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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/747/2023

ATA/468/2023 du 02.05.2023 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/747/2023-FORMA ATA/468/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 mai 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______, enfant mineure, agissant par ses parents Madame B______ et Monsieur C______ recourante

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 2011, est de nationalité suisse. Elle habite Viry (France), avec ses parents, depuis 2016.

b. Les deux parents de A______ travaillent dans le canton de Genève, tandis qu'elle-même, ainsi que sa sœur cadette née en 2013, fréquentent une école privée sise dans le canton.

B. a. Le 25 janvier 2023, les époux BC______ ont déposé auprès du service organisation et planification (ci-après : le service) du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : le département), pour A______, une demande d'admission au cycle d'orientation pour élèves domiciliés en France ou bénéficiant d'un accord CIIP (conférence intercantonale de l'instruction publique).

Dans leur courrier d'accompagnement, ils ont fait valoir que leur fille était née à Genève et de nationalité suisse. Elle avait effectué sa scolarité à Genève jusqu'en 8P, au sein de D______. Elle y avait tissé de forts liens sociaux et y possédait désormais ses repères scolaires. Ils demandaient dès lors qu'elle puisse poursuivre son parcours scolaire à Genève, afin de continuer de grandir et d'évoluer dans un environnement qui lui était familier et qu'elle aimait.

Bien qu'ils eussent fait le choix de s'installer en France voisine, ils restaient très attachés à Genève et à ses valeurs. Ils y travaillaient tous deux à plein temps et y payaient leurs impôts à la source. La majorité des activités de la famille se déroulait à Genève. A______ pratiquait notamment le patinage aux Vernets. De plus, leur fille cadette poursuivant sa scolarité à Malagnou pendant encore deux ans, une scolarisation de A______ au cycle d'orientation de l'Aubépine serait idéale.

b. Par décision du 2 février 2023, le service a rejeté la demande d'inscription de A______ au Cycle d'orientation. Aucune des hypothèses prévues par l'art. 25 du règlement du cycle d'orientation du 9 juin 2010 (RCO - C 1 10.26) n'était donnée. Selon les informations fournies, A______ n'avait pas de frère ou sœur déjà scolarisée dans l'enseignement public genevois.

C. a. Par acte déposé le 2 mars 2023, les époux BC______ ont interjeté recours pour le compte de leur fille auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à ce que A______ poursuive sa scolarité au cycle de l'Aubépine.

Ils reprenaient les arguments développés lors de leur demande initiale, ajoutant que d'un point de vue académique et émotionnel, la poursuite d'une scolarité en France serait catastrophique pour leur fille.

b. Le 21 mars 2023, le département a conclu au rejet du recours.

Les hypothèses prévues à l'art. 25 al. 1 let. b et c RCO n'étaient pas remplies en l'espèce, la chambre administrative ayant de plus déjà, à plusieurs reprises, admis la conformité au droit de cette disposition réglementaire. Les éléments mis en avant dans le recours n'étaient pas de nature à obtenir qu'il soit contrevenu au principe voulant que seuls les enfants domiciliés à Genève bénéficiaient du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit dispensé par le département.

c. Le 5 avril 2023 s'est tenue une audience de comparution personnelle des parties. Les époux BC______ ont renouvelé leurs arguments et ont produit un certificat de l'École active concernant A______ ainsi que deux attestations concernant l'organisation familiale.

À l'issue de l'audience, un délai au 14 avril 2023 a été fixé aux parties pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 14 avril 2023, les époux BC______ ont persisté dans leurs conclusions. A______ étant l'aînée de la fratrie, elle ne pouvait avoir de frère ou sœur déjà scolarisée dans l'enseignement public genevois et se voyait ainsi pénalisée sur la base d'un critère impossible à remplir. Il serait difficile pour leur fille de comprendre pourquoi elle ne pourrait continuer à étudier à Genève, et elle devrait intégrer le système français avec une année de retard par rapport à ses condisciples entrant en 6ème.

e. Le département ne s'est quant à lui pas manifesté.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur le refus du DIP de scolariser la recourante dans l’enseignement secondaire I public genevois.

2.1 À teneur de l’art. 19 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit est garanti. Au niveau cantonal, l’art. 24 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (A 2 00 - Cst - GE) dispose que le droit à l’éducation, à la formation et à la formation continue est garanti (al. 1). Toute personne a droit à une formation initiale publique gratuite (al. 2).

L’art 62 Cst. prévoit pour sa part que l’instruction publique est du ressort des cantons (al. 1). Les cantons pourvoient à un enseignement de base suffisant ouvert à tous les enfants. Cet enseignement est obligatoire et placé sous la direction ou la surveillance des autorités publiques. Il est gratuit dans les écoles publiques (al. 2). Les cantons pourvoient à une formation spéciale suffisante pour les enfants et adolescents handicapés, au plus tard jusqu'à leur 20ème anniversaire (al. 3). Si les efforts de coordination n'aboutissent pas à une harmonisation de l'instruction publique concernant la scolarité obligatoire, l'âge de l'entrée à l'école, la durée et les objectifs des niveaux d'enseignement et le passage de l'un à l'autre, ainsi que la reconnaissance des diplômes, la Confédération légifère dans la mesure nécessaire (al. 4). La Confédération règle le début de l'année scolaire (al. 5). Les cantons sont associés à la préparation des actes de la Confédération qui affectent leurs compétences ; leur avis revêt un poids particulier (al. 6).

2.2 Selon son art. 1, la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP- C 1 10) régit l’instruction obligatoire, soit la scolarité et la formation obligatoires jusqu’à l’âge de la majorité pour l’enseignement public et privé (al. 1). Elle régit également l’intégration et l’instruction des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés de la naissance à l’âge de 20 ans révolus (al. 2). Elle s’applique aux degrés primaire et secondaire I (scolarité obligatoire) et aux degrés secondaire II et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles (ci-après : degré tertiaire B) dans les établissements de l’instruction publique (al. 3).

L’instruction publique comprend notamment le degré secondaire I, soit le cycle d’orientation (art. 4 al. 1 let. b LIP). Selon l’art. 67 LIP, le degré secondaire I dure trois ans et comprend les 9ème, 10ème et 11ème degrés.

2.3 L’art. 37 al. 1 LIP prévoit que tous les enfants et jeunes en âge de scolarité obligatoire et habitant le canton de Genève doivent recevoir, dans les écoles publiques ou privées, ou à domicile, une instruction conforme aux prescriptions de ladite loi, au programme général établi par le DIP conformément à l’accord intercantonal sur l'harmonisation de la scolarité obligatoire du 14 juin 2007 (HarmoS - C 1 06) et à la convention scolaire romande du 21 juin 2007 (CSR- C 1 07).

Le DIP, avec le concours des services concernés, veille à l’observation de l’obligation d’instruction, telle que définie à l’art. 1 LIP (art. 38 al. 1 LIP). Les parents sont tenus, sur demande du DIP, de justifier que leurs enfants, jusqu’à l’âge de la majorité, reçoivent l’instruction obligatoire fixée par la loi (art. 38 al. 2 LIP).

L’art. 58 LIP prévoit que, sous réserve des al. 2 à 5, les élèves sont scolarisés dans l’établissement correspondant au secteur de recrutement du lieu de domicile ou à défaut du lieu de résidence des parents (al. 1). Si les élèves de ce secteur de recrutement sont en nombre insuffisant ou sont trop nombreux pour l’organisation rationnelle de l’enseignement, le DIP peut les affecter à une autre école. Cette affectation n’est pas sujette à recours (al. 2). Après avoir entendu les parents concernés, la ou les directions des établissements concernés peuvent transférer un élève dans une autre classe ou un autre établissement, en cours d’année ou pour l’année scolaire suivante, lorsque le bon déroulement de la scolarité de l’élève et/ou le bon fonctionnement de la classe ou de l’établissement le commande (al. 3). Pour les élèves qui sont inscrits dans un dispositif spécifique, tel que les classes et institutions de l’enseignement spécialisé ou les classes Sport-Art-Études, notamment, des exceptions au lieu de scolarisation peuvent être prévues par voie réglementaire. Cette affectation n’est pas sujette à recours (al. 4). Enfin, le DIP peut, à titre exceptionnel, accorder des dérogations, notamment en cas de changement de domicile, de manière à permettre à l’élève de terminer l’année scolaire dans la classe où il l’a commencée (al. 5).

2.4 Au niveau réglementaire, l'art. 16 RCO dispose que le degré secondaire I fait partie de la scolarité obligatoire (al. 1), que les enfants en âge de scolarité obligatoire doivent être inscrits à l'école et suivre une instruction dès le premier jour de l'année scolaire ou dans les trois jours qui suivent leur arrivée à Genève (al. 2) et que le degré secondaire I est gratuit pour les élèves qui remplissent les conditions de l'art. 25 RCO (al. 3).

Selon l’art. 25 al. 1 RCO, sont admis au cycle d'orientation public genevois (a) les élèves domiciliés dans le canton ; (b) les élèves domiciliés en France voisine et déjà scolarisés dans l’enseignement public genevois, pour autant que l'un de leurs parents au moins soit assujetti à Genève à l'impôt sur le revenu de l'activité rémunérée qu'il exerce de manière permanente dans le canton ; (c) les frères et sœurs ainsi que les demi-frères et les demi-sœurs des enfants scolarisés au sein d'établissements scolaires publics genevois. Selon l’al. 2, l'admission des élèves domiciliés dans le canton mais qui ne sont pas issus d'une école publique genevoise doit être demandée auprès de la direction générale qui statue. Selon l’al. 3, pour les élèves visés à l’al. 1, let. b et c, la demande d'admission doit être déposée auprès de la direction générale dans le délai fixé chaque année par le DIP et publié sur le site Internet de ce dernier.

2.5 L’art. 19 Cst. consacre un droit social, justiciable, qui oblige la collectivité à fournir une prestation (Andreas AUER et al., Droit constitutionnel suisse, vol. II, 4e éd., 2021, n. 1709 et la référence citée). L’art. 62 Cst. fonde quant à lui, outre la compétence cantonale en matière d’instruction publique, le caractère obligatoire de l’enseignement de base. Il en découle que l’un des corollaires du caractère obligatoire de l’enseignement primaire est que les enfants doivent fréquenter l’école du lieu où ils résident (Andreas AUER et al., op. cit., n. 1715). Ainsi, sont titulaires du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit tous les enfants domiciliés en Suisse, indépendamment de leur nationalité et du statut de résidence de leurs parents (Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. II, 2015, p. 334 n. 200).

Quant à l’art. 24 Cst-GE, rien n’indique que sa portée, s’agissant du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit, serait plus large que celle de l’art. 19 Cst.

La limitation de la possibilité de s'inscrire dans les écoles d'un canton donné aux élèves domiciliés dans ledit canton ne contrevient pas à l’art. 13 par. 2 let. a du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels entré en vigueur pour la Suisse le 18 septembre 1992 (RS 0.103.1), lequel prévoit que l’enseignement primaire doit être obligatoire et accessible à tous. Cette disposition, qui selon le Tribunal fédéral n’est pas directement applicable, ne confère en effet aucun droit supplémentaire par rapport à l’art. 19 Cst. (ATF 144 I 1 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_433/2011 précité). Pour le même motif, elle n’est pas non plus contraire à l’art. 28 par.1 let. a de la Convention relative aux droits de l’enfant entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997 (RS 0.107), disposition qui prévoit que les États parties rendent l’enseignement obligatoire et gratuit pour tous.

2.6 La chambre de céans a traité en détail de la problématique d'une éventuelle discrimination à raison du domicile dans plusieurs arrêts. Elle a rejeté les recours d'enfants et de leurs parents domiciliés en France voisine contre le refus de les scolariser dans l'enseignement public genevois primaire (ATA/999/2019 du 11 juin 2019 consid. 13 à 24 ; ATA/1017/2019 du 13 juin 2019 ; ATA/1016/2019 du 13 juin 2019 ; ATA/1015/2019 du 13 juin 2019 notamment) et secondaire (ATA/524/2020 du 26 mai 2020 consid. 5). Ce refus, qui découlait de l'un des corollaires du caractère obligatoire de l'enseignement, à savoir que les enfants doivent fréquenter l'école du lieu où ils résident, reposait sur une base légale suffisante et ne violait pas l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681).

Par ailleurs, dans un arrêt du 11 juin 2019, le Tribunal fédéral a confirmé un arrêt de la chambre de céans s’agissant du refus de l’accès, pour un enfant handicapé suisse, domicilié en France, aux mesures de pédagogie spécialisée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_820/2018 consid. 4.1).

3.             En l'espèce, la recourante habite la France. Elle et sa sœur fréquentent une école privée à Genève, si bien qu'elle n'a pas de membre de sa fratrie intégrée dans l'enseignement public genevois. À cet égard, la recourante perd de vue que ce dernier critère s'apparente à une forme de régime transitoire, à savoir que si l'un des enfants d'une fratrie a été scolarisé dans l'enseignement public genevois, une certaine continuité est favorisée. Aucune des hypothèses claires de l'art. 25 al. 1 RCO n'est ainsi réalisée.

En faisant valoir différents arguments relatifs à l'avenir ou au bien-être de leur fille, les parents de la recourante remettent en cause non pas tant la décision attaquée, et sa validité juridique, que l'art. 25 RCO sur lequel ladite décision est fondée. Or ce dernier a, comme déjà rappelé, été jugé conforme au droit par la jurisprudence, constat sur lequel les arguments avancés par la recourante ne permettent pas de revenir.

Il s'ensuit que la décision attaquée est conforme au droit. Le recours sera dès lors rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe. L’enfant mineur ayant agi par ses parents, ceux-ci se verront astreints au paiement dudit émolument (art. 87 al. 1 LPA). Également en raison de l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 mars 2023 par A______ , agissant par ses parents, contre la décision du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 2 février 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire de Madame B______ et Monsieur C______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, agissant par ses parents Madame B______ et Monsieur C______, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : M. MASCOTTO, président, M. VERNIORY, Mme PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :