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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1276/2023

ATA/1090/2023 du 03.10.2023 sur DITAI/266/2023 ( ICCIFD ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1276/2023-ICCIFD ATA/1090/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 octobre 2023

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Grégory LACHAT, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

 

_________



Recours contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 20 juin 2023 (DITAI/266/2023)

 



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : la société), avec siège à Genève, a notamment pour but de fournir une assistance technique, administrative et organisationnelle aux sociétés du groupe dont elle fait partie.

b. La société a fait l’objet d’une procédure en rappel d’impôt pour la période fiscale 2018, ouverte en août 2021, au motif que des rémunérations issues de plans d’intéressement mis en place par le groupe B______ n’avaient pas été soumis à l’impôt à la source.

c. Par bordereau de rappel d’impôt et d’amende du 14 février 2023, portant sur la période fiscale 2018, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a prononcé à l’encontre de la société un rappel d’impôt d’un montant de CHF 12'080'513.- et d’amende du même montant.

d. La société a formé réclamation à ce bordereau le 20 mars 2023, sollicitant, à titre préalable, la récusation de C______, collaboratrice de l’AFC‑GE ayant traité son dossier.

e. Par décision du 29 mars 2023, l’AFC-GE a rejeté la requête en récusation. Un délai au 14 avril 2023 était imparti à la société pour compléter sa réclamation.

f. La société a formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), sollicitant, à titre préalable, la suspension de la procédure de réclamation jusqu’à droit jugé dans le présent recours. Sur le fond, elle a conclu à la réformation de la décision entreprise et à l’admission de sa demande de récusation.

g. Par décision sur requête de suspension du 20 juin 2023, le TAPI a rejeté la requête de suspension. Il n’était pas compétent pour ordonner à l’autorité intimée de suspendre cette procédure sur la base de l’art. 14 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), étant donné qu’il n’était pas saisi d’un recours relatif auxdits bordereaux, la contestation étant encore pendante devant l’AFC-GE au stade de la réclamation. La société était renvoyée à mieux agir.

B. a. Par acte du 6 juillet 2023, la société a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant principalement à la suspension de la procédure de réclamation portant sur l’impôt à la source 2018 jusqu’à droit connu dans la procédure relative à la demande de récusation de C______. Subsidiairement, elle a requis l’annulation de la décision entreprise et le renvoi de la cause à l’autorité précédente « pour respecter son droit d’être entendue ».

L’exigence d’un préjudice irréparable était remplie, dans la mesure où il était impératif de connaître l’issue de la procédure portant sur la demande de récusation avant de poursuivre la procédure de réclamation devant l’administration fiscale. L’annulation de l’ensemble des actes et décisions prises par la fonctionnaire en question était requise, ce qui impliquerait que la procédure de contrôle soit initiée ab ovo. Il était par ailleurs impératif que la procédure de réclamation ne se poursuive pas sous l’égide de ladite fonctionnaire.

Il existait à l’évidence un lien de connexité matérielle intrinsèque entre la procédure de réclamation et la procédure devant la chambre de céans. La problématique juridique liée à la récusation de la collaboratrice aurait inexorablement des conséquences sur la procédure au fond de la réclamation, raison pour laquelle tant le TAPI que la chambre de céans étaient compétents. Le sort de la procédure de réclamation actuellement pendante auprès de l’autorité intimée dépendait du sort de la procédure de récusation pendante auprès du TAPI dès lors qu’en cas d’admission des conclusions sur récusation, l’ensemble de la procédure de contrôle devrait être réitérée.

b. Par réponse du 15 août 2023, l’AFC-GE a conclu à l’irrecevabilité du recours.

Le recours ne comportait aucune argumentation tendant à démontrer la compétence du TAPI ou de la chambre de céans, pour suspendre la procédure de réclamation. La contribuable ne rendait pas vraisemblable qu’elle s’exposait à un préjudice difficilement réparable et qu’elle se trouvait en situation d’urgence. Le recours principal, actuellement pendant devant le TAPI, était dénué de chances de succès car irrecevable à plusieurs égards.

c. Par réplique du 20 septembre 2023, la société a persisté dans ses conclusions.

Le fait que la procédure de réclamation était toujours instruite par une fonctionnaire faisant l’objet d’une demande de récusation relevait d’un cas d’urgence et lui causait un préjudice irréparable.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La décision de refus de suspension est une décision incidente.

2.1 Selon l'art. 57 let. c LPA, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longe et coûteuse.

2.2 L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Le préjudice irréparable visé par l’art. 93 al. 1 let. a et b LTF suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

2.3 Une décision de suspension de la procédure peut causer un préjudice irréparable lorsque le justiciable se plaint, pour cette raison, d'un retard injustifié à statuer sur le fond constitutif d'un déni de justice formel ; il faut à cet égard que le grief fasse apparaître un risque sérieux de violation du principe de célérité (ATF 143 IV 175 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_804/2019 du 21 avril 2020 consid. 1.1.2 et les références citées).

À l'inverse, le refus de suspendre une cause dans l'attente d'une autre procédure et, par conséquent, la poursuite de l'instruction de la cause pendante n'exposent pas le justiciable à un préjudice irréparable de nature juridique dès lors qu'une décision finale qui lui soit favorable sur le fond du litige n'est pas exclue (arrêt du Tribunal fédéral 1C_25/2018 du 19 janvier 2018 consid. 2.3).

2.4 La seconde hypothèse de l'art. 57 let. c LPA suppose cumulativement que l'instance saisie puisse mettre fin une fois pour toutes à la procédure en jugeant différemment la question tranchée dans la décision préjudicielle ou incidente et que la décision finale immédiate qui pourrait ainsi être rendue permette d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (ATF 133 III 629 consid. 2.4.1 ; ATA/365/2010 du 1er juin 2010 consid. 4c).

2.5 À teneur de l’art. 14 al. 1 LPA, lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions.

2.6 En l’espèce, devant l’autorité précédente, la recourante a sollicité la suspension de la procédure de réclamation, pendante devant l’AFC-GE. Or, ainsi que le retient la décision entreprise, le TAPI n’était pas compétent pour suspendre une procédure dont il n’était lui-même pas saisi. Seule l’AFC-GE était compétente pour ce faire. C’est partant à juste titre que la recourante a été invitée à mieux agir.

S’ajoute à cela que même dans l’hypothèse où une suspension pouvait être prononcée, les conditions de l’art. 57 let. c LPA ne seraient pas remplies. Le fait d’admettre la suspension n’est manifestement pas de nature à mettre immédiatement un terme à la procédure ni d’éviter à la recourante une procédure longue et coûteuse. La seconde hypothèse de l’art. 57 let. c LPA n’est donc pas remplie. Quant à la première hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA, le fait de refuser de suspendre l’instruction de la procédure menée par l’AFC-GE n’est pas susceptible d’entraîner un préjudice difficilement réparable, puisque la recourante pourra, en cas de décision au fond qui lui serait défavorable, la contester auprès du TAPI, puis de la chambre administrative. Il lui sera loisible de faire valoir tous les griefs qu’elle estime pertinents, étant rappelé que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci n'est pas considéré comme un dommage irréparable, ce qui ne permet pas encore de dire qu’elle est tardive, au cas où notamment la fonctionnaire aurait justifié la récusation par ses déclarations ou comportement.

Ainsi, au vu de ce qui précède, le recours sera déclaré irrecevable.

3.             Vu l'issue du recours, un émolument de CHF 700.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 6 juillet 2023 par A______ contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 20 juin 2023  ;

met un émolument de CHF 700.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi.

communique le présent arrêt à Me Grégory LACHAT, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :