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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/726/2022

ATA/946/2022 du 20.09.2022 ( EXPLOI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/726/2022-EXPLOI ATA/946/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 septembre 2022

2ème section

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Dimitri Tzortzis, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE


EN FAIT

1) A______ est une société de droit suisse, inscrite le 15 avril 2008 au registre du commerce (ci-après : RC), dont le but social est l’« exploitation de discothèques, cafés, restaurants et établissements publics, prise de participation dans tous commerces ou sociétés poursuivant des buts analogues, et activités liées à la communication et l’événementiel ». Elle dirige le B______, marque réunissant plusieurs sociétés gérant des établissements.

Messieurs C______, D______, E______, qui sont frères, en sont les animateurs, chacun disposant de la signature individuelle.

2) La parcelle n° 1'450 de la commune de Genève, feuille 12, section Plainpalais, d’une surface de 14'627 m2, située à la Pointe de la Jonction, est la propriété du canton de Genève. Par contrat de superficie du 20 décembre 2007 et 18 mars 2008, ce dernier l’a mise à disposition des Transports publics genevois
(ci-après : TPG). Ladite parcelle comprend notamment le bâtiment ______, d’une surface de 6'575 m2, correspondant au dépôt des TPG.

3) Par convention du 27 mai 2021, les TPG ont cédé à la Ville de Genève (ci-après : la ville) l’usage de la parcelle précitée (art. 1). La surface prêtée, y compris son dépôt, était destinée à accueillir les événements et activités liés au projet d’aménagement du parc de la Pointe de la Jonction, à la concertation du projet entre le 19 avril et le 29 août 2021 et à l’occupation temporaire des lieux, à compter du 30 août 2021 et jusqu’au 1er septembre 2023 – occupation pouvant se prolonger par courrier simple adressé aux TPG, jusqu’au transfert de propriété de la parcelle n° 4'150 du canton à la ville (art. 2). Cette convention a été conclue pour une durée indéterminée mais au plus tard à l’échéance du contrat de superficie susmentionné le 30 juin 2038 ou jusqu’au transfert de propriété de la parcelle n° 4'150 du canton à la ville (art. 4).

4) Le jour même, la ville a lancé un appel à projets pour le projet « P______ » (ci-après : le projet), visant la mise à disposition d’une halle sise à la Pointe de la Jonction, pendant trois saisons, soit du 15 octobre au 1er décembre 2021, du 1er février au 1er décembre 2022 et du 1er février au 1er décembre 2023. Le délai de postulation était fixé au 5 juin 2021.

Étaient jointes cinq annexes, soit le cahier des charges (conditions d’exploitation), le plan d’implantation, les attestations et documents devant être fournis, les modalités de l’appel à projets et les critères d’attribution ainsi que le « moodboard ».

Selon le cahier des charges, la ville met à disposition du candidat retenu une halle, par le biais d’une convention, pendant trois saisons, soit du 15 octobre au 1er décembre 2021, du 1er février au 1er décembre 2022, et du 1er février au
1er décembre 2023. L’organisateur est habilité à mettre à disposition des emplacements à des tiers. La halle est destinée à accueillir en priorité des producteurs, artistes et artisans locaux proposant un ensemble d’activité et d’animations diverses. Les activités générant des nuisances sonores, telle que la musique amplifiée, sont proscrites (art. 1). La halle visée par le cahier des charges concerne les couverts 2 et 3 du dépôt des TPG (art. 2), le couvert 1 abritera divers événements organisés notamment par le Forum de la Jonction (entité regroupant de nombreuses associations de quartier), ainsi que par l’AIDEC (association accompagnant le forum de la Pointe de la Jonction dans une démarche participative pour la création du futur parc à la Pointe de la Jonction) (art. 3). L’organisateur prend note que la mise à disposition prendra fin le 1er décembre 2023, terme fixe, sans que l’une ou l’autre des parties n’ait à la résilier. En cas de non-respect de l’une ou l’autre des obligations ou de modification injustifiée du concept présenté dans le cadre de l’appel d’offre, la ville peut, si un avertissement écrit est resté sans effet, mettre un terme immédiat à la convention et ne pas renouveler la permission pour les saisons suivantes, sans qu’il ne soit dû à l’organisateur de quelconques indemnités et/ou dommages-intérêts (art. 11).

Parmi les documents à fournir figuraient une attestation de non poursuites, un certificat de bonne vie et mœurs (ci-après : CBVM) et un extrait de casier judiciaire, datant de moins de six mois, ainsi qu’une lettre de motivation. Les critères d’attribution étaient les suivants : originalité et solidité du concept global ; convivialité de l’atmosphère et intégration du concept au site ; favorisation des partenariats locaux avec les associations, les artisans, les commerçants et producteurs de la région, en vue de proposer à la vente des produits locaux, à des prix raisonnables ; expérience du candidat dans l’organisation de manifestations et adéquation du projet aux valeurs prônées par la ville, notamment dans le respect de l’environnement, promotion de la diversité et le développement durable.

5) Par courrier du 20 juin 2021, à l’entête du B______, MM. D______, C______ et E______ ont déposé leur candidature.

Selon cette lettre de motivation, le B______ était spécialisé dans le domaine de la restauration, de l’hospitalité et de l’événementiel, et gérait désormais cinq établissements à Genève. Ils bénéficiaient « de toute l’expertise stratégique et organisationnelle pour appréhender la conception et la mise en place de ce futur ensemble d’activités situé à la Pointe de la Jonction ». Ils souhaitaient mettre leur expertise au profit de ce projet. Le B______ disposait d’une entreprise de sécurité. Ils avaient réuni une équipe de spécialistes « pour couvrir les besoins du mandat en matière de conception, d’étude de faisabilité, de restauration, d’animation, de sécurité et de marketing ».

Le concept visait à faire des halles « un lieu de partage et de rencontre. Pensé comme un nouveau poumon culinaire genevois, la halle à manger s’ouvr[ait] à tous : amoureux de la food culture ou simple curieux. La programmation tournante des restaurateurs vous emmènera[it] à chaque fois dans une expérience inédite, dans un voyage où la street food [était] reine. Les créateurs et artistes locaux ser[aient] mis en avant et cet espace leur sera[it] dédié pour exprimer et présenter leur créativité/créations. De la cuisine maison, des rendez-vous festifs et un engagement 0 plastique ».

Selon l’organigramme, les « personnes-clés » pour mener à bien le projet étaient les suivantes :

-          Direction opérationnelle : MM. C______ et D______ (fondateurs et CEO), M. E______ (fondateur exploitant), Monsieur F______ (directeur restauration/street food), Monsieur G______ (chef de cuisine exécutif), Monsieur H______ (direction opérationnelle) ;

-          Marketing, presse et événements : Madame I______ (cheffe de projet et digital manager), Monsieur J______ (directeur artistique), Madame K______ (animatrice et programmatrice) et Madame L______ (responsable presse et relations médias) ;

-          Concept, sécurité, design et architecture : Monsieur M______ (concepteur et direction artistique), Monsieur N______ (responsable sécurité).

Les curriculum vitae de M. E______ (en plus de la copie de sa carte d’identité, de son CBVM, de son attestation de non poursuites et de son extrait de casier judiciaire) et de M. H______ étaient joints.

6) Pour la période du 28 juin au 30 novembre 2021, les frais de surveillance du dépôt TPG à la Pointe de la Jonction se sont élevés à CHF 142'959.45 à la charge de la ville.

7) Du 5 juillet au 9 août 2021, des installations de sport urbain ont été mises en place dans les halles 2 et 3.

8) Par courrier du 28 juillet 2021 adressé à M. E______ pour le B______, la ville l’a informé avoir décidé de lui attribuer l’exploitation des « P______ » (ci-après : les halles), pour trois saisons consécutives, soit du 15 octobre au 1er décembre 2021, du 1er février au 1er décembre 2022 et du
1er février au 1er décembre 2023.

9) Au mois d’octobre 2021, les habitants du quartier de la Jonction se sont opposés à ce projet.

10) Selon un échange de courriels des 4 et 9 octobre 2021, M. H______ a transmis aux collaborateurs de la ville, à la demande de ceux-ci, le dossier relatif aux demandes d’autorisations de construire afin qu’elle puisse le co-signer. Ils indiquaient également que la convention était en cours de finalisation et demandaient que le nom de M. H______ y soit indiqué en plus de celui de M.  E______ .

11) Le 5 octobre 2021, O______ SA a été inscrite au RC, avec pour but social « en Suisse et à l’étranger : l’exploitation d’établissements publics tels que cafés, hôtels, restaurants, discothèques, snack-bars, bars à café, tea-rooms ou entreprises similaires ; l’offre de tous conseils, services et prestations de même que l’exercice de toutes activités liées dans les domaines de la communication, de la production, de la publicité et de l’évènementiel ; la prise de participations dans des entreprises poursuivant des buts analogues ; la société pourra effectuer soit pour son propre compte, soit pour le compte de tiers, toutes opérations financières, commerciales, industrielles, mobilières ou immobilières en Suisse et à l’étranger, se rattachant directement ou indirectement au but principal ; elle peut également créer des succursales et des filiales, en Suisse et à l’étranger ; la société pourra accorder des prêts à ses actionnaires et/ou se solidariser, cautionner ou se porter-fort des prêts consentis par des tiers à ses actionnaires ».

M. E______ en est l’administrateur président.

12) Par courrier du 8 octobre 2021, A______ a confirmé au collaborateur de la ville que M. H______ était responsable du projet. Elle l’informait de la création de O______ SA en vue de l’exploitation du site. La convention devait être adressée à cette dernière.

13) Par courriel du 22 octobre 2021, les collaborateurs de la ville ont transmis à M. H______ la convention entre la ville et O______ SA « relative à la mise à disposition d’un espace (halles 2 & 3) dédié aux producteurs, artisans, artistes locaux, restaurateurs regroupant un ensemble d’activités et d’animations diverses sur le domaine privé cantonal mis à disposition de la ville par les TPG, eux-mêmes titulaires d’un droit de superficie, en vue d’y installer la manifestation "P______"» (ci-après : la convention). Il devait la retourner signée en deux exemplaires.

14) Le 11 novembre 2021 a eu lieu un entretien entre M. H______ et les collaborateurs de la ville. Selon un échange de courriels subséquent, les modifications à la convention demandées par M. H______ avaient été effectuées. Ainsi, le 18 novembre 2021, une version définitive de ladite convention était transmise pour signature.

Cette dernière indiquait notamment que « le projet “P______“ porté par MM. E______ et H______ pour le compte du B______, A______, a[vait] remporté cet appel à projets, ce dont il a[vait] été informé en date du 5 août 2021 par le conseil administratif de la ville. Aux fins de réaliser le projet “P______“, les lauréats [avaient] constitué une nouvelle société, O______ SA, inscrite le 5 octobre 2021 au registre du commerce de Genève. Cette société [pouvait] dès lors être considérée comme l’interlocutrice de la ville et l’organisatrice dudit projet. Du fait des féries judiciaires d’été, le délai d’un éventuel recours contre l’attribution du projet [était] échu depuis le 16 septembre 2021, sans qu’un recours n’ait été déposé contre cette décision [ ]. D’un commun accord, les parties [avaient] donc décidé de renoncer à la phase initiale en octobre-novembre 2021 pour viser une ouverture à compter du 1er février 2022, après l’obtention de l’autorisation de construire et des autres autorisations cantonales nécessaires à ce type de manifestation [ ]. L’attention de O______ SA [était] attirée sur le fait que l’exploitation de la manifestation [était] soumise à la délivrance d’une autorisation de construire en procédure accélérée, pour laquelle l’organisateur [devait] déposer dans les meilleurs délais une demande auprès des instances cantonales compétentes, demande cosignée par la ville et les TPG ». « En cas de non-respect de l’une ou l’autre des obligations prescrites par les présentes conditions, ou de modification injustifiée du concept présenté dans le cadre de l’appel d’offre, la ville [pouvait], si un avertissement écrit assorti d’un délai raisonnable pour s’exécuter [était] resté sans effet, mettre un terme immédiat à la convention, et ne pas renouveler la permission pour les saisons suivantes, sans qu’il ne soit dû à l’organisateur de quelconques indemnités et/ou dommages-intérêts » (art. 11). La conseillère administrative et M. E______ étaient mentionnés comme signataires pour le compte de respectivement la ville et O______ SA.

15) Selon des articles de presse parus les 23 et 26 novembre 2021, la ville avait confié le projet à MM. C______ et D______ , alors que ceux-ci et leur ancien comptable étaient impliqués dans deux procédures pénales distinctes concernant la gestion financière du B______. L’ancien comptable était condamné pour abus de confiance, tandis que la seconde procédure pénale, les concernant, devait être jugée au printemps 2022.

16) Par courrier du 23 novembre 2021 à l’entête du B______, MM. C______ et D______ ont informé la ville de la procédure pénale diligentée à leur encontre. Le comptable en question ne s’était pas cantonné à leur détourner de l’argent, mais avait également proféré des accusations à leur endroit, qu’ils contestaient. Ils assuraient à la ville qu’elle pouvait garder toute confiance dans leur entreprise en indiquant notamment « vous avez cru dans les qualités du projet, vous avez cru en nous et en notre probité, partant, nous nous engageons fermement à ne pas décevoir vos attentes ».

17) Lors d’un entretien du 25 novembre 2021, ayant eu lieu en présence de MM. H______ et E______ , la ville a indiqué que leur collaboration sur le projet était remise en question à la suite de la découverte des articles de presse précités.

18) Par courrier du 26 novembre 2021 à l’entête du B______, MM. C______ et D______ ont confirmé à la ville contester les accusations portées à leur encontre, en se prévalant de la présomption d’innocence. Le dossier de candidature avait été déposé par A______ et non par T______ SA, en liquidation à la suite des nombreux détournements effectués par l’ex-comptable. Durant les cinq dernières années, ils avaient travaillé au rétablissement et au développement du B______ et à asseoir une certaine notoriété et crédibilité dans leurs divers établissements et sociétés. Sur un budget total de CHF 600'000.-, un montant de CHF 250'000.- avait déjà été engagé dans le projet et des contrats conclus avec des prestataires, des fournisseurs et des associations avaient été signés. La procédure pénale dirigée à leur encontre n’avait aucun lien ni aucune conséquence sur les conditions de participation à la procédure d’adjudication et les conditions devant être remplies pour obtenir celle-ci.

Étaient joints leurs attestations de non-poursuites, leurs extraits de casier judiciaire vierge ainsi que leurs CBVM.

19) Par courrier du 2 décembre 2021, la ville a informé le B______, soit pour lui M. E______ , qu’elle envisageait de révoquer sa décision du 28 juillet 2021 en raison des informations publiées dans la presse. Une audition était fixée au 8 décembre 2021 pour l’entendre à ce sujet. En vue de celle-ci, tous les documents utiles relatifs aux dispositions prises pour la préparation du projet, y compris les justificatifs de l’ensemble des frais déjà engagés, devaient lui être communiqués.

20) Le lendemain, A______, représentée par son conseil, a répondu que le motif invoqué n’était pas suffisant pour justifier une révocation de la décision précitée. La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) avait déjà jugé (ATA/358/2021 du 23 mars 2021) que le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) avait refusé à tort la délivrance d’une autorisation d’exploiter à M. D______ , au motif que celui-ci ne remplissait pas les conditions d’honorabilité compte tenu de la procédure pénale en cours. En l’état, les éléments ne permettaient pas de conclure à l’absence d’honorabilité.

21) Le 8 décembre 2021 a eu lieu l’audition par la ville du B______, soit pour lui MM. C______ et D______, ainsi que M. H______.

MM. C______ et D______ ont expliqué qu’en décembre 2016, à la suite de la découverte du vol de la quasi-totalité des liquidités de T______ SA, ils avaient déposé plainte à l’encontre de l’ancien comptable après avoir rassemblé toutes les pièces comptables. Après les avoir accusés des détournements d’argent, ce dernier avait finalement adressé une lettre d’aveux au Ministère public s’excusant des accusations proférées à leur encontre. La procédure pénale portant sur les infractions de gestion déloyale, de faux dans les titres et d’abus de confiance avait néanmoins été poursuivie ; ils s’estimaient victimes d’une « fishing expedition ». Lors de la mise en faillite de T______ SA, ils avaient payé tous les fournisseurs et les employés, ce qui démontrait une réelle loyauté et honorabilité envers les personnes et partenaires avec qui ils travaillaient. Au 1er janvier 2017, ils avaient rapatrié leurs activités de gestion dans A______. Dans le cadre de l’appel à projets, il ne leur avait pas été demandé s’ils faisaient l’objet d’une procédure pénale en cours contrairement au PCTN dans l’affaire précitée. Ils estimaient injuste de les punir pour des faits qu’ils n’avaient pas commis, alors qu’ils avaient rassemblé toute leur énergie pour monter un projet d’une telle envergure, dès la communication de la décision du 28 juillet 2021. M. H______ disposait d’une patente de cafetiers encore disponible, contrairement à eux. Ils étaient les bénéficiaires économiques et occupaient le rôle de consultants uniquement, sans avoir de pouvoir décisionnel. Plus d’une trentaine de partenaires étaient déjà impliqués dans le projet, plus d’une dizaine d’employés travaillaient à plein temps et certains d’entre eux avaient quitté leur précédent emploi à cette fin. Certains restaurateurs avaient résilié leurs baux pour pouvoir être présents en 2022. Une décision devait être prise rapidement. Ils étaient tous deux fatigués et agacés des conséquences qu’ils subissaient du fait de cette procédure pénale, notamment dans le cadre de leurs relations avec les autorités administratives.

Au terme de l’audition, la ville a imparti à MM. C______ et D______ un délai au 14 décembre 2021 pour produire les pièces suivantes : leur plainte, les documents démontrant les mesures prises pour régler les fournisseurs et les employés dans le cadre de la faillite de T______ SA, une liste des partenaires engagés dans le projet et une description des montants investis à ce stade ainsi qu’un organigramme opérationnel avec la répartition des rôles de la structure actuelle.

22) Par courriers des 17 et 21 décembre 2021, A______ a remis les documents requis, en plus d’extraits de casiers judiciaires vierges du 10 décembre 2021 et de CBVM datés du 15 décembre 2021, aux noms de MM. C______ et D______ .

Selon l’organigramme, MM. C______ et D______ étaient les ayant droits économiques, M. E______ l’administrateur, M. H______ responsable de la direction générale opérationnelle, Messieurs Q______ et R______, responsables du management via S______ Sàrl.

23) Le 7 janvier 2022, A______ a transmis à la ville, à la demande de celle-ci, divers documents concernant S______ Sàrl, inscrite le 20 décembre 2021 au RC, dont un courrier de M. R______ décrivant « le détail des services fournis en support et en collaboration avec les équipes du V______ ». Étaient également joints deux exemplaires originaux de la convention, signés de M. E______

pour le compte de O______ SA.

24) Les 12 et 21 janvier 2022, la ville a répondu que les pièces produites concernant S______ Sàrl ne décrivaient pas les responsabilités que MM. R______ et Q______ devaient assumer pour la suite de la réalisation du projet, alors que l’organigramme remis précédemment indiquait que ceux-ci devaient en assurer le management. Afin qu’elle puisse comprendre les rôles respectifs de MM. E______, H______, R______ et Q______, A______ devait préciser les responsabilités exercées par chacun d’eux dans l’exploitation des halles. Elle demandait également si la date de l’audience pour la procédure pénale concernant MM. C______ et D______ avait été fixée. Un délai au leur était imparti à cet effet. La suite du projet demeurait réservée en l’état.

25) Répondant dans le délai, A______ s’est étonnée des interrogations soudaines de la ville quant à l’importance des rôles respectifs des personnes impliquées dans le projet, tandis qu’elle souhaitait jusqu’alors que le projet aboutisse rapidement. MM. C______ et D______ étaient les ayant droits économiques, assumant un rôle de consultants sans pouvoir décisionnel. M. E______ était administrateur et supervisait le projet aux côtés de M. H______, responsable de la communication, de la création du site internet, des réseaux sociaux et de l’application, du « packaging et des goodies ». M. H______ assumait la direction générale opérationnelle (stratégie de mise en œuvre, développement de l’activité et atteinte des objectifs, définition des priorités et suivi quotidien, lien entre les différents intervenants et le direction générale). MM. R______ et Q______, au travers de S______ Sàrl, collaboraient en raison de leur expérience dans le domaine de l’évènementiel sans avoir de rôle décisionnel. La liste détaillée des services que pourrait fournir S______ Sàrl avait déjà été transmise le 7 janvier 2022. La ville était invitée à lui communiquer un calendrier précis afin que le projet puisse débuter au cours du mois de février 2022.

26) Le 27 janvier 2022, la ville a clos l’instruction.

27) Par décision du 2 février 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, la ville a révoqué sa décision du 28 juillet 2021.

A______ et ses administrateurs avaient gravement failli au devoir de transparence qui leur incombait dans le cadre de l’appel à projets. La décision d’attribution était fondée sur un fait inexact, puisque la ville ne disposait pas de toutes les informations pertinentes pour apprécier le dossier de candidature qui lui avait été soumis, notamment sous l’angle de l’exigence de moralité imposée aux exploitants, qui était un standard propre à un projet soutenu par une collectivité publique. Si, lors de l’examen du dossier de candidature de A______, la ville avait eu connaissance de ces informations, elle ne lui aurait pas attribué le projet. Le fait que A______ avait dissimulé l’existence de cette procédure pénale dans son dossier de candidature, puis lors des négociations portant sur la convention et jusqu’à ce que la presse en fasse état, entraînait une rupture du lien de confiance nécessaire à la réalisation d’un projet de cette nature, durée et sensibilité.

A______ avait également effectué des changements d’ordre organisationnel par rapport à ce qui était indiqué dans le dossier de candidature, sans demander l’accord préalable de la ville. Ce n’était que lors des pourparlers contractuels que la ville avait eu connaissance du fait que ce ne serait pas A______, mais O______ SA qui serait porteuse du projet. La gestion du projet était réalisée par une société tierce, sous-traitante non initialement annoncée ni autorisée par la ville. La répartition des rôles dans le cadre du projet des « P______ » différait notablement de celle présentée dans le dossier de candidature et demeurait peu claire. Le déplacement des responsabilités de management en direction d’acteurs nouveaux, dont les compétences et expériences n’étaient pas établies ni documentées, induisait que les bases de la décision d’attribution n’étaient plus réunies à ce jour.

Au regard du principe de la proportionnalité, l’intérêt public l’emportait sur celui de A______ à pouvoir mener son projet à son terme. L’intérêt public commandait que l’occupation et l’animation des halles ne puissent être confiées à une société dont les animateurs ne présentaient pas des garanties complètes d’honorabilité et de disponibilité tout au long de la période d’exploitation prévue, respectivement délèguent de manière floue les responsabilités de gestion à des sous-traitants non identifiés au cours de l’évaluation des dossiers de candidature.

La ville devait entreprendre rapidement des démarches afin qu’un autre projet voit le jour dans les halles, site à sa disposition que pour une durée limitée.

28) Par acte du 4 mars 2022, A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, en concluant, principalement, à son annulation et à ce que la ville soit invitée à signer la convention ainsi qu’à collaborer pleinement avec elle en vue de finaliser et débuter le projet. Subsidiairement, elle sollicitait que la ville soit invitée à mettre en œuvre toute démarche utile et nécessaire afin que le projet puisse débuter au plus vite ou au renvoi de la cause à celle-ci pour nouvelle décision. Sur mesures provisionnelles, elle demandait la restitution de l’effet suspensif au recours et qu’il soit interdit à la ville de débuter un nouveau projet sur le site des halles.

La décision querellée consacrait une violation du droit, une constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents, ainsi qu’une violation des principes de la proportionnalité, de la nécessité et de l’interdiction de l’arbitraire.

L’appel à projets lancé par la ville et ses annexes n’avaient pas conditionné celui-ci à une question de moralité. En accord avec la ville, il avait été décidé que le projet soit dirigé et organisé par O______ SA. M. E______ n’était impliqué dans aucune procédure pénale. Le projet n’avait pas été attribué à MM. C______ et D______ , mais à A______. Alors même qu’aucune condamnation pénale, ni aucune infraction administrative ne pouvaient être imputées au 2 février 2022, ni au jour du recours, la ville avait considéré, sans motif, qu’elle n’offrait pas toute garantie de moralité. La présomption d’innocence devait prévaloir. Le formulaire A rempli par M. C______ - et ceux qui s’en étaient suivis, remplis par M. D______ -, au cours du mois de janvier 2017 déjà, faisait état de la procédure pénale en cours. Si A______ avait été questionnée au sujet de l’existence d’une procédure pénale en cours à l’encontre de ses administrateurs, elle aurait répondu par l’affirmative, en expliquant le contexte et le fait que ceux-ci contestaient les infractions qui leur étaient reprochées depuis plus de quatre ans. La rupture du lien de confiance alléguée par la ville était un motif fallacieux, à but vraisemblablement politique. A______ avait toujours pleinement collaboré avec la ville, en lui fournissant tous les documents et attestations réclamés. La ville se fondait sur des éléments qui n’étaient, à ce stade, pas établis. Rien ne permettait de remettre en question l’honorabilité et la moralité de A______ ou de O______ SA, ni de leurs administrateurs.

Les parties avaient accepté d’un commun accord que le projet soit désormais suivi et dirigé par O______ SA. Elle avait expliqué à la ville que, dans le cadre de l’organigramme du B______, il était préférable que ce projet soit guidé sous l’égide d’une société constituée spécialement pour lui, afin de dissocier les entités et leurs activités. Il était choquant que la ville fasse grand cas des changements organisationnels intervenus, au fur et à mesure du projet, puisque ces derniers n’avaient toujours que pour but de mener à bien rapidement le début de l’exploitation des « P______ », afin de satisfaire au mieux la population genevoise.

A______ produisait notamment un tableau récapitulatif des frais engagés dans le projet pour un montant total de CHF 312'662.85, dont CHF 101'337.10 pour U______ Sàrl pour du matériel de cuisine, CHF 52'000.- pour S______ Sàrl et CHF 750.- de frais de notaire.

29) La ville s’est déterminée sur la requête en restitution de l’effet suspensif et les mesures provisionnelles.

30) La recourante a répliqué sur la requête en restitution de l’effet suspensif et les mesures provisionnelles, en produisant un chargé de pièces complémentaire, comprenant notamment un courriel du 28 mars 2022 de U______ Sàrl, réclamant la somme de CHF 51'291.10, ainsi qu’un courriel du 29 mars 2022 d’une entreprise de communication demandant la paiement des factures ouvertes, en rappelant que celui-ci était vital pour son fonctionnement.

31) Par décision du 8 avril 2022 (ATA/382/2022), la chambre administrative a rejeté la requête de restitution de l’effet suspensif et de mesures provisionnelles de la recourante, en réservant le sort de frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond.

32) La ville a conclu au rejet du recours.

Elle avait pris la décision révoquée au terme d’un appel à candidatures dans le cadre de l’attribution d’une concession. La décision d’attribution du droit exclusif d’exploiter un lieu relevant du patrimoine public ne constituait pas une autorisation de police. La révocation de la décision d’attribution n’étant pas soumise à des dispositions légales spécifiques, sa validité matérielle était déterminée par les principes généraux du droit administratif. Vu le type d’exploitation prévue sur le site, la ville était fondée à formuler des attentes plus précises et strictes quant à la composition des équipes en charge du projet (« personnes-clés »), tant en ce qui concernait leur expérience de gestion et conduite de tels projets, qu’en ce qui concernait leur probité. La référence de la recourante aux conditions définies pour la moralité des exploitants était sans pertinence pour cette procédure soumise à ses propres critères d’attribution.

Les deux critères déterminants appliqués lors de la décision d’attribution, soit l’expérience de A______ et l’adhésion aux valeurs prônées par la collectivité, étaient mis à mal par les faits découverts par la ville à partir de novembre 2021. L’exigence de production d’un CBVM et d’un extrait vierge du casier judiciaire démontrait que la ville entendait que les candidats fassent montre d’une moralité, probité et transparence irréprochables. Le silence de la recourante sur l’existence de procédures pénales pendantes – quel que fût le bien-fondé des incriminations – posait un problème plus critique, eu égard à la transparence requise. Le critère de l’expérience dans l’organisation d’événements permettait à la ville de s’assurer que le candidat soit solidement implanté et ait des clients réguliers, ce qui devait notamment être démontré à travers les documents attestant de sa solvabilité.

Le fait que deux des animateurs présentés comme « personnes-clés » du projet en question, soit MM. C______ et D______ , se trouvaient au centre d’une procédure de droit pénal économique en cours constituait un élément qui, s’il avait été connu du conseil administratif lors de l’attribution du projet, aurait pesé en défaveur de la candidature de A______. Il montrait que les personnes-clés du projet pourraient être affectées dans leur probité, voire dans leur capacité concrète de gestion, durant la période d’exploitation prévues pour les « P______ ». La création de O______ SA et la délégation de la conduite du projet à de nouvelles personnes-clés n’était sans doute pas sans lien avec le malaise causé par l’existence de la procédure pénale et le risque qu’une condamnation puisse les empêcher de remplir leur mission. Entre l’équipe et la structure proposées dans l’offre et retenue dans la décision d’attribution et celles effectivement mises en œuvre pour le projet, la situation avait évolué. Il lui avait fallu insister pour obtenir quelques clarifications sur le rôle de personnes jusque-là inconnues pour que les animateurs initiaux révèlent la nouvelle organisation. Ces nouvelles informations obtenues début 2022 montraient que le projet ne reposait plus que sur une seule des « personnes-clés » présentées initialement, à savoir M. H______. A______ n’assumait plus aucun rôle, ni responsabilité dans la mise en œuvre du projet. Selon le nouvel organigramme et les factures produites, S______ Sàrl intervenait dans le projet depuis l’été 2021 alors qu’elle n’avait été formellement constituée que fin décembre 2021. MM. R______ et Q______ n’avaient pas été mentionnés dans l’organigramme joint à la soumission de A______. La solidité du projet était donc potentiellement fragilisée par le morcellement des responsabilités, notamment par la création de O______ SA sans qu’aucune indication ne soit fournie relative au support et aux garanties apportées par les sujets à la base de la candidature. L’expérience de gestion des animateurs du B______ n’était plus disponible, puisque MM. C______ et D______  n’avaient plus qu’un rôle d’ayant droit économiques de O______ SA. Le fait que la ville n’ait pu prendre connaissance de l’évolution de l’organisation prévue pour le projet qu’à la suite d’une investigation déclenchée en raison de la prise de connaissance fortuite de la procédure pénale dénotait un manque de fiabilité de A______.

Ainsi, la décision d’attribution était fondée sur un état de fait inexact, car elle ne disposait pas de toutes les informations pertinentes pour apprécier le dossier de candidature soumis, notamment sous l’angle de l’exigence de moralité imposée aux exploitants, qui était un standard propre à un projet soutenu par une collectivité publique. Si, lors de l’examen du dossier de candidature de A______, la ville avait eu connaissance de ces informations, elle ne lui aurait pas attribué le projet.

Le projet de contrat avait été élaboré et discuté, mais n’était pas finalisé au moment où la ville avait pris connaissance de la procédure pénale. La finalisation de la négociation de la convention avait été suspendue, tel que signalé lors de la séance du 25 novembre 2021. La décision d’attribution du 28 juillet 2021 visait à formaliser la sélection du bénéficiaire du droit exclusif d’utilisation du site. L’acte de sélection constituait bien la clôture de la procédure de droit public et non l’acceptation d’une offre de contracter au sens du droit privé. La décision de révocation ne revenait pas à remettre en cause une situation établie sur le plan contractuel, qui aurait conféré à A______ des droits acquis.

La présente procédure ne concernait pas un débat sur une indemnisation. Tous les coûts invoqués n’avaient pas la même nature, le même fondement ou la même justification au regard de la date à laquelle ils avaient été engagés. Les frais de préparation de la candidature ne lui incombaient pas. Certaines factures se rapportaient à des frais engagés après l’ouverture de la procédure de révocation. Les frais de constitution de O______ SA n’étaient pas des frais nécessaires à la réalisation du projet. Le matériel commandé auprès d’U______ Sàrl ne constituait pas un dommage établi à la charge de A______ ou de O______ SA, ces équipements ayant été vendus avec un régime de réserve de propriété applicable jusqu’au règlement complet de l’ensemble des montants facturés. En tenant compte de l’obligation de A______ d’entreprendre tout ce qui était en sa maîtrise pour réduire son dommage, il fallait conclure que, sur le montant global de plus de CHF 300'000.- invoqué, plus de la moitié n’était pas établie.

Le candidat retenu ne pouvait pas modifier les caractéristiques significatives de son projet ultérieurement, conformément au principe de l’immutabilité des offres en droit des marchés publics. Les faits nouveaux découverts représentaient une évolution du projet qui remettait en cause l’objectivité, voire le principe même de l’appel d’offre. L’occupation et l’animation des halles ne devaient pas être confiées à une société dont les animateurs ne présentaient pas des garanties complètes d’honorabilité et de disponibilité tout au long de la période d’exploitation prévue. La mise en œuvre d’un projet sensible et d’envergure ne devait pas être confiée à une société qui s’en désengageait pour le faire porter par une société tierce ou des sous-traitants, non identifiés au cours de l’évaluation des dossiers de candidature. A______, à laquelle étaient imputables un manque de transparence et des changements organisationnels majeurs sans demander son approbation, ne faisait valoir qu’un intérêt pécuniaire limité. L’intérêt public poursuivi l’emportait sur l’intérêt privé de celle-ci à pouvoir mener son projet à terme.

Était notamment jointe la note du 22 juillet 2021 de la conseillère administrative au conseil administratif de la ville, décrivant le déroulement du processus de sélection à la suite de l’appel à projets. Sur les quatre dossiers reçus, un avait été immédiatement écarté et deux étaient incomplets et ne respectaient pas totalement le cahier des charges (ces postulations avaient toutefois été prises en considération, vu le faible nombre de dossiers reçus). Le projet porté par M. E______  avait été recommandé par le jury compte tenu des « grandes qualités de sérieux et de solidité dans la globalité de son concept dans la mesure où les porteurs du projet exploit[aient] déjà plusieurs établissements de la place et où le groupe dispos[ait] de sa propre entreprise de sécurité et de sa propre entité de marketing ».

33) A______ a répliqué en relevant que la ville avait elle-même rédigé la convention en mentionnant spécifiquement que O______ SA serait liée, sans s’y opposer. Il ne s’agissait pas d’un changement d’organisation important. MM. C______ et D______ étant déjà exploitants d’établissements, ils ne pouvaient pas se dédier uniquement au projet, raison pour laquelle l’équipe en charge du projet avait été complétée par des spécialistes. La ville ne semblait pas avoir pris conscience de l’envergure de ce projet et de la nécessité d’avoir de nombreuses personnes et autres intervenants travaillant sur celui-ci, afin de pouvoir le finaliser, puis le débuter.

34) Dans sa duplique, la ville a précisé qu’avant les négociations relatives à la convention intervenues au mois d’octobre 2021, les échanges entre les parties portaient sur des démarches à entreprendre aux fins de réaliser le projet, et non pas sur les termes de la convention. Le processus contractuel au sein de la ville impliquait l’élaboration des documents par les juristes du département concerné, relus ensuite par un collège de membres de la direction avant d’être ratifiés par la magistrate en charge. La finalisation de la convention – par la signature de la magistrate concernée – n’avait pas pu intervenir. Si les agents de la ville ne s’étaient de prime abord pas opposés à ce que la convention en préparation soit conclue au nom de O______ SA, le changement de sociétés n’avait alors pas été perçu comme un changement des personnes-clés chargées en réalité de la mise en œuvre du projet.

35) Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de révoquer la décision attribuant à la recourante l’exploitation des halles pour trois saisons consécutives.

a. Aux termes de l'art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'État, consacré à l'art. 9 in fine Cst. (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; 135 IV 212 consid. 2.6).

À certaines conditions, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_626/2019 du 8 octobre 2020 consid. 3.1 ; 2C_136/2018 du 24 septembre 2018 consid. 3.2). Conformément au principe de la confiance, qui s'applique aux procédures administratives, les décisions, les déclarations et comportements de l'administration doivent recevoir le sens que l'administré pouvait raisonnablement leur attribuer en fonction des circonstances qu'il connaissait ou aurait dû connaître (arrêt du Tribunal fédéral 1P.292/2004 du 29 juillet 2004 consid. 2.1).

b. Une décision est arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. lorsqu’elle est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou encore lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. L’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu’elle serait préférable. De plus, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 144 I 170 consid. 7.3 et les arrêts cités).

c. L'octroi d'une concession portant sur l’exploitation d’une surface prêtée à la ville ne concerne pas l’attribution d’un marché public (ATF 143 II 120 consid. 6). Ladite exploitation tombe en revanche dans le champ d'application de l'art. 2 al. 7 de la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02), ce qui n'est au demeurant contesté par aucune des parties.

d. En Suisse, la LMI garantit à toute personne ayant son siège ou son établissement en Suisse l'accès libre et non discriminatoire au marché afin qu'elle puisse exercer une activité lucrative sur tout le territoire suisse (art. 1 al. 1 LMI). Au terme de l'art. 2 al. 7 LMI, la transmission de l'exploitation d'un monopole cantonal ou communal à des entreprises privées doit faire l'objet d'un appel d'offres et ne peut discriminer des personnes ayant leur établissement ou leur siège en Suisse.

e. La procédure d'appel d'offres à laquelle l'art. 2 al. 7 LMI fait référence n'a pas pour conséquence de subordonner l'octroi des concessions de monopole cantonal ou communal à l'ensemble de la réglementation applicable en matière de marchés publics et ne sont visées par cette disposition que certaines garanties procédurales minimales, comme celles énoncées à l'art. 9 al. 1 et 2 LMI concernant les voies de droit (ATF 143 II 120 consid. 6.2 et 6.3 ; 135 II 49 consid. 4.1).

En introduisant l'obligation de recourir à un appel d'offres, le législateur a cherché à faciliter, voire garantir un accès au marché non discriminatoire et transparent lors des transferts de tels monopoles, tout en respectant la compétence constitutionnelle des cantons et des communes en matière d'activités économiques à caractère monopolistique. L'idée du législateur était de permettre aux autorités compétentes de s'inspirer des obligations du droit des marchés, dans le respect des particularités propres aux activités monopolistiques (ATF 143 II 120 consid. 6.3.1).

Pour définir la portée de l'art. 2 al. 7 LMI, il convient également de ne pas perdre de vue la position intrinsèquement différente de l'autorité lors de la passation d'un marché public par rapport à celle exercée lors du transfert d'un monopole. Contrairement au marché public dans lequel la collectivité publique, endossant le rôle de consommateur, acquiert auprès d'une entreprise privée, en contrepartie du paiement d'un prix, une prestation dont elle a besoin pour exécuter ses tâches publiques, l'attribution d'une concession de monopole cantonal ou communal implique que l'autorité concédante se trouve dans un rôle d'offreur ou de vendeur, puisqu'elle cède, moyennant une redevance et diverses prestations annexes, le droit d'utiliser le domaine public à des fins commerciales. Il n'y a pas de droit à l'obtention d'une concession de monopole, car la collectivité publique reste libre d'exercer elle-même l'activité en cause. Ces différences justifient de laisser à la collectivité publique une plus grande liberté qu'en matière de marchés publics dans le choix des critères à remplir par le concessionnaire et des conditions qu'elle peut lui imposer dans l'exercice du monopole (ATF 143 II 120 consid. 6.3.3).

f. L'art. 2 al. 7 LMI, impose deux exigences découlant du droit des marchés publics : un appel d'offres et l'interdiction de discriminer des personnes ayant leur établissement ou leur siège en Suisse. Cette interdiction de discriminer s'applique non seulement à la procédure d'appel d'offres stricto sensu, mais aussi à la détermination des critères de sélection et au choix du concessionnaire et impose aussi le respect du principe de transparence, qui est son corollaire monopole (ATF 143 II 120 consid. 6.4.1. et les références citées)

g. Pour déterminer si concrètement une collectivité publique s'est conformée aux exigences de l'art. 2 al. 7 LMI, il ne faut pas s'en tenir exclusivement à une approche économique relevant des marchés publics, car l'octroi d'une concession de monopole autorise les cantons et les communes à prendre en compte des intérêts publics plus larges. Il faut toutefois que les choix opérés respectent les principes de non-discrimination et de transparence, ce qui signifie que toutes les entreprises concernées doivent pouvoir déposer une offre avec les mêmes chances et voir évaluer celle-ci en toute transparence et impartialité (ATF 143 II 120 consid. 6.4.2. et les références citées).

h. À Genève, l'utilisation du domaine public est réglé par la loi sur le domaine public du 24 juin 1961 (LDPu - L 1 5). L'autorité qui accorde une permission ou qui octroie une concession en fixe les conditions (art. 17 LDPu).

i. Selon le cahier des charges de l’appel à projets du 27 mai 2021, la ville met à disposition du candidat retenu sur la base d’un appel à projet une halle, par le biais d’une convention, pendant trois saisons, soit du 15 octobre au 1er décembre 2021, du 1er février au 1er décembre 2022, et du 1er février au 1er décembre 2023. L’organisateur est pour ce faire habilité à mettre à disposition des emplacements à des tiers. La halle est destinée à accueillir en priorité des producteurs, artistes et artisans locaux proposant un ensemble d’activité et d’animations diverses. Les activités générant des nuisances sonores, telle que la musique amplifiée, sont proscrites (art. 1). La halle visée par le cahier des charges concerne les couverts 2 et 3 du dépôt des TPG (art. 2), le couvert 1 abritera divers événements organisés notamment par le Forum de la Jonction (entité regroupant de nombreuses associations de quartier), ainsi que par l’AIDEC (association accompagnant le forum de la Pointe de la Jonction dans une démarche participative pour la création du futur parc à la Pointe de la Jonction) (art. 3). La mise à disposition prendra fin le 1er décembre 2023, terme fixe, sans que l’une ou l’autre des parties n’ait à la résilier. En cas de non-respect de l’une ou l’autre des obligations figurant dans les conditions ou de modification injustifiée du concept présenté dans le cadre de l’appel d’offre, la ville peut, si un avertissement écrit est resté sans effet, mettre un terme immédiat à la convention, et ne pas renouveler la permission pour les saisons suivantes, sans qu’il ne soit dû à l’organisateur de quelconques indemnités et/ou dommages-intérêts (art. 11).

Parmi les documents à fournir figuraient une attestation de non poursuites, un CBVM et un extrait de casier judiciaire, datant de moins de six mois, ainsi qu’une lettre de motivation. Les critères d’attribution étaient les suivants : originalité et solidité du concept global ; convivialité de l’atmosphère et intégration du concept au site ; favorisation des partenariats locaux avec les associations, les artisans, les commerçants et producteurs de la région, en vue de proposer à la vente des produits locaux, à des prix raisonnables ; expérience du candidat dans l’organisation de manifestations, et adéquation du projet aux valeurs prônées par la ville, notamment dans le respect de l’environnement, promotion de la diversité et le développement durable.

3) a. Il arrive fréquemment que la loi fixe elle-même les conditions dans lesquelles une décision entrée en force peut être modifiée (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 940 ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER
/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7e éd. 2016, n. 1226). Si de telles dispositions légales font défaut (ATF 120 Ib 193 consid. 2), la jurisprudence admet qu'en règle générale des décisions entrées en force, mais matériellement irrégulières, peuvent, dans certaines conditions, être révoquées (ATF 134 II 1 consid. 4.1 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 944 ; Ulrich HÄFELIN
/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, op. cit., n. 1227).

Au moment de rendre sa décision, l'autorité détermine la situation de fait et y applique les dispositions légales en vigueur. Lorsque, par la suite, cette décision, qui est entrée en force, se révèle affectée d'une irrégularité initiale ou subséquente à son prononcé, que cette irrégularité soit de fait ou de droit, l'autorité a la possibilité de révoquer sa décision, dans la mesure où l'intérêt à une correcte application du droit objectif l'emporte sur l'intérêt de la sécurité du droit, respectivement à la protection de la confiance. Dans le cas contraire, il n'est en principe pas possible de révoquer la décision en cause. Cela est par exemple le cas lorsque la décision administrative fonde un droit subjectif, que la procédure qui a mené à son prononcé a déjà mis en balance les intérêts précités ou que le justiciable a déjà fait usage du droit que lui a conféré la décision. Cette règle n'est toutefois pas absolue et une révocation est également possible dans ces cas, lorsqu'un intérêt public particulièrement important l'impose (ATF 139 II 185 consid. 10.2.3 ; 137 I 69 consid. 2.3 ; 135 V 215 consid. 5.2 ; 127 II 306 consid. 7a).

Une décision assortie d'effets durables ne peut être révoquée que dans les cas d'irrégularités subséquentes, soit parce que l'état de fait a évolué et que les conditions posées à l'octroi de l'autorisation ne sont plus réunies, soit en raison d'une modification législative, mais en l'absence de droit acquis créé par la décision à révoquer (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, op. cit., n. 1230 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 1025 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd. 2011, p. 386).

La révocation d’une décision illégale ne requiert pas de base légale : au contraire, elle rétablira une situation conforme au droit. La révocation d’une décision pour inexécution d’une obligation ne requiert pas non plus de base légale, si cette obligation est l’une des conditions objectives que la loi pose à l’autorisation ou à l’exercice ultérieur d’une activité : il s’agit là aussi de « rétablir » l’ordre légal. Il en va de même si l’obligation inexécutée repose sur une décision prise par l’autorité sur la base d’un pouvoir d’appréciation que la loi lui laisse. Il faut en revanche une base légale pour révoquer au motif de son inopportunité une décision régulière : il est en effet porté atteinte à une situation conforme au droit, dont la modification équivaut à une restriction que l’on fait subir aux intérêts juridiques de l’administré visé (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, op. cit., p. 383s.).

b. L’autorité compétente pour adopter une décision l’est également, en vertu du parallélisme des formes, pour la révoquer, sauf règle légale expresse contraire. La révocation d’une décision peut intervenir d’office, de la propre initiative de l’autorité, ou à la suite d’une demande de reconsidération sur laquelle l’autorité sera entrée en matière, de son plein gré ou en raison de la présence d’un motif de reconsidération obligatoire (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 965ss).

c. L’administration peut rester dans les limites du pouvoir d’appréciation que la loi lui confère, mais en faire un usage erroné, inadéquat, non conforme au but de la loi. On dira alors que sa décision est certes légale, mais qu’elle n’est pas opportune. Le choix en opportunité est celui qui est fait entre plusieurs solutions qui, par définition, sont conformes au droit. « Ce qui est opportun, c’est ce qui est politiquement le plus intelligent, le plus judicieux, on pourrait même dire le plus habile. L’inopportunité est et doit rester une erreur politique » (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 517ss).

d. En matière de marchés publics, l’art. 48 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) prévoit que l'adjudication peut être révoquée, sans indemnisation, pour l'un des motifs énoncés à l'art. 42 RMP. L'autorité adjudicatrice rend une décision de révocation motivée, notifiée par courrier à l'intéressé, avec mention des voies de recours. Selon l’art. 42 al. 2 RMP, l'autorité adjudicatrice peut également écarter l'offre d'un soumissionnaire qui ne remplit pas les garanties de bienfacture, de solvabilité et de correction en affaires (let. c) ou a commis des infractions graves dans le cadre de son activité professionnelle (let. e).

L’art. 35 RMP prévoit que les soumissionnaires doivent indiquer, lors de la remise de leur offre, le type et la part des prestations qui sont appelées à être sous-traitées, ainsi que le nom et le domicile ou le siège de leurs sous-traitants (al. 1). Un soumissionnaire peut être exclu s’il subsiste à l’encontre d'un des sous-traitants participant à l'exécution du marché un motif d’exclusion au sens de l’art. 42 RMP. L’autorité adjudicatrice peut exiger des soumissionnaires qu’ils fournissent, pièces justificatives à l’appui, toutes indications utiles quant aux conditions auxquelles ils envisagent de faire appel à des sous-traitants (al. 4). L'adjudication peut être révoquée s'il existe à l'encontre d'un des sous-traitants un motif d'exclusion au sens de l'art. 42 RMP (al. 5). La sous-traitance au deuxième degré est interdite, sauf si elle est justifiée par des raisons techniques ou organisationnelles. Les soumissionnaires doivent s'assurer du respect de cette interdiction par leurs sous-traitants lors de la conclusion et pendant l'exécution du contrat (al. 6).

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées). Il se compose ainsi des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

4) En l’espèce, deux éléments sont principalement relevés par l’intimée dans sa décision de révocation. D’une part, elle reproche à la recourante une violation du devoir de transparence, notamment en ce que deux de ses administrateurs, soit MM. C______ et D______ n’avaient pas mentionné la procédure pénale pendante les mettant en cause. D’autre part, des changements d’ordre organisationnel ont été effectués par rapport au projet soumis dans le dossier de candidature, sans l’accord préalable de l’intimée.

En l’état, il n’apparaît pas que la procédure pénale diligentée à l’encontre de MM. C______ et D______ ait été jugée, ni qu’a fortiori celle-ci ait abouti à une condamnation des intéressés. En revanche, les documents produits par eux indiquent qu’ils ne font l’objet d’aucune poursuite, ni d’aucune condamnation pénale. Contrairement aux allégations de l’intimée et conformément à ce que la chambre de céans a retenu dans son ATA/358/2021 précité, il n'est toujours pas établi que MM. C______ et D______ auraient été condamnés dans le cadre de la procédure pénale en cours, de sorte que la présomption d'innocence doit prévaloir, à défaut en tous cas d'éléments permettant de retenir dans le cadre de la procédure administrative que des manquements administratifs ou en lien avec l'activité d'exploitant ou de l'exploitation de l'établissement aient été commis (consid. 9). Sous cet angle, les exigences de probité d’un exploitant au sens de la loi sur la restauration, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) ne sauraient être considérées comme étant inférieures à celles retenues par l’intimée.

À cet égard, il convient de relever que les critères d’attribution indiqués en annexe à l’appel à projets du 27 mai 2021 mentionnent uniquement une « adéquation de projet aux valeurs prônées par la ville, notamment dans le respect de l’environnement, promotion de la diversité et le développement durable », sans développer la notion d’honorabilité. Il est admissible qu’au regard de cette seule formulation, la recourante n’ait pu en déduire une obligation de signaler toute procédure pénale en cours à l’encontre de l’un de ses administrateurs, alors que cet aspect avait déjà été jugé comme irrelevant jusqu’à preuve du contraire. MM. C______ et D______ se sont d’ailleurs largement expliqués sur les faits reprochés, en particulier lors de leur audition du 8 décembre 2021, puis en fournissant tous les documents requis attestant de leurs dires, par courriers des
17 et 21 décembre 2021. L’intimée ne les conteste d’ailleurs pas, notamment le fait qu’ils auraient fait le nécessaire pour payer les employés et fournisseurs de O______ SA dans le cadre de la liquidation de celle-ci. Sans minimiser l’importance des valeurs défendues par l’intimée en tant qu’autorité publique, force est de constater que la présomption d’innocence, principe fondamental du droit pénal, ne saurait être remise en question sans justification concrète.

À cela s’ajoute que l’intimée ne peut simultanément faire grief à MM. C______ et D______ de faire l’objet d’une procédure pénale pendante, tout en leur reprochant d’être uniquement les ayant droits économiques de O______ SA, étant de surcroît relevé que M. E______ , administrateur président de cette dernière, n’est pas visé par la procédure pénale en question.

Sur ce dernier point, il ressort de l’étude du dossier de candidature soumis par A______ que MM. E______ et H______ étaient largement mis en avant dans la mise en œuvre dudit projet. Leurs curriculums vitae étaient fournis et leurs noms figuraient sur chaque page dudit projet comme « personnes clés ». La constitution de O______ SA pour gérer spécifiquement l’exploitation des halles correspond à la construction du B______. Ce dernier est dirigé par la recourante. En parallèle, chaque établissement appartenant au B______ est géré par une société spécifique. En outre, contrairement aux allégations de l’intimée, le 18 novembre 2021, une version définitive de la convention entre O______ SA et elle-même a été transmise à M. H______ pour signature. Les collaborateurs en charge du dossier, représentant l’intimée dans ce cadre, avaient alors parfaitement connaissance de la création de O______ SA le 5 octobre 2021, sans s’y opposer à aucun moment. Ce n’est qu’à la suite de la publication, au mois de novembre 2021, des articles de presse évoquant le jugement de l’ancien comptable de T______ SA, que l’intimée est revenue sur sa position, laquelle n’apparaît dès lors pas conforme au principe de la bonne foi.

Si l’intervention de S______ Sàrl ne figurait pas dans le projet soumis, il n’en demeure pas moins que le concept initial n’apparaît pas avoir été modifié. L’intimée ne l’allègue d’ailleurs pas. Au regard des dispositions et principes susrappelés, le seul fait que la recourante fasse appel à un sous-traitant sans l’avoir indiqué dans le projet soumis ni que cela en modifie le concept, ne peut être considéré comme suffisant pour justifier une révocation. Une telle approche se justifie d’autant plus que l’intimée n’invoque aucun autre motif que la seule existence de ce sous-traitant, sans avoir examiné l’honorabilité et la probité de MM. R______ et Q______, alors que toutes les précisions demandées quant aux prestations de S______ Sàrl ont été apportées. L’intimée ne les critique aucunement.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que, depuis le mois de novembre 2021 – date de la publication des articles de presse concernant l’audience de jugement de l’ancien comptable de O______ SA –, la recourante a pleinement collaboré aux demandes de l’intimée. Cette dernière se fonde sur des éléments à ce stade non établis pour fonder sa décision alors que, en l’état, rien ne permet de remettre en question de manière certaine l'honorabilité de MM. C______ et D______ . Ce n’est qu’à cette même période que l’intimée a commencé à contester l’aspect organisationnel du projet, alors qu’elle était informée de la constitution de O______ SA depuis, à tout le moins, le début du mois d’octobre 2021. L’implication de S______ Sàrl est alors devenue problématique sans justification particulière, tandis que le concept du projet demeurait inchangé. En ces circonstances, l'intimée a violé le principe de la proportionnalité, singulièrement le sous-principe de la nécessité, et abusé de son pouvoir d'appréciation en révoquant sa décision d’attribution du projet.

Le recours sera ainsi partiellement admis et le dossier renvoyé à la ville afin qu’elle signe la convention validée par les parties, après vérification de la sous-traitance exercée par S______ Sàrl, en particulier des conditions personnelles de MM. R______ et Q______ (attestation de non-poursuites, CBVM et extrait de casier judiciaire).

5) Vu l’issue du recours, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à la recourante, à la charge de l’intimée (art. 87 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 mars 2022 par A______ contre la décision de la Ville de Genève du 2 février 2022 ;

au fond :

l’admet et annule la décision de la Ville de Genève du 2 février 2022 ;

renvoie la cause à la Ville de Genève dans le sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à A______, à la charge de la Ville de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dimitri Tzortzis, avocat de la recourante, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

la greffière :