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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1535/2023

ATA/984/2023 du 12.09.2023 ( AMENAG ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1535/2023-AMENAG ATA/984/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 septembre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Arnaud CYWIE, avocat

contre

 

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE

 

et

 

B______ intimées



EN FAIT

A. a. B______ est propriétaire de la parcelle n°1'650 de la commune de C______, d’une superficie de 8'336 m², située en zone agricole et assujettie à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11).

b. Elle a déposé, le 5 janvier 2023, auprès de la commission foncière agricole (ci‑après : CFA) une requête d’autorisation de la vendre à la société A______.

c. A______ a été inscrite au registre du commerce de Genève le 7 mars 2019 et a pour but l’exploitation de tout domaine agricole, viticole et/ou horticole et toutes activités se rapportant à ce but en conformité avec la LDFR.

D______ en est l’administrateur avec signature individuelle.

d. Par décision du 14 mars 2023, notifiée le 6 avril 2023, la CFA a rejeté la requête de B______.

Selon l’art. 63 al. 1 LDFR, elle devait non seulement veiller à ce que l’acquéreur dispose des capacités nécessaires à l’exploitation des parcelles qu’il achetait, mais également qu’il les exploite effectivement et personnellement. Or, A______ était déjà propriétaire de plusieurs parcelles assujetties à la LDFR dans le canton de Genève, acquises entre 2019 et 2022, avec pour motivation principale le développement de la culture de la truffe. Plusieurs de ces parcelles étaient partiellement cultivées, cette société disposant d’une réserve de terre en attente.

La CFA avait constaté, lors d’un transport sur place le 5 septembre 2022, qu’une partie de la parcelle n° 8'023 de la commune de E______, acquise par A______ le 15 janvier 2019, était mise à disposition de chevaux. Il y avait sur le solde une culture d’arbres fruitiers hautes tiges, une culture de crocus safran (20'000 bulbes) et une plantation de 740 arbres à truffes (chênes, noisetiers, ormes). La parcelle n° 8'373 de cette même commune (11'765 m2), acquise le 6 juillet 2021, était toujours cultivée par le fermier F______. La parcelle n° 3'309, de la commune de E______, acquise à cette même date, était entièrement située en zone bois et forêt. D______ souhaitait y cultiver des pleurotes et des morilles. Ce dernier ne cultivait pas la parcelle n° 215 de la commune de G______ (41'743 m2) acquise le 9 novembre 2021, faute de possibilité d’arrosage. Sur les 11 ha en possession de A______, 2.5 ha sur la parcelle n° 8'023 précitée et 3'000 m2 sur la parcelle n° 5'742 de la commune de H______ étaient d’ores et déjà plantés en truffières. Outre les parcelles nos 215 et 8'373 précitées, la parcelle n° 99 de la commune de I______ (5'818 m2) était exploitée par un tiers agriculteur. Environ 5'000 m² de la parcelle n° 8'023 étaient mis à disposition d’une association pour les chevaux maltraités.

La CFA peinait à comprendre pour quel motif seuls près de 3 ha avaient pu être plantés alors que plus de 5 ha étaient actuellement mis à disposition de tiers. Elle sollicitait dès lors de A______ qu’elle fasse la démonstration que les parcelles détenues étaient cultivées avant de considérer ses demandes d’acquisition de parcelles supplémentaires.

B. a. A______ a formé recours contre cette décision par acte expédié le 5 mai 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à son annulation et à ce qu’elle soit autorisée à acquérir la parcelle n° 1'650 de la commune, subsidiairement au renvoi du dossier à la CFA pour nouvelle décision.

D______ était exploitant agricole.

Dans le cadre de toutes ses acquisitions, elle avait toujours eu pour objectif, à court comme à long terme, d’exploiter elle-même les parcelles, comme cela découlait du business plan qu’elle avait établi. Elle avait acquis la parcelle n° 8'023 (E______) le 15 juin 2020. Elle y cultivait 4'000 m² en permaculture entre les lignes truffières, 2'000 m² en culture de safran, 10'000 m² en verger extensif et 25'000 m² en culture truffière. L’hectare qu’elle avait laissé à disposition d’une association pour chevaux maltraités jusqu’au 30 mars 2023 serait utilisé dès l’automne pour la plantation de plants truffiers, après remise en état du terrain, en essayant également de faire la permaculture entre les lignes afin d’optimiser au mieux l’utilisation des sols et le rendement. La parcelle n° 8'373 (E______), acquise le 23 novembre 2021, était exploitée sans droit par F______ et des discussions étaient en cours pour qu’elle puisse en récupérer l’usage. La parcelle n° 3'309 (E______), acquise le 23 novembre 2021, était entièrement boisée comme cela ressortait d’une capture d’écran extraite du Système d'information du territoire à Genève (ci-après : SITG). Elle se prêtait à la récolte de champignons sauvages. La parcelle n° 215 (G______), acquise le 26 janvier 2022, était destinée à la culture truffière, une fois le raccordement en eau réalisé. Elle l’exploitait en l’état avec son ancien fermier, J______, pour la culture du foin et de la paille destinés aux moutons à tête noire qu’elle possédait et utilisait pour la tonte des parcelles. La parcelle n° 10'038 (K______), acquise le 18 mars 2022, était en cours de vente aux enfants de « Monsieur » L______. Si cette vente ne devait pas aboutir, elle l’exploiterait à l’automne 2023 à titre personnel. La parcelle n° 99 de la commune de I______, acquise le 14 juin 2022, était exploitée par M______, à sa demande ; elle l’exploiterait dès l’automne 2023 à titre personnel.

Son droit d’être entendue avait été violé. Alors que la CFA avait sollicité qu’elle fasse la démonstration que les parcelles détenues étaient cultivées avant de considérer les demandes d’acquisition de parcelles supplémentaires, elle n’avait pas invité D______ à participer à la séance du 14 mars 2023, pas plus qu’elle lui avait permis de se déterminer alors que la séance suivante, prévue initialement pour le 11 avril 2023, avait finalement eu lieu le 18 avril 2023. Une audition personnelle aurait été justifiée en l’espèce. De plus, la culture truffière présentait des particularités, ce qui aurait justifié que la CFA investigue de manière accrue. Cette violation du droit d’être entendu ne pouvait pas être réparée devant la chambre administrative, nonobstant son pouvoir de cognition égal à celui de la CFA, dans la mesure où celle-ci était composée de spécialistes devant lesquels les garanties de procédure devaient être respectées (ATA/1779/2019 du 10 décembre 2019 consid. 5b). Sa situation avait en outre fortement évolué depuis le transport sur place du 5 septembre 2022, notamment au niveau des accords qu’elle avait pu trouver avec certains occupants de ses parcelles.

La CFA avait violé l’art. 63 LDFR, étant rappelé qu’il existait un droit d’acquérir dans les cas où il n’existait aucun motif de refus. Ses explications ne laissaient planer aucun doute quant au fait qu’elle exploitait à titre personnel ses parcelles agricoles ou le ferait à court terme, une fois libres d’occupants et pourvues des équipements adaptés. Il ne pourrait pas en aller autrement, ne serait-ce que pour des questions de rentabilité. Elle estimait ses propres besoins en terres agricoles à 15 à 20 ha pour maintenir l’entreprise à flot, étant rappelé qu’en moyenne la taille des exploitations suisses était de 28.5 ha et celle des exploitations du Grand Genève de 42 ha. Elle ne détenait que 11 ha et n’avait aucun intérêt à louer les parcelles à des fermiers. La décision évoquait faussement l’idée d’une « réserve de terres en attente », étant rappelé que l’art. 63 let. c LDFR qui prévoyait comme motif de refus le fait que « l’acquéreur dispose déjà juridiquement et économiquement de plus d’immeubles agricoles qu’il n’en fallait pour offrir à une famille paysanne des moyens d’existence particulièrement bons » avait été abrogé avec effet au 1er janvier 1999.

La parcelle objet de la présente procédure était libre de toute occupation et elle l’exploiterait directement dès le transfert de propriété. Elle était idéalement située à mi-chemin entre le domicile de D______ et le lieu de stockage de ses outils de travail. Vu les nombreux arbres dispersés sur toute sa surface, elle n’était pas adaptée pour des grandes cultures et n’était d’ailleurs pas intégrée dans le plan sectoriel des surfaces d’assolement (ci-après : SDA), mais particulièrement pour la plantation truffière et l’apiculture. Comme elle était boisée, il était possible que de tels plants se trouvent d’ores et déjà sur le terrain, de sorte qu’elle n’aurait pas besoin de l’assainir, puisqu’il n’avait pas été cultivé, ce qui accroissait son potentiel pour la culture truffière immédiate. Une telle culture en ce lieu permettrait de respecter un voisinage immédiat composé presque essentiellement de maisons individuelles.

b. B______ a indiqué qu’elle considérait le projet de D______ comme très intéressant et respectueux du terrain sur lequel sa famille avait planté de nombreux arbres une quarantaine d’années plus tôt, terrain qui n’était manifestement pas adapté aux cultures céréalières. La biodiversité et l’environnement seraient préservés.

c. La CFA a persisté dans sa décision.

Le droit d’être entendue de la recourante n’avait pas été violé puisque celle-ci lui avait transmis un dossier complet, conformément à l’art. 6 du règlement d’exécution de la loi d’application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 26 janvier 1994 (RaLDFR - M 1 10.01), de sorte qu’elle disposait des éléments suffisants pour rendre sa décision. Les séances de la CFA se déroulaient en dehors de la présence des acquéreurs, de sorte qu’un représentant de la recourante n’avait pas un droit à y prendre part. La recourante était libre de se déterminer sur l’avancement de son projet et l’usage effectif de l’ensemble de ses parcelles assujetties à la LDFR, comme indiqué dans la décision litigieuse et, le cas échéant, de formuler une nouvelle demande.

Lors du transport sur place le 5 septembre 2022, elle avait constaté que plusieurs parcelles appartenant à la recourante n’étaient pas cultivées ou que partiellement, selon le détail de sa décision qu’elle reprenait. Un transport sur place avait eu lieu le 19 avril 2023 sur la parcelle n° 10'038 de la commune de K______. Ses membres y avaient constaté la présence de plusieurs cabanons de jardin installés après son acquisition par la recourante, sans autorisation. La recourante non seulement ne l’exploitait pas elle-même, mais l’avait mise en partie à disposition d’un tiers qui en avait fait un usage illicite. Cette parcelle n’était semble-t-il pas en cours de vente comme elle le soutenait. Elle l’avait acquise à la suite d’une autorisation donnée par la CFA le 11 janvier 2022, pour le prix de CHF 55'000.-. Sept mois plus tard, une notaire avait déposé une requête en autorisation de la vendre aux trois frères L______ pour un prix de CHF 60'000.-, autorisation qui avait été refusée, ce que la chambre administrative avait confirmé dans un arrêt ATA/4075/2022 du 14 mars 2023. Lors du transport sur place du 19 avril 2023, D______ avait précisé que cette parcelle étant adjacente à un champ cultivé avec des pesticides, la culture de truffes n’y était pas envisageable, sauf sur la partie « côté route », une fois qu’il aurait amené l’eau. Cette parcelle n’était donc pas exploitée par la recourante et ne le serait, à l’automne 2023, que partiellement.

L’usage fait de ses parcelles n’était ni celui qui ressortait de son business plan du 1er février 2023, à savoir de toutes les destiner à la culture de la truffe, du miel et du safran, ni celui qui permettait de considérer qu’elle les exploitait à titre personnel. Sur les 11 ha qui étaient actuellement en sa possession, seuls 2.5 ha sur la parcelle n° 8'023 de la commune de E______ et 3'000 m² sur la n° 5'742 à H______ étaient plantés en truffières. Il était donc difficile de comprendre pour quel motif la recourante souhaitait acquérir une nouvelle parcelle alors qu’elle en possédait d’autres qui n’étaient pas entièrement cultivées et qui disposaient d’un potentiel encore inexploité. 3 ha avaient été plantés et 5 ha mis à disposition de tiers. D______ n’avait donc amené aucun élément qui démontrait la nécessité d’acquérir une parcelle supplémentaire pour la plantation truffière.

d. Dans sa réplique du 27 juillet 2023, A______ a ajouté que l’énumération à l’art. 63 al. 1 LDFR était exhaustive, de sorte qu’aucun autre motif que ceux y étant mentionnés ne pouvait conduire à refuser l’octroi d’une autorisation d’acquisition. Le Tribunal fédéral avait jugé contraire à cette disposition un refus de transfert de propriété au motif que l’achat ne répondait à aucun besoin et n’était pas nécessaire à la requérante (2C_855/2008 du 11 décembre 2009). Or, l’argument selon lequel des parcelles qu’elle détenait n’étaient que partiellement cultivées, ce qu’elle contestait, était parfaitement étranger à cette disposition. La CFA échouait aussi à démontrer que la condition d’exploitation « à titre personnel », qu’elle documentait par le biais de nombreuses certifications, ne pourrait pas être réalisée dans le cas d’espèce. L’analyse qu’elle produisait confirmait que les caractéristiques du terrain litigieux étaient favorables à la culture du tuber uncinatum. Elle était par ailleurs en possession de confirmations de commandes pour l’installation du système d’arrosage et des plans truffiers. Elle avait la capacité d’exploiter personnellement cette parcelle, la volonté de le faire et s’exécuterait dans le cas où l’autorisation lui serait finalement accordée.

Si la CFA entendait critiquer l’utilisation qu’elle faisait des autres parcelles, elle aurait pu le faire au moyen des mécanismes prévus aux art. 70 ss LDFR. Le faire au moyen de l’art. 63 LDFR était non seulement illégal, mais certainement constitutif d’une forme de contrainte indirecte.

e. Les parties ont été informées, le 28 juillet 2023, que la cause était gardée à juger.

f. La recourante a informé la chambre de céans le 28 août 2023 s’être mise d’accord avec la propriétaire actuelle de la parcelle pour prolonger le délai d’échéance du droit d’emption au 31 décembre 2023, dans la mesure où la vente était conditionnée à l’obtention d’une autorisation d’acquérir de la CFA. Elle a transmis le 5 septembre 2023 l’avenant signé dans ce sens le 30 août 2023.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 88 al. 1 LDFR ; art. 13 de la loi d’application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 16 décembre 1993 -LaLDFR - M 1 10).

2.             Dans un premier grief de nature formelle, la recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendue dans la mesure où la CFA ne l’avait pas entendue oralement.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour les parties de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 154 consid. 2.1 et 4.2 ; 132 II 485 consid. 3.2). Cela n’implique pas une audition personnelle de l’intéressé, celui-ci devant simplement disposer d’une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l’issue de la cause (art. 41 LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1003/2017 du 21 juin 2018 consid. 3 et les arrêts cités ; ATA/723/2018 du 10 juillet 2018 et les arrêts cités).

2.2 Selon l’art. 6 RaLDFR, le notaire doit fournir à la CFA les noms et adresses de tous les intéressés, soit l’acquéreur, le vendeur, le fermier, les titulaires du droit d’emption, du droit de préemption ou de droit à l’attribution (al. 1). Le dossier transmis à la CFA doit contenir, notamment, les indications et pièces suivantes : a) la qualité de l’acquéreur ; b) un descriptif des propriétés situées en zone agricole et en zone frontalière de l’acquéreur et du vendeur, avec indication de la nature des cultures ; c) un plan de situation des parcelles considérées ; d) le prix de la transaction avec répartition des valeurs des terres en fonction des cultures et des constructions ; e) le motif de l’opération ; f) le projet d’acte. À cet effet, la commission peut établir un formulaire servant à récolter les informations nécessaires (al. 3).

2.3 En l’espèce, la propriétaire de la parcelle en cause et la recourante ont déposé à la CFA le dossier répondant aux réquisits de l’art. 6 RaLDFR. La recourante ne soutient pas qu’elle aurait déposé une nouvelle demande ou un complément devant cette commission après que celle-ci lui a clairement laissé entendre, au terme de la décision querellée, qu’elle pouvait faire la démonstration qu’elle cultivait effectivement les parcelles dont elle était propriétaire, après avoir relevé que seuls 3 ha avaient été plantés alors que 5 ha étaient à disposition de tiers. La recourante a pu, devant la chambre de céans, qui dispose d’un plein pouvoir d’examen en fait et en droit (art. 61 al. 1 LPA) amener tous éléments complémentaires sur ce point. Elle focalise sa défense sur la quantité de terrain nécessaire à ses projets et, s’agissant de la parcelle litigieuse, les qualités du terrain, qui se prêteraient selon elle parfaitement à la culture truffière.

Enfin, celle-ci n’avait aucun droit à être entendue oralement, en particulier lors des séances de la CFA des 14 mars et 18 avril 2023, dans une procédure qu’elle a initiée avec la propriétaire de la parcelle en cause.

Le grief d’une violation du droit d’être entendu est rejeté.

3.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision du 5 avril 2023 de la CFA refusant à la recourante, une société anonyme, l'acquisition de la parcelle n° 1'650, de la commune de C______, d’une surface de 8'336 m², en zone agricole.

4.             4.1 Conformément à son art. 1, la LDFR a pour but d’encourager la propriété foncière rurale et en particulier de maintenir des entreprises familiales comme fondement d’une population paysanne forte et d’une agriculture productive, orientée vers une exploitation durable du sol, ainsi que d’améliorer les structures (al. 1 let. a), de renforcer la position de l’exploitant à titre personnel, y compris celle du fermier, en cas d’acquisition d’entreprises et d’immeubles agricoles (al. 1 let. b), et de lutter contre les prix surfaits des terrains agricoles (al. 1 let. c). Elle contient des dispositions sur l’acquisition des entreprises et des immeubles agricoles (al. 2
let. a), l’engagement des immeubles agricoles (al. 2 let. b) et le partage des entreprises agricoles et le morcellement des immeubles agricoles (al. 2 let. c).

Le but de politique agricole de la LDFR n’est pas simplement de maintenir le statu quo, mais de renforcer la position des exploitants à titre personnel et de privilégier l’attribution des immeubles à de tels exploitants lors de chaque transfert de propriété, c’est-à-dire de réellement promouvoir le principe de l’exploitation à titre personnel. La LDFR cherche, dans cette mesure, à exclure du marché foncier tous ceux qui visent à acquérir les entreprises et les immeubles agricoles principalement à titre de placement de capitaux ou dans un but de spéculation (ATF 145 II 328 consid. 3.3.1 et les références citées).

4.2 En vertu de l'art. 61 LDFR, celui qui entend acquérir un immeuble agricole doit obtenir une autorisation (al. 1). L’autorisation est accordée lorsqu'il n'existe aucun motif de refus (al. 2).

4.3 Selon l’art. 63 al. 1 LDFR, l’acquisition d’une entreprise ou d’un immeuble agricole est refusée lorsque l'acquéreur n'est pas exploitant à titre personnel (let. a) ; le prix convenu est surfait (let. b) ; l’immeuble à acquérir est situé en dehors du rayon d’exploitation de l’entreprise de l’acquéreur, usuel dans la localité (let. d).

4.4. L’art. 64 al. 1 LDFR prévoit que lorsque l’acquéreur n’est pas personnellement exploitant, l’autorisation lui est accordée s’il prouve qu’il y a un juste motif pour le faire. Cette disposition contient, aux let. a à g, un catalogue non exhaustif d'exceptions au principe de l'exploitation à titre personnel.

4.4.1 Les justes motifs sont une notion juridique indéterminée, qui doit être concrétisée en tenant compte des circonstances du cas particulier et des objectifs de politique agricole du droit foncier rural (ATF 133 III 562 consid. 4.4.1 ; ATF 122 III 287 consid. 3a).

4.4.2 Seul celui qui peut démontrer matériellement un juste motif à se voir attribuer des terres agricoles alors qu'il n'est pas exploitant à titre personnel peut ainsi obtenir une dérogation (ATF 133 III 562 consid. 4.4.2). Lorsque cette clause générale est invoquée, il faut, compte tenu de l'ensemble des circonstances, procéder à une pesée des intérêts entre les intérêts des parties au contrat et l'intérêt public à la sauvegarde du principe de l'exploitation à titre personnel (Christoph BANDLI/
Beat STALDER, Le droit foncier rural, Commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991, 1998, n. 36, ad art. 64 p. 618 ch. 4).

L'autorité ne saurait, par une pratique extensive de la clause dérogatoire, vider la norme générale de son sens. À l'inverse, elle ne saurait poser des conditions excessives pour faire application de la clause dérogatoire. Si les justes motifs existent, l'administré a droit à la délivrance de l'autorisation exceptionnelle
(Yves DONZALLAZ, Commentaire de la LDFR, 1993, ad art. 64 p. 164 ch. 577). En tous les cas, le juste motif doit être celui qui ne porte pas atteinte aux buts poursuivis par la loi. Des motifs de nature économique et de convenance personnelle ne sauraient, dans l’esprit de la LDFR, être considérés comme de justes motifs permettant l’octroi d’une autorisation exceptionnelle (Yves DONZALLAZ, op. cit., ad art. 64 p. 192‑ 193 ch. 497-498 et les références citées).

4.5 Conformément à l’art. 9 LDFR, est exploitant à titre personnel quiconque cultive lui-même les terres agricoles et, s’il s’agit d’une entreprise agricole, dirige personnellement celle-ci (al. 1). Est capable d’exploiter à titre personnel quiconque a les aptitudes usuellement requises dans l’agriculture de notre pays pour cultiver lui-même les terres agricoles et diriger personnellement une entreprise agricole
(al. 2).

4.5.1 La distinction entre les notions d'exploitant à titre personnel et de capacité d'exploiter à titre personnel provient de l'ancien droit successoral paysan (art. 620 et 621 al. 2 de l’ancien Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Dans son Message du 19 octobre 1988 à l'appui des projets de la loi fédérale sur le droit foncier rural (FF 1988 III 889), le Conseil fédéral a exposé que les deux notions étaient étroitement liées et que rien ne s'opposerait à ce que la capacité d'exploiter soit définie comme un élément de la notion d'exploitant à titre personnel. C'était uniquement parce que l'ancien droit distinguait les deux notions qu'il convenait de mentionner spécialement la capacité d'exploiter dans un alinéa séparé (FF 1988 III 924 ; RNRF 87/2006 p. 273 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_747/2008 du 5 mars 2009 consid. 3.1). En outre, ces notions n'étant ainsi, pour l'essentiel, pas différentes de celles qui ont été développées sous l'empire de l'ancien droit successoral paysan par la jurisprudence du Tribunal fédéral, celle-ci demeure pertinente (ATF 134 III 586 consid. 3.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A.17/2996 du 21 décembre 2006 consid. 2.4.1).

4.5.2 L'art. 9 al. 1 LDFR distingue l'exploitant à titre personnel d'immeubles et l'exploitant à titre personnel d'entreprises agricoles. Dans le premier cas, il suffit que l'exploitant cultive personnellement les terres ; dans le second, il doit encore diriger personnellement l'entité que constitue l'entreprise agricole. Travailler
soi-même la terre au sens de cette disposition signifie effectuer une partie substantielle du travail aux champs, à l'étable et à la ferme (y compris le travail administratif), ainsi que le travail en relation avec la commercialisation des produits. Le droit foncier agricole ne crée pas un statut exclusif pour les agriculteurs : toute personne qui exerce une activité agricole à titre de loisir peut également être considérée comme exploitante à titre personnel, si elle remplit les conditions de l'art. 9 LDFR (arrêts du Tribunal fédéral 2C_334/2021 du
16 mars 2022 consid. 4.2 et 2C_855/2008 du 11 décembre 2009 consid. 2.1). Pour des immeubles nouvellement acquis, ou plus précisément que l'intéressé n'exploite pas encore (par exemple en tant que fermier), celui-ci doit s'engager à cultiver personnellement les terrains qu'il entend acquérir ; s'agissant d'un fait futur, il lui suffit de rendre ce comportement simplement vraisemblable, ce qui peut être le cas par la simple mise en évidence d'attaches actuelles ou passées avec l'agriculture (arrêts du Tribunal fédéral 2C_334/2021 du 16 mars 2022 consid. 4.2 et 2C_747/2008 du 5 mars 2009 consid. 3.1, non publié in ATF 135 II 123).

La capacité d'exploiter à titre personnel prévue à l’art. 9 al. 2 LDFR suppose que la personne intéressée possède la moyenne des qualités tant professionnelles que morales et physiques qui, d'après les usages propres à l'agriculture, sont requises pour exploiter de façon convenable un domaine agricole. Une telle capacité n'existe, en règle générale, que si la personne a fréquenté une école d'agriculture ou, suivant les cas, si elle a déjà exploité dans les règles de l'art un immeuble comparable à celui qu'elle entend acquérir. Seule celle qui est au bénéfice d'une formation ou de connaissances pratiques suffisantes, au plus tard au moment où la décision d'autorisation doit être prise, peut se voir octroyer une autorisation d'acquérir (arrêt du Tribunal fédéral 2C_334/2021 du 16 mars 2022 consid. 4.2 et les références). 

4.5.3 L’exploitation personnelle est en principe admise pour une personne physique. Le Tribunal fédéral a également admis qu’une personne morale, par exemple une SA, puisse avoir cette qualité lorsque ses membres ou ses associés utilisaient l’immeuble dans une mesure importante en travaillant le sol ou lorsque ses actionnaires exploitaient de manière substantielle l’entreprise en travaillant le sol. L’absence de finalité agricole dans les statuts de la société suffit cependant, de manière rédhibitoire, à refuser l’autorisation. La qualité d’exploitant à titre personnel des personnes morales ne peut être reconnue qu’avec retenue (ATF 115 II 181 ;122 III 287 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A.20/2004 du 2 novembre 2004 et 5A.22/2002 du 7 février 2003 ; Yves DONZALLAZ, op. cit., nos 3323, 3326, 3328 et 3329).

5.             En l’espèce, l’autorité intimée ne remet pas en cause le fait que l’administrateur unique de la société recourante a la qualité d’exploitant agricole. En revanche, elle considère que la condition d’exploitation effective et personnelle de la nouvelle parcelle que la recourante entend acquérir n’est pas démontrée, vu le nombre de parcelles qu’elle détient d’ores et déjà dans le canton et la réserve de terres en attente. Elle se demande pour quel motif près de 3 ha sont plantés par la recourante sur ses diverses parcelles sises dans le canton de Genève, alors que plus de 5 ha seraient mis à disposition de tiers. Ce faisant, elle met en doute le fait que la recourante entende effectivement exploiter la parcelle litigieuse.

Elle doit être suivie sur ce point.

En particulier, la recourante a acquis, à la suite d’une autorisation donnée par la CFA le 11 janvier 2022, la parcelle n°10'038 à K______, d’une surface de 3'484 m2 pour le prix de CHF 55'000.-. Sept mois plus tard seulement, une notaire a déposé une requête en autorisation de la vendre pour un prix de CHF 60'000.-, vente qui a toutefois été refusée par arrêt ATA/243/2023 en force de la chambre administrative du 13 mars 2023. Cette transaction interpelle, étant rappelé qu’à l’occasion du transport sur place le la CFA le 19 avril 2023 sur cette parcelle, il a été constaté la présence de plusieurs cabanons de jardin installés par la recourante, sans autorisation. Ainsi, celle-ci non seulement, contrairement à ce qu’elle a dû soutenir devant la CFA, n’exploitait pas elle-même la parcelle en cause, mais de plus l’a mise en partie à disposition d’un tiers qui en a fait un usage illicite. Les explications qu’elle a données sur place le 19 avril 2023 n’emportent pas conviction quant au caractère impropre de la parcelle en cause à la culture de truffières. En effet, au moment de l’acquisition déjà, elle a dû se rendre compte du mode de culture de la parcelle adjacente, apparemment moyennant l’usage de pesticides, de sorte que la culture de truffes n’y serait selon elle pas envisageable. Plus récemment, elle a dit compter exploiter cette parcelle dès l’automne 2023, mais uniquement « côté route », une fois qu’elle aurait amené l’eau.

S’y ajoute que lors d’un premier transport sur place le 5 septembre 2022, la CFA a constaté que plusieurs parcelles appartenant à la recourante n’étaient pas cultivées ou que partiellement, selon le détail repris dans sa décision. La recourante a relevé sur ce point que sur la parcelle n° 8'023 (E______), elle cultivait 4'000 m² en permaculture entre les lignes truffières, 2'000 m² en culture de safran, 10'000 m² en verger extensif et 25'000 m² en culture truffière. L’hectare qu’elle avait laissé à disposition d’une association pour chevaux maltraités jusqu’au 30 mars 2023 serait utilisé dès l’automne pour la plantation de plants truffiers, après remise en état du terrain, en essayant également de faire la permaculture entre les lignes afin d’optimiser au mieux l’utilisation des sols et le rendement. C’est dire qu’elle va sur ce terrain récupérer du potentiel pour sa culture truffière. La parcelle n° 8'373 (E______), de 11'765 m2, est selon ses dires toujours exploitée sans droit par un tiers et des discussions seraient en cours pour qu’elle puisse en récupérer l’usage. La parcelle n° 3'309 (E______) était entièrement boisée et se prêtait à la récolte de champignons sauvages. La parcelle n° 215 (G______), de 41'743 m2, acquise le 26 janvier 2022, était destinée à la culture truffière, une fois le raccordement en eau réalisé. Elle l’exploitait en l’état, soit donc plus d’une année et demie plus tard, avec son ancien fermier, J______, pour la culture du foin et de la paille destinés aux moutons à tête noire qu’elle possédait et utilisait pour la tonte des parcelles. C’est dire que depuis son acquisition, elle ne démontre pas avoir entrepris les démarches concrètes nécessaires pour vouer cette vaste parcelle à la culture de truffières. Enfin, elle allègue vouloir dès cet automne cultiver la parcelle n° 99 de la commune de I______ (5'818 m2), actuellement exploitée par un tiers agriculteur.

Il ressort de ce qui précède que l’usage fait de ces parcelles n’est ni celui prévu dans son business plan du 1er février 2023, à savoir de destiner toutes ses parcelles à la culture de la truffe, du miel et du safran, ni celui qui permettait de considérer qu’elle les exploiterait à titre personnel, comme requis par la LDFR. Sur les 11 ha qu’elle possède, seuls 2.5 ha sur la parcelle n° 8'023 de la commune de E______ et 3'000 m² sur la parcelle n° 5'742 à H______ sont plantés en truffières, ce qu’elle ne remet pas en cause. Il est donc effectivement difficile de comprendre pour quel réel motif elle souhaite acquérir une nouvelle parcelle, alors qu’elle en dispose qui ne sont pas entièrement cultivées pour un potentiel encore inexploité. Ainsi, lorsque la CFA a indiqué que la recourante n’a amené aucun élément démontrant la nécessité d’acquérir une parcelle supplémentaire pour la plantation de truffières, il faut comprendre par-là que celle-ci n’a pas rendu vraisemblable qu’elle allait la destiner effectivement à l’exploitation agricole, ce qui ressort expressément de la décision attaquée. Autrement dit, il semble que la recourante, société anonyme, ait fait l’acquisition depuis l’année 2019 de plusieurs parcelles en zone agricole qu’elle n’exploite en définitive personnellement que pour partie.

C’est ainsi à juste titre que la CFA a refusé la vente d’une parcelle supplémentaire, sise à C______. Il sera rappelé à cet égard que ce n’est qu’à des conditions strictes que la jurisprudence du Tribunal fédéral reconnaît à une personne morale la qualité d’exploitante à titre personnel.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 mai 2023 par A______ contre la décision de la commission foncière agricole du 14 mars 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Arnaud CYWIE et Yannick FERNANDEZ, avocats de la recourante, à la commission foncière agricole, à B______, à l'office fédéral de la justice ainsi qu'à l'office fédéral de l'agriculture.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :