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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/52/2023

ATA/771/2023 du 17.07.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/52/2023-EXPLOI ATA/771/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 juillet 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Pierre BANNA, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, ressortissant B______, a été enregistré par la brigade de lutte contre la traite d’êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI) comme exploitant des salons de prostitution « C______ 1______ » rue D______ ______ en 2013, « E______ » chemin de F______ en 2015, « C______ 2______ » rue G______ en 2016, « H______ » rue D______ en 2019 et « I______ » rue de l’J______ en 2022, ce dernier par l’intermédiaire de la société K______ Sàrl.

b. Il travaille également en qualité d’escorte et est inscrit en raison individuelle au registre du commerce (ci-après : RC). Il a par ailleurs fondé la société L______ Sàrl, inscrite au RC le 4 août 2020, ayant pour but l’exécution de tous travaux relatifs à la construction immobilière, notamment la création d'espaces verts, l’entretien de jardins ainsi que toutes activités dans les domaines de la maçonnerie, de la peinture et du carrelage, dont il est l’associé gérant unique.

B. a. Le 19 mai 2022, la BTPI a informé A______ qu’en raison d’une modification de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49) entrée en vigueur le 29 juillet 2017, les salons de massage devaient disposer d’un préavis favorable du département du territoire (ci-après : DT) attestant de l’usage commercial des locaux et l’a invité à compléter et à retourner un formulaire de préavis notamment pour le salon « C______ 1______ » et d’y joindre le contrat de bail correspondant.

b. Le 8 juin 2022, A______ a retourné le formulaire complété ainsi qu’une copie du bail.

c. Le 17 juin 2022, le DT a émis un préavis négatif. Le bâtiment était soumis à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20), les locaux étaient à destination de logement, la demande était soumise à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), l’affectation à une activité commerciale n’avait pas fait l’objet d’une décision et une requête en autorisation de construire pour changement d’affectation ou pour éventuels travaux était nécessaire pour la régularisation, étant observé que le logement décrit ne semblait pas correspondre à celui ayant fait l’objet de l’autorisation APA 305'817.

d. Le 14 juillet 2022, la BTPI a informé A______ que l’affectation à une activité de salon de massage notamment du salon « C______ 1______ » n’avait pas été approuvée par le DT et nécessitait la délivrance d’une autorisation de construire, le priant de l’informer au plus tard le 15 août 2022 s’il entendait procéder à la mise en conformité de son établissement par l’obtention d’une autorisation ou s’il recherchait d’autres locaux adaptés à ses activités. Une décision serait alors prise et un délai imparti, soit pour demander une autorisation soit pour fermer le salon.

e. Le 13 août 2022, A______ a indiqué à la BTPI son intention de demander une autorisation.

f. Le 15 août 2022, la BTPI a pris bonne note de cette intention et lui a imparti un délai au 31 octobre 2022 pour la tenir informée des démarches entreprises auprès du DT.

g. Le 29 octobre 2022, A______ a informé la BTPI que le propriétaire de l’immeuble n’était pas d’accord d’entreprendre les démarches visant au changement d’affectation et a demandé un délai raisonnable pour trouver un nouveau local commercial dans le même quartier pour y poursuivre ses activités. Il avait obtenu des autorisations pour deux autres salons.

h. Le 21 novembre 2022, le département de la sécurité, de la population et de la santé, devenu le département des institutions et du numérique (ci-après : DIN), a prononcé la fermeture définitive du salon « C______ 1______ » et imparti à A______ un délai au 31 mai 2023 pour mettre un terme à toute activité de prostitution dans les locaux du ______, rue M______.

La condition que les locaux puissent être affectés à un usage commercial faisait défaut.

i. Le 9 décembre 2022, A______ a adressé une réclamation au DIN. Il ne contestait pas le principe de la fermeture mais sollicitait un délai supplémentaire au 31 décembre 2024 pour fermer le salon. Il cherchait des locaux commerciaux dans un proche périmètre et son salon n’avait jamais fait l’objet de plaintes de voisinage. Par décision du 16 décembre 2022, le DIN a déclaré cette opposition irrecevable.

C. a. Par acte remis à la poste le 9 janvier 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du 21 novembre 2022, concluant à l’annulation de son ch. 2 lui impartissant un délai au 31 mai 2023 pour mettre un terme à toute activité de prostitution dans son salon « C______ 1______ » et à l’octroi d’un nouveau délai au 31 décembre 2024. Subsidiairement, le dossier devait être renvoyé au DIN. Préalablement, son audition et celle de N______, travailleuse du sexe au sein du salon « C______ 1______ », devaient être ordonnées.

Malgré des recherches actives commencées avant même la notification de la décision attaquée, il n’avait toujours pas trouvé de locaux adéquats et d’une qualité similaire à proximité du quartier pour y poursuivre l’activité du salon.

La décision violait le principe de proportionnalité. Il ne contestait pas le principe de la fermeture, mais considérait le délai imparti comme déraisonnablement court. Il lui était impossible, ou du moins très difficile, de conclure un nouveau contrat de bail et d’accomplir toutes les formalités administratives pour exercer son activité dans un nouveau salon dans le quartier. Un délai de deux ans, tel que prévu par l’ancienne réglementation, apparaissait comme une mesure moins incisive n’empêchant pas la réalisation du but visé par la décision.

L’exploitation paisible et sans plainte de son salon durant dix ans aurait dû être prise en compte, de même que l’intérêt des travailleurs du sexe à voir leur intégrité physique et psychique protégée, et le paiement de leur salaire assuré. Ses autres salons ne permettaient pas d’accueillir les travailleurs du salon « C______ 1______ ». Il n’existait ni urgence ni impératif à fermer de façon à ce point expéditive le salon. N______ pourrait témoigner des difficultés à trouver de nouveaux locaux et de l’importance de transférer l’activité dans les environs du salon actuel.

b. Le 9 mars 2023, le DIN a conclu au rejet du recours.

L’adresse du salon « C______ 1______ », rue D______ ______, correspondait également à l’adresse privée du recourant et à celle de N______, sans qu’on sache si ceux-ci habitaient l’appartement du salon.

Le 22 décembre 2022, il avait autorisé le recourant à exploiter un nouveau salon « I______ » rue de l’J______.

L’exigence d’une autorisation du DT figurait dans la loi depuis 2017 et un délai transitoire de deux ans pour la mise en conformité avait alors été fixé, lequel avait été abrogé à l’écoulement de cette période, le 1er décembre 2018. Il aurait dû entreprendre les démarches de régularisation au plus tard depuis le 1er janvier 2019. De fait, il avait disposé d’un peu plus d’un an pour organiser le transfert du salon. La décision respectait le principe de proportionnalité.

S’il vivait également dans les locaux du salon, la décision n’affectait pas son lieu de vie ni celui de l’autre travailleuse qui y habiterait.

Enfin, il exploitait de nombreux salons et avait des activités annexes. Il pouvait aisément transférer les travailleurs et travailleuses du salon « C______ 1______ » dans un autre de ses salons. Il n’était pas certain qu’il serait autorisé à exploiter d’autres salons compte tenu de ses nombreuses activités et de l’obligations d’assurer une exploitation personnelle et effective. La loi prévoyait un maximum de trois salons exploités par la même personne et pour autant qu’elle n’exerce aucune autre activité professionnelle.

c. Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti au 12 avril 2023.

d. Le 3 mai 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le recourant conclut préalablement à son audition et à celle de N______.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas la juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que la juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2 ; 141 III 28 consid. 3.2.4).

2.2 En l’espèce, le recourant s’est vu offrir la possibilité de faire valoir son argumentation et de produire toute pièce utile, étant observé qu’il n’a pas fait usage de son droit de répliquer. Il a allégué et détaillé par écrit les difficultés qu’il rencontrerait pour trouver un nouveau salon et il n’explique pas quels éléments supplémentaires son audition et celle de N______ pourraient apporter à la solution du litige. Il sera vu plus loin que la question des difficultés à trouver d’autres locaux est sans pertinence pour la solution du litige.

Il ne sera pas donné suite à la demande d’actes d’instruction.

3.             Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé (a) pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation et (b) pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

4.             Le recourant sollicite un délai plus long pour cesser l’exploitation de son salon.

4.1 La LProst a notamment pour but de garantir, dans le milieu de la prostitution, que les conditions d'exercice de cette activité sont conformes à la législation, soit notamment qu'il n'est pas porté atteinte à la liberté d'action des personnes qui se prostituent, que celles-ci ne sont pas victimes de la traite d'êtres humains, de menaces, de violences, de pressions ou d'usure ou que l'on ne profite pas de leur détresse ou de leur dépendance pour les déterminer à se livrer à un acte sexuel ou d'ordre sexuel (art. 1 let. a LProst).

4.2 À teneur de l'art. 8 LProst, la prostitution de salon est celle qui s'exerce dans des lieux de rencontre soustraits à la vue du public (al. 1). Ces lieux, quels qu'ils soient, sont qualifiés de salons par la LProst (al. 2). Toutefois, le local utilisé par une personne qui s'y prostitue seule, sans recourir à des tiers, n'est pas qualifié de salon (al. 3).

4.3 Toute personne physique qui, en tant que locataire, sous-locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire, exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution (art. 9 al. 1 LProst). La personne qui effectue l'annonce est considérée comme personne responsable au sens de la LProst (art. 9 al. 4 LProst).

4.4 L'art. 10 let. d LProst prévoit que la personne responsable d'un salon doit, au nombre des conditions personnelles à remplir, être au bénéfice d’un préavis favorable du DT confirmant que les locaux utilisés peuvent être affectés à une activité commerciale ou qu’une dérogation a été accordée.

Cet article est entré en vigueur le 29 juillet 2017. Il est issu d'une modification législative faisait notamment suite à certaines recommandations formulées par le Cour des comptes dans son rapport n° 85 du 16 décembre 2014 (ci-après : le rapport n° 85), portant sur une évaluation de la politique publique en matière de prostitution visant entre autres à améliorer les conditions d’exercice de la prostitution et à développer l’autonomie des travailleurs du sexe (projet de loi n° 12'031 du 30 novembre 2016 modifiant la LProst [ci-après : PL 12'031], p. 6 ; p. 4 et 5 du rapport n° 85).

Dans son rapport, la Cour des comptes a notamment relevé que la BTPI n’effectuait pas de contrôle de conformité sous l’angle de la LDTR ni ne communiquait d’informations au DT, n’y étant pas tenue par la LProst. La Cour des comptes a ainsi recommandé au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : DTES) de coordonner son action, lors de la procédure d’enregistrement, avec celle du DT afin qu’un contrôle de conformité à la LDTR soit effectué en prenant notamment en compte la procédure de dérogations prévue à l’art. 8 LDTR en cas de changement d’affectation (p. 64 et p. 68). L'art. 10 let. d LProst est donc une concrétisation de cette recommandation (ATA/1313/2018 du 4 décembre 2018 consid. 8).

À teneur des travaux préparatoires relatifs au PL 12'031, la problématique visée par le nouvel art. 10 let. d LProst concernait également les salons exploités dans des villas, qui n'étaient pas soumis à la LDTR, mais à la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (ci-après : LaLAT), qui contient elle aussi des dispositions relatives à l'activité commerciale et aux dérogations susceptibles d'être accordées. Le préavis du département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : DALE) devait donc confirmer pour les salons exploités dans des immeubles soumis à la LDTR, que les locaux pouvaient être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation avait été accordée et, pour les salons exploités dans des villas soumises à la LaLAT, que l'activité était conforme à la zone villas ou qu'une dérogation avait été accordée. Le préavis du DALE ne devait pas être sollicité directement par la personne responsable d'un salon mais par les services du DT. Le salon ne pouvait pas être mis en exploitation tant que le DT n'avait pas délivré un préavis favorable et que la personne responsable n'avait pas été inscrite au registre tenu par la BTPI (p. 15).

Les travaux préparatoires relevaient encore que la modification légale relative à l'art. 10 let. d LProst s'imposait d'autant plus que le canton de Genève était confronté à une pénurie de logements - alors que de nombreux locaux commerciaux cherchaient preneur - et qu'elle permettait en outre de lutter efficacement contre les nuisances liées à l'exploitation de lieux de prostitution et dénoncées dans plusieurs pétitions (p. 7).

4.5 Selon l’art. 14 al. 1 LProst, fait l'objet de mesures et sanctions administratives la personne responsable d'un salon (a) qui n'a pas rempli son obligation d'annonce en vertu de l'art. 9 ; (b) qui ne remplit pas ou plus les conditions personnelles de l'art. 10 ; (c) qui n'a pas procédé aux communications qui lui incombent en vertu de l'art. 11 ; (d) qui n'a pas respecté les obligations que lui impose l'article 12.

Selon l’art. 14 al. 2 LProst, l'autorité compétente prononce, selon la gravité ou la réitération de l'infraction, les mesures et sanctions administratives suivantes : (a) l'avertissement ; (b) la fermeture temporaire du salon, pour une durée de un à six mois, et l'interdiction d'exploiter tout autre salon, pour une durée analogue ; (c) la fermeture définitive du salon et l'interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée de dix ans.

4.6 Les travaux préparatoires relatifs au PL 12'031 mentionnent encore que la recommandation du rapport n° 85 qui visait une modification législative afin que deux travailleurs du sexe puissent partager un appartement en bénéficiant de l'art. 8 al. 3 LProst, n'a pas été concrétisée dans le cadre dudit projet de loi. Cette modification s'était tout d'abord heurtée à l'opposition de la police, du DTPS et du DT, avant d'être partagée par le Conseil d'État. Eu égard à la particularité de la profession visée, l'assouplissement évoqué par le rapport n° 85 serait suivi, s'il était concrétisé dans la loi, d'une forme d'exploitation de l'une des deux personnes (celle titulaire du bail et/ou d'un permis de séjour ou d'établissement, et par conséquent bien intégrée) sur l'autre (non titulaire du bail et/ou non titulaire d'un permis de séjour ou d'établissement, et par conséquent dans une situation beaucoup plus précaire) et cela, de façon manifestement contraire au premier but poursuivi par la LProst. Le Conseil d'État était persuadé de la nécessité de maintenir la notion d'appartement privé au sens de la LProst, soit d'un appartement dans lequel une seule personne exerce et qui n'a pas pour vocation principale l'exercice d'une activité économique mais garde un caractère prépondérant d'habitation. Dans les faits, la personne en question travaille à domicile. Ce ne serait plus le cas d'un salon dans lequel exercent plusieurs personnes, même si elles y résident. En d'autres termes, c'était l'exploitation d'un salon, au sens de la LProst, et non l'exercice de la prostitution, qui était par définition l'exercice d'une activité économique. Par ailleurs, dès l'instant où deux personnes se prostituent dans un appartement, il y avait un changement d'affectation prohibé par la LDTR. Si l'art. 8 al. 3 LProst était modifié dans le sens précité, on assisterait au développement de salons clandestins non contrôlés. La police ignorerait l'existence et l'emplacement des appartements privés dans lesquels pourraient se prostituer deux personnes et ne serait pas en mesure de vérifier qu'aucune infraction pénale (traite d'êtres humains, encouragement à la prostitution, usure, etc.) se produise. Toute dérogation à la règle actuelle conduirait à l'examen de structures au cas par cas. Chaque structure deviendrait un « cas particulier ». Les risques d'erreur, d'abus et d'incohérence dans la politique publique et dans l'application de la LProst seraient considérables (exposé des motifs du PL 10'031, p. 9 et 10).

4.7 La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants, ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). Celle-ci prévoit notamment à cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR). Elle s'applique à tout bâtiment situé dans l’une des zones de construction prévues par l’art. 19 LaLAT et comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l’habitation (art. 2 al. 1 LDTR).

Nul ne peut, sauf dérogation au sens de l’art. 8 LDTR, même en l’absence de travaux, remplacer des locaux à destination de logements, occupés ou inoccupés, par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel, dans un bâtiment soumis à la LDTR (art. 3 et 7 LDTR).

Selon le Tribunal fédéral - appelé à statuer sur le recours d'un propriétaire considérant que l'utilisation de locaux destinés à l'habitation à des fins de prostitution ne constituait pas un changement d'affectation soumis à autorisation -, l’exercice régulier de la prostitution dans des studios d’habitation entre clairement en contradiction avec cette dernière notion, de sorte que cela frise la témérité d’argumenter qu’il ne s’agirait pas d’un changement d’affectation soumis à autorisation. Il est indifférent, de ce point de vue, que les hôtesses vivent également sur place (arrêt du Tribunal fédéral 1C_237/2012 du 31 août 2012 consid. 2 et les références citées).

4.8 La chambre de céans a jugé que la BTPI, tout comme le DT, se bornent à vérifier que le préavis positif du DT a bel et bien été obtenu, mais ne disposent d'aucun pouvoir de décision ou d'appréciation en la matière relatif audit préavis. Ce système ne viole pas les garanties générales de procédure. L’exploitante reste parfaitement libre de solliciter une décision du DT tendant à faire constater que l'usage prévu des locaux ne nécessiterait aucun changement d'affectation, à solliciter un changement d'affectation des locaux, respectivement à solliciter une dérogation audit changement d'affectation. Elle dispose alors d'une voie de recours contre la décision rendue par le DT (ATA/486/2020 du 19 mai 2020 consid. 5 ; ATA/1313/2018 précité consid. 11). Elle a retenu qu’il ressortait des travaux préparatoires, tout comme de l'art. 8 al. 3 LProst, que l'argumentation selon laquelle l'exploitation d'une petite structure par deux ou trois personnes exerçant la prostitution ne devrait pas être considérée comme un salon au sens de l'art. 8 al. 1 LProst ne pouvait être suivie. Quand bien même cette position avait été soutenue par la Cour des comptes, elle était manifestement contraire à la volonté du législateur et au texte clair de la loi (ATA/1313/2018 précité consid. 11).

4.9 L'art. 27 Cst. garantit la liberté économique, qui comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique privée et son libre exercice et protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d’un gain ou d’un revenu (ATF 135 I 130 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 du 6 août 2015 consid. 4.1 ; 2C_32/2015 du 28 mai 2015 consid. 5.1).

Une restriction à cette liberté est admissible, aux conditions de l’art. 36 Cst. Toute restriction doit ainsi se fonder sur une base légale (al. 1), être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) et proportionnée au but visé (al. 3). Sous l’angle de l’intérêt public, sont autorisées les mesures de police, les mesures de politique sociale ainsi que les mesures dictées par la réalisation d’autres intérêts publics (ATF 125 I 322 consid. 3a). Sont en revanche prohibées les mesures de politique économique ou de protection d’une profession qui entravent la libre concurrence en vue de favoriser certaines branches professionnelles ou certaines formes d’exploitation (art. 94 al. 1 Cst. ; ATF 140 I 218 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 précité consid. 4.1).

De plus, pour être conforme au principe de la proportionnalité, une restriction à un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé, lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive ; il faut en outre qu’il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 précité consid. 4.1).

4.10 En l’espèce, le recourant ne conteste pas qu’il n’a pas obtenu le préavis exigé par la loi. Il ne conteste pas le principe de la fermeture de son salon.

La fermeture du salon porte une atteinte légère à sa liberté économique, puisque la décision querellée lui ordonne de mettre un terme à toute activité de prostitution que dans les locaux de la rue D______ ______, soit dans un lieu déterminé devant être réservé au logement, sans lui défendre pour autant de la poursuivre dans d’autres locaux commerciaux à Genève.

Le recourant conclut cependant à la prolongation au 31 décembre 2024 du délai pour fermer son salon « C______ 1______ ».

Pour peu que cette conclusion soit recevable, elle devra être rejetée, les conditions à l’exploitation d’un salon au 23, rue D______ n’étant, comme il a été vu, pas remplies, et la BTPI et le DIN ne disposant d’aucune marge de manœuvre en l’absence d’autorisation du DT.

Le recourant soutient que le délai imparti pour fermer son salon serait malgré tout trop bref et violerait le principe de proportionnalité.

À ce propos, c’est à raison que l’intimé observe que le recourant savait depuis 2017 qu’il devait régulariser sa situation au plus tard à fin 2019. Or, il n’a accompli des démarches qu’une fois invité à le faire par la BTPI le 19 mai 2022 et a alors encore bénéficié de délais. Le délai de six mois finalement imparti a expiré le 31 mai 2023, soit voici bientôt deux mois.

À cela s’ajoute que le recourant exploite plusieurs salons et a encore récemment été autorisé à exploiter un salon supplémentaire. Il peut être inféré de cette situation qu’il a pu déplacer une partie de son activité dans son nouveau local et qu’il peut probablement réaffecter les travailleurs du salon « C______ 1______ » dans l’un de ses autres salons. Enfin, l’intimé observe à raison que le recourant, qui semble encore exercer une activité à titre d’escorte et une autre activité dans le bâtiment, pourrait ne pas se voir autoriser à exploiter de nouveaux salons compte tenu de ses nombreuses activités professionnelles.

Il suit de là que le délai de six mois apparaît proportionné compte tenu de l’important intérêt public au retour des locaux à l’usage de logement.

Le recourant ne saurait être suivi lorsqu’il invoque la difficulté à conclure un nouveau contrat de bail et à accomplir toutes les formalités administratives pour poursuivre son activité dans un nouveau salon dans le quartier. Il ne peut pas non plus être suivi lorsqu’il fait valoir l’exploitation paisible et sans plainte de son salon durant dix ans, soit une circonstance sans pertinence en l’espèce, ou l’intérêt des travailleurs du sexe à voir leur intégrité physique et psychique protégée, et le paiement de leur salaire assuré, soit un intérêt pouvant être préservé par leur déplacement dans ses autres salons.

Enfin, l’intimé a relevé à bon droit que l’éventuelle qualité de locataire du recourant – et de N______ – aux fins d’habiter l’appartement de la rue D______ ______ n’était pas affectée par la décision.

C’est ainsi de manière conforme à la loi que le DIN a ordonné la fermeture du salon « C______ 1______ » au ______, rue D______.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 janvier 2023 par Mauricio DE SOUZA REIS contre la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé du 21 novembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge ce A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre BANNA, avocat du recourant, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :