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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1629/2023

ATA/843/2023 du 10.08.2023 ( PRISON ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1629/2023-PRISON ATA/843/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 août 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Roxane SHEYBANI, avocate

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée



EN FAIT

A. a. A______ est en détention avant jugement à la prison de Champ-Dollon depuis le 14 décembre 2022.

b. Le 12 avril 2023, il a fait l’objet d’une sanction d’un jour de cellule forte, pour possession d’objets prohibés, exécutée du 12 avril 2023 à 10h00 jusqu’au lendemain à 10h00.

B. a. A______ a formé recours à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette sanction par acte déposé le 12 mai 2023. Il a conclu à l’annulation de cette décision et à ce que soit constaté le caractère illicite de la sanction.

Il avait d’emblée indiqué que la carte SIM retrouvée dans le matelas sur lequel il dormait en cellule ne lui appartenait pas et qu’il ignorait sa présence. Le Ministère public avait ordonné en urgence une analyse ADN et des empreintes digitales retrouvées sur cette carte. Le rapport du centre universitaire romand de médecine légale (ci-après : CURML) du 20 avril 2023 n’avait pas mis en évidence de profil interprétable.

La sanction contrevenait au principe de légalité et au droit à la liberté garantis par l’art. 5 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

b. La direction de la prison de Champ-Dollon a, le 29 juin 2023, conclu à ce que le recours soit déclaré sans objet et à ce qu’il soit mis fin à la procédure.

Vu le rapport du CURML du 20 avril 2023, il n’était pas possible d’affirmer que A______ était le détenteur de la carte SIM retrouvée dans le matelas. La décision de sanction devait donc être reconsidérée, puisque la faute ne pouvait être attribuée au détenu.

Le 28 juin 2023, la sanction du 12 avril 2023 avait été annulée.

c. Dans une réplique du 17 juillet 2023, le recourant a indiqué disposer d’un intérêt à ce que le caractère illicite de la détention subie soit constaté.

Les frais de la procédure devaient être mis à la charge de l’État, y compris ceux nécessaires à la défense de ses intérêts, la note produite faisant état de 6h40 d’activité de son conseil.

d. Les parties ont été informées, le 18 juillet 2023, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. La question de la recevabilité du recours s’examine d’office.

1.1 Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.2 Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

1.3 Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 140 IV 74 consid. 1.3 ; 139 I 206 consid. 1.1) ou lorsqu'une décision n'est pas susceptible de se renouveler mais que les intérêts des recourants sont particulièrement touchés avec des effets qui vont perdurer (ATF 136 II 101 ; 135 I 79). Cela étant, l'obligation d'entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l'absence d'un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3).

1.4 En l’espèce, le recourant a exécuté immédiatement la sanction d’un jour de cellule forte. Celle-ci a toutefois été annulée par l’autorité intimée le 28 juin 2023, soit après avoir eu connaissance du rapport du CURML du 20 avril 2023 dont il ne ressortait aucune trace interprétable, ainsi que du recours du détenu du 12 mai 2023. Cette sanction ne saurait donc à l’avenir entrer en ligne de compte dans le parcours carcéral du recourant, à titre d’antécédent.

Ce dernier doit toutefois pouvoir se plaindre d’avoir été sanctionné sans fondement et fait de plus valoir un grief de violation de ses droits de rang conventionnel, soit le droit à la liberté prévu à l’art. 5 § 1 CEDH.

La légalité du placement en cellule forte doit dès lors pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel auquel il doit être passé outre.

Le recours est en conséquence recevable.

2.             Le recourant se plaint du caractère illégal de la sanction et d’une constatation erronée des faits.

2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

2.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50). Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP), et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

2.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Il peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions pour le placement en cellule forte de un à cinq jours à d'autres membres du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

2.4 En l’espèce, l’autorité intimée a concédé, en annulant la sanction querellée le 28 juin 2023, qu’elle n’avait pas suffisamment d’éléments démontrant la violation par le recourant d’une disposition du RRIP. C’est donc sans droit que le recourant a été puni d’un jour de cellule forte dès le 12 avril 2023 à 10h00.

Le constat de cette illicéité rend superflu l’examen du grief d’une violation de l’art. 5 § 1 CEDH.

Le recours, fondé, sera admis.

3.             Vu la nature et l’issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, une indemnité de procédure de CHF 800.- sera allouée au recourant qui y a conclu (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 mai 2023 par A______ contre la décision de la prison de Champ-dollon du 12 avril 2023 ;

au fond :

l’admet ;

constate le caractère illicite de la sanction du 12 avril 2023 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 800.- à A______, à la charge de l’État ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Roxane SHEYBANI, avocate du recourant, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MEYER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :