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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/363/2023

ATA/598/2023 du 06.06.2023 ( TAXIS ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/363/2023-TAXIS ATA/598/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 juin 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE intimé



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1963, exerce la profession de chauffeur de taxi et conduit un véhicule immatriculé GE 1______.

b. Il est au bénéfice d’une carte n° 2______ lui donnant accès aux zones réservées aux taxis et voitures de transport avec chauffeur (ci-après : VTC) dans les zones de prise en charge sur les parkings de l’Aéroport international de Genève (ci-après : AIG).

Il s’est engagé, à cet effet, à respecter le règlement sur les conditions d’accès au périmètre de l’AIG du 20 juin 2017, abrogé par celui du 13 avril 2022 (ci-après : RCAP-AIG) et a pris connaissance du fonctionnement des zones réservées.

B. a. Deux constats d’infraction au RCAP-AIG ont été dressés le 5 décembre 2022 à 16h35 à l’encontre de A______ par l’agent « 3______ » (ci-après : l’agent) : l’un pour refus de course (motif : destination), le second pour un refus de présentation du badge d’accès.

Selon ces documents, A______ avait indiqué la direction des navettes hôtel à une cliente qui souhaitait se rendre à l’hôtel Crowne-Plaza. La cliente insistait sur le fait qu’elle désirait prendre un taxi car elle devait s’y rendre au plus vite. Le chauffeur lui avait répondu à plusieurs reprises : « moi ça fait deux heures que je suis là, l’hôtel est à cinq minutes à pied.» La cliente s’était agacée, comprenant que le chauffeur refusait de prendre en charge cette course et avait décidé d’elle-même qu’elle ne voulait plus de chauffeur de taxi. L’agent avait demandé à celui-ci de présenter son badge. Le chauffeur lui avait été répondu : « je ne te présente rien du tout », avant de quitter le quai.

b. Le 8 décembre 2022, l’AIG a transmis les deux constats à A______, l’informant qu’il envisageait de prononcer une mesure administrative à son encontre.

c. Faisant valoir son droit d’être entendu, A______ a expliqué avoir été, le 5 décembre 2022 à 16h35, à la tête de file des taxis à l’aéroport, au niveau des arrivées. Une dame lui avait demandé comment se rendre à l’hôtel
Crowne-Plaza. Il l’avait informée de l’existence d’une navette, gratuite, solution qui convenait à la cliente. Un agent de sécurité de la société ______ était intervenu agressivement et avait obligé la femme à prendre un taxi. A______ en avait été surpris, considérant que le comportement de l’agent n’était ni compréhensible ni courtois. Ce dernier lui avait demandé de présenter sa carte professionnelle de taxis et non son badge d’accès. Il avait refusé, précisant qu’il ne la présenterait qu’aux autorités, à savoir la police, les gendarmes ou la police du commerce et de lutte contre le travail au noir. Il avait quitté l’aéroport sans prendre de clients. L’agent avait déjà fait l’objet de plaintes.

d. Par décision du 23 janvier 2023, l’AIG a prononcé à l’encontre de A______ une exclusion temporaire de la zone réservée pendant 60 jours pour refus de course à destination de l’hôtel Crowne-Plaza (ch. 1 du dipositif). Il avait tenu compte du refus de présentation de la carte professionnelle dans la fixation de la sanction relative au refus de course (ch. 2). La décision était déclarée immédiatement exécutoire nonobstant recours (ch. 3).

C. a. Par acte du 25 janvier 2023, A______ a recouru contre cette décision auprès de l’AIG qui a transmis son recours, pour raison de compétence, à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à la réduction de la « peine d’exclusion », subsidiairement, au prononcé d’un avertissement. La décision était sévère. Il n’avait pas d’antécédents, avait toujours été serviable et courtois. Il présentait ses excuses pour son comportement du 5 décembre 2022, dû à une mauvaise journée. Sa situation financière était difficile et ses revenus indispensables pour nourrir sa famille.

b. Le 31 janvier 2023, la société employant l’agent a confirmé s’être entretenue avec lui. Il se souvenait de l’échange et reconnaissait des propos « fermes et vifs, mais courtois ». L’employeur lui avait demandé de faire preuve « d’un peu plus de maîtrise dans le ton employé envers les chauffeurs, ou tout autre interlocuteur. Même si ce dernier outrepassait les limites de la politesse et de la franchise ("Allez-y à pied c’est à cinq minutes ") ».

c. Le 20 février 2023, l’AIG a restitué l’effet suspensif au recours et annulé le ch. 3 du dispositif de sa décision. L’exclusion temporaire était suspendue à compter du mercredi 22 février 2023, jusqu’à droit connu sur le recours. L’intéressé aurait, à cette date, exécuté 19 jours d’exclusion.

d. L’AIG a conclu au rejet du recours. La faute était grave et la sanction proportionnée.

e. Dans sa réplique, A______ a relevé être la seule source de revenus d’une famille de cinq personnes.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile, dûment transmis à la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 64 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le recourant ne conteste pas avoir commis une faute le 5 décembre 2022, mais sollicite la réduction de la sanction.

2.1 Le 1er novembre 2022 est entrée en vigueur la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 28 janvier 2022 (LTVTC – H 1 31), abrogeant la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (aLTVTC - H 1 31 ; art. 44 LTVTC).

La décision querellée ayant été rendue le 23 janvier 2023 et les faits pertinents s’étant déroulés le 5 décembre 2022, la LTVTC, dans sa nouvelle version, est applicable.

2.2 L’art. 33 LTVTC attribue à l’AIG la compétence de réguler l'accès des taxis et des VTC à son périmètre (al. 1). Pour les services de taxis, le règlement de l’AIG peut, notamment, fixer des critères d’exclusion temporaire ou définitive, si, sur le périmètre aéroportuaire notamment, un chauffeur entrave la circulation, crée un trouble à l’ordre public, stationne hors de la zone de prise en charge, viole le devoir de courtoisie, refuse indûment des courses ou des moyens de paiement usuels, ou ne respecte pas les obligations légales liées à la fixation des tarifs (art. 33 al. 2 let. e LTVTC).

2.3 Selon l’art. 38 LTVTC, les agents de la force publique et tout autre agent ayant mandat de veiller à l’observation de ladite loi et de ses dispositions d’exécution sont compétents pour dresser les constats d’infraction.

2.4 Les conditions d'accès à l’AIG sont régies par le RCAP-AIG du 13 avril 2022 (art. 39 du règlement d'exécution de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 19 octobre 2022 (RTVTC - H 1 31 01). Le personnel affecté par l'AIG au contrôle du respect des prescriptions sur le site aéroportuaire est assermenté par le département. Le serment prévu à l'art. 5 de la loi sur la prestation des serments, du 24 septembre 1965 (LSer – A 2 15) est applicable.

2.5 Le 20 juin 2017, la direction de l’AIG a adopté le RCAP-AIG. Le règlement a été abrogé par la nouvelle version du 13 avril 2022, entrée en vigueur le 1er novembre 2022.

L’AIG est compétent pour rendre les décisions découlant de l’application du RCAP-AIG (art. 2 al. 1 let. f RCAP-AIG).

Dans la zone de prise en charge réservée, les chauffeurs de taxi sont notamment tenus de présenter, sur demande de l’AIG ou du personnel mandaté par ce dernier ou de potentiels clients, leur carte professionnelle, de faire preuve de courtoisie et d’amabilité à l’égard des usagers du site aéroportuaire, des potentiels clients, des autres chauffeurs de taxis ou de VTC et des représentants de l’AIG ou du personnel mandaté par ce dernier et d’accepter toutes les courses, même pour des destinations proches de l’Aéroport, à l’exception des cas spécifiquement prévus à l’art. 23 al.1 LTVTC et dans le RTVTC, non pertinents en l’espèce (art. 3 al. 6 RCAP-AIG).

Aux termes de l’art. 6 RCAP-AIG, en cas de constat du non-respect d’une des obligations incombant aux chauffeurs de taxi ou aux chauffeurs de VTC, l’AIG ou le personnel mandaté par ce dernier peut exiger que la situation soit immédiatement régularisée ou que le chauffeur concerné quitte immédiatement la zone dans laquelle il se trouve (al. 1). En sus, l’AIG ou le personnel mandaté par lui dresse un constat d’infraction (al. 2). L’AIG interpelle le chauffeur concerné pour que celui-ci se détermine, par écrit, dans un délai de 15 jours, sur le contenu du constat d’infraction (al. 3). Passé ce délai, l’AIG peut prononcer l’une des mesures suivantes : a) l’avertissement ; b) l’exclusion temporaire des zones de prise en charge ; c) l'exclusion définitive des zones de prise en charge (al. 4).

L’exclusion des zones de prise en charge entraîne une interdiction de se rendre sur lesdites zones et la désactivation temporaire ou définitive du badge d’accès. Sauf exception prévue à l’al. 6, la période d’exclusion débute dix jours après que la décision est devenue exécutoire au sens de l’art. 53 LPA (art. 6 al. 5 RCAP-AIG).

Lorsque les circonstances l’imposent, que l’infraction est particulièrement grave ou que le comportement du chauffeur menace l’ordre public, l’AIG peut, à titre provisionnel, prononcer la suspension immédiate du droit d’accès aux zones de prise en charge, voire une interdiction d’accès au périmètre aéroportuaire. Dans ce cas, le badge d’accès est immédiatement désactivé (art. 6 al. 6 RCAP-AIG).

L’art. 7 est un tableau classifiant les catégories d’infraction et le type de sanction (de faible, moyenne gravité ou grave, en tenant compte d’éventuelles récidives). Une première infraction moyenne est sanctionnée d’un avertissement ou d’une exclusion temporaire entre 1 à 60 jours. Une première infraction grave est sanctionnée d’une exclusion temporaire entre 1 et 365 jours ou d’une exclusion définitive avec une éventuelle suspension immédiate.

2.6 Traditionnellement, le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2  de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
(Cst. - RS 101) se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public – (ATF 
125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c).

2.7 En l’espèce, si, en soi, l’indication à un client de l’existence d’une navette en direction de l’hôtel concerné peut être louable dans une optique de diminution des frais de ce dernier, les versions divergent quant à savoir si la cliente souhaitait la prendre. La déclaration de l’agent, assermenté, doit à ce titre primer, cette hypothèse étant par ailleurs plus vraisemblable puisque la conversation avec la cliente s’est poursuivie devant l’agent et que l’intéressée n’est pas partie en direction de la navette. Le refus d’une course courte est dès lors établi. Par ailleurs, le recourant ne conteste pas avoir de présenter sa carte professionnelle, l’intéressé reconnaissant par ailleurs dans son recours avoir eu un problème le jour en question et présentant ses excuses. Le principe d’une sanction est en conséquence fondé tant pour le refus de course que celui de présenter sa carte professionnelle à l’agent.

L’AIG a infligé au recourant une exclusion temporaire des zones de prise en charge, soit la mesure d’une gravité moyenne parmi les trois prévues par l’art. 6 al. 4 RCAP-AIG. Il a, de surcroît, fait usage de l’al. 6, à savoir qu’il a prononcé, à titre provisionnel, la suspension immédiate du droit d’accès, considérant que les conditions de son application étaient remplies à savoir « lorsque les circonstances l’imposent, que l’infraction est particulièrement grave ou que le comportement du chauffeur menace l’ordre public ».

La sanction est apte à atteindre le but d’intérêt public à un service de taxi de qualité à l’AIG. Elle est nécessaire pour éviter les refus de courses courtes et rappeler au recourant le respect dû aux clients et aux agents de sécurité.

S’agissant de la proportionnalité au sens étroit, le recourant a commis deux infractions. Le refus d’effectuer une course courte est une faute grave compte tenu de l’intérêt public à ce que les usagers de l’aéroport puissent compter sur un service de taxis indépendamment de la longueur de la course projetée. La seconde infraction reprochée, à savoir le refus de présenter la carte professionnelle, n’est pas contestée. L’AIG en a tenu compte dans le cadre de la fixation de la sanction relative au refus de course.

La société employeur de l’agent a toutefois confirmé, d’une part, que celui-ci avait reconnu avoir eu des propos « ferme et vifs, mais courtois » et avoir été « un peu agacé » par les réponses apportées par le chauffeur de taxi. D’autre part, ledit employeur avait demandé à l’agent de faire preuve « d’un peu plus de maîtrise dans le ton employé envers les chauffeurs ou tout autre interlocuteur », ce qui tend à démontrer que le comportement dudit agent n’était pas exempt de tout reproche, son « agacement » n’ayant par ailleurs pas à intervenir dans ce type de situation qu’il lui appartient précisément de gérer professionnellement en toute objectivité.

De surcroît, le recourant est au bénéfice d’une carte d’accès depuis 2017. Il s’agit de la première violation du règlement qu’il commet, les deux infractions relevant de la même prise en charge litigieuse. Il a, par ailleurs, immédiatement reconnu sa faute et présenté ses excuses. Enfin, il se prévaut, de façon constante, d’une situation financière difficile en lien avec une famille de cinq personnes, dont une épouse au foyer. Si l’AIG peut être suivi lorsqu’il relève que l’exclusion n’empêche pas le recourant de travailler, l’interdiction de zone à l’AIG restreint toutefois passablement son champ d’action.

Dans un précédent cas (ATA/1280/2021 du 23 novembre 2021), un avertissement avait été considéré comme proportionné, à l’encontre d’un chauffeur pour s’être « fortement énervé contre un agent de sécurité, lui avoir crié de faire "fermer [sa] gueule" et "d’aller [se] faire foutre", et l’avait notamment traité de "connard" et de "gros con" ». Il avait refusé de quitter « à vide » la zone réservée lorsque l’agent le lui avait demandé et la police était intervenue pour régulariser la situation suite à son refus. L’avertissement avait été prononcé et avait été déclaré exécutoire nonobstant recours.

Au vu de ce qui précède, si la qualification d’infraction grave pour le refus d’une course courte est conforme au large pouvoir d’appréciation dont bénéficie l’AIG, la durée de l’exclusion, de 60 jours, apparaît toutefois sévère, même en tenant compte du refus de présenter sa carte professionnelle. Elle sera réduite de moitié, à 30 jours, durée qui apparaît nécessaire à ce que le recourant prenne conscience de la gravité de sa faute et plus respectueuse de ses intérêts privés mis en balance avec l’intérêt public poursuivi. Le recours sera ainsi partiellement admis. Les 19 jours déjà effectués seront déduits. Seul un solde de onze jours sera à effectuer.

Vu l’issue du litige, un émolument, réduit de CHF 250.- sera mis à la charge du recourant qui obtient partiellement gain de cause (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le recourant n’y concluant pas et n’ayant pas engagé de frais pour se défense (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 janvier 2023 par A______ contre la décision de l’Aéroport international de Genève du 23 janvier 2023 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

réduit l’exclusion temporaire de la zone réservée à 30 jours ;

confirme la décision du 23 janvier 2023 pour le surplus ;

met un émolument de CHF 250.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'Aéroport international de Genève.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Valérie LAUBER et Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :