Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1459/2023

ATA/1045/2023 du 26.09.2023 ( DIV ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1459/2023-DIV ATA/1045/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 septembre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

DIRECTION DES FINANCES DE LA POLICE - DFP intimée



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1999, est domiciliée rue B______ ______.

b. Le 14 avril 2023, la direction des finances de la police – DFP, du département de la sécurité, de la population et de la santé, devenu depuis lors le département des institutions et du numérique (ci-après : DIN), lui a adressé une facture d’un montant de CHF 1'600.‑, TVA comprise, portant sur l’intervention à son domicile le 14 novembre 2022 de l’entreprise de serrurerie C______ Sàrl.

B. a. Par acte remis à la poste le 2 mai 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, s’opposant au paiement.

Ce jour-là, bien que l’intervention ait eu lieu à son domicile, ce n’était pas elle qui avait demandé l’intervention de la police, mais son ex-ami, qui avait agi « soi‑disant » par inquiétude, mais son comportement « relevait plus de la malveillance » due au fait qu’elle avait dû contacter la police quelques heures auparavant pour lui faire quitter son appartement. C’était une forme de vengeance de sa part pour qu’il puisse à nouveau essayer de revenir chez elle, avec pour excuse de s’occuper d’elle. Elle ne nécessitait aucune aide, et encore moins une intervention de la police, puisqu’elle était simplement endormie et que son ex-ami ne supportait pas d’avoir été « mis dehors ». Ce n’était pas à elle de payer mais à la personne qui avait appelé par malveillance.

b. Le 5 juillet 2023, le département a conclu au rejet du recours.

Le 14 novembre 2022 à 12h04, D______, ami de A______, avait appelé le numéro 144 de la centrale d’urgences de la police.

A______ se trouvait chez elle, avait menacé de se faire du mal et ne répondait plus au téléphone. Quelque temps auparavant, elle avait tenté de se suicider en voulant sauter par la fenêtre.

Les policiers du poste E______ qui s’étaient rendus sur place avaient constaté que D______ était paniqué et très inquiet pour A______. Elle lui avait envoyé des messages lui disant qu’elle voulait se faire du mal. Comme elle ne répondait pas au téléphone, il s’était rendu chez elle pour l’aider. Il possédait une clé du logement mais n’avait pu ouvrir car une autre clé occupait la serrure de l’intérieur.

Une patrouille de police était intervenue plus tôt dans la journée, après que A______ eut appelé à 06h48 pour un conflit avec D______.

A______ ne répondant pas aux injonctions des policiers, qui avaient tapé à sa porte durant plusieurs minutes, et ceux-ci craignant pour sa sécurité, ils avaient enfoncé la porte palière après avoir obtenu l’accord du commissaire de police, conformément à la procédure.

À l’intérieur de l’appartement, A______ dormait profondément. Les policiers l’avaient réveillée. Elle avait déclaré que tout allait bien et qu’elle avait pris des médicaments pour se calmer et pour dormir. Elle avait passé la soirée jusqu’à l’aube avec D______ et après son départ elle lui avait déclaré par message qu’elle le quittait. Elle était ensuite allée se coucher.

Les policiers avaient constaté qu’elle était hébétée et somnolente. Elle les avait remerciés pour leur intervention.

Par précaution, ils avaient fait appel à une ambulance. Après, examen, les ambulanciers n’avaient pas jugé nécessaire de la transporter aux hôpitaux universitaires de Genève.

Les policiers avaient mandaté l’entreprise C______ Sàrl pour réparer la porte palière endommagée. Une réparation étant impossible, la porte avait dû être changée. Un bon avait été délivré à l’entreprise et celle-ci avait adressé le 4 avril 2023 une facture de CHF 1'600.- nets à la police, qui l’avait acquittée.

Conformément à la loi, le département avait adressé à la recourante une facture du même montant, car son comportement avait justifié l’intervention de la police.

Il produisait la main courante de l’intervention du matin, dont il ressortait que D______ avait quitté les lieux à l’arrivée de la police, que A______ était calme, avait remercié les policiers et leur avait dit qu’elle les appellerait s’il venait à nouveau sonner chez elle. Il produisait également la main courante de l’intervention litigieuse.

c. Le 9 août 2023, A______ a persisté dans ses conclusions.

Elle n’avait jamais dit à D______ qu’elle allait se faire du mal, mais qu’elle allait prendre les médicaments qui lui avaient été prescrits lors de surcharge de stress pour se calmer et se reposer car elle ne se sentait pas très bien après le conflit qui avait nécessité l’intervention de la police plus tôt dans la journée.

L’intervention de la police n’était pas nécessaire. Elle comprenait que le fait qu’elle n’avait pas répondu ait pu inquiéter. Elle avait simplement pris ses médicaments qui l’avaient fait dormir profondément. Elle n’avait entendu ni le téléphone, ni la police frapper. Elle n’avait pas dormi de la nuit, était épuisée et voulait simplement dormir.

Sa relation avec D______ était très houleuse. Entre son travail d’escorte occasionnelle et la consommation de stupéfiants de D______, il y avait souvent des conflits, des crises de jalousie excessive et elle avait même subi plusieurs fois des coups de sa part. À une occasion, il l’avait tellement frappée qu’elle avait dû appeler la police. Elle n’avait toutefois pas eu le courage de déposer une plainte. D______ cherchait par tous les moyens à la surveiller et à se trouver à proximité d’elle. Il n’avait pas supporté d’avoir été éconduit le matin même et avait appelé la police pour qu’elle enfonce sa porte.

Elle produisait la première page d’une ordonnance de non-entrée en matière du Ministère public de l’arrondissement de Lausanne du 17 novembre 2022 mentionnant qu’il était reproché à D______ d’avoir, depuis leur mise en couple en juillet 2022, traité à plusieurs reprises A______ de « pute », et de s’en être pris physiquement à elle lors d’une dispute le 9 août 2022 en lui assénant un ou des coups au visage et en la saisissant par les cheveux, lui occasionnant des hématomes.

Elle produisait également une ordonnance des SA du 6 juillet 2022 lui prescrivant notamment de la Duloxetine (Cymbalta) et de l’Olanzapine (Zyprexa).

d. Le 9 août 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Est litigieux le bien-fondé de la facture de CHF 1'600.-.

2.1 Aux termes de l’art. 1 al. 1 de la loi sur police du 9 septembre 2014 (LPol ‑ F 05), la police est au service de la population, qu’elle doit protéger et servir. Selon l’al. 4 let. a, elle doit assurer l’ordre, la sécurité et la tranquillité publics.

Selon l’art. 213 al. 2 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), lorsqu’il y a péril en la demeure, la police peut pénétrer dans des locaux sans mandat de perquisition.

Selon l’art. 45 al. 2 LPol, en cas de troubles ou pour écarter des dangers menaçant directement la sécurité et l’ordre publics, la police prend les mesures d’urgence indispensables.

Selon l’art. 59 LPol, intitulé « frais d’intervention », lorsqu’un administré, par son comportement contraire au droit, a justifié l’intervention de la police, celle-ci lui en facture les frais (al. 1) ; lorsque l’intervention résulte de circonstances qui la rendent nécessaire ou d’une demande particulière, la police peut en facturer les frais (al. 2) ; les frais d’intervention de la police font l’objet d’un tarif établi par le Conseil d’État (al. 3).

Selon l’art. 1 du règlement sur les émoluments et frais des services de police du 24 août 2016 (REmPol - F 1 05.15), la police, soit pour elle la DFP, peut percevoir pour l’exercice de ses activités le remboursement des frais et les émoluments prévus dans le REmPol, sous réserve des dispositions spéciales découlant notamment de l’application du droit fédéral ou concordataire (al. 1) ; les frais et émoluments liés aux interventions et prestations des services de police peuvent être mis à la charge des personnes qui les ont provoquées ou sollicitées (al. 2). Les frais réglés par la police au profit d'un tiers sont facturés à celui-ci, sauf circonstances particulières (art. 3 al. 1 REmPol).

Selon l’art. 2 al. 1 REmPol, en cas d'intervention ou de prestations, sur ordre de la police, d'une entreprise tierce, celle-ci adresse directement sa facture aux personnes qui les ont provoquées ou qui en bénéficient, ou aux représentants de celles-ci.

Selon l’art. 3 al. 1 REmPol, les frais réglés par la police au profit d'un tiers sont facturés à celui-ci, sauf circonstances particulières.

Exceptionnellement, d'office ou sur requête de la personne qui démontre qu'elle est dépourvue de ressources suffisantes et pour autant que la faute de celle‑ci soit de peu d'importance, les frais et émoluments en principe dus peuvent être remis, partiellement ou totalement (art. 14 al. 1 REmPol). La requête doit être déposée dans les 30 jours dès notification de la facture relative aux frais et émoluments (art. 14 al. 2 REmPol). C'est la police, soit pour elle la DFP (art. 17 RemPol) qui est compétente pour statuer sur cette question.

Selon l’art. 2 du règlement sur les émoluments de l’administration cantonale du 15 septembre 1975 (REmAC - B 4 10.03), applicable par le renvoi de l’art. 1 al. 1 REmPol, les prestations particulières fournies par l’État impliquent en général la perception d’une taxe ou d’un émolument auprès des intéressés. La taxe ou l’émolument peut couvrir l’ensemble des frais internes engagés par l’État en vue de fournir des prestations particulières, demandées ou causées par les intéressés (art. 3 REmAC). Une certaine proportionnalité doit exister entre le montant de la taxe ou de l’émolument et l’utilité ou l’avantage procuré à l’intéressé (art. 4 REmAC). Ces principes ont rang constitutionnel et valent en particulier pour les émoluments de relativement faible importance, pour lesquels l'exigence de base légale est moins stricte (ATF 145 I 52 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_446/2019 du 20 septembre 2019 consid. 2.1.2).

Selon le principe de la couverture des frais, le produit global des taxes ne doit pas dépasser l’ensemble des dépenses du secteur administratif dans le cadre duquel la prestation est fournie. Le principe d’équivalence exige que le montant de la taxe se situe dans un rapport raisonnable avec la valeur objective de la prestation, cette valeur pouvant être arrêtée par voie de schématisation impliquant l’adoption de tarifs fixes. Si le cercle des contribuables, l’objet et la base de calcul de la contribution doivent reposer sur une loi formelle, leur taxation concrète peut reposer sur une simple loi matérielle, de rang réglementaire (ATA/494/2018 du 22 mai 2018 consid. 3d ; ATA/123/2008 du 18 mars 2008 et les références citées).

La chambre de céans a admis que l’acheminement au poste de police d’un justiciable et l’intervention d’un médecin suite à une altercation pouvaient lui être facturés du moment qu’il avait fautivement provoqué l’intervention de la police et que l’appel au médecin par celle-ci était justifié par son besoin de médicaments (ATA/911/2019 du 21 mai 2019 consid. 4).

2.2 En l’espèce, la recourante fait tout d’abord valoir que l’intervention de la police n’était pas nécessaire.

Elle ne saurait être suivie. Les policiers ont trouvé D______ paniqué et très inquiet pour elle. Il leur a indiqué que quelque temps auparavant, elle avait tenté de se suicider en voulant sauter par la fenêtre. Il a ajouté qu’elle lui avait envoyé des messages lui disant qu’elle voulait se faire du mal. Il a encore précisé que comme elle ne répondait pas au téléphone, il s’était rendu chez elle pour l’aider. Il possédait une clé du logement mais n’avait pu ouvrir car une autre clé occupait la serrure de l’intérieur. Les policiers étaient intervenus le matin même pour une dispute. Ils ont frappé plusieurs minutes à la porte sans obtenir de réponse. Ils étaient fondés, compte tenu de tous ces éléments, à craindre que la recourante ait pu attenter à ses jours. Aucun indice ne pouvait éveiller les soupçons que D______ agissait par malveillance, comme le soutient le recourante. Celle-ci a d’ailleurs admis dans sa réplique qu’elle comprenait que le fait qu’elle n’avait pas répondu avait pu inquiéter. L’enfoncement de la porte, autorisé par le commissaire, constituait une mesure nécessaire pour s’assurer de sa situation et si nécessaire lui venir en aide. Cette mesure – la destruction d’une porte – apparaît en outre proportionnée au regard de la valeur du bien à protéger – vie ou intégrité corporelle.

La recourante soutient ensuite que l’intervention ne peut lui être imputée à faute et qu’elle devrait être facturée à D______.

Ce point de vue ne peut être partagé. Elle n’établit pas que D______ aurait agi par malveillance, étant observé que l’ordonnance de non-entrée en matière vaudoise du 17 novembre 2022 n’est pas propre à avérer un tel reproche. Les indications de la police sur l’état de panique de D______ portent à conclure que celui-ci avait de bonnes raisons de s’inquiéter. D______ avait en effet affirmé qu’il avait reçu des messages inquiétants et qu’elle avait tenté récemment de se suicider. Même si la recourante s’est bornée comme elle l’affirme à lui dire qu’elle allait prendre les médicaments qui lui avaient été prescrits lors de surcharge de stress pour se calmer et se reposer car elle ne se sentait pas très bien après le conflit qui avait nécessité l’intervention de la police plus tôt dans la journée, cette information était de nature à alerter son ami vu les circonstances, ce que la recourante aurait d’ailleurs dû savoir, étant observé que selon l’ordonnance qu’elle a produite, elle bénéficie d’une médication indiquée pour des épisodes aigus de troubles bipolaires (https://compendium.ch/product/79621-zyprexa-cpr-pell-2-5-g/mpro#MPro7100) et pour la prévention de la récidive de dépressions unipolaires récurrentes (https://compendium.ch/product/1031290-cymbalta-caps-60-g/mpro#MPro7100), et qu’elle a elle-même dans ses écritures décrit une relation agitée avec son ami.

La recourante doit donc se laisser opposer le fait que son attitude a provoqué l’intervention de la police et la nécessité d’enfoncer sa porte.

Elle ne critique par ailleurs pas le bien-fondé de la facture ni ne soutient qu’elle serait dépourvue de ressources pour y faire face, étant observé qu’elle affirme travailler.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 mai 2023 par A______ contre la décision de la direction des finances de la police – DFP du 14 avril 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 200.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la direction des finances de la police - DFP.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :