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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3344/2021

ATA/64/2023 du 24.01.2023 sur JTAPI/412/2022 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3344/2021-PE ATA/64/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 janvier 2023

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Enis Daci, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ

_________


 

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 avril 2022 (JTAPI/412/2022)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1987, est ressortissant du Kosovo. En 2010, il est arrivé dans le canton de Genève une première fois, puis il a annoncé une nouvelle entrée en 2012, enfin le 10 septembre 2013.

À cette dernière date, il a épousé Madame B______, ressortissante suisse née le ______ 1980.

2) À la suite de ce mariage, M. A______ a obtenu une autorisation de séjour pour regroupement familial, puis une autorisation d’établissement le 9 septembre 2018, après cinq ans de mariage.

3) Dans le cadre de l’enquête menée par l’OCPM à cette époque, l’enquêteur s’est présenté au domicile conjugal les 6 et 7 mars 2014 et n’y a trouvé que la sœur de Mme B______, qui a indiqué vivre avec eux. Jointe par téléphone, Mme B______ a expliqué faire ménage commun avec son mari, lequel allait toutefois dormir dans un logement que son employeur lui mettait à disposition, lorsqu’il devait se lever tôt, pour éviter de la déranger. Le nom sur la boite aux lettres et la porte palière correspondant au logement était « B______-C______ ».

4) Par courrier du 31 juillet 2019, Mme B______ a informé l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) que le couple s’était séparé en 2017. Son nouveau compagnon vivant chez elle depuis deux ans déjà, elle demandait que son dossier soit examiné en tant que demande de concubinage qualifié en attendant que son divorce soit prononcé.

5) Par lettre non datée, M. A______ a confirmé ne plus faire ménage commun avec Mme B______ depuis le 23 mai 2017, date de la demande de divorce à l’amiable. Il avait conservé la même adresse pour des raisons administratives.

6) Par jugement du 6 novembre 2019, le Tribunal de première instance a, sur requête commune, prononcé le divorce de Mme B______ et M. A______.

7) Par courriers des 11 décembre 2020 et 16 février 2021, l’OCPM a invité Mme B______ à lui fournir des renseignements et documents notamment sur la date à laquelle elle s’était séparée de M. A______, la durée de leur union conjugale et si elle s’était rendue au Kosovo avec ce dernier durant son mariage.

8) Sur demande de renseignements et de justificatifs de la part de l’OCPM, M. A______ a répondu, par courriel du 11 mars 2021, qu’il s’était séparé de Mme B______ en septembre 2019 et avait quitté le domicile conjugal en octobre 2019.

9) Par courrier A+ du 16 mars 2021, l’OCPM a informé M. A______ de son intention de proposer au département de la sécurité de l’emploi et de la santé (DSES) la révocation de son autorisation d’établissement.

Au moment de l’obtention de son permis d’établissement, soit le 15 octobre 2018, M. A______ avait délibérément caché le fait qu’il était déjà séparé de son épouse, laquelle avait déclaré être déjà en couple et faire ménage commun avec son nouvel ami depuis 2017. De plus, M. A______ avait déclaré par écrit en 2019 avoir quitté le domicile conjugal le 23 mai 2017.

Néanmoins, afin d’examiner s’il pouvait être mis au bénéfice d’une autorisation de séjour, à la suite de la dissolution de l’union conjugale, l’intéressé était prié de fournir divers renseignements et documents justificatifs.

La demande d’autorisation d’entrée et de séjour concernant sa nouvelle fiancée, Madame D______, était mise en suspens jusqu’à droit connu sur ses propres conditions de séjour.

10) M. A______ a déclaré, le 4 juin 2021, que le couple avait connu une situation compliquée en 2017, qui par la suite avait été rétablie « moyennant une relation de couple conjugale différente jusqu’au moment [du] divorce ». Estimant n’avoir rien caché à l’OCPM, il s’est opposé à la révocation de son permis d’établissement. Parmi les diverses pièces justificatives remises en annexe, figurait une lettre, non datée, signée par Mme B______, expliquant que, « suite au refus du tribunal de rentrer en matière suite à un problème de papier en 2017, nous avons décidé de rester mariés et d’être un couple libre cela ne regarde que notre sphère privée de fréquenter qui l’on veut. Je confirme que mon ex-mari a entretenu le ménage (loyer, électricité ) jusqu’au jour de notre divorce en 2019 ce qui a clôturé notre mariage ».

11) Par décision du 30 août 2021, le DSES, devenu le 30 avril 2021 le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS ou le département) a révoqué l’autorisation d’établissement de M. A______ avec effet rétroactif au 9 septembre 2018 (date de sa délivrance). Il a toutefois indiqué que, par l’entremise de l’OCPM, il soumettrait le dossier au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) avec un préavis positif aux fins de l’octroi d’une autorisation de séjour sous l’angle de l’art. 50 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr).

En taisant sciemment que l’union conjugale avec Mme B______ avait pris fin en mai 2017 déjà, M. A______ avait dissimulé un fait essentiel à l’OCPM, puisque celui-ci n’aurait jamais délivré une autorisation d’établissement s’il avait eu connaissance de la séparation. Dès lors, le motif de révocation prévu aux art. 63 al. 1 LEI cum 62 al. 1 let. a LEI, couplés à l’art. 51 al. 1 let. b LEI était réalisé. À titre superfétatoire, ce comportement était constitutif d’un abus au sens de l’art. 51 al. 1 let. a LEI, la manœuvre de l’intéressé, consistant à bénéficier de l’art. 42 al. 3 LEI en cachant à l’autorité la fin de son union conjugale, revêtant un caractère abusif.

Toutefois, compte tenu de la durée de son mariage de trois ans et huit mois, de son salaire mensuel de peintre en bâtiment d’environ CHF 5'200.-, de son niveau de français A2, du fait qu’il ne figurait pas au casier judiciaire et qu’il n’avait pas recours à l’aide sociale, M. A______ remplissait les conditions d’intégration de l’art. 50 al. 1 let. a LEI justifiant l’octroi d’une autorisation de séjour.

12) Par acte du 30 septembre 2021, M. A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant principalement, sous suite de frais et de dépens, à son annulation et à ce qu’il soit dit que les motifs de révocation de son permis d’établissement n’étaient pas réalisés. Il a conclu préalablement à son audition et à celle de Mme B______.

Dans le courant de l’année 2017, le couple avait connu une « période compliquée » et « afin de rétablir la situation et après mûre réflexion », les époux avaient opté pour une relation de couple « différente », à savoir maintenir une union conjugale tout en gardant toutefois une « certaine liberté ». Cette situation avait perduré jusqu’en mai 2019, date à laquelle M. A______ avait quitté le domicile conjugal et date de la décision conjointe des époux de mettre fin à leur union.

L’autorité intimée avait procédé à une constatation incomplète des faits pertinents en se fondant uniquement sur le courrier de Mme B______ du 31 juillet 2019 et sur la lettre du recourant non datée mais signée par celui-ci, sans prendre en considération le courrier de Mme B______ joint au courriel du mandataire du 4 juin 2021.

Or, ce dernier courrier, qui précisait que l’union conjugale avait pris fin en 2019 et non en 2017, était essentiel pour l’appréciation des faits pertinents, puisqu’il confirmait le fait que le couple faisait encore ménage commun jusqu’au 21 mai 2019, date de la requête commune de divorce. Dans ce contexte, le recourant ne pouvait dès lors pas avoir dissimulé à l’OCPM un fait essentiel qui réaliserait les motifs de révocation prévus aux art. 62 al. 1 let. b et 63 al. 1 let. a LEI.

13) Dans sa réponse du 15 novembre 2021, le DSPS a conclu au rejet du recours.

Même si l’on devait retenir par impossible que le courrier non daté de Mme B______ contredisait directement celui du 31 juillet 2019, il apparaissait de toute manière avoir été écrit pour les besoins de la cause, consécutivement à la prise de connaissance par les intéressés des intentions de l’OCPM de révoquer le permis d’établissement du recourant.

À titre superfétatoire, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, il était rappelé que la décision librement consentie des époux de « vivre ensemble séparément » ne constituait de toute façon pas une raison majeure permettant de vivre séparément tout en maintenant l’existence de l’union conjugale au sens de l’art. 49 LEI.

14) Par réplique du 20 décembre 2021, le recourant a répété avoir bien vécu sous le même toit que Mme B______ jusqu’au terme de leur union conjugale en mai 2019, soit jusqu’au dépôt de leur requête commune de divorce, tout en ayant maintenu « une certaine liberté dans leurs rapports internes et externes ». L’audition de Mme B______ permettrait de le confirmer.

15) Le TAPI a rejeté le recours par jugement du 25 avril 2022.

Il n’apparaissait pas utile de procéder à la comparution personnelle du recourant ni à celle de son ex épouse, le dossier contenant les éléments suffisants et nécessaires pour statuer sur le litige.

Il convenait d’appliquer la jurisprudence constante relative au traitement des déclarations contradictoires, en s’en tenant aux premières déclarations des ex-époux et de considérer que le recourant s’était séparé de Mme B______ en 2017.

En conséquence, en omettant d’indiquer à l’OCPM qu’il ne faisait plus ménage commun avec elle depuis 2017, puis en affirmant qu’il ne s’en était séparé qu’en 2019, il avait fait de fausses déclarations et dissimulé des faits essentiels à l’autorité compétente. Les conditions de la révocation d’un permis d’établissement, selon l’art. 62 al. 1 let. a LEI, applicable via l’art. 63 al. 1 let. a LEI, étaient donc réalisées.

16) M. A______ a, par acte expédié le 27 mai 2022, formé recours à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement. Il a conclu, préalablement, à sa propre audition et à celle de son ex-épouse, principalement, à l’annulation du jugement ainsi que de la décision de l’OCPM du 30 août 2021, et au renvoi de la cause à ce dernier pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Son droit d’être entendu avait été violé puisque seul le courrier de son ex-épouse du 31 juillet 2019 venait contredire le maintien de l’union conjugale entre 2017 et le dépôt de la requête amiable en divorce le 21 mai 2019. Mme B______ elle-même avait indiqué par la suite qu’il s’agissait d’une erreur et que la vie de couple avait été maintenue jusqu’à mai 2019, en sorte que son audition était capitale pour l’établissement des faits et le TAPI avait oublié de l’entendre en ne procédant pas à cette audition.

Le TAPI avait procédé en une constatation inexacte des faits pertinents dès lors qu’il n’avait quitté le domicile conjugal qu’à partir du 21 mai 2019, n’avait pas fait de fausses déclarations à l’OCPM et avait toujours collaboré avec l’autorité intimée. Il n’était jamais revenu sur ses déclarations, mais avait simplement fait une erreur dans un courrier non daté, en indiquant une date de séparation au 23 mai 2017, étant relevé que la simple lecture du contenu de ce courrier permettait de comprendre qu’il n’avait effectivement quitté le domicile conjugal qu’à la fin du mois de mai 2019, soit à la date du dépôt de la requête en divorce.

Il n’avait pas dissimulé de fait essentiel à l’OCPM de sorte que les conditions d’une révocation de son permis d’établissement n’étaient pas réalisées.

17) L’OCPM a conclu, le 20 juin 2022, au rejet du recours.

18) Les parties ont été informées, le 23 juin 2022, que la cause était gardée à juger.

19) a. Le 3 novembre 2022, M. A______ a expliqué qu’il avait vécu avec Mme B______ jusqu’au 23 mai 2019, date du dépôt de la requête en divorce, dans l’appartement de cette dernière, composé de deux pièces (une cuisine et une « pièce à tout faire »), aménagée d’un canapé-lit dans lequel le couple dormait. Le couple ne rencontrait pas de difficultés mais avait décidé de se séparer en 2019 quelques semaines avant de déposer la requête. Il a confirmé avoir commis une erreur de plume en mentionnant le 23 mai 2017 comme date de séparation au lieu de 2019, étant même relevé qu’il n’avait pas rédigé lui-même le courrier car c’était Mme B______ qui s’occupait de tout le volet administratif et n’était même certain que la signature soit la sienne. Il a assuré n’avoir pas rencontré de problème de couple en 2017, sauf quelques désaccords. Personne d’autre n’avait vécu dans l’appartement jusqu’en 2019, Mme B______ n’entretenait qu’une relation amicale avec l’homme auquel elle se référait dans son courrier du 31 mai 2019, lequel n’avait pas vécu dans l’appartement, étant précisé que lui-même y rentrait le week-end, son activité professionnelle s’exerçant hors canton durant cette période.

b. Entendue à titre de renseignements, Mme B______ a indiqué avoir déposé une première requête unilatérale en divorce en mai 2017, dans un moment de colère, car son époux travaillait beaucoup hors canton à l’époque. Elle l’avait retirée trois semaines plus tard, lorsque M. A______ avait trouvé un arrangement avec son employeur. Plus précisément, elle avait reçu une demande du tribunal de documents complémentaires et était passée au guichet pour indiquer qu’elle retirait sa requête, ce qui lui avait été confirmé par écrit et contre lequel elle n’avait rien fait. Par la suite, elle avait convenu avec M. A______ qu’il ne vienne à l’appartement que le week-end, pour préserver son sommeil fragile en raison de la médication qu’elle prenait, étant précisé qu’ils étaient libres d’agir comme ils voulaient chacun de leur côté. À la fin juillet 2019 (après réflexion avril 2019), ils avaient convenu de se séparer, chacun ayant rencontré une autre personne. Ainsi, son nouvel ami — devenu son mari par la suite — passait quasiment toute la semaine avec elle depuis 2017. Bien que s’occupant des questions administratives, elle n’était pas l’auteure du courrier faisant mention du 23 mai 2017 comme date de séparation et ne reconnaissait pas la signature de M. A______ qu’elle trouvait « bizarre ». Il était peut-être de la main d’une personne à laquelle elle se serait adressée en 2017 lorsque le tribunal lui avait dit que M. A______ ne recevait pas son courrier. Par ailleurs, elle s’était trompée dans sa lettre du 31 mai 2019 lorsqu’elle avait mentionné qu’ils vivaient séparés depuis 2017.

c. Après cette audition, M. A______ a indiqué ne pas avoir eu connaissance de la requête en divorce de 2017, n’avoir rien signé à cet égard ni ne s’être présenté au tribunal. Entre 2017 et 2019, il travaillait presque toute l’année hors de Genève.

À l’issue de l’audience, les parties ont été informées qu’au regard des questionnements autour de la date de séparation et des déclarations de Mme B______, la juge déléguée allait demander l’apport de l’ensemble des procédures matrimoniales les concernant.

20) Il ressort des deux procédures communiquées par le Tribunal de première instance (ci-après : TPI) qu’une première requête commune, portant les signatures des deux époux, a été déposée le 23 mai 2017 et qu’un délai leur avait été imparti pour produite des pièces manquantes par ordonnance du 31 mai 2017. Par courrier reçu au TPI le 30 juin 2017, Mme B______ a précisé qu’elle ne souhaitait pas recevoir de pension alimentaire de la part de M. A______, qu’elle conserverait le domicile à son seul nom et que son époux serait logé ailleurs par son employeur. Par ordonnance du 24 octobre 2017, d’autres pièces ont été requises par le TPI. Par jugement JTPI/356/2018 du 12 janvier 2018, le TPI a déclaré irrecevable la procédure de divorce sur requête commune déposé le 23 mai 2017, pour défaut de production des pièces requises. Par arrêt du 28 mars 2018, la Cour civile, statuant sur l’appel formé le 8 février 2018 par Mme B______, a déclaré ce dernier irrecevable faute de motivation suffisante.

Une seconde requête commune en divorce, portant la signature des deux époux, datée du 21 mai 2019, a été reçue au TPI le 5 août 2019. Par jugement JTPI/1______/2019 du 6 novembre 2019, le TPI a dissout le mariage de Mme B______ et de M. A______.

21) Les parties ont été invitées à se déterminer sur ces procédures.

22) Le 19 décembre 2022, M. A______ a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler.

23) Le même jour, l’OCPM a relevé que le contenu de ces pièces ne modifiait pas son appréciation selon laquelle la vie commune des intéressés avait pris fin en 2017 et non en 2019.

24) La teneur des pièces figurant à la procédure sera pour le surplus reprise ci-dessous dans la mesure nécessaire au traitement du litige.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la révocation d’une autorisation d’établissement pour dissimulation de faits essentiels à l’autorité de décision au moment de l’octroi de celle-ci. Il convient dès lors d'examiner si, au moment de l'octroi de l'autorisation d'établissement, soit le 9 septembre 2018, l'union conjugale du recourant et de son ex-épouse était réelle ou si cette communauté conjugale était vidée de sa substance et que l'intéressé a caché cet élément à l’autorité de décision.

3) Le recourant sollicite, à titre préalable, sa propre audition et celle de son ex-épouse et se plaint d’une violation de son droit d’être entendu par le TAPI.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

b. En l'espèce, le recourant a eu l’occasion de s’exprimer par écrit devant l’OCPM, le TAPI, puis devant la chambre de céans, et de produire toute pièce utile. La chambre de céans a fait droit à sa conclusion préalable et l’a entendu, ainsi que Mme B______, de sorte qu’une éventuelle violation du droit d'être entendu devrait être considérée comme réparée.

Au vu de ce qui précède, le grief de violation du droit d’être entendu sera écarté.

4) a. Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la LEtr, devenue la LEI, et de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Selon l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées avant l'entrée en vigueur de ladite loi sont régies par l'ancien droit. Dans le cas d'une révocation de l'autorisation d'établissement, c'est le moment de l'ouverture de la procédure de révocation qui est déterminant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_522/2021 du 30 septembre 2021 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_223/2020 du 6 août 2020 consid. 4.1 et l'arrêt cité).

b. En l'espèce, dans la mesure où l'OCPM a manifesté son intention de proposer au DSPS de révoquer l'autorisation d'établissement du recourant le 16 mars 2021, la cause est régie par la LEI dans sa teneur depuis le 1er janvier 2019.

5) La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l’OASA, règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants de Thaïlande.

6) Aux termes de l'art. 34 al. 2 let. b LEI, l'autorité compétente peut octroyer une autorisation d'établissement s'il n'existe aucun motif de révocation au sens des art. 62 ou 63 al. 2 LEI.

7) Le droit à l'obtention d'une autorisation d'établissement fondé sur l'art. 42
al. 3 LEI suppose que le conjoint étranger fasse ménage commun avec le ressortissant suisse durant cinq ans (ATF 140 II 289 consid. 3.6.2 ; sous réserve de l'art. 49 LEI, arrêts du Tribunal fédéral 2C_656/2016 du 9 février 2017 consid. 4 ; 2C_1125/2014 du 9 septembre 2015 consid. 2.1). Les droits prévus à l’art. 42 LEI s’éteignent, en vertu de l’art. 51 al. 1 let. b LEI, s’il existe des motifs de révocation au sens de l’art. 63 LEI, étant précisé que ces motifs constituent chacun une cause de révocation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_814/2020 du 18 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_44/2017 du 28 juillet 2017 consid. 4.3 et les arrêts cités).

8) a. À teneur de l'art. 63 al. 1 let. a LEI, l'autorisation d'établissement peut notamment être révoquée aux conditions de l'art. 62 al. 1 let. a LEI, c'est-à-dire si l'étranger a fait de fausses déclarations ou a dissimulé des faits essentiels durant la procédure d'autorisation. Sont essentiels au sens de l'art. 62 al. 1 let. a LEI, non seulement les faits au sujet desquels l'autorité administrative pose expressément des questions à l'étranger durant la procédure, mais encore ceux dont l'intéressé doit savoir qu'ils sont déterminants pour l'octroi de l'autorisation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_148/2015 du 21 août 2015 consid. 5.1 ; 2C_15/2011 du 31 mai 2011 consid. 4.2.1).

b. Une révocation est possible, même lorsque les fausses déclarations ou la dissimulation de faits essentiels n'ont pas été déterminantes pour l'octroi de l'autorisation. Font partie des faits dont la personne étrangère doit savoir qu'ils sont importants pour la décision d'autorisation les « faits internes » comme, par exemple, l'intention de mettre un terme à un mariage existant ou d'en conclure un nouveau ainsi que l'existence d'enfants issus d'une relation extraconjugale. Pour révoquer une autorisation, il n'est pas nécessaire que l'autorisation eût forcément été refusée si les indications fournies avaient été exactes et complètes. A contrario, l'existence d'un motif de révocation ne conduit pas forcément à la révocation de l'autorisation. Lors de la prise de décision, il faut tenir compte des circonstances du cas particulier (SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers [ci-après : Directive LEI], état au 1er mars 2022, ch. 8.3.1.1 ; ATA/746/2021 du 13 juillet 2021 consid. 7c).

c. Il faut que l'étranger ait la volonté de tromper l'autorité. Cela est notamment le cas lorsqu'il cherche à provoquer, respectivement à maintenir, une fausse apparence sur un fait essentiel (ATF 142 II 265 consid. 3.1 et les références ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_814/2020 du 18 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_553/2020 du 20 octobre 2020 consid. 3.1 ; 2C_176/2018 du 11 septembre 2018 consid. 3.1 ; 2C_656/2017 du 23 janvier 2018 consid. 4.1. En outre, il importe peu que l'autorité eût pu, en faisant preuve de la diligence nécessaire, découvrir par elle-même les faits dissimulés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_420/2018 du 17 mai 2018 consid. 6.1 et l'arrêt cité).

d. L'étranger est donc tenu de collaborer à la constatation des faits et en particulier de fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la réglementation du séjour (art. 90 al. 1 let. a LEI). Il doit en particulier spontanément indiquer si la communauté conjugale sur laquelle son droit de séjour repose n'est plus effectivement vécue (arrêts du Tribunal fédéral 2C_814/2020 du 18 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_22/2019 du 26 mai 2020 consid. 4.1 ; 2C_176/2018 du 11 septembre 2018 consid. 3.1 ; 2C_148/2015 du 21 août 2015 consid. 5.1 ; 2C_299/2012 du 6 août 2012 consid. 4.1 ; 2C_15/2011 du 31 mai 2011 consid. 4.2.1). Un comportement trompeur est aussi donné si l'étranger a, durant la procédure d'octroi de l'autorisation de droit des étrangers, sciemment tu ou activement caché que l'union matrimoniale était vouée à l'échec, ou s'il invoque un mariage dénué de substance dès ses débuts, en ce sens que les époux (voire seulement l'un d'eux) n'ont jamais eu la volonté de former une véritable communauté conjugale (ATF 127 II 49 consid. 4a et 5a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_814/2020 du 18 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_900/2017 du 7 mai 2018 consid. 8.2 ; 2C_1055/2015 du 16 juin 2016 consid. 2.2).

e. La notion d'union conjugale de l'art. 50 al. 1 let. a LEI ne se confond pas avec celle du mariage. Alors que celui-ci peut n'être plus que formel, l'union conjugale implique une vie conjugale effective, sous réserve des exceptions mentionnées à l'art. 49 LEI (ATF 137 II 345 consid. 3.1.2 ; 136 II 113 consid. 3.2). La période minimale de trois ans de l'union conjugale commence à courir dès le début de la cohabitation effective des époux en Suisse et s'achève au moment où ceux-ci cessent de faire ménage commun (ATF 140 II 345 consid. 4.1 et références citées). La limite légale de trois ans présente un caractère absolu et s'applique même s'il ne reste que quelques jours pour atteindre la durée de trente-six mois exigée par l'art. 50 al. 1 let. a LEI (ATF 137 II 345 consid. 3.1.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_735/2010 du 1er février 2011 consid. 4.1 et 2C_711/2009 du 30 avril 2010 consid. 2.3.1 ; ATA/594/2021 du 8 juin 2021 consid. 4)..

9) Le recourant reproche au TAPI d’avoir violé les art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a LEI et d'avoir procédé à une constatation inexacte des faits pertinents.

10) En l’espèce, le recourant s’est marié avec une ressortissante suisse le 10 septembre 2013. Le délai de cinq ans, nécessaire à l’obtention d’un permis d’établissement, est arrivé à échéance en septembre 2018.

L’OCPM et le TAPI ont retenu qu’à teneur de la procédure, en particulier un courrier signé du recourant faisant mention d’une date de séparation au 23 mai 2017 et un autre de Mme B______ du 31 mai 2019, que le couple s’était séparé et faisait ménage distinct depuis 2017, de sorte qu’au moment de l’octroi du permis d’établissement le 9 septembre 2018, les époux étaient séparés, mais que le recourant ne l’avait pas annoncé.

Le recourant conteste s’être séparé de Mme B______ en 2017 et soutient d’abord avoir inscrit par erreur la date du 23 mai 2017 comme date de son départ du domicile conjugal, soutenant avoir voulu se référer au jour du dépôt de la demande de divorce en 2019, et en audience, ne pas l’avoir rédigé avant 2019 voire de n’avoir pas rédigé ce courrier l’ayant toutefois peut-être signé. À cette même audience, Mme B______ a indiqué trouver la signature du recourant sur ce document « bizarre ». Or, le 23 mai 2017 correspond précisément à la date du dépôt de la première requête commune de divorce, qui porte également la signature du recourant, requête à propos de laquelle il n’a formulé aucune observation ni en audience — interrogé sur l’éventuelle existence d’une procédure antérieure à 2019 — ni à la suite de l’invitation de la chambre administrative après apport des procédures matrimoniales.

En particulier, invité par la chambre administrative à se déterminer sur les documents reçus du TPI, le recourant ne conteste pas que la signature apposée sur cette requête soit bien la sienne. Or, cette procédure est allée de l’avant, contrairement aux dires de Mme B______, laquelle non seulement avait payé l’avance de frais, mais en outre avait complété ses écritures en juin 2017 pour indiquer qu’elle ne souhaitait aucune pension et avait même formé un appel le 8 février 2018 à l’encontre du jugement d’irrecevabilité de la requête du 12 janvier 2018, qui a abouti à un arrêt de la chambre civile de la Cour de justice le 28 mars 2018. Ce n’est donc que pour des motifs formels que cette première procédure n’a pas abouti et elle n’a jamais été retirée au motif que les parties se seraient réconciliées.

À cela s’ajoute le courrier de Mme B______ du 31 juillet 2019, dans lequel elle indique vivre séparée du recourant depuis deux ans. En audience, elle a confirmé que le recourant ne vivait pas avec elle dans son appartement (resté au demeurant à son seul nom) durant la semaine dès l’année 2017, d’abord parce qu’il travaillait hors canton, ensuite pour préserver le sommeil de son épouse rendu fragile par sa médication, et n’y vivait prétendument que le week-end. En outre, elle a admis avoir rencontré un nouvel ami, en 2016, lequel faisait ménage commun avec elle dès l’année 2017, durant l’absence du recourant. Son courrier postérieur joint au courriel du mandataire du recourant du 4 juin 2021 paraît donc de pure circonstance et n’emporte pas conviction.

Ces éléments sont convaincants quant au fait que la séparation du couple a été effective dès l’année 2017. Rien ne démontre qu’il se soit reconstitué par la suite, étant relevé que non seulement les parties ne partageaient plus le même appartement, mais que de plus Mme B______, à tout le moins, entretenait une relation de couple avec un tiers depuis 2017.

En n’avisant pas spontanément les autorités compétentes du dépôt de la procédure de divorce du 23 mai 2017, dont il était signataire, et de la séparation du couple, alors même que la durée de l’union conjugale était décisive pour l’octroi de l’autorisation, le recourant a cherché à tromper l’autorité sur le caractère stable de sa relation avec son épouse, soit la personne lui donnant le droit d’obtenir l’autorisation d’établissement, et le fait que la communauté conjugale n’était plus effectivement vécue.

Cette dissimulation conduit à la révocation de l’autorisation, en application de l’art. 62 let. a LEI par renvoi de l’art. 63 al. 1 let. a LEI et de la jurisprudence sus rappelée.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

11) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 mai 2022 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 avril 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Enis Daci, avocat du recourant, au département de la sécurité, de la population et de la santé, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.