mal-être, avec l’aide d’un tiers si besoin était, ce qui lui aurait permis de modifier immédiatement son comportement. Il n’avait jamais reçu d’avertissement. Il était attristé de la situation, ayant pris conscience et s’étant appliqué à modifier une communication parfois trop directe, conséquence de douze années de vie militaire. Ses propos avaient été stupides, déplacés et inadéquats. Toutefois, ils ne concernaient pas la condition féminine de sa camarade, dont il n’avait jamais remis en cause la place à l’académie. Ce qu’il avait pu considérer à tort comme de l’humour s’était avéré d’une profonde maladresse. Il contestait toutefois être la personne sexiste dépeinte lors de son audition.

Tout au long de sa formation à Savatan, il avait eu à cœur de proposer son aide à des camarades en difficulté, quel que soit leur genre. Il avait reçu des remerciements de certains pour sa bienveillance. Il avait toujours été attaché aux valeurs de la police, au respect de l’uniforme et à celui ou celle qui le portait. Même s’il était conscient que son comportement avait pu ne pas être adéquat par moments et que le sujet était particulièrement sensible, il ne souhaitait pas servir d’exemple. À voir ses états de service français, il avait été un bon gendarme et espérait avoir une seconde chance qui lui permettrait de démontrer qu’il pouvait en être de même à Genève. Au moment de son « exclusion » de l’école, il lui avait été indiqué que des excuses seraient le minimum venant d’un gendarme français. Il ne souhaitait pas être traité différemment au motif qu’il avait été militaire français. Il présentait ses excuses en qualité d’aspirant de police en Suisse et en tant que personne.

e. Par courrier du 2 mars 2023, remis en mains propres, A______ a été libéré de son obligation de travailler avec effet immédiat par la commandante. Elle envisageait de résilier les rapports de service.

f. A______ a eu un entretien avec le service des ressources humaines de la police le 3 mars 2023.

g. L’aspirant M______, entendu le 7 mars 2023, a expliqué qu’au début l’ambiance avait été bonne. E______ avait pris la parole devant la classe pour évoquer son mal-être. Certains avaient commencé à en rire. C’était probablement à ce moment que l’ambiance avait « tourné » et que, plutôt que d’agir en conséquence, ils avaient pris à partie les plus faibles. « Par la suite, comme dans une spirale négative, nous n’avons pas su réagir et l’ambiance s’est détériorée de plus en plus, jusqu’à votre intervention ». Il admettait avoir dit « j’espère ne pas tomber sur une fille », en parlant des binômes « ECO », ainsi que « tu préfères embrasser le sergent N______ ou que l’aspe X s’assoie sur ton visage avec son cul transpirant après la SecuPers ». Il était vrai que, dans les soirées « non-dits », il leur arrivait de se moquer de certains. Il reconnaissait que ce n’était pas drôle. Depuis que cette affaire avait éclaté, l’atmosphère de la classe avait radicalement changé, positivement.

h. A______ a transmis des déterminations détaillées le 27 mars 2023 par lesquelles il sollicitait sa réintégration immédiate. Il était déterminé à prouver que sa prise de conscience était sincère et réelle. Il était très inquiet au sujet de sa formation au vu des cours et stages pratiques qu’il était en train de manquer.

En l’absence de réponse, il a relancé la commandante par courrier des 4 et 13 avril 2023.

i. Par décision du 26 avril 2023, déclarée exécutoire nonobstant recours, la commandante a résilié les rapports de service de A______ avec effet au 31 mai 2023.

Les motifs lui avaient été communiqués lors des entretiens des 28 février et 3 mars 2023. À ces occasions, il lui avait été indiqué que son comportement, de même que les propos inappropriés et sexistes qu’il avait tenus à l’encontre, entre autres, de deux aspirantes de sa classe n’étaient pas en adéquation avec ce qu’il était permis d’attendre de futurs policiers. Ses observations du 27 mars 2023 n’étaient pas de nature à remettre en cause la détermination de sa hiérarchie. Il admettait avoir tenu des propos qu’il qualifiait lui‑même de « lourds, graveleux et inadéquats » tout en expliquant qu’il s’agissait uniquement de blagues, qu’elles s’adressaient tant aux hommes qu’aux femmes et qu’il n’avait pas eu l’intention de blesser. Il ne pouvait pas être suivi. Les plaisanteries à l’encontre de ses camarades féminines étaient constitutives de harcèlement sexuel. L’absence d’intention de blesser ne justifiait, ni n’atténuait l’atteinte à la personnalité dont elles avaient été victimes. Contrairement à ses assertions, il lui avait été signalé à plusieurs reprises que son comportement dépassait les limites du cadre fixé par l’académie. Ses premières évaluations, du 14 novembre 2022, en faisaient déjà état. Ses affirmations, selon lesquelles s’il avait été confronté à ses agissements, il y aurait mis immédiatement un terme, étaient consternantes. Elles consistaient à reporter sur autrui la responsabilité de ses actes puisqu’elles insinuaient que l’absence de plainte de la part des victimes de ses remarques déplacées signifiait qu’elles les acceptaient. Il n’était pas tolérable, d’autant plus lorsque l’on se destinait à une fonction telle que celle de policier, qu’il faille attendre d’être « formellement averti » pour prendre conscience de l’inadéquation de son comportement. Celui-ci avait été inadmissible dès le début de la formation. Sa gravité n’avait malheureusement été portée à la connaissance de la commandante que tardivement. Une seule plaisanterie déplacée ou remarque sexiste aurait suffi pour que cela soit considéré comme du harcèlement sexuel ; le fait que cela se soit produit à réitérées reprises durant plusieurs mois était un fait aggravant. Les excuses et les regrets qu’il avait formulés démontraient sa prise de conscience, sans pour autant justifier ses actes. Son attitude, qu’il avait largement admise, était aux antipodes des valeurs de la police genevoise.

La posture de l’aspirant durant les premiers mois au sein de l’académie ne lui inspirait pas la confiance indispensable pour envisager la poursuite de cette collaboration.

D. a. Par acte du 26 mai 2023, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette décision. Il a conclu à son annulation et à sa réintégration. Préalablement, l’effet suspensif devait être restitué au recours et sa réintégration immédiate ordonnée. Il devait être entendu, à l’instar des trois aspirantes concernées, de l’aspirant O______ et du caporal G______. Subsidiairement, sa réintégration devait s’effectuer avec la volée qui débuterait sa formation au mois de septembre 2023. Plus subsidiairement, l’autorité intimée devait être condamnée à lui verser une indemnité équivalant à six mois de son dernier traitement.

Le 28 février 2023, son renvoi de l’académie lui avait été notifié alors que son audition n’était pas encore terminée. Il avait ensuite été transféré de Savatan à son domicile genevois, dans un véhicule de fonction, accompagné d’un policier et d’une psychologue. Il était arrivé à 23h30 à son domicile, choqué par les conditions de son départ. Après avoir intégré sa classe à l’académie, il avait rapidement constaté que l’ambiance était bonne et que les blagues étaient fréquentes. Il y faisait l’objet de plaisanteries récurrentes de la part de ses camarades et même de ses supérieurs hiérarchiques, relatives à sa nationalité et son emploi dans la gendarmerie française. On lui avait ainsi dit : « ici on n’est pas en France, on ne noie pas les rues de gaz lacrymogène » Il avait organisé des événements comme des soirées aux bains de Lavey ou un repas de Noël. Il était bienveillant à l’égard de ses camarades et n’hésitait pas à les aider en cas de difficultés. Son incompréhension était grande. Il pensait ses relations bonnes et cordiales avec deux des aspirantes auditionnées. Les échanges de messages avec elles démontraient plutôt une ambiance sympathique. Il produisait plusieurs lettres de soutien d’anciens collègues français, le décrivant comme fiable, loyal, respectueux et apprécié.

Il contestait l’existence d’un motif fondé de résiliation des rapports de service et la proportionnalité de la mesure.

b. Par décision du 28 juin 2023, la chambre administrative a rejeté la requête en restitution d’effet suspensif, après que la commandante s’est déterminée et que le recourant a répliqué.

c. La commandante a conclu au rejet du recours.

d. Dans sa réplique, le recourant a indiqué que la psychologue qui l’avait raccompagné le 28 février 2023 avait été contactée par l’académie à 17h30 « pour venir chercher un aspirant », soit plus d’une heure avant le début de son audition. Cela prouvait que la décision de renvoi avait été prise avant même qu’il puisse s’expliquer sur les faits qui lui étaient reprochés. Il n’avait pas pu être assisté d’une tierce personne lors de son audition du 28 février 2023 alors que tel devait être le cas lors d’un entretien de service. De même, la commandante se référait à l’audition du major B______. Aucune pièce au dossier n’en faisait toutefois mention. Le caporal G______ avait été présent à toutes les auditions sauf la sienne. Il contestait avoir eu un rôle de leader négatif, mais reconnaissait avoir un rôle important par son âge et son expérience, ce qui n’impliquait pas qu’il ait une mauvaise influence et que les autres aspirants suivaient ses directives à la lettre.

Il n’avait jamais été remis formellement à l’ordre avant son audition et n’avait jamais été averti que ses agissements pouvaient mener à la résiliation de ses rapports de service. Il ne comprenait pas que l’autorité ait attendu aussi longtemps avant d’agir si l’ambiance au sein de la classe était réellement celle décrite. Il était blessé d’être présenté comme un monstre misogyne, ce que ses états de service exemplaires dans la gendarmerie française et les témoignages d’anciens collègues contredisaient. Son épouse et ses enfants avaient été très choqués par son retour à Genève à une heure aussi tardive et dans de telles conditions, d’autant plus que la hiérarchie était au courant des faits au minimum huit jours avant le 28 février 2023.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le recourant sollicite son audition ainsi que celle de témoins.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, le recourant a eu l’occasion de se déterminer à plusieurs reprises devant l’autorité, notamment oralement lors des entretiens des 28 février et 3 mars 2023 et par écrit. Il a pu prendre connaissance des procès-verbaux des auditions des trois aspirantes, de celle de M______ ainsi que de l’entier du dossier, et a pu se déterminer sur leur contenu. Il a détaillé sa position dans son recours, puis dans sa réplique, tant sur effet suspensif qu’au fond. Il a pu produire toutes les pièces qu’il estimait utiles. Par ailleurs, il reconnait un certain nombre de faits et n’indique pas sur quels points, qu’il n’aurait pu développer dans ses écritures, son audition serait nécessaire. Dans ces conditions, celle-ci ne sera pas ordonnée.

Le recourant sollicite l’audition d’un autre aspirant, pour attester de la bonne ambiance de la classe. Un tel témoignage n’est pas de nature à influer sur l’issue du litige, le ressenti d’un autre aspirant étant sans incidence sur celui décrit par les aspirantes et confirmé par M______.

Le recourant requiert que son responsable de classe soit auditionné, au motif qu’il ne l’a pas encore été et qu’il avait reconnu durant l’évaluation « apprécier [son] humour ». Le caporal G______ s’est toutefois déterminé de façon détaillée dans sa note de service du 21 février 2023 sur laquelle le recourant a pu prendre position.

Le recourant souhaite que les trois aspirantes soient entendues de façon contradictoire. Cette audition n’apparaît pas, par appréciation anticipée des preuves, nécessaire dès lors que le licenciement n’est pas disciplinaire et que ladite audition ne serait pas de nature à modifier l’issue du litige. Par ailleurs, l’intéressé a pu se déterminer sur le contenu de leurs auditions.

Les requêtes préalables seront rejetées.

3.             Dans ses écritures, le recourant invoque plusieurs griefs concernant le droit d’être entendu.

3.1 Il se plaint que la décision de le renvoyer à Genève le 28 février 2023 ait été prise plus d’une heure avant le début de son audition, la psychologue ayant été convoquée à 17h30 « pour venir chercher un aspirant ».

Durant la phase préliminaire de récolte d’informations, il n’y a pas encore de procédure en tant que telle. Partant le droit d’être entendu n’est pas garanti, car précisément la procédure n’est pas encore ouverte (Martine DANG/Minh Son NGUYEN in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand de la Constitution fédérale, 2021, n. 116 ad art. 29 Cst.). En l’espèce, le litige porte sur la décision de licenciement, non sur le départ de l’intéressé le 28 février 2023 de l’académie. Or, le recourant ne conteste pas que son droit d’être entendu dans la procédure de licenciement a été respecté.

Même à considérer qu’il s’agisse d’une décision de libération de l’obligation de travailler, l’employeur était légitimé à organiser les modalités que pouvait impliquer une telle décision. Enfin, toute éventuelle violation du droit d’être entendu de l’intéressé le 28 février 2023 aurait été réparée lors, notamment, des différents entretiens ultérieurs et de la présente procédure (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; ATA/1021/2020 du 13 octobre 2020 consid. 4a).

3.2 Contrairement à ce qu’il soutient, l’audition du 28 février 2023 ne constituait pas un entretien de service au sens de l’art. 44 RPAC. Aucune disposition n’imposait qu’il puisse être assisté.

3.3 Il ne ressort ni du dossier ni des écritures de la commandante que le major B______ aurait été auditionné. Son audition n’a été qu’offerte au titre de preuve : « par audition du major P______ ». Le procès-verbal de l’audition dudit major ne fait en conséquence pas défaut dans le dossier.

3.4 Le fait que le caporal G______ ait été présent à toutes les auditions sauf à celle du recourant est sans pertinence. Le recourant n’indique d’ailleurs ni quelle disposition aurait été violée, ni quelles conclusions il en tire.

Le droit d’être entendu du recourant n’a pas été violé.

4.             Le recourant conteste l’existence d’un « motif fondé » de résiliation des rapports de service.

4.1 À teneur du contrat du 13 juillet 2022, le recourant est principalement soumis à la loi fédérale sur la formation professionnelle du 13 décembre 2002 (LFPr - RS 412.10), à son ordonnance du 19 novembre 2003 (OFPr - RS 412.101), au règlement général sur le personnel de la police du 16 mars 2016 (RGPPol - F 1 05.07), au plan de formation policière adopté par la commission paritaire des polices suisses le 14 juin 2019 et à la charte éthique de l’administration cantonale.

Les conditions d’engagement en qualité d’aspirant sont réglées par le contrat ainsi que par la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) et son règlement d’application du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), notamment par les art. 74 à 82, relatifs aux stagiaires.

4.2 La LFPr encourage et développe, notamment, a) un système de formation professionnelle qui permette aux individus de s’épanouir sur les plans professionnel et personnel et de s’intégrer dans la société ; c) l’égalité effective entre les sexes (let. c ; art. 3 LFPr).

4.3 Est un stagiaire le membre du personnel engagé en cette qualité pour, notamment, acquérir ou compléter une formation professionnelle (art. 9 al. 2 LPAC).

L'engagement fait l'objet d'une lettre de l'office du personnel qui mentionne notamment : a) le genre de formation à acquérir ; b) la durée du stage ; c) la désignation du directeur de stage ; d) le cas échéant, le montant de l'indemnité ; e) la durée des vacances ; f) les délais de congé (art. 76 RPAC).

Pendant toute la durée du stage, l’État et le stagiaire peuvent l’un et l’autre résilier les rapports de service (al. 1). Si le stage a duré moins d’un an, le délai de résiliation est d’un mois pour la fin d’un mois (al. 2). S’il a duré un an ou plus, il est de 2 mois pour la fin d’un mois (al. 3 ; art. 82 RPAC).

4.4 La charte éthique de l’administration cantonale exprime les valeurs essentielles sur lesquelles s’appuie le personnel de l’État dans son action quotidienne : le respect, l’impartialité, la disponibilité et l’intégrité. Il est ainsi attendu des collaborateurs de l’État de Genève d’agir avec respect, équité et courtoisie dans les rapports notamment avec les collègues et la hiérarchie.

4.5 Le code de déontologie de la police genevoise rappelle notamment, sous la rubrique « professionnalisme relations internes » l’esprit d’équipe selon lequel : « je veille à favoriser un climat de travail harmonieux et de solidarité entre collègues, dans un esprit de cohésion, de dévouement et de rigueur. (…) Je préserve mes collègues de toute allusion ou comportement pouvant être ressenti comme discriminant ».

4.6 Selon le code des valeurs de l’académie de Savatan, devenir policier exige d’acquérir des savoirs-être et des savoir-faire qui seront engagés parfois dans des situations conflictuelles. L’enseignement dispensé à l’académie vise à transmettre un corpus de valeurs fondamentales pour accompagner l’action, l’encadrer, lui donner du sens. Huit articles détaillent, respectivement, l’ouverture d’esprit, la connaissance de soi, la mise en valeur des qualités individuelles, le respect réciproque, le sens de l’intégrité et du devoir, l’esprit d’équipe, le patriotisme et le sens de la discipline. Ainsi l’art. 4 précise que « entre aspirants, le respect se traduit par la prise en compte des faiblesses de l’autre, par l’esprit d’entraide et par la participation de chacun aux efforts collectifs. » L’art. 6 précise que l’acquisition de savoir-être impose de développer aussi les notions de cohésion au sein du groupe, de solidarité entre collègues et le respect mutuel. Ces valeurs, indispensables durant la formation, garderont tout leur sens tout au long de la carrière du policier ».

4.7 Un « ordre particulier sur la bienséance et les règles de vie durant les périodes d’hébergement sur le site de Savatan », entré en vigueur le 1er juillet 2022, s’appliquant à toutes les personnes susceptibles de passer une ou plusieurs nuits sur le site, rappelle que chacun s’engage à respecter autrui, à se comporter avec dignité et intégrité, en bannissant notamment les écarts de langage inadapté et les insultes (art. 3.1).

5.             Les art. 2 à 7 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (loi sur l’égalité, LEg - RS 151.1) s'appliquent aux rapports de travail régis par le droit public fédéral, cantonal ou communal (art. 2 LEg).

5.1 Est constitutif d'un harcèlement sexuel tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l'appartenance sexuelle qui porte atteinte à la dignité du membre du personnel sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d'imposer des contraintes ou d'exercer des pressions de toute nature sur un membre du personnel en vue d'obtenir de sa part des faveurs de nature sexuelle (art. 3 al. 3 RPPers). Cette définition est similaire à celle prévue à l’art. 4 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (loi sur l’égalité, LEg - RS 151.1).

Bien que les exemples cités à l'art. 4 LEg ne se réfèrent qu'à des cas d'abus d'autorité, la définition englobe tous les comportements importuns fondés sur le sexe, soit également ceux qui contribuent à rendre le climat de travail hostile, par exemple les plaisanteries déplacées, les remarques sexistes et les commentaires grossiers ou embarrassants (ATF 126 III 395 consid. 7b/bb ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_74/2019 du 21 octobre 2020 consid. 3.1.1 et les arrêts cités). Selon les procédés utilisés, plusieurs incidents peuvent être nécessaires pour constituer une discrimination au sens de l'art. 4 LEg ; la répétition d'actes ou l'accumulation d'incidents n'est toutefois pas une condition constitutive de cette forme de harcèlement sexuel (Claudia KAUFMANN, in Commentaire de la loi sur l'égalité, Margrith BIGLER-EGGENBERGER/Claudia KAUFMANN [éd.], 2000, n. 59 ad art. 4 LEg p. 118 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_74/2019 précité consid. 3.1.1).

Afin de juger du caractère importun des actes, il faut considérer non seulement le point de vue objectif d’une « personne raisonnable », mais aussi la perception de la victime, eu égard aux circonstances du cas d’espèce. L’existence d’un harcèlement sexuel ne saurait être écartée du seul fait que la personne concernée a aussi eu recours à un vocabulaire grossier ou a « choisi » de travailler dans un milieu où ce type de langage est courant (Karine LEMPEN, in Commentaire romand - Code des obligations I, vol. 2, Luc THÉVENOZ/Franz WERRO [éd.], 3ème éd., 2021, n. 25 ad art. 328 CO et les références citées, en particulier ATF 126 III 395 consid. 7d ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.60/2006 du 22 mai 2006 consid. 3.1). Vu le rapport de subordination résultant du contrat de travail, on ne saurait inférer un acquiescement (consentement) tacite d'une collaboratrice victime de remarques déplacées à connotation sexuelle (sur son lieu de travail) du seul fait qu'elle n'a exprimé aucune plainte (arrêt du Tribunal fédéral 4A_105/2018 du 10 octobre 2018 consid. 3.3).

5.2 En cas de harcèlement sexuel, l'employeur a l'obligation de protéger son personnel contre des actes commis par la hiérarchie, des collègues ou des personnes tierces (art. 4 LEg, art. 6 de la loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce du 13 mars 1964 - loi sur le travail, LTr - RS 822.11, art. 2 de l’ordonnance 3 relative à la LTr du 18 août 1993 - OLT 3 - RS 822.113). Son devoir de diligence comporte deux aspects, à savoir prévenir les actes de façon générale et y mettre fin dans les cas concrets.

6.             En matière de rapports de service, l'employeur public dispose d'un large pouvoir d'appréciation, de sorte que la chambre administrative ne peut intervenir qu'en cas de violation du droit, y compris d'abus ou d'excès du pouvoir d'appréciation, ou de constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. a et b LPA).

7.             En l’espèce, le litige porte sur le bien-fondé du licenciement du recourant en application de l’art. 11 du contrat du 13 juillet 2022, à l’exclusion de toute analyse sur l’existence d’un « motif fondé » de licenciement, cette notion ne s’appliquant qu’aux fonctionnaires (art. 21 et 22 LPAC cum 18 al. 1 LPol).

7.1 Le recourant conteste l’existence d’un motif de licenciement. Il considère que ni la note de service du caporal G______ du 21 février 2023 ni ses évaluations, rédigées par le même supérieur hiérarchique, ne mentionneraient des propos blessants, misogynes, qui seraient un problème pour les membres de sa classe. Ces propos devraient par ailleurs être contextualisés. À l’académie, les instructeurs, les aspirants et les aspirantes s’adresseraient fréquemment des blagues. L’ambiance de la classe était bonne, conformément aux messages WhatsApp produits. Il avait ignoré que ses propos avaient été perçus comme étant blessants. Il n’avait jamais eu l’opportunité de corriger son attitude. Son évaluation du 14 novembre 2022 n’avait pas fait mention de la première plainte et avait été bonne.

7.2 Toutefois, le recourant a reconnu avoir tenu un certain nombre de propos que lui‑même juge inexcusables à l’égard de certaines aspirantes. Il a admis lors de son audition du 28 février 2023 être « lourd », « à la limite chiant avec [s]es blagues ». Il reconnait ainsi avoir dit ou avoir pu dire, notamment, « les grosses vont devant parce qu’elles vont lentement » ; « ton corps a 54 ans » ; « ferme ta gueule, tu sers à rien ! » ; « [C______] n’a rien à faire [à l’Académie] » ; « F______, je lui chie sur la gueule » ; « s’il y a un accident, il faudra une brigade spécialisée pour désincarcérer C______ » ; « je ne veux pas tomber avec une femme à ECO » ; « C______, la grosse, mange tout le temps » ; « I______ vulva actrice porno ». Le contenu des blagues qu’il admet avoir faites est indéniablement dégradant et sexiste et a heurté les personnes concernées. Ce faisant, le recourant a adopté un comportement importun fondé sur le sexe qui a contribué à rendre le climat de travail hostile, notamment par des plaisanteries déplacées, des remarques sexistes et des commentaires grossiers ou embarrassants, ce comportement répondant à la définition du harcèlement sexuel.

Il n’est dès lors pas nécessaire de déterminer s’il a effectivement dit « bon appétit à tous, sauf aux femmes parce qu’elles puent de la chatte et avalent du sperme », ce que plusieurs aspirantes confirment mais qu’il conteste, « je ne monte pas dans le bus des femmes » ou, auprès d’un futur papa, « tu sais déjà si c’est un garçon ou un avortement ? », deux phrases à propos desquelles la question de savoir s’il en était l’auteur ne lui a pas été posée.

La note de service, adressée au colonel J______ le 21 février 2023 par l’instructrice en psychologie, relève que l’intéressé avait aussi été qualifié de misogyne par un instructeur externe, qu’il s’obstinait à tenir des propos dégradants et humiliants, le plus souvent à caractère sexiste ou sexuel à l’encontre des femmes de sa classe, mais plus spécifiquement envers trois jeunes femmes qui avaient souffert d’un réel rejet de la part de leurs camarades. Elle décrit précisément l’évolution du problème et le détaille par phases, qui vont en s’aggravant, tant dans le comportement adopté, que dans le cercle de personnes visées. La note de service se fonde non seulement sur les propos des femmes concernées par l’attitude du recourant, mais aussi sur des propos qui lui ont été rapportés par certains hommes de la classe ne supportant plus les soirées en question desquelles ils s’isolaient en écoutant leur musique via des écouteurs.

Le problème d’attitude est en conséquence plus global que les « gags » lourds et graveleux. S’il a commencé en visant trois aspirantes déterminées, il s’est généralisé sur la gent féminine. Il ne prenait pas que la forme de « gags lourds », mais se manifestait par leur exclusion de soirées au cours desquelles elles étaient dénigrées ou leur exclusion de l’organisation de certains déplacements, les contraignant à solliciter d’autres classes. À cela s’ajoute que le recourant reconnaît que sa personne, de par son âge, sa situation familiale et son parcours professionnel, risquait de servir d’exemple à ses camarades.

Il a violé ainsi ses obligations d’aspirant en manquant de respect et d’impartialité à l’égard de ses camarades, contrairement aux valeurs de la charte éthique de l’administration cantonale. Il n’a pas fait montre de professionnalisme et d’esprit d’équipe, contrairement au code de déontologie de la police genevoise et a violé le code des valeurs de l’académie, notamment sur les aspects de la mise en valeur des qualités individuelles, du respect réciproque et de l’esprit d’équipe. Ces violations ont été nombreuses, à l’égard de plusieurs personnes, principalement des femmes, et se sont déroulées sur plusieurs mois.

L’intéressé n’a pas compris les mises en garde de son supérieur hiérarchique, formulées sous plusieurs points de son EEAS du 14 novembre 2022. Sur les sept points évalués, trois relevaient que des améliorations étaient nécessaires. Ainsi, sous « faculté d’adaptation » il était mentionné que le recourant devait faire preuve de plus d’empathie envers les victimes et s’adapter à elles. Il devait écouter et ne pas parler trop vite ; sous « communication », il était indiqué que l’intéressé devait faire attention de ne pas prendre trop confiance en lui et utiliser un langage académique et adapté ; enfin, sous « respect envers son entourage » il était expressément relevé qu’il devait faire attention à ne pas abuser des touches d’humour et éviter les remarques durant les cours. Dans ces conditions, le recourant ne peut pas soutenir que son attention n’avait pas été attirée sur cette problématique.

Il n’a de même pas su entendre les plaintes de ses camarades puisque, comme cela ressort de son audition, E______ lui avait reproché, en début d’année, « de mal parler aux gens » et, à teneur de l’audition de M______, avait même pris la parole devant la classe pour évoquer son mal-être.

Le recourant relève que l’EEAS aurait dû mentionner qu’une première plainte avait été déposée à son encontre début novembre 2022. Comme l’indique sa hiérarchie, qui avait discuté longuement avec certaines aspirantes concernées, plusieurs solutions avaient été ébauchées. Elles avaient préféré tenter de gérer la situation par elles-mêmes. Le caporal avait ainsi profité de l’EEAS pour passer le message, notamment au recourant, et rappeler les objectifs de l’académie. Les conséquences de la première plainte ont donc été dûment communiquées à l’intéressé, sous la forme que sa hiérarchie a estimé la plus judicieuse compte tenu, notamment, du souhait des aspirantes et du contexte.

Le recourant n’était en conséquence plus en adéquation avec la charte éthique de l’administration cantonale et a commis une violation avérée, grave et répétée des règles internes à l’académie. Ce faisant, il remplit deux motifs de résiliation au sens de l’art. 11 du contrat du 13 juillet 2022.

8.             Le recourant allègue une violation du principe de la proportionnalité.

Selon l’intéressé, aucune chance ne lui aurait été laissée pour pouvoir corriger ses erreurs. Un avertissement formel avec mention des risques encourus aurait été plus proportionné. Il était par ailleurs surprenant de voir que l’académie avait attendu huit jours après la plainte du mois de février 2023 pour l’interpeller alors qu’elle considérait que son comportement n’était pas compatible avec la fonction de policier. Or, pendant ces huit jours, des caméras de la RTS avaient filmé un reportage à l’académie. Enfin, l’instruction n’avait été faite qu’à charge.

8.1 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – , de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

8.2 En l’espèce, le licenciement est apte à atteindre le but visé, soit le respect des règles en vigueur dans l’administration cantonale, notamment à la police et à l’académie ainsi que des buts poursuivis par le LFPr, soit l’encouragement et le développement (art. 3 let. a) d’un système de formation professionnelle qui permette aux individus de s’épanouir sur les plans professionnel et personnel, ainsi que (art. 3 let. c) l’égalité effective entre les sexes, but par ailleurs poursuivi par la LEg. Le licenciement est nécessaire au vu de la gravité de la faute commise, par sa fréquence, son aggravation au fil du temps, le cercle des personnes visées, et l’inadéquation du comportement avec la formation et la fonction de policier. Le licenciement est proportionné au sens étroit : si l’intérêt du recourant à conserver sa place au sein de l’académie est indéniable pour son avenir et sa famille, l’intérêt public à ne former, en qualité d’aspirants policiers, que des personnes se montrant aptes à scrupuleusement respecter les règles clairement définies et acceptées en début de formation, dans l’intérêt des collègues, de la hiérarchie et à terme du public, prime l’intérêt privé précité. Le non-respect des collègues et le dénigrement des femmes est totalement incompatible avec la fonction de policier.

Le recourant se plaint de n’avoir pas fait l’objet d’un avertissement préalable. Conformément toutefois aux considérants qui précèdent, l’attention de l’intéressé avait été attirée à plusieurs reprises sur les difficultés rencontrées par ses camarades et l’inadéquation notamment de son humour. De surcroît, un avertissement n’est pas une condition nécessaire à un licenciement.

Il allègue n’avoir jamais eu l’intention de blesser ses camarades et met en avant certains messages de remerciements reçus ou certaines impulsions de sa part pour organiser des événements rassembleurs, à l’instar de deux repas de classe, le
21 décembre 2022 et d’une soirée aux bains de Lavey en novembre 2022. Or, d’une part, l’intention de l’auteur n’est pas déterminante pour établir l’existence d’une atteinte à la personnalité, dans la mesure où l’illicéité de celle-ci est une notion objective, selon la jurisprudence et à la doctrine susmentionnées. Cette question s’examine à l’aune de critères objectifs et en se plaçant du point de vue de l’observateur « moyen », voire de la victime. Le fait que le recourant n’ait pas eu pour but de nuire est sans pertinence, le harcèlement sexuel se caractérisant avant tout par le fait que le comportement inopportun n’est pas souhaité par les personnes l’ayant régulièrement subi. L’argument du recourant ne peut donc qu’être écarté. Il ne s’agit d’aucun des motifs justificatifs autorisés par l’art. 28 al. 2 CC ni par aucune autre disposition légale.

Le recourant invoque que les attitudes qui lui sont reprochées sont fréquentes dans son environnement professionnel. Même à suivre son argumentation, elles ne peuvent, conformément à la jurisprudence susmentionnée relative au harcèlement sexuel, ni justifier ni neutraliser une atteinte à la personnalité, les biens de la personnalité étant absolus et opposables à tout le monde. À ce titre, le recourant ne peut rien tirer d’une comparaison avec la situation, différente, de l’autre aspirant entendu, et auquel la possibilité de s’excuser devant la classe aurait été donnée, le recourant ayant clairement été identifié comme meneur principal.

Le délai de huit jours entre le 20 et le 28 février 2023 a été justifié par l’instructrice en psychologie, les plaignantes ayant souhaité terminer le reportage avec la TSR avant que l’académie n’intervienne. Le recourant ne peut en tirer argument.

Les témoignages des anciens collègues français ne sont pas déterminants quant au déroulement des faits à l’académie entre septembre 2022 et février 2023 et ne sont pas de nature à influer sur l’issue du litige.

C’est en conséquence sans violer le droit ni abuser de son pouvoir d’appréciation que la commandante a résilié les rapports de service du recourant en respectant le délai d’un mois pour la fin d’un mois, ce qui n’est pas contesté (art. 82 RPAC).

En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.

9.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87
al. 2 LPA).

Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 mai 2023 par A______ contre la décision de la Commandante de la police du 26 avril 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public, le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre OCHSNER, avocat du recourant, ainsi qu'à la commandante de la police.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Christian COQUOZ, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :