Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3780/2022

ATA/147/2023 du 14.02.2023 ( DIV ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3780/2022-DIV ATA/147/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 février 2023

 

dans la cause

 

UNION DU PERSONNEL DU CORPS DE POLICE DE GENÈVE et
Monsieur A______ recourants
représentés par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ intimé



EN FAIT

A. a. Par acte expédié le 14 novembre 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, l’Union du personnel du corps de police de Genève (ci-après : UPCP) et Monsieur A______ ont demandé que soit constaté le déni de justice commis par le conseiller d’État en charge du département de la sécurité, de l’emploi et de la santé, que la cause lui soit renvoyée, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), de rendre dans les dix jours suivant le prononcé de l’arrêt une décision sujette à recours constatant l’illicéité de l’emploi des « bodycams » dans les établissements pénitentiaires genevois et que la suspension provisoire ordonnée reste en vigueur jusqu’à droit jugé à la suite de la décision à prononcer par le conseiller d’État. Préalablement, ils ont requis, à titre provisionnel et superprovisionnel, la suspension de l’emploi des « bodycams » dans les établissements pénitentiaires.

M. A______ était gardien de prison et membre de l’UPCP, association ayant pour but de veiller au respect des droits syndicaux de ses membres, dont les agents de détention. Le 11 mai 2021, ils avaient interpellé le directeur de l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD) au sujet de l’introduction au sein de l’établissement pénitentiaire de Champ-Dollon des « bodycams », s’interrogeant sur la légalité de celle-ci. Le directeur avait confirmé, le même jour, l’entrée en vigueur de la directive n° 5.04, le 1er juin 2021, relative à l’utilisation de ces caméras, qui reposait sur les art. 8 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 (LOPP - F 1 50) et 21 de son règlement du 22 février 2017 (ROPP - F 1 50.01).

Leur conseil avait interpellé le 9 juin 2021 la direction de l’OCD, considérant qu’il était douteux que les dispositions précitées constituent des bases légales suffisantes. Il sollicitait l’ouverture d’une procédure au sens de l’art. 4A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) afin de faire constater l’illicéité de la pratique et sa cessation immédiate. Le 7 décembre 2021, les recourants avaient à nouveau fait part à ladite direction et au conseiller d’État de l’illicéité de la pratique mise en œuvre par la directive. Ils avaient réexposé leurs arguments lors de la séance conjointe du 18 janvier 2022.

Le 18 mai 2022, l’OCD avait livré son analyse concernant l’emploi des « bodycams ». Les recourants avaient alors saisi le préposé à la protection des données (ci-après : PPDT). Le 14 juin 2022, ils avaient à nouveau sollicité l’ouverture d’une procédure selon l’art. 4A LPA. Le 10 octobre 2022, le PPDT avait conclu à l’illicéité de la mise en place des « bodycams », faute de base légale suffisante. Forts de ce constat, ils avaient relancé les 12 et 18 octobre 2022 l’autorité intimée en vue de l’ouverture d’une procédure administrative au sens de l’art. 4A LPA. Faute de réponse, ils agissaient en déni de justice. Il convenait de constater celui-ci et de renvoyer la cause à l’autorité en lui enjoignant de prononcer la décision requise.

b. La requête de mesures superprovisionnelles a été rejetée, celles-ci allant au-delà de ce qui était requis au fond, soit le constat d’un déni de justice.

c. Se fondant sur un fait nouveau, à savoir un courrier du conseiller d’État du 17 novembre 2022, les recourants ont sollicité de nouvelles mesures provisionnelles tendant à la suspension de l’emploi des « bodycams ».

d. Cette nouvelle requête a également été rejetée le 1er décembre 2022, les mesures sollicitées apparaissant aller au-delà des conclusions de fond, la détermination de l’autorité intimée étant imminente et aucune urgence n’imposant le prononcé de mesures avant que celle-ci se détermine sur mesures provisionnelles.

B. a. Dans un courrier du 2 décembre 2022, l’OCD a informé la chambre de céans que l’UPCP lui avait indiqué qu’il était probable qu’elle retire son recours, ce qu’elle ne pourrait cependant confirmer qu’à l’issue de la séance de son comité directeur prévue le même jour. Étaient joints des échanges de courriels entre l’OCD et M. A______ faisant état d’une séance entre cet office et l’UPCP ayant eu lieu le 21 novembre 2022 dont il ressortait que celle-ci n’avait pas l’intention d’interdire l’usage des « bodycams », mais d’étendre leur usage et de participer au règlement de leur utilisation. Le projet de modification de l’art. 8 al. 2 LOPP, discuté préalablement avec le PPDT, était soumis.

b. Se déterminant sur la requête de mesures provisionnelles, dont il déplorait l’absence de pesée d’intérêts et d’urgence, le conseiller d’État s’est interrogé sur les pouvoirs du conseil des recourants, qui semblait avoir excédé son mandat en demandant l’interdiction de l’utilisation des caméras litigieuses, à laquelle cependant ses clients ne s’opposaient pas.

c. Au vu de ces éléments, l’OCD a demandé à la chambre de céans qu’elle invite les recourants à produire une procuration, avant de se détermine sur le fond.

d. Dans le délai imparti à cet effet, tant l’UPCP et M. A______ ont souligné accorder toute leur confiance à leur conseil ainsi que leur volonté de dialogue, intacte et indépendante de la procédure en cours. Ils avaient été mis devant le fait accompli. Si le conseiller d’État s’était intéressé au sujet, il aurait réalisé avant la procédure qu’ils n’étaient pas opposés à l’utilisation des caméras en question, mais souhaitaient en discuter l’usage. Il était regrettable que l’OCD et le conseiller d’État n’aient répondu à leur demande de rencontre qu’après le dépôt du recours.

e. Dans leur réplique sur mesures provisionnelles, les recourants ont requis la tenue d’une audience publique au sens de l’art. 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Face à l’inaction de l’autorité, les mesures sollicitées s’imposaient. Peu importait ainsi que le PPDT n’ait pas exigé la cessation de l’utilisation des caméras. Le fait que leur emploi poursuivait un but d’intérêt public ne légitimait pas à lui seul leur utilisation. L’atteinte à la sphère privée et au droit à l’image justifiait la suspension de l’usage des caméras jusqu’à droit jugé.

f. Par décision du 10 janvier 2023, la chambre administrative a refusé les mesures provisionnelles. Elles visaient autre chose que ce qui était requis sur le fond. La question de savoir si l’usage des « bodycams » était licite ou pas ne faisait pas partie des conclusions prises, de sorte qu’il était douteux que la suspension de leur usage puisse être prononcée sans statuer ultra petita.

L’atteinte alléguée à la sphère privée et au droit à l’image des recourants du fait de l’utilisation des « bodycams » ne paraissait, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas irréparable, rien n’indiquant que la suppression des images n’était pas possible, et les recourants ne faisant pas valoir qu’elles seraient susceptibles d’être diffusées dans le public. Sur le fond, les chances de succès paraissaient, prima facie, bonnes, l’autorité intimée ayant, à plusieurs reprises, été mise en demeure de rendre une décision sur le caractère illicite de l’usage des « bodycams » et ne s’étant pas prononcée à cet égard. En revanche, s’il ressortait de l’analyse du PPDT que l’adoption d’une base légale spécifique à l’usage de « bodycams » était recommandée, celui-ci avait clairement indiqué qu’il « n’exigeait » pas la cessation de leur emploi ; qu’il n’apparaissait ainsi, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas que le caractère illicite de l’usage de ces caméras soit manifeste.

C. a. Le conseiller d’État a conclu à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.

Seule une minorité des membres de l’UPCP étaient agents de détention, de sorte qu’elle ne pouvait agir à titre corporatif. M. A______ avait le grade de gardien principal et n’était, de ce fait, pas amené à porter une « bodycam ». En outre, il ne s’était jamais manifesté auprès de l’autorité intimée, seule l’UPCP l’ayant mise en demeure de rendre une décision. Par ailleurs, les recourants ayant requis le 9 décembre 2022, une procédure fondée sur l’art. 49 LIPAD, la voie de l’art. 4A LPA, de caractère subsidiaire, était exclue. Enfin, le directeur de l’OCD avait clairement répondu aux interrogations des recourants le 18 mai 2021. Ceux-ci auraient alors eu le loisir de contester cette décision, ce qu’ils n’avaient pas fait, étant ainsi forclos. Pour le surplus, les motifs pour lesquels l’illégalité du déploiement des « bodycams » était contestée avaient été exposés dans les observations sur mesures provisionnelles et les courriels du directeur de l’OCD des 11 et 18 mai 2021.

Était joint un courriel du 9 décembre 2022 des recourants saisissant le département en application de l’art. 49 LIPAD, priant celui-ci de mettre fin « au système de bodycams » et de constater la violation des droits des fonctionnaires concernés protégés par la LIPAD.

b. Dans leur réplique, les recourants ont réitéré leur demande tendant à la tenue d’une audience publique. L’UPCP, section prison, avait qualité pour recourir, comme pourrait le confirmer l’audition de son trésorier. Des enquêtes et une audience de comparution personnelle des parties étaient nécessaires « s’il devait être considéré qu’elles puissent avoir une quelconque pertinence ».

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

d. Il sera revenu en détail, en tant que de besoin, sur les échanges épistolaires intervenus entre les parties dans la partie « En droit » ci-après.

EN DROIT

1.             Le recours pour déni de justice ou retard injustifié a été interjeté devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 6 LPA).

2.             Se pose la question de savoir si les recourants ont la qualité pour agir.

2.1 À teneur de l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b). Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/251/2018 du 20 mars 2018 consid. 2a et les arrêts cités). En cas de déni de justice ou retard injustifié, la partie doit démontrer qu’elle aurait qualité pour recourir contre l’acte dont elle se plaint qu’il ne soit pas rendu (ATA/1288/2022 du 20 décembre 2022).

2.2 Selon la jurisprudence, cet intérêt doit être direct et concret ; en particulier, la partie recourante doit se trouver, avec la décision entreprise, dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d'être pris en considération. Elle doit être touchée dans une mesure et avec une intensité plus grande que l'ensemble des administrés. L'intérêt invoqué, qui n'est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération (ATF 143 II 506 consid. 5.1 et les arrêts cités). Le recours d'un particulier formé dans l'intérêt général ou dans l'intérêt d'un tiers est exclu. Cette exigence a été posée de manière à empêcher l'action populaire (ATF 135 II 145 consid. 6.1 ; 133 V 239 consid. 6.3). Cette notion de l'intérêt digne de protection correspond aux critères exposés à l'art. 89 al. 1 let. c de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), en vigueur depuis le 1er janvier 2007, que les cantons sont tenus de respecter, en application de la règle d'unité de la procédure qui figure à l'art. 111 al. 1 LTF (arrêt du Tribunal fédéral 1C_152/2012 du 21 mai 2012 consid. 2.1).

2.3  

2.3.1 Une association a qualité pour recourir à titre personnel lorsqu'elle remplit les conditions posées à l'art. 89 al. 1 LTF. En outre, sans être elle-même touchée par la décision entreprise, une association peut être admise à agir par la voie du recours en matière de droit public – recours dit corporatif ou égoïste – pour autant qu'elle ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d'entre eux et, enfin, que chacun de ceux-ci ait qualité pour s'en prévaloir à titre individuel. En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l'un de ses membres ou pour une minorité d'entre eux (ATF 137 II 40 consid. 2.6.4 et les arrêts cités). Lorsque l'acte attaqué est un acte normatif, l'intérêt personnel requis peut être simplement virtuel ; il suffit qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse se voir un jour appliquer les dispositions contestées (ATF 136 I 49 consid. 2.1 ; 130 I 26 consid. 1.2.1 et la jurisprudence citée).

2.3.2 La chambre administrative a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la qualité pour agir d’une section de l’UPCP dans son arrêt ATA/1520/2019 du 15 octobre 2019. Elle a alors constaté que selon les statuts de l'UPCP, version en vigueur au 1er janvier 2016, l'UPCP avait pour but, notamment, de veiller à la défense des conditions de travail et salariales de ses membres (art. 3 al. 1 des statuts). Ceux-ci pouvaient être fonctionnaires du corps de police, inspecteurs de l'office cantonal des véhicules, agents de détentions, rattachés à un statut de fonctionnaire normal ou particulier ainsi que retraités des catégories précitées (art. 7 al. 1 des statuts). Ainsi, les agents de détention, qui étaient dans la cause en question seuls susceptibles d’être touchés par la mesure contestée, ne constituaient qu'une partie des effectifs de l'UPCP. Celle-ci n'avait pas la qualité pour agir à titre personnel, n'ayant pas établi disposer elle-même d'un intérêt digne de protection. Elle ne pouvait non plus agir à titre corporatif, n'ayant pas démontré que les intérêts d'une majorité de ses membres étaient touchés, ni que chacun des membres ait, à titre individuel, qualité pour recourir. L'UPCP n'avait pas transmis les documents, à l'exception des statuts, permettant de vérifier si la majorité ou un grand nombre de ses membres étaient touchés par l'acte querellé. Il était douteux que la majorité des membres ait à titre individuel qualité pour recourir, ni que les intérêts d'une grande majorité des membres de l'UPCP soient touchés, puisque le syndicat représentait certes les intérêts des agents de détention mais aussi des policiers, inspecteurs de l'office cantonal des véhicules, ainsi que retraités des catégories précitées, pour qui l’acte contesté n'avait aucune répercussion. Il n’était ainsi pas possible de considérer comme établi qu'un grand nombre de ses membres soit concerné par celui-ci, ce d'autant moins que l'intimé avait précisément contesté la qualité pour agir sur ce point.

2.4 Ce raisonnement est également applicable à la présente cause. Malgré les conclusions de l’autorité intimée visant l’irrecevabilité du recours de l’association pour les motifs qui viennent d’être évoqués, cette dernière n’a pas apporté de précisions qu’il s’agisse du nombre de membres concernés par le port des « bodycams » ni que chacun de ses membres individuels aurait qualité pour recourir. Elle a, certes, dans sa réplique, proposé de prouver qu’elle remplissait les conditions lui permettant d’avoir la qualité pour recourir par l’audition de son trésorier. Elle n’a cependant pas exposé en quoi celui-ci était en mesure d’établir ces conditions. En particulier, elle n’a fourni aucune explication permettant de retenir qu’une grande majorité de ses membres était touchée par l’utilisation des « bodycam » ; au contraire, la recourante a indiqué que la problématique ne concernait que ses membres qui étaient agents de détention, les caméras n’étant utilisées que dans quatre établissements pénitentiaires. Vu les indications de la recourante elle-même, l’audition de son trésorier ne serait pas de nature à établir que les intérêts d'une majorité de ses membres étaient touchés, ni que chacun des membres ait, à titre individuel, qualité pour recourir.

La qualité pour recourir doit ainsi lui être déniée.

2.5 Il n’en va pas de même du recourant, qui exerce la fonction d’agent de détention dans un établissement pénitentiaire. L’utilisation des « bodycams » ayant été introduite dans l’établissement dans lequel il travaille, ses intérêts sont susceptibles d’être touchés par l’usage de cet outil, notamment son droit à la protection de la personnalité et à l’image, quand bien même il ne serait pas amené à en porter lui-même. Le fait que son conseil se soit essentiellement exprimé, avant la présente procédure, au nom de l’association dont le recourant est membre ne saurait conduire à lui dénier la qualité pour recourir ; une telle manière de faire se heurterait à l’interdiction du formalisme excessif, étant relevé que le recourant a participé à plusieurs rencontres et discussions relatives à la mise en œuvre de l’utilisation des « bodycams », tant en sa qualité de membre de l’association qu’en tant qu’agent de détention.

Le recourant a donc la qualité pour agir, de sorte que son recours sera déclaré recevable.

3.             Il sollicite la tenue d’une audience publique.

3.1 L'art. 6 par. 1 CEDH donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Il peut être renoncé à une audience publique dans les cas prévus par l'art. 6 par. 1 2ème phr. CEDH, lorsqu’il apparaît clairement que le recours est manifestement bien fondé ou encore lorsque l'objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 141 I 97 consid. 5.1 ; 136 I 279 consid. 1 ; 134 I 331 consid. 2.3).

3.2 En l’espèce et pour autant que l’art. 6 CEDH s’applique à la présente cause, il sera renoncé à la tenue d’une audience publique, tant compte tenu de l’issue du litige que du fait que la question à trancher ne nécessite pas d’éclaircir des faits particuliers, mais a pour objet de déterminer si l’autorité intimée a commis un déni de justice, soit à trancher une question d’ordre technique.

4.             Il convient donc d’examiner si l’autorité intimée a commis un déni de justice.

4.1 Sous le titre marginal « Droit à un acte attaquable », l'art. 4A LPA dispose que toute personne qui a un intérêt digne de protection peut exiger que l'autorité compétente pour des actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à des droits ou des obligations (a) s'abstienne d'actes illicites, cesse de les accomplir, ou les révoque, (b) élimine les conséquences d'actes illicites ou (c) constate le caractère illicite de tels actes (al. 1). L'autorité statue par décision (al. 2). Lorsqu'elle n'est pas désignée, l'autorité compétente est celle dont relève directement l'intervention étatique en question (al. 3).

4.1.1 L'art. 4A LPA met en œuvre le droit à l'accès au juge garanti par l'art. 29a Cst. en instaurant un mécanisme de contrôle des actes matériels de l'administration (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n° 98 p. 27 et les références). Il confère à toute personne ayant un intérêt digne de protection le droit d'exiger que l'autorité compétente pour les actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à ses droits ou obligations statue par décision (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, op. cit., n° 96 p. 27). Le droit à l'acte attaquable suppose ainsi que le requérant soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés; l'intérêt invoqué – qui peut être un intérêt de pur fait – doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération (ATF 140 II 315 consid. 4.2).

4.1.2 Le législateur cantonal a volontairement repris le contenu du droit fédéral (art. 25a de la loi fédérale sur la procédure administrative [RS -172.021]) en faisant le choix de suivre le mécanisme impliquant une saisine préalable de l'autorité concernée, et non celui permettant de recourir directement contre l'acte matériel dénoncé. L'administré doit ainsi formuler ses prétentions auprès de l'autorité qui selon lui viole ses droits ; l'autorité ouvre alors une procédure, qui est régie par la LPA, et rend une décision sujette à recours (arrêt du Tribunal fédéral 8C_775/2019 du 17 mars 2020 consid. 3.1).

4.2 En l’espèce, il ressort du dossier que le 1er juin 2021 déjà le conseil du recourant a fait part des doutes quant à la légalité de la mise en fonction des « bodycams » et a sollicité l’ouverture d’une procédure tendant à la constatation de la légalité de la pratique et à la cessation de celle-ci. Il ressort également du dossier que des discussions ont été engagées entre le directeur de l’OCD et l’association au sujet des conditions à préciser concernant l’utilisation des « bodycams » dans les centres de détention, comme en témoignent le courrier de l’association du 7 décembre 2021 ou encore celui du directeur de l’OCD du 18 mai 2022.

Contrairement à ce que fait valoir l’autorité intimée, ce courrier ne constitue pas une décision, singulièrement pas une décision aboutissant au constat de la légalité de la pratique mise en œuvre par la directive 5.04, tel que demandé par le recourant. Ce courrier expose certes les bases légales et réglementaires invoquées, mais s’emploie essentiellement à expliquer le bénéfice que tant les utilisateurs que les détenus peuvent en déduire, soulignant par exemple l’effet de « désescalade » constaté par les utilisateurs de ces caméras dans le canton de Vaud et son effet « rassurant », et considérant qu’au regard du nombre d’incidents impliquant des membres du personnel pénitentiaire et le besoin impérieux de le protéger, l’utilisation des « bodycams » était justifiée. Le directeur de l’OCD répondait ensuite à des questions pratiques relatives au fait que le PPDT serait informé du traitement des données récoltées, que les détenus seraient informés lorsque les caméras seraient utilisées, que les enregistrements seraient transférés sur des serveurs sécurisés, que la durée de conservation serait celle prévue à l’art. 8 al. 2 LOPP et que les enregistrements ne pourraient être transmis qu’aux autorités visées à l’art. 23 al. 4 ROPP. Les directives allaient être adaptées aux nécessités du terrain, de sorte qu’il proposait de faire un bilan au terme d’une période d’essai de six mois. Les commentaires des utilisateurs seraient alors les bienvenus. Ce courrier constitue ainsi une mise en lumière des motifs ayant conduit à l’introduction des caméras litigieuses et des avantages escomptés de leur utilisation et non une réponse quant à la légalité de la pratique adoptée. Il ne peut ainsi être reproché au recourant de ne pas avoir interprété ce courrier comme une décision, qui ferait suite à la demande d’ouverture d’une procédure au sens de l’art. 4A LPA.

Dans un courrier circonstancié du 13 juin 2022, le conseil du recourant a examiné en détail un grand nombre d’aspects relatifs à l’utilisation des « bodycams » et les contours dessinés par la LOPP, le ROPP et la directive, pointant les situations qui n’apparaissaient pas suffisamment réglées ou ne pas reposer sur une base légale suffisante, réitérant la demande d’ouverture d’une procédure au sens de l’art. 4A LPA. Il a, le lendemain, répété cette demande visant à constater l’illicéité de l’utilisation des « bodycams », telle que pratiquée dans deux établissements pénitentiaires du canton, et à demander la cessation de cette pratique.

Dans leur analyse du 10 octobre 2022, le PPDT et son adjointe ont retenu que si le principe de l’utilisation de la vidéosurveillance de manière générale reposait sur une base légale suffisante, aucune disposition relative aux « bodycams » de rang légal ou réglementaire n’existait. Vu les problématiques propres à l’utilisation de ce type de caméras, ils concluaient à une densité normative insuffisante. Une base légale spécifique devait être créée, la consultation dans ce cadre de toutes les parties concernées étant recommandée.

Se référant à cette analyse constatant l’absence de base légale idoine, le conseil du recourant a réitéré les 12 et 18 octobre 2022 la demande d’ouverture d’une procédure au sens de l’art. 4A LPA et la cessation immédiate de l’utilisation des « bodycams ».

Dès lors que ces courriers n’ont pas reçu de réponse, qu’en particulier l’autorité intimée n’a pas ouvert de procédure au sens de l’art. 4A LPA ni ne s’est positionnée quant à la légalité de la pratique de l’utilisation des « bodycams », le recours pour déni de justice doit être admis.

Dans son courrier du 17 novembre 2022 au conseil des recourants, le conseiller d’État a exposé que le PPDT n’établissait dans son avis ni la légalité ni l’illégalité de l’usage des « bodycams ». Celui-ci avait conseillé l’introduction d’une base légale spécifique, mais pas remis en cause le principe de l’utilisation de ces caméras. Il n’était donc pas mis un terme à leur utilisation et les données ainsi recueillies ne seraient pas supprimées. Les démarches en vue de l’introduction d’une base légale avaient déjà été initiées et l’OCD allait prendre connaissance avec intérêt des observations des recourants au sujet des modalités d’emploi des caméras. Ce courrier – postérieur à l’introduction du recours et dont l’autorité intimée ne s’est au demeurant pas prévalue –, ne se positionne pas sur la question soulevée par les intéressés, à savoir le constat de la légalité ou de l’absence de légalité de l’utilisation des « bodycams ». Il oppose, certes, un refus de cesser l’emploi de celles-ci. Ce point n’est cependant pas visé par les conclusions du recours.

Le fait que postérieurement au dépôt du présent recours, les intéressés aient saisi le département d’une procédure en constatation de la violation des droits des fonctionnaires concernés protégés par la LIPAD et requis, par le biais de la procédure prévue à l’art. 49 LIPAD, la cessation de l’utilisation des caméras litigieuses, ne permet pas de considérer que la présente procédure a perdu son objet. En effet, quand bien même elles tendent in casu vers le même objectif, à savoir faire constater l’illicéité de la pratique actuelle d’utilisation des « bodycams » et obtenir la cessation de cette pratique, il s’agit de deux procédures distinctes, la procédure LIPAD visant plus spécifiquement la protection des données personnelles de la personne recourant à cette procédure, alors que l’ouverture d’une procédure au sens de l’art. 4A LPA ne vise pas la protection des données d’une personne en particulier.

Enfin, le recourant ne peut se voir reprocher un comportement contradictoire, comme le laisse entendre l’autorité intimée. En effet, le fait de ne pas être opposé à l’utilisation dans les établissements pénitentiaires genevois de « bodycams », mais de se soucier que cette utilisation repose sur une base légale suffisante réglant l’ensemble des aspects le nécessitant ne relève pas d’une attitude contradictoire.

Les conclusions prises dans l’acte de recours – seules déterminantes pour délimiter l’objet du litige – tendaient au constat du déni de justice. Ce constat sera donc prononcé. Les conclusions visaient également le renvoi de la cause à l’autorité intimée afin qu’elle rende dans les dix jours une décision constatant l’illicéité de l’emploi des « bodycams ». Il sera également fait droit à ce chef de conclusions, le délai imparti à l’autorité intimée étant toutefois fixé à trente jours, afin de laisser à celle-ci le temps de motiver la décision à venir.

Il n’y a pas lieu de menacer l’autorité intimée de la peine prévue à l’art. 292 CP, dont il est douteux qu’il puisse s’appliquer aux autorités, étant de surcroît relevé qu’aucun motif ne permet de retenir que l’autorité ne se conformera pas au présent arrêt.

5.             Vu l’irrecevabilité du recours de l’association, un émolument de CHF 300.- sera mis à sa charge et aucune d’indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA). Le recourant obtenant gain de cause, aucun émolument ne sera mis à sa charge et une indemnité de procédure de CHF 1'500.- lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare irrecevable le recours interjeté le 14 novembre 2022 par l’Union du personnel du corps de police de Genève pour déni de justice à l’encontre du conseiller d’État en charge du département de la sécurité, de la population et de la santé ;

déclare recevable le recours interjeté le 14 novembre 2022 par Monsieur A______ pour déni de justice à l’encontre du conseiller d’État en charge du département de la sécurité, de la population et de la santé ;

au fond :

admet partiellement le recours formé par Monsieur A______ ;

renvoie la cause au conseiller d’État en charge du département de la sécurité, de la population et de la santé en l’enjoignant de rendre une décision relative à la légalité de l’utilisation des « bodycams » dans les établissements pénitentiaires genevois dans un délai de trente jours dès l’entrée en force du présent arrêt ;

met un émolument de CHF 300.- à la charge de l’Union du personnel du corps de police de Genève ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat des recourants, ainsi qu'au conseiller d'État en charge du département de la sécurité, de la population et de la santé.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :