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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2888/2022

ATA/1280/2022 du 20.12.2022 ( PROF ) , REJETE

Recours TF déposé le 15.02.2023, rendu le 11.05.2023, REJETE, 2C_101/2023
Descripteurs : AVOCAT;AUTORITÉ DE SURVEILLANCE;DEVOIR PROFESSIONNEL;INDÉPENDANCE DE L'AVOCAT;MESURE DISCIPLINAIRE;CONFLIT D'INTÉRÊTS
Normes : LLCA.12; CSD.1
Résumé : Confirmation d’une amende de CHF 1'750.- prononcée par la commission du barreau pour sanctionner une série de comportements qui pris dans leur ensemble pressentaient une gravité suffisante pour justifier une sanction disciplinaire. Absence de prise de conscience du comportement, absence de soin mis à distinguer clairement les intérêts de ses clients et ceux des personnes avec qui il était en relation sur plan privé ou professionnel dans l’exercice de sa profession, manque de respect des autorités judiciaires, comportements inconciliables avec les obligations de soin et de diligence imposées par la loi.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2888/2022-PROF ATA/1280/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 décembre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

COMMISSION DU BARREAU



EN FAIT

1) Le 14 décembre 2016, la commission du barreau (ci-après : la commission) a transmis la dénonciation de Madame B______ à Monsieur A______, avocat, en l’invitant à lui faire parvenir ses observations.

Par envoi du 5 novembre 2016, Mme B______ avait dénoncé M. A______ pour les faits suivants : en 2012, elle avait déposé une plainte pénale (P/1______/2013) contre Monsieur C______, locataire de l’immeuble dans lequel elle exploitait un salon de coiffure depuis le 1er janvier 2000. Ce locataire perturbait le fonctionnement de son commerce et l’avait agressée ainsi que l’un de ses employés. M. A______ était le conseil de M. C______ dans cette procédure, s’était identifié à la cause de son client et avait procédé en juillet 2015 à l’acquisition de l’immeuble dans lequel avait eu lieu l’altercation, alors qu’il était toujours impliqué au titre de défenseur. Depuis cette date, l’avocat l’avait harcelée, résilié son bail et mis toutes ses forces dans des mesures de perturbation de son activité. Des procédures étaient en cours au Tribunal des baux et loyers (ci-après : TBL) et une plainte avait été déposée auprès du Ministère public qui avait rendu une ordonnance pénale le 12 octobre 2016 (P/2______/2015) reconnaissant M. A______ coupable d’infraction aux art. 292 et 325bis Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

Dans la procédure P/1______/2013, à l’audience du 3 octobre 2016, M. C______ était représenté par un nouveau conseil, lequel avait déposé des documents qu’il ne pouvait avoir obtenus que de la main de M. A______ ou de Monsieur D______, copropriétaire de l’immeuble, s’agissant de pièces qui ne concernaient pas M. C______.

Elle se référait également à une première dénonciation du 22 avril 2015, classée par la commission en date du 7 septembre 2015, concernant des propos qu’elle considérait comme gravement diffamatoires tenus par M. A______ lors d’une audience dans le cadre de la procédure P/1______/2013, alors qu’il représentait M. C______. M. A______ avait contesté les faits reprochés.

2) Le 16 janvier 2017, M. A______ a exposé à la commission que la dénonciation qui le visait ainsi que les plaintes pénales, étaient la conséquence directe de la résiliation des baux de la dénonciatrice. Il avait cessé d’occuper en novembre 2015. L’ordonnance pénale rendue contre lui dans la procédure P/2______2015 était frappée d’opposition. Il contestait toute commission d’infraction.

3) Les 6 mars, 12 octobre 2017, 14 mai 2018 ainsi que le 22 janvier 2019, la commission a invité M. A______ à la tenir informée de l’évolution de la procédure pénale, laquelle était soumise à un processus de médiation, selon les indications données les 12 octobre 2017 et 7 juin 2018 par M. A______.

Les 22 janvier et 26 mars 2019, la commission a relancé M. A______. Un délai au 14 juin 2019 lui a été fixé le 4 juin 2019 pour l’informer de l’état de la procédure.

Le 14 juin 2019, M. A______ a indiqué que la procédure avait été classée le 21 décembre 2018 pour cause de prescription. Il a fait parvenir le 18 novembre 2019 à la commission une copie de l’ordonnance de classement du Ministère public du 21 décembre 2018, après avoir été relancé les 12 septembre et 11 novembre 2019.

4) Le 25 novembre 2019, M. A______ a été informé de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à son encontre. Il a également reçu la liste des dix-huit membres composant la commission.

5) a. Le 4 décembre 2019, M. A______ a demandé la récusation de cinq membres de la commission, à savoir deux avocats et trois magistrats.

b. Le 9 décembre 2019, la commission a fixé un délai à M. A______ au 13 janvier 2020 pour préciser les motifs pour lesquels ils sollicitait la récusation de ces cinq membres. Sa demande serait soumise à la prochaine séance plénière, le 13 janvier 2020.

c. Dans le délai imparti, M. A______ a confirmé sa demande de récusation et a exposé pour chaque membre dont il demandait la récusation, la ou les procédures dans lesquelles ceux-ci et lui-même étaient intervenus ou intervenaient, en leur qualité d’avocat ou de magistrat, citant en outre une procédure de taxation de son propre état de frais, dont avait à connaître une magistrate membre de la commission.

d. Par décision du 8 juin 2020, expédiée le 31 juillet 2020 et notifiée le 10 août 2020, la commission a rejeté la demande de récusation de M. A______ et retenu qu’il avait violé l'art. 12 let. a de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61). Elle a prononcé une amende de CHF 2'000.- à son encontre, précisant que le délai de radiation était de cinq ans.

La commission a statué dans sa composition de sept membres, dont le président de la commission et trois membres visés par la demande de récusation. Il était « dans la nature des choses » qu'une autorité composée d'avocats et de juges compte des membres que l'avocat avait rencontrés dans ce cadre professionnel.

e. Par acte expédié le 9 septembre 2020 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a recouru contre cette décision, dont il a demandé l'annulation.

f. Par arrêt du 30 mars 2021, après avoir ordonné un échange d’écritures et reçu une réplique de M. A______, la chambre administrative a admis partiellement le recours, annulé la décision de la commission et lui a renvoyé la cause pour nouvelle décision (ATA/380/2021).

La demande de récusation de cinq membres de la commission avait été faite dans le délai légal. Elle n’était pas d’emblée irrecevable ni abusive. Ainsi, il aurait appartenu à la commission de prendre une décision dans une composition ne comportant pas les membres dont la récusation était demandée.

g. Par décision du 17 janvier 2022, statuant à nouveau dans une composition ne comportant aucun des membres dont la récusation était demandée, la commission a rejeté la demande de récusation pour les mêmes motifs que ceux ayant présidé à sa décision du 8 juin 2020.

En l’absence de recours, cette décision est devenue définitive.

6) Sur le fond, le 6 décembre 2019, M. A______ a déposé des observations à la commission.

Il a critiqué l’ordonnance de classement du Ministère public et nié avoir commis l’infraction prévue à l’art. 325bis CP. Ce n’était pas parce qu’elle avait fait valoir ses droits mais en raison de son propre comportement fautif que la locataire avait vu son bail résilié, ce que démontraient des pétitions de locataires des 22 juillet et 30 septembre 2015 ainsi que du 7 juin 2016 et une décision du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (DALE) du 28 octobre 2016 ordonnant la réaffectation d’un studio dont la locataire avait fait un usage commercial non autorisé.

Il contestait également avoir commis l’infraction d’insoumission car au jour de la résiliation du 19 août 2018, l’ordonnance sur mesures provisionnelles du 18 août 2018, confirmant celle sur mesures superprovisionnelles du 6 août 2018, ne lui avait pas encore été notifiée. Les plaintes pénales déposées par la locataire étaient calomnieuses et l’intervention au silicone faite sur les prises électriques qu’elle utilisait dans la buanderie était justifiée par le caractère urgent d’une réparation effectuée à la demande des locataires.

7) Par décision du 28 juillet 2022, la commission a condamné M. A______ à une amende de CHF 1'750.- pour avoir violé les règles professionnelles consacrées par les art. 12 let. a et 12 let. c LLCA par une longue série de comportements qui pris dans leur ensemble présentaient une gravité suffisante pour justifier une sanction disciplinaire.

Dénué de toute prise de conscience, l’avocat avait justifié devant la commission le congé donné à sa locataire par des faits postérieurs à celui-ci. Il avait justifié l’intervention sur les prises de la buanderie, faite au mépris d’une ordonnance sur mesures superprovisionnelles déjà notifiée, par le fait que l’ordonnance sur mesures provisionnelles ne l’avait pas encore atteint.

L’ensemble des faits liés à sa qualité de propriétaire de l’immeuble dans lequel son client était locataire démontrait la légèreté qui présidait au soin que M. A______ ne mettait pas à distinguer clairement les intérêts de ses clients et ceux des personnes avec lesquelles il était en relation sur le plan privé ou professionnel dans l’exercice de sa profession d’avocat.

La prescription des contraventions avait été obtenue par l’enlisement d’un processus de médiation sur opposition. Le refus systématique de répondre aux demandes de la commission, sauf contraint par des délais comminatoires comme les onze mois qu’il lui avait fallu pour fournir la copie de l’ordonnance de classement demandée à réitérées reprises étaient autant de faits qui démontraient le très peu de cas que M. A______ faisait de l’autorité de la justice. Ces comportements étaient inconciliables avec ses obligations de soin et de diligence imposées par la loi.

8) Par acte du 9 septembre 2022, complété par un envoi du 14 septembre 2022, M. A______ a recouru à la chambre administrative contre la décision de la commission du 28 juillet 2022, notifiée le 9 août 2022, en concluant à son annulation. Préalablement, il sollicitait un délai pour compléter son recours et produire toutes autres pièces utiles, au 30 novembre 2022 au plus tôt. Il sollicitait l’apport de la procédure A/4088/2016 LDTR et de « toutes autres procédures », l’audition de M. D______, de Monsieur E______ et de Madame F______ ainsi que l’audition de témoins complémentaires.

La décision était insoutenable et arbitraire tant dans sa motivation que dans ses conclusions. La commission restait vague et imprécise quant aux faits reprochés. Le litige civil relevait du Tribunal des baux et loyers et la commission n’était pas en droit de s’arroger ces prérogatives.

Il avait résilié son mandat d’avocat le liant à M. C______ le 5 novembre 2015. Il s’était immédiatement mis en retrait dans le cadre des relations entre les bailleurs et les locataires de l’immeuble acquis au mois de juillet 2015 puisque seul son associé M. D______ avait agi à leur égard. C’était celui-ci qui avait résilié les baux de Mme B______ et de Monsieur G______ en raison des désagréments qu’ils avaient causés avant l’acquisition de l’immeuble et après.

Il exposait en détail les circonstances de la résiliation des contrats de bail, en raison de la violation répétée de leurs obligations contractuelles, ignorées par le Ministère public dans son ordonnance. L’intervention d’urgence sur la prise électrique et l’interrupteur avait été faite à la demande de Mme B______ et d’autres locataires. Les accusations de la locataire étaient donc calomnieuses mais le Ministère public n’avait cessé d’occulter volontairement et abusivement ces éléments de fait.

Il n’y avait jamais eu de confusion entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il était en relation sur le plan privé ou professionnel dans l’exercice de sa profession d’avocat.

Il contestait avoir remis quelque document que ce soit à son ancien client après l’acquisition de l’immeuble. Il s’était mis en retrait s’agissant des rapports entre les bailleurs et les locataires.

Il n’avait commis aucune violation des art. 12 let. a ou let. c LLCA et la commission ne s’était fondée sur aucun fait précis et établi.

9) Le 18 octobre 2022, la commission a transmis son dossier, renonçant à formuler des observations et se référant à sa décision.

10) Le 15 novembre 2022, le recourant a répliqué, reprenant ses conclusions et son argumentation.

Il a produit l’ordonnance pénale du Ministère public du 18 juillet 2022 dans la procédure P/4______/2020 déclarant Mme B______ coupable d’injure et de menaces à l’encontre de la concierge de l’immeuble, Mme F______, en novembre 2019 et septembre 2020 et l’arrêt 3______/2020 du Tribunal fédéral du 11 novembre 2020 dans la procédure pénale P/2______/2015 lui donnant gain de cause. Selon ce dernier arrêt, les faits ne permettaient pas de retenir qu’il avait, par un comportement illicite et fautif, provoqué l’ouverture d’une procédure pénale. Il ne s’était, en particulier, pas rendu coupable d’infraction à l’art. 292 CP. Les frais de la procédure pénale ne pouvaient être mis à sa charge, la cause était renvoyée à l’autorité cantonale pour nouvelle décision.

11) La cause a ensuite été gardée à juger, y compris sur la question des mesures d’instruction complémentaires demandées.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant sollicite des mesures d’instruction, soit l’audition de témoins et l’apport de diverses procédures judiciaires.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2). En outre, il n'implique pas le droit à une audition orale ni à l’audition de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

b. En l’espèce, le litige concerne une sanction disciplinaire prononcée à l’égard d’un avocat pour violation de ses devoirs professionnels. Les mesures demandées par le recourant portent sur des procédures pénales et civiles qui sont exorbitantes au litige, les faits à examiner ressortant des pièces figurant déjà au dossier, notamment de celles que le recourant a lui-même déposées.

En conséquence, le dossier étant complet s’agissant de la question à examiner, il ne sera pas fait droit aux demandes du recourant.

3) Le recourant considère que la décision de la commission se base sur un état de fait erroné et qu'aucune violation des règles sur la profession d'avocat ne peut lui être reprochée.

a. L'avocat autorisé à pratiquer doit respecter les règles professionnelles énoncées à l'art. 12 LLCA. Ces règles professionnelles sont des normes destinées à réglementer, dans l'intérêt public, la profession d'avocat, afin d'assurer son exercice correct et de préserver la confiance du public à l'égard des avocats (ATF 144 II 473 consid. 4.1 ; 135 III 145 consid. 6.1).

b. L’art. 12 let. a LLCA constitue une clause générale, visant le soin et la diligence de l’avocat dans l’exercice de son activité professionnelle.

La formulation très large de l’art. 12 let. a LLCA demande à être interprétée, permettant de la sorte aux tribunaux de dessiner les devoirs professionnels de l’avocat d’une façon assez libre et étendue, l’énumération exhaustive des devoirs professionnels dans la loi étant impossible. De fait, la jurisprudence donne à cette clause générale un sens qui va bien au-delà de la lettre du texte légal. En effet, le soin et la diligence visés par l’art. 12 let. a LLCA constituent des devoirs qui n’ont pas les clients pour seuls bénéficiaires. Ces devoirs s’étendent à tous les actes professionnels de l’avocat qui, en tant qu’auxiliaire de la justice, doit assurer la dignité de la profession, qui est une condition nécessaire au bon fonctionnement de la justice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_167/2020 du 13 mai 2020 consid. 3.4 et les références citées ; Benoît CHAPPUIS et Jérôme GURTNER, La profession d’avocat, 2021, p. 48).

Ainsi, en exigeant de l’avocat qu’il se comporte correctement dans l’exercice de sa profession, l'art. 12 let. a LLCA ne se limite pas aux rapports entre le client et l’avocat, mais vise également le comportement de ce dernier face aux autorités en général, y compris les autorités judiciaires (ATF 130 I 270 consid. 3.2 p. 276 s. ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_150/2008 du 10 juillet 2008 consid. 7.1 ; 2A.545/2003 du 4 mai 2004 consid. 3 ; Message concernant la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 28 avril 1999, FF 1999 5331, p. 5368) dans le but d’assurer le respect de celles-ci, ainsi que la confiance placée dans l’avocat (arrêt du Tribunal fédéral 4P.36/2004 du 7 mai 2004 consid. 5). L'avocat assume une tâche essentielle à l'administration de la justice en garantissant le respect des droits des justiciables et joue ainsi un rôle important dans le bon fonctionnement des institutions judiciaires au sens large. Dans ce cadre, il doit se montrer digne de confiance dans les relations avec les autorités judiciaires ou administratives et s'abstenir de tout acte susceptible de remettre en question cette confiance (ATF 144 II 473 consid. 4.3 et les références citées).

c. Selon l'art. 12 let. c LLCA, l'avocat évite tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. L'interdiction de plaider en cas de conflit d'intérêts qui est en lien avec la clause générale de l'art. 12 let. a LLCA, de même qu'avec l'obligation d'indépendance rappelée à l'art. 12 let. b LLCA, est une règle cardinale de la profession d'avocat (ATF 138 II 162 consid 2.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_669/2010 consid. 2).

Cette règle professionnelle protège en premier lieu les intérêts des clients de l’avocat, en assurant que leur représentation en justice ne sera pas influencée par un quelconque conflit d’intérêts. Elle sert également le bon déroulement du procès : un avocat pris dans un conflit d’intérêts peut être limité dans sa capacité à représenter son client. La procédure peut en outre être affectée dans la mesure où, en cas de conflit d’intérêts, l’avocat peut être susceptible d’utiliser des informations apprises dans un précédent mandat avec la partie adverse à l’encontre de celle-ci (ATF 145 IV 2018 consid. 2.1 ; François BOHNET, Professions d’avocate·e, de notaire et de juge, 4ème éd, 2021, n. 50).

Les intérêts propres de l’avocat peuvent aussi être la source de la situation de conflit d’intérêts. Des liens personnels, qu’ils soient financiers, commerciaux, contractuels ou familiaux, un intéressement à une entreprise ou encore une appartenance à un groupe d’intérêts sont autant d’éléments qui sont de nature à placer l’avocat dans un conflit de loyauté. Bien que les activités privées de l’avocat n’entrent pas dans le champ de l’art. 12 LLCA, elles peuvent créer des situations conflictuelles pour l’activité professionnelle de l’avocat, le conduisant à devoir renoncer au mandat (Benoît CHAPPUIS et Jérôme GURTNER, op. cit., n. 539 et n. 611). Des relations contractuelles plaçant l’avocat dans une situation de dépendance ou d’influence par rapport à son client, sont de nature à interférer dans la conduite du mandat et doivent de ce fait être proscrites, l’avocat ne pouvant être partie prenante en aucune manière. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la LLCA, les décisions disciplinaires prohibaient en particulier toute relation de prêt entre le client et l’avocat, les seuls rapports pécuniaires autorisés relevant de la créance d’honoraires. Le lien financier doit excéder le cadre de relations commerciales usuelles, tel un contrat de bail et doit être susceptible d’engendrer une situation de risque concerte de conflit d’intérêts- par l’influence excessive que ce lien exercerait sur le mandat d’avocat (Michel VALTICOS, in Michel VALTICOS/ Christian REISER/Benoît CHAPPUIS/François BOHNET [éd.], Loi sur les avocats : commentaire de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats [loi sur les avocats, LLCA], 2ème éd., 2022, n. 110, 111 et 182 ad art. 12 LLCA). L’interdiction doit toutefois être particulièrement stricte lorsque les propres intérêts de l’avocat sont en jeu, puisqu’il n’existe pas dans ce cas la possibilité de se dégager entièrement du conflit (SJZ 106, 2010, p. 42).

d. Le conflit d’intérêts prohibé doit être concret mais il n’est pas nécessaire qu’il se soit matérialisé, c’est-à-dire qu’il ait effectivement éclaté (arrêt du Tribunal fédéral 2C_885/2010 consid. 3.3). Comme le souligne expressément la jurisprudence, le fait qu'il y ait potentiellement un risque de conflit d'intérêts en raison des circonstances de l'espèce suffit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_688/2009 du 25 mars 2010 consid. 3.1, in SJ 2010 I p. 433). Le souci d’éviter tout conflit d’intérêts, voire même l’apparence d’un manque d’indépendance devra guider l’avocat dans son comportement également à l’égard de tiers, notamment intervenants dans le cadre du cercle judiciaire (Michel VALTICOS, op. cit, n. 115 ad art. 12 LLCA)

e. L’avocat pris dans un conflit d’intérêts doit renoncer à son ou ses mandats, et ce alors même que les clients l’auraient autorisé à intervenir. À défaut, il risque une sanction disciplinaire (François BOHNET, op. cit. n. 54).

f. La LLCA définit de manière exhaustive les règles professionnelles auxquelles les avocats sont soumis. Les règles déontologiques conservent toutefois une portée juridique en permettant de préciser ou d'interpréter les règles professionnelles, dans la mesure où elles expriment une opinion largement répandue au plan national (ATF 136 III 296 consid. 2.1 ; 131 I 223 consid. 3.4). Dans le but d'unifier les règles déontologiques sur tout le territoire de la Confédération, la Fédération Suisse des Avocats (ci-après : FSA) a précisément édicté le Code suisse de déontologie (ci-après : le CSD ; consultable sur http://www.sav-fsa.ch, entré en vigueur le 1er juillet 2005).

Le respect de la loi inclut également celui des usages professionnels ne faisant pas l’objet d’une disposition spécifique de l’art. 12 LLCA mais qui sont compris dans la clause générale de l’art. 12 let. a LLCA. Ces usages relèvent de l’intérêt public car ils préservent la relation de confiance dans l’avocat et garantissent le principe de l’égalité des armes entre les parties. S’agissant par exemple de l’interdiction des contacts avec les témoins ou la partie adverse assistée d’un avocat notamment (Michel VALTICOS, op. cit., n. 41 ad art. 12 LLCA et la jurisprudence citée).

À teneur de l'art. 1 CSD, l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence et dans le respect de l'ordre juridique. Il s'abstient de toute activité susceptible de mettre en cause la confiance mise en lui.

g. Selon l'art. 14 al. 1 de loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10), la commission exerce les compétences dévolues à l'autorité de surveillance des avocats par la LLCA, ainsi que les compétences qui lui sont attribuées par la LPAv.

Les avocats inscrits au registre sont soumis, sans préjudice des règles de droit commun, à la surveillance de la commission (art. 42 al. 1 LPAv). La commission statue sur tout manquement aux devoirs professionnels. Si un tel manquement est constaté, elle peut, suivant la gravité du cas, prononcer les sanctions énoncées à l'art. 17 LLCA. La prescription est régie par l'art. 19 de cette même loi (art. 43 al. 1 LPAv).

h. L'autorité de surveillance doit faire preuve d'une certaine réserve dans son appréciation du comportement de l'avocat (arrêt du Tribunal fédéral 2C_103/2016 du 30 août 2016 consid. 3.2.3). L'art. 12 let. a LLCA est une disposition subsidiaire. Pour que le comportement d'un avocat justifie une sanction au sens de cette disposition, la violation du devoir de prudence doit atteindre une certaine gravité qui, au-delà des sanctions relevant du droit des mandats, nécessite, dans l'intérêt public, l'intervention proportionnée de l'État (arrêt du Tribunal fédéral 2C_933/2018 du 25 mars 2019 consid. 5.1). Le comportement sanctionné par l'art. 12 let. a LLCA suppose partant un manquement significatif aux devoirs de la profession.

i. La chambre administrative examine librement si le comportement incriminé contrevient à l'art. 12 let. a et i LLCA (art. 67 LPA ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.318/2006 du 27 juillet 2007 consid. 12.1 ; ATA/831/2022 du 23 août 2022 consid. 3c ; ATA/258/2021 du 2 mars 2021 consid. 7).

4) En l’espèce, le recourant avait pour client M. C______ qu’il défendait notamment dans une procédure pénale en lien avec un conflit entre locataires, initié par une plainte déposée par une locataire. Pendant cette procédure pénale, le recourant est devenu copropriétaire de l’immeuble concerné par le litige de voisinage, en date du 27 juillet 2015. Il a ensuite, le 9 août 2015, résilié le bail de sa locataire. Ce n’est que le 5 novembre 2015, qu’il s’est dessaisi de la cause impliquant son client et ses locataires. Plusieurs autres procédures pénales et civiles sont ouvertes, en lien avec l’immeuble, ses locataires et les rapports entre locataires et les propriétaires.

Cette situation est prohibée par l’art. 12 let. a LLCA, les propres intérêts de l’avocat propriétaire de l’immeuble entrant potentiellement en conflit avec ceux de son ancien client locataire, lequel est en outre en conflit ouvert avec une autre locataire. De plus, cette situation était également susceptible de porter atteinte au bon déroulement de la procédure en cours et dénote clairement une apparence d’un manque d’indépendance par la confusion des rôles à l’égard des tiers. En tardant à renoncer à son mandat, le recourant a clairement violé son obligation d’éviter tout conflit d’intérêts au sens de l’art. 12 let. c LLCA.

Une violation de ses devoirs découlant de la LLCA doit donc être retenue pour ces faits.

5) La commission a encore retenu plusieurs autres situations de faits constitutives selon elle, prises dans leur ensemble, d’une violation de l’obligation de soin et de diligence dans l’exercice de la profession à l’encontre du recourant.

Le recourant avait justifié auprès d’elle la résiliation du bail de sa locataire opposée à son client dans un conflit de voisinage ayant dégénéré par des plaintes d’autres locataires. Celles-ci étaient toutefois concomitantes ou postérieures à son accession à la propriété. Il avait également justifié l’intervention sur les prises électriques de la buanderie par le fait que l’ordonnance sur mesures provisionnelles ne l’avait pas encore atteint, alors qu’une ordonnance sur mesures superprovisionnelles avec le même contenu lui avait déjà été notifiée bien avant la date des faits. Il avait accablé durement le Ministère public. Son comportement dans la procédure disciplinaire était également reproché, notamment le fait qu’il avait dû être contraint par des délais comminatoires pour produire après onze mois la copie d’une ordonnance de classement alors que de nombreuses relances lui avaient été envoyées par la commission. Ces faits dénotaient et illustraient le très peu de cas que le recourant faisait de l’autorité de la justice et l’absence de prise de conscience de son comportement.

Le recourant ne critique pas directement ces reproches, mais se prononce sur le fond des différents litiges, arguant notamment que les résiliations des contrats de bail étaient parfaitement fondées ou qu’il était parfaitement en droit de défendre sa cause et qu’il n’avait pas provoqué de manière illicite et fautive l’ouverture de la procédure pénale. Or, ces faits ne lui sont pas reprochés en l’espèce. Il allègue avoir toujours déféré aux demandes de la commission et n’avoir pas reçu au moins l’un de ses courriers. Ces allégations ne sont cependant pas établies. Au contraire, quand bien même un des courriers de la commission ne l’aurait pas atteint, il n’en demeure pas moins que celle-ci a dû le relancer à dix reprises pour obtenir l’ordonnance de classement.

Par ailleurs, dans ses écritures tant devant la commission que devant la chambre de céans, il qualifie de « surréaliste et scandaleuse » un considérant de la commission dans sa première décision laquelle retenait de « manière complétement irrationnelle » un fait. Il affirmait avoir fait face à des accusations « graves et infamantes par devant les autorités judiciaires et administratives ». Ces propos excèdent également les termes admissibles de la part d’un auxiliaire de la justice.

Il appert au vu de ces faits, établis par les pièces figurant au dossier, que le recourant fait preuve de manque de respect des autorités dont il n’apparaît pas être conscient, compte tenu de ses explications non plausibles à ses comportements ou encore de l’absence de réponse aux demandes qui lui sont faites, sans présenter d’excuse, violant par là son devoir de soin et de diligence au sens de l’art. 12 let. a LLCA tel que défini ci-dessus.

En conséquence, c’est à juste titre que la commission a retenu pour l’ensemble de ces comportements une violation d’une certaine gravité des règles professionnelles qui justifie le prononcé d'une sanction.

6) Reste à examiner la proportionnalité de la sanction prononcée par la commission.

a. Selon l'art. 17 al. 1 LLCA, en cas de violation de la LLCA, l'autorité de surveillance peut prononcer des mesures disciplinaires, soit l'avertissement (let. a), le blâme (let. b), une amende de CHF 20'000.- au plus (let. c), l'interdiction temporaire de pratiquer pour une durée maximale de deux ans (let. d) ou l'interdiction définitive de pratiquer (let. e). L'amende peut être cumulée avec une interdiction de pratiquer (art. 17 al. 2 LLCA). Si nécessaire, l'autorité de surveillance peut retirer provisoirement l'autorisation de pratiquer (art. 17 al. 3 LLCA).

L'avertissement, le blâme et l'amende sont radiés du registre cinq ans après leur prononcé (art. 20 al. 1 LLCA). L'avertissement est la sanction prévue la moins grave et est réservée aux cas bénins. L'amende fait partie des mesures disciplinaires d'importance moyenne et sanctionne en principe les manquements professionnels plus graves que le blâme. Elle présente un caractère plus répressif que l'avertissement et le blâme, en particulier lorsque son montant est élevé (Alain BAUER/Philippe BAUER in Commentaire LLCA, n. 64 ad art. 17 LLCA ; ATA/258/2021 précité consid. 9a).

b. Pour déterminer la sanction, l’autorité doit, en application du principe de la proportionnalité, tenir compte tant des éléments objectifs, telle l’atteinte objectivement portée à l’intérêt public, que de facteurs subjectifs. Elle jouit d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre administrative ne censure qu’en cas d’excès ou d’abus (ATA/831/2022 précité consid. 7c ; ATA/519/2021 du 18 mai 2021 consid. 6c et les références citées).

L'autorité tiendra notamment compte de la gravité de la faute commise, des mobiles et des antécédents de son auteur, ou encore de la durée de l'activité répréhensible. Elle pourra également prendre en considération, suivant les cas, des éléments plus objectifs extérieurs à la cause, comme l'importance du principe de la règle violée ou l'atteinte portée à la dignité de la profession. Elle devra enfin tenir compte des conséquences que la mesure disciplinaire sera de nature à entraîner pour l'avocat, en particulier sur le plan économique, ainsi que des sanctions ou mesures civiles, pénales ou administratives auxquelles elle peut s'ajouter (Alain BAUER/Philippe BAUER, op. cit., n. 25 ad art. 17 LLCA).

c. Les faits reprochés se sont déroulés pendant une très longue période, à savoir depuis août 2015 jusqu’au prononcé de la décision de la commission le 28 juillet 2022. Les comportements reprochés procèdent, comme l’a retenu à juste titre la commission, d’une désinvolture quasi systématique, voire d’un déni de l’autorité et des règles applicables à la profession. Cette attitude est de nature à porter une atteinte relativement grave à la dignité de la profession. Aucune prise de conscience n’a par ailleurs pu être constatée dans l’attitude du recourant. Celui-ci a par ailleurs déjà été sanctionné par un avertissement le 7 septembre 2015 pour avoir violé l’art. 12 let. a LLCA (confirmé par l’ATA/820/2016 du 4 octobre 2016).

Ainsi, en sanctionnant ces nouvelles violations des règles professionnelles par une amende de CHF 1'750.-, la commission n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation.

7) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 septembre 2022 par Monsieur A______ contre la décision de la commission du barreau du 28 juillet 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu’à la commission du barreau.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :