Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2993/2022

ATA/94/2023 du 31.01.2023 ( FPUBL )

Descripteurs : CONDITION DE RECEVABILITÉ;INTÉRÊT ACTUEL;ACCÈS À UN TRIBUNAL;LÉGALITÉ;INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL);RÉVOCATION DISCIPLINAIRE
Normes : LPA.60.al1.letb; Cst.29a; Cst.5.al1; LIPH.43.al1; LPAC.16; LPAC.30; LPAC.31
Résumé : Arrêt sur partie sur la recevabilité du recours d'un fonctionnaire révoqué avec effet immédiat ayant retrouvé un travail un mois après le prononcé de la sanction disciplinaire. Examen de la qualité pour recourir. Le recourant conclut au paiement d'une indemnité correspondant à 24 mois de son dernier traitement brut (conclusion en réintégration retirée). Examen des art. 30 et 31 LPAC. Droits de l'intéressé atteints (atteinte réputationnelle et droit au traitement). Le recourant conserve, à tout le moins, un intérêt à obtenir le rétroactif de salaire entre le moment où les rapports de travail ont pris fin et celui où il a commencé une nouvelle activité. Le refus du recourant de réintégrer son poste en raison d’un nouvel emploi ne supprime pas son intérêt actuel juridique ou pratique au traitement de son recours. Qualité pour recourir admise et recours recevable.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2993/2022-FPUBL ATA/94/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt sur partie du 31 janvier 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______ recourant
représenté par Me Renato Cajas, avocat

contre

ÉTABLISSEMENTS PUBLICS POUR L'INTÉGRATION (EPI) intimés
représentés par Me Lorella Bertani, avocate

 



EN FAIT

A. a. Monsieur A______ a été engagé le 28 février 2019 par les Établissements publics pour l'intégration (ci-après : EPI), en qualité de B______ à 100 % à compter du 1er avril 2019.

b. Selon son cahier des charges, il lui appartenait notamment d’« assurer la protection de la personne en situation de handicap en lui apprenant à se protéger ».

c. Par avenant du 15 mars 2019, les EPI ont confirmé la prise en charge de la formation de C______ sur une durée de trois ans.

d. Il a été nommé fonctionnaire le 1er avril 2021.

B. a. Le 17 février 2022, à 9h30, Madame D______, collaboratrice en emploi adapté, a été reçue en entretien par Messieurs E______, chef de service de restauration, et F______, chef de secteur de restauration.

Selon le rapport interne rédigé le 18 février 2022 par M. E______, Mme D______ s’était plainte de ce que les échanges avec M. A______ étaient devenus plus souvent d’ordre privé que professionnel. Un vendredi, en fin de service, la conversation avait même débordé sur le sexe. Cette situation l’avait perturbée le week-end suivant, si bien qu’elle s’était excusée auprès de M. A______ le lundi suivant. M. A______ lui avait alors répondu avoir « aimé » cette conversation et avait continué à la questionner sur ses habitudes sexuelles. Elle se sentait sous son emprise. Un jour, ils s’étaient retrouvés seuls dans une salle. M. A______ lui avait alors demandé de se baisser devant lui, ce qu’elle avait refusé de faire et avait engendré de sa part un propos comme « Tu vois, tu n’es pas si soumise que ça ». Il avait ensuite fait tomber un stylo et lui avait demandé de le ramasser, ce qu’elle avait fait. Il lui avait alors dit que si elle ne l’avait pas ramassé, il aurait remis en cause ses horaires de travail. Suite à cet épisode, les choses n’avaient fait qu’empirer. Dès qu’il avait quelque chose à faire, il lui demandait de l’accompagner. Lorsqu’ils étaient seuls, il l’enlaçait, comme pouvait le faire un petit ami. Il lui avait demandé de lui faire des bisous sur la joue. Il lui avait également demandé de lui montrer comment elle était soumise et de s’allonger sur une table. Il lui avait alors touché les fesses. Elle lui avait demandé d’arrêter et de cesser de l’importuner. Il l’avait par la suite dénigrée, ignorée et dévalorisée. Elle reconnaissait qu’elle avait été naïve, pensant régler la situation seule. Selon elle, à part son petit ami et Mme G______, personne n’était au courant de la situation.

b. Faisant suite à cet entretien, MM. E______ et F______ ont convoqué, séparément, M. A______, Madame H______, restauratrice, et Mme I______, collaboratrice en emploi adapté.

Selon le rapport interne rédigé le 18 février 2022 par M. E______, M. A______ a déclaré n’avoir jamais eu le comportement décrit par Mme D______ et a contesté l’ensemble des accusations portées à son encontre.

Mme H______ a expliqué ne pas comprendre pourquoi, avec les relations qu’elle entretenait avec Mme D______, elle ne lui avait jamais dit quoi que ce soit à ce sujet. Pour elle, celle-ci avait cherché à rendre jaloux son petit ami. Elle pensait que Mme D______ avait un « faible » pour M. A______.

Mme I______ a indiqué n’avoir jamais constaté un quelconque débordement auprès de Mme D______ de la part de M. A______ ou toute autre personne. Il était très professionnel et n’avait jamais eu un comportement déplacé. Elle était étonnée des propos rapportés par Mme D______. Celle-ci laissait volontiers entendre qu’elle avait des difficultés dans son couple.

c. Par courrier du 23 février 2022, Monsieur J______, directeur des services socioprofessionnels des EPI, et Madame K______, directrice des ressources humaines, ont informé M. A______ que les éléments qui lui étaient reprochés, s’ils devaient être avérés, seraient constitutifs de très graves manquements à ses obligations professionnelles et pourraient aboutir à une révocation. Ils étaient en conséquence dans l’obligation d’en informer le conseil d’administration des EPI (ci-après : le CA), instance compétente pour ouvrir une enquête administrative dans ce type de situation. Dans l’attente de sa décision, il était dispensé de son obligation de travailler. Il avait, de plus, l’interdiction formelle d’entrer en contact avec Mme D______ et d’évoquer cette situation lors d’éventuels contacts avec des collaborateurs des EPI.

C. a. Par décision du 1er mars 2022, le CA a ouvert une enquête administrative à l’encontre de M. A______, qu’il a confiée à Madame L______.

Compte tenu des éléments qui lui avaient été rapportés et sous réserve d’autres faits qui pourraient apparaître en cours d’enquête, le CA considérait que ces derniers n’étaient pas de nature à compromettre la confiance qu’impliquait la poursuite de l’activité qu’il effectuait. Il était partant autorisé à poursuivre son travail de maître socioprofessionnel au secteur restauration.

b. L’enquêtrice a rendu son rapport le 31 mai 2022, après avoir entendu Madame M______, maîtresse de réadaptation, Madame G______, collaboratrice en emploi adapté, Mme I______, M. E______, M. F______, Monsieur N______, chef de secteur formation intégration en restauration, Monsieur O______, cuisinier, Mme H______, Madame P______, assistante socioprofessionnelle, Monsieur Q______, cuisinier, et Mme D______.

Mme D______ était crédible dans la dénonciation des attitudes et actes à caractère sexuel qu’elle disait avoir subis de la part de M. A______, sans qu’il soit possible de déterminer avec précision leur nombre, la période de leur commission s’étendant du début de l’été 2021 au 14 février 2022. Il ne faisait aucun doute qu’il était parfaitement évident pour M. A______ que son comportement était contraire aux directives internes des EPI. Compte tenu de l’ensemble de ses formations et des devoirs liés à sa fonction et de la figure d’autorité qu’il représentait, il devait assumer complètement les conséquences de ses actes. Il avait indiscutablement l’intelligence et la maturité à cet effet.

c. Faisant usage de son droit d’être entendu, M. A______ a contesté la valeur du rapport d’enquête. L’absence totale d’objectivité dans sa synthèse et le parti pris de l’enquêtrice dès le début de la procédure lui enlevaient toute crédibilité. Aucun des faits allégués par la dénonciatrice n’avait été établi.

d. Par décision du 14 juillet 2022, se fondant sur le rapport d’enquête, les EPI ont constaté que les faits reprochés constituaient des actes qui devaient être qualifiés de très graves dans le contexte décrit. La mission des EPI consistait, notamment, à offrir aux personnes en situation de handicap un environnement propice au développement de leur autonomie et à l’amélioration de leurs conditions de vie. En raison de sa fonction, il encadrait des personnes en difficulté, fragilisées et très vulnérables. Le lien de confiance était rompu, ce qui rendait impossible la poursuite des relations de travail. Sa révocation était dès lors prononcée, avec effet immédiat.

D. a. Par acte du 14 septembre 2022, M. A______ a interjeté recours par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation (ch. 3), à sa réintégration (ch. 4) et à ce que les EPI soient condamnés au paiement rétroactif de ses traitements depuis le 18 juillet 2022 (ch. 5) ainsi que d’une indemnité équivalente à 24 traitements bruts (ch. 7).

La décision de révocation reposait exclusivement sur le rapport du 31 mai 2022, lequel était dénué de toute valeur probante. Au vu des déclarations des témoins, et des pièces au dossier, il convenait de tenir pour établi qu’il n’avait pas eu le moindre comportement déplacé à l’encontre de la dénonciatrice. La reprise de son activité usuelle depuis plusieurs semaines, à la satisfaction de tous, était également un indice de sa conduite irréprochable au sein des EPI.

b. Par réponse du 16 novembre 2022, les EPI ont conclu à ce le recourant soit invité à indiquer s’il avait trouvé un emploi. Si tel était le cas, le recours était irrecevable. La conclusion visant à l’obtention d’une indemnité équivalant à 24 mois de traitement était également irrecevable. Subsidiairement, les EPI ont conclu au rejet du recours.

Le but du recours était de faire annuler la décision de révocation et de réintégrer le recourant dans sa fonction. Or, si la décision de révocation devait être annulée par la chambre de céans, cela impliquerait automatiquement la réintégration de l’intéressé dans son poste au sein des EPI. Partant, si le recourant avait trouvé un nouvel emploi, son recours serait irrecevable.

c. Le 13 janvier 2023, la chambre de céans a ordonné une audience de comparution personnelle, lors de laquelle M. A______ a indiqué avoir commencé un nouvel emploi dans le domaine de la réinsertion professionnelle le 15 août 2022. Il retirait donc les conclusions nos 4 et 5 de son recours. Il maintenait toutefois sa conclusion n° 7.

La représentante des EPI a persisté à contester l’absence d’intérêt actuel à agir de M. A______. Conformément à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), il ne pouvait pas solliciter d’indemnité. Seule une réintégration dans son ancien emploi aurait pu être possible en cas de révocation injustifiée. Cette question devait être résolue avant une éventuelle ouverture d’enquêtes. Il pouvait éventuellement solliciter une indemnité pour tort moral, mais une telle conclusion ne relevait pas de la compétence de la chambre administrative.

Questionné par la chambre de céans sur l’opportunité d’examiner préalablement ce point, M. A______ a accepté qu’il soit traité avant l’ouverture des enquêtes.

d. Sur quoi, la chambre de céans a réservé la suite de la procédure.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ;
art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Les juridictions administratives peuvent rendre des jugements sur partie, ce qui leur permet d'examiner prioritairement des questions préalables telles que leur compétence. La chambre de céans rend régulièrement de tels arrêts (ATA/653/2022 du 23 juin 2022 ;ATA/66/2020 du 21 janvier 2020 ; ATA/912/2019 du 21 mai 2019 ; ATA/2/2018 du 5 janvier 2018).

Le présent arrêt a uniquement pour but d’examiner si le recourant a qualité pour recourir.

3.             3.1. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; ATA/1272/2017 du 12 septembre 2017 consid. 2b).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1) ; si l'intérêt s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4).

3.2 Selon l’art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire. La Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l'accès au juge dans des cas exceptionnels. Cette norme constitutionnelle étend donc le contrôle judiciaire en principe à toutes les contestations juridiques. Il s'agit en particulier de contestations portant sur les droits et les obligations de personnes (physiques ou morales). La garantie ne s'oppose cependant pas aux conditions de recevabilité habituelles du recours ou de l'action (ATF 141 I 172 consid. 4.4 ;
137 II 409 consid. 4. ; 136 I 323 consid. 4.3).

3.3 Le principe de la légalité, consacré à l'art. 5 al. 1 Cst., exige que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi.

La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4).

L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une lacune. Une lacune authentique (ou proprement dite) suppose que le législateur s'est abstenu de régler un point alors qu'il aurait dû le faire et qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi. En revanche, si le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui n'appelait pas nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante ou objectivement insoutenable (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 440). D'après la jurisprudence, seule l'existence d'une lacune proprement dite appelle l'intervention du juge, tandis qu'il lui est en principe interdit, selon la conception traditionnelle qui découle notamment du principe de la séparation des pouvoirs, de corriger les silences qualifiés et les lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens réputé déterminant de la norme ne soit constitutif d'un abus de droit, voire d'une violation de la Constitution (ATF 139 I 57 consid. 5.2 ; 138 II 1 consid. 4.2). Lorsqu'il apparaît que c'est à dessein que la loi ne réglemente pas une situation donnée, ce silence qualifié doit en principe être respecté. Il n'y a alors pas de place pour un quelconque comblement de lacune (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 441).

3.4. 3.4.1. Les relations entre les EPI et son personnel sont régies par la LPAC et l’art. 43 al. 1 de la loi sur l’intégration des personnes handicapées du 16 mai 2003 (LIPH - K 1 36).

Les sanctions disciplinaires sont traitées à l’art. 16 LPAC. Selon cette disposition, les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l'objet, selon la gravité de la violation, des sanctions suivantes :

a)      prononcé par le supérieur hiérarchique, en accord avec sa hiérarchie :

1° le blâme ;

b)      prononcées, au sein de l'administration cantonale, par le chef du département ou le chancelier d'État, d'entente avec l'office du personnel de l'État ; au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire, par le secrétaire général du pouvoir judiciaire ; au sein de l'établissement, par le directeur général :

2° la suspension d'augmentation du traitement pendant une durée déterminée,

3° la réduction de traitement à l'intérieur de la classe ;

c)      prononcées, à l'encontre d'un fonctionnaire, au sein de l'administration cantonale, par le Conseil d'État ; au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire, par la commission de gestion du pouvoir judiciaire ; au sein de l'établissement par le conseil d'administration :

4° le retour au statut d'employé en période probatoire pour une durée maximale de trois ans,

5° la révocation.

Dans le domaine des mesures disciplinaires, la révocation est la sanction la plus lourde. Elle est l'ultima ratio. Elle implique une violation grave ou continue des devoirs de service. Il peut s'agir d'une violation unique spécialement grave, soit d'un ensemble de transgressions dont la gravité résulte de leur répétition. L'importance du manquement doit être appréciée à la lumière des exigences particulières qui sont liées à la fonction occupée. La révocation revêt l'aspect d'une peine et présente un caractère plus ou moins infamant. Elle s'impose surtout dans les cas où le comportement de l'agent démontre qu'il n'est plus digne de rester en fonction (arrêts du Tribunal fédéral 8C_47/2013 du 28 octobre 2013 consid. 5.4 ; 8C_203/2010 du 1 er mars 2011 consid. 3.5).  

3.4.2. S’agissant de la fin des rapports de service d'un membre du personnel, il faut distinguer : la résiliation pour des motifs objectifs liés au bon fonctionnement de l'administration, ou licenciement pour motif fondé (art. 22 LPAC), qui est une mesure administrative ; et le licenciement pour violation des devoirs de service ou révocation, lequel est une sanction disciplinaire (art. 16 al. 1 let. c ch. 5 LPAC).

Le recours contre une sanction disciplinaire est traité à l'art. 30 LPAC, tandis que celui contre une décision de résiliation des rapports de service l'est à l'art. 31 LPAC. Selon cette dernière disposition, peut recourir à la chambre administrative pour violation de la loi tout membre du personnel dont les rapports de service ont été résiliés (al. 1). Si la chambre administrative retient que la résiliation des rapports de service ne repose pas sur un motif fondé, elle ordonne à l’autorité compétente la réintégration (al. 2). Si la chambre administrative retient que la résiliation des rapports de service est contraire au droit, elle peut proposer à l’autorité compétente la réintégration (al. 3). En cas de décision négative de l’autorité compétente ou en cas de refus du recourant, la chambre administrative fixe une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à un mois et supérieur à vingt-quatre mois du dernier traitement brut à l’exclusion de tout autre élément de rémunération ; concernant un employé, l’indemnité ne peut être supérieure à six mois (al. 4).

Selon le rapport de la Commission ad hoc sur le personnel de l'État chargée d'étudier le projet de loi modifiant la LPAC, les art. 30 et 31 LPAC « opèrent une distinction entre trois situations : le licenciement prononcé en l'absence de motif fondé ; le licenciement prononcé en violation des règles de procédure ; la révocation disproportionnée. Les conséquences attachées à chacun de ces manquements varient. Seuls le licenciement infondé et la révocation disproportionnée donneraient lieu à une réintégration obligatoire. Le licenciement fondé mais décidé en violation de règles de forme ne pourrait entraîner qu'une proposition de réintégration avec le versement d'une indemnité en cas de refus de l'employeur. (...) Concernant la révocation disproportionnée, il convient de préciser qu'il s'agit d'une décision infamante s'il en est. Une telle sanction ne peut être prise qu'après examen par un enquêteur. Ainsi, si l'administration, nonobstant le rapport d'enquête, décide de révoquer un fonctionnaire qui ne le mérite pas, elle devra supporter seule les conséquences de son erreur. Le fonctionnaire injustement traité devra voir la révocation annulée et être réintégré » (Rapport de la commission, PL 7526-F,
p. 20-21).  

3.4.3. Dans un arrêt 8C_203/2020 du 25 août 2020, le Tribunal fédéral a retenu qu’il n’apparaissait nullement insoutenable de considérer que l’annulation de la révocation d’un fonctionnaire au motif qu’une telle sanction était disproportionnée entraînait ex lege sa réintégration. En l’absence de disposition spéciale telle que l’art. 31 al. 2 LPAC, qui s’applique à la résiliation des rapports de service pour motif fondé, lorsque le licenciement est fondé mais a été décidé en violation des règles de forme, la chambre administrative peut annuler la décision de révocation, conformément à l’art. 69 al. 3 LPA, qui s’applique par renvoi de l’art. 32 al. 7 LPAC. Or l’annulation de la décision de révocation implique que cette décision ne déploie plus d’effets, de sorte que le fonctionnaire concerné reste membre de l’administration cantonale (consid. 3.3.3).

3.5. En l’occurrence, par décision du 14 juillet 2022, les intimés ont révoqué le recourant avec effet immédiat. Un mois après, soit le 15 août 2022, l’intéressé a retrouvé un nouvel emploi. Le 14 septembre 2022, il a recouru contre la décision de révocation, réclamant sa réintégration ainsi que le paiement d’une indemnité équivalente à 24 traitements bruts. Entendu en audience devant la chambre de céans, le recourant a confirmé avoir retrouvé un nouvel emploi et a retiré sa conclusion en réintégration. Il a toutefois maintenu sa conclusion visant à l’octroi d’une indemnité. La question se pose de savoir si, compte tenu de ces éléments, il peut se voir reconnaître la qualité pour recourir au sens de l'art. 60 al. 1 let. b LPA.

Les intimés le contestent. Se fondant sur l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_203/2020, ils font valoir que l’annulation de la révocation d’un fonctionnaire au motif qu’une telle sanction serait disproportionnée entraîne ex lege sa réintégration. Or, dans la mesure où le recourant avait retrouvé un emploi et renonçait à sa réintégration dans son ancien poste, son intérêt actuel au recours faisait défaut. Dans un tel cas de figure en effet, la LPAC ne prévoit pas la possibilité de solliciter une indemnité, en lieu et place de la réintégration.

Ce point de vue ne saurait être suivi. Certes, l’art. 31 al. 4 LPAC, qui prévoit la possibilité pour la chambre de céans de fixer une indemnité, traite des recours contre une décision de résiliation des rapports de service et n’a pas d’équivalent s’agissant des recours contre une sanction disciplinaire. Le législateur a en particulier abrogé, avec effet au 19 décembre 2015, l’ancien art. 30 al. 3 aLPAC, lequel prévoyait qu’en cas de révocation, l’art. 31 LPAC s’appliquait, sauf si la chambre administrative constatait l’absence de violation des devoirs de service. Or,
l’art. 31 al. 3 aLPAC, qui comme dans le présent cas traitait des recours contre une décision de résiliation des rapports de service, prévoyait qu’en cas de décision négative de l’autorité compétente, la chambre administrative fixait une indemnité dont le montant ne pouvait être inférieur à un mois et supérieur à 24 mois du dernier traitement brut. Ainsi, sous l’ancien droit, même en cas de révocation, il existait la possibilité pour la chambre de céans de fixer une indemnité si l’autorité compétente s’opposait à la réintégration du fonctionnaire. En droit actuel, cette possibilité n’existe a priori plus, puisque le renvoi, en cas de révocation, à l’art. 31 LPAC a été supprimé. Ainsi, à rigueur de texte, la révocation disproportionnée donnerait lieu à une réintégration obligatoire, sans possibilité de solliciter, en lieu et place de la réintégration, le versement d’une indemnité. Sur ce point, interprétant les art. 30 et 31 LPAC – nouvelles teneurs –, le Tribunal fédéral a confirmé qu’il n’était pas insoutenable de considérer que l’annulation de la révocation d’un fonctionnaire au motif qu’une telle sanction était disproportionnée entrainait ex lege la réintégration de l’intéressé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_203/2020 précité).

Il résulte toutefois des travaux législatifs préparatoires ayant conduit à l’adoption des nouveaux art. 30 et 31 LPAC que la réintégration obligatoire en cas de révocation injustifiée a été voulue par le législateur pour protéger les agents publics contre l’arbitraire de l’employeur. Il ressort en effet du projet de loi que « si l’administration, nonobstant le rapport d’enquête, décide de révoquer un fonctionnaire qui ne le mérite pas, elle devra supporter seule les conséquences de son erreur. Le fonctionnaire injustement traité devra voir la révocation annulée et être réintégré » (Rapport de la commission, PL 7526-F, p. 20-21).

Or, supprimer l’accès à la justice en cas de nouvelle activité prise à la suite d’une décision de révocation ne permettrait pas d’atteindre ce but. C’est le lieu de préciser que, sous l’ancien droit, la chambre administrative avait, dans un premier temps, posé pour principe que les conclusions en paiement d’une indemnité étaient prises en considération uniquement si la réintégration pouvait encore intervenir. Ainsi, si un fonctionnaire avait retrouvé un emploi à la suite d’une révocation, il ne pouvait plus solliciter le paiement d’une indemnité, faute d’intérêt actuel, au motif que sa réintégration n’était plus possible au moment du jugement (ATA/530/2012 du 21 août 2012). Par la suite, la chambre administrative a modifié cette jurisprudence, en ce sens que lorsqu’il s’était écoulé un certain temps entre la fin des rapports de service résiliés de manière contraire au droit et l’entrée en fonction dans un nouvel emploi de la personne concernée, les conclusions de cette dernière étaient jugées recevables pour ce laps de temps. Des indemnités, au sens de l’art. 31 aLPAC avait été allouées à raison d’un montant équivalent au dernier traitement brut, prorata temporis (ATA/525/2011 du 30 août 2011 ; ATA/335/2012 du 5 juin 2012 ; ATA/336/2012 du 5 juin 2012).

Examinant ce changement de jurisprudence, le Tribunal fédéral a retenu que le droit à l’indemnité prévu à l’art. 31 LPAC était inspiré avant tout par le souci d’éviter que l’employeur étatique ne respecte pas ses obligations légales et que la personne licenciée renonce à rechercher activement un emploi, même moins bien rémunéré, pour ne pas risquer de perdre son droit à l’indemnité. En outre, tout licenciement injustifié était susceptible de causer un préjudice à l’intéressé. L’indemnité apparaissait dès lors comme la contrepartie de l’absence d’un droit à la réintégration et du refus de l’employeur public de réintégrer le fonctionnaire. Si celui-ci retrouvait un emploi, c’était un élément qui pouvait être pris en considération dans la fixation du montant de l’indemnité, en plus des autres circonstances, comme la durée des rapports de service, la gravité des manquements, l’âge, etc. (arrêt du Tribunal fédéral 8C_436/2014 du 16 juillet 2015 consid. 9.2).

Ainsi, tenant compte de la volonté du législateur de protéger les agents publics contre l’arbitraire des employeurs publics et du souci d’éviter que le fonctionnaire renonce à rechercher activement un emploi, il convient d’interpréter les art. 30 et 31 LPAC en ce sens que la chambre de céans est habilitée à fixer une indemnité au lieu de prononcer une réintégration lorsque le fonctionnaire révoqué a retrouvé un nouvel emploi. La décision prise par le CA affecte en effet la situation juridique de l’intéressé en tant que titulaire de droits et d’obligations. Outre l’atteinte à la réputation professionnelle qu’entraîne une décision de révocation, « infamante s’il en est » selon les travaux préparatoires, la décision de révocation a pour effet de supprimer, avec effet immédiat, le droit au traitement de l’intéressé. Ce dernier conserve ainsi, à tout le moins, un intérêt à obtenir le rétroactif de salaire entre le moment où les rapports de travail ont pris fin et celui où il a commencé une nouvelle activité.

Admettre le contraire reviendrait à subordonner le droit du fonctionnaire de contester sa révocation à la condition qu’il renonce à accepter un nouvel emploi. S’il ne le fait pas, l’intéressé n’aurait ainsi pas la possibilité de soumettre au juge le bien-fondé des griefs formulés à son endroit par son employeur pour justifier sa révocation, malgré les lourdes conséquences que cette décision entraîne pour lui. Une telle solution se révèlerait incompatible avec la garantie constitutionnelle d'accès au juge prévue par l'art. 29a Cst.

Ainsi, contrairement à l’avis des intimés, le refus du recourant de réintégrer son poste en raison d’un nouvel emploi ne supprime pas son intérêt actuel juridique ou pratique au traitement de son recours. Il convient dès lors de lui reconnaître la qualité pour recourir au sens de l’art. 60 al. 1 let. b LPA et d’entrer en matière sur le recours.

4.             Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

 

******

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

statuant sur partie :

 

déclare recevable le recours formé par Monsieur A______ contre la décision des Établissements publics pour l’intégration du 14 juillet 2022 ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Renato Cajas, avocat du recourant, ainsi qu'à Me Lorella Bertani, avocate des Établissements publics pour l'intégration.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Balzli

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :