Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/4116/2019

ATA/879/2021 du 31.08.2021 sur JTAPI/385/2021 ( LCI ) , REJETE

Recours TF déposé le 03.09.2021, rendu le 28.10.2021, IRRECEVABLE, 1C_499/2021
Parties : ASSOCIATION ACTION PATRIMOINE VIVANT / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC, KEAT SA
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4116/2019-LCI ATA/879/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 31 août 2021

 

dans la cause

 

ASSOCIATION ACTION PATRIMOINE VIVANT
représentée par Me Florian Baier, avocat

contre

KEAT SA

représentée par Me François Bellanger, avocat

 

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 avril 2021 (JTAPI/385/2021)


EN FAIT

1) La société Keat SA (ci-après : Keat) a été inscrite au registre du commerce de Genève le 8 décembre 1997, avec pour but la gestion de biens ou patrimoines de même que le financement d’opérations dans les domaines immobilier et mobilier.

2) Keat est propriétaire de la parcelle n° 491 (ci-après : la parcelle), feuille 15 du cadastre de la commune de Chêne-Bougeries, située en 5ème zone de développement 3, au 11, chemin de la Chevillarde.

3) Cette parcelle contient une ancienne maison de maître, dite maison Rosemont, édifiée au milieu du XIXe siècle puis transformée et agrandie au début du XXe siècle (cadastrée B27), une dépendance-écurie (cadastrée B28 et B29) et une seconde dépendance (cadastrée B30) construites à la même époque, et enfin un petit chalet non cadastré.

4) Un plan de synthèse n° 29'975 établi le 25 mars 2014 a attribué à la maison de maître la valeur « monument et bâtiment exceptionnels et leurs abords » et aux deux dépendances cadastrées la valeur « monument et bâtiment intéressant et leurs abords ».

5) Le 13 décembre 2013, le DT a répondu favorablement à une demande de renseignements (DR 18'445) formée par Keat portant sur la construction de quatre immeubles de logements et garages souterrains sur la parcelle, laquelle demande a par ailleurs été à l’origine d’un futur plan localisé de quartier (ci-après : PLQ).

6) Suite au projet de construction et aux démolitions que celui-ci entraînerait sur la parcelle, l’office des patrimoines et des sites a commandé à Madame Natalie RILLIET, historienne de l’art, une étude patrimoniale complète, qui a été remise en août 2013.

L’étude relevait que la maison Rosemont constituait un exemple de valeur du patrimoine du XIXe siècle, lequel tendait de plus en plus à disparaître « sous la pelle » des projets immobiliers. Il n’était certes pas possible de garder l’ensemble de ce patrimoine, mais des exemples de cette valeur méritaient réflexion notamment dans cette zone sensible que représentait la frontière entre Chêne-Bougeries et les Eaux-Vives.

7) Le 14 mars 2014, l’association Patrimoine suisse (ci-après : Patrimoine suisse) a sollicité du département du territoire (ci-après : le DT ou le département) la mise à l’inventaire de la maison Rosemont.

8) Le 8 octobre 2014 a été mis à l’étude un projet de PLQ n° 29'978-511 consécutif à la demande de renseignements DR 18'445 prévoyant l’implantation de quatre bâtiments de logements, de 9, 8, 6 et 4 niveaux sur rez, et d’un bâtiment d’équipements de quartier et de commerces, un indice d’utilisation du sol de 1.36, un indice de densité de 1.52, ainsi que des servitudes de passage public à pied et à cycle devant permettre de traverser la parcelle sur sa grande et sa petite longueurs.

Le PLQ prévoyait également la conservation de murs de clôture dans leurs emplacements et leur morphologie, sous réserve, pour certains d’eux, d’une démolition partielle pour l’accès au parking souterrain et en surface ainsi que l’accès des véhicules de secours, la conservation de piles en roche et du portail à déplacer et/ou à reconstituer, le déplacement ou la reconstitution du bassin ovale, de l’ancienne fontaine et du bassin rond.

Ces exceptions à la démolition du bâtiment résultaient des conditions qui assortissaient le préavis émis par le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) le 28 avril 2015. Le même préavis indiquait que la demande d’inscription à l’inventaire formée par Patrimoine suisse serait rejetée dans une procédure parallèle à celle de l’adoption du PLQ.

9) Le 28 février 2018, le Conseil d’État a adopté le PLQ n° 29978-511, vu notamment le préavis du Conseil municipal de la commune de Chêne-Bougeries du 19 janvier 2017.

Le même jour, il a rejeté les oppositions au PLQ, dont l’une d’elles avait été formée par Patrimoine suisse. La situation du logement était toujours aussi tendue et le plan directeur cantonal avait notamment pour objectif la construction de 50’000 logements d’ici 2030. La fiche de mesures A02 préconisait de poursuivre la densification différenciée des quartiers de villas situés dans la couronne urbaine afin de créer de nouveaux quartiers denses d’habitat ou d’affectation mixte intégrés dans la structure urbaine. Le SMS avait rendu un préavis favorable au projet de PLQ, sous réserve de la conservation de certains éléments. Après avoir procédé à une nécessaire pesée des intérêts en présence, le DT avait rejeté la demande d’inscription à l’inventaire en écartant le préavis contraire de la commission des monuments de la nature et des sites (ci-après : CMNS), considérant notamment qu’au vu de la crise du logement sévissant à Genève, l’apport des constructions envisagées, correspondant à un peu plus de 200 logements, devait prévaloir sur les questions liées à la préservation du patrimoine bâti dans le périmètre du projet de PLQ. Le grief de non-prise en considération de la valeur patrimoniale et architecturale de la maison Rosemont était donc rejeté.

Le même jour également, le DT a rejeté la demande d’inscription à l’inventaire formée par Patrimoine suisse. L’autorité de décision pouvait s’écarter des préavis des organismes consultatifs institués par la loi s’il existait des motifs objectifs impérieux qui justifiaient de s’en écarter, notamment si un intérêt public le commandait. Deux intérêts contradictoires s’opposaient : la construction de plus de deux cents logements et la destruction d’un témoin bien conservé de l’architecture bourgeoise du milieu du XIXe siècle. Le maintien de la maison Rosemont empêcherait la construction d’un immeuble de logements d’un gabarit de neuf étages sur rez. Le maintien des dépendances empêcherait quant à lui la construction d’un immeuble de logements d’un gabarit de six étages sur rez. En période de pénurie de logements, le département devait aussi veiller à ce que l’intérêt public à la construction de logements soit préservé. L’examen des intérêts en présence, conduit de manière coordonnée, avait abouti à ce que l’intérêt public à la construction de logements répondant aux besoins de la population devait primer sur celui lié à la protection du patrimoine. Le département s’écartait du préavis favorable à l’inscription à l’inventaire de la CMNS et des recommandations des milieux de la protection du patrimoine.

Le PLQ est entré en force, après qu’un recours a été retiré en mars 2019. Patrimoine suisse n’a recouru ni contre le PLQ ni contre le refus d’inscription à l’inventaire.

10) Le 2 novembre 2018, l’association Action patrimoine vivant (ci-après : APV) a adressé au Conseil d’État une requête visant au classement de la maison Rosemont, de ses dépendances et de leurs abords.

11) Le 25 janvier 2019, une pétition n° P 2'057 intitulée « Le domaine de la Chevillarde ne doit pas disparaître ! » a été déposée au Grand Conseil.

12) Le 29 mai 2019, la CMNS, dans sa composition plénière, a émis un préavis défavorable au classement avec recommandations, par douze voix contre cinq.

La CMNS considérait que les instances politiques, législatives et judiciaires avaient déjà, sous des formes diverses et variées, procédé à la pesée des intérêts en présence pour ces objets, à chaque fois en faveur de la réalisation de logements. Un PLQ était élaboré selon une procédure décrite dans la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) et la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LExt - L 1 40), soit des lois de même rang que la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), et ces lois prévoyaient un processus démocratique intégrant à différents stades des préavis des services et commissions concernés, des autorités politiques municipales, ainsi que la voie de l’opposition plus du recours judiciaire pour toute personne atteinte par la décision. Dans la mesure où la même instance, soit le Conseil d’État, décidait du classement et du PLQ, la CMNS s’interrogeait sur la réelle opportunité de l’ouverture d’une procédure de mise sous protection et sur la portée de son préavis dans un cas comme celui-là.

13) Par arrêté du 18 septembre 2019, le Conseil d’État a rejeté la demande de classement.

Une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence devait être effectuée. Une éventuelle révocation d’une décision entrée en force se ferait en violation du principe de la sécurité du droit. L’intérêt patrimonial des bâtiments visés par la requête avait fait l’objet d’un examen complet lors de la précédente décision de refus d’inscription à l’inventaire. Le DT avait alors renoncé à instruire une procédure de classement ou à initier un plan de site, et un PLQ avait été adopté, qui prévoyait la démolition des bâtiments. Le seul élément nouveau, soit le préavis de la CMNS, n’était pas de nature à entraîner une décision différente, puisque dans sa composition plénière, la CMNS s’était prononcée défavorablement au classement. Le Conseil d’État devait également veiller à la construction de logements et le programme s’inscrivait dans le grand projet Chêne-Bourg-Chêne-Bougeries prévoyant la réalisation de mille logements et cinq cents emplois d’ici 2030, ainsi que d’espaces publics et d’activités en lien avec l’arrivée du réseau ferré Léman Express d’ici fin 2019. Le projet s’inscrivait dans une vision d’ensemble du développement territorial du canton. À la limite de l’irrecevabilité, la demande de classement était rejetée.

14) Le 10 octobre 2019, le DT a délivré l’autorisation de démolir n° M 8'200/1, ainsi que l’autorisation de construire quatre immeubles de logements, un parking souterrain, un espace de quartier et des aménagements extérieurs, avec abattages d’arbres, sous le n° DD 111'744.

15) APV a formé recours le 6 novembre 2019 auprès du TAPI, complété le 25 novembre suivant à la demande de cette instance sous peine d'être déclaré irrecevable, contre ces deux autorisations et a conclu principalement à l'annulation des autorisations de construire et de démolir précitées, subsidiairement à l'annulation de l'autorisation de démolir en ce qu'elle concernait la maison de maître B27 et l'autorisation de construire en ce qu'elle concernait toute construction à l'emplacement de ladite maison de maître.

La cause a été enregistrée sous n° A/4116/2019.

16) APV a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 21 octobre 2019, contre l’arrêté du 18 septembre 2019, concluant à son annulation, et à ce que le Conseil d’État soit invité à ordonner le classement des bâtiments B27, B28, B29 et B30 de la parcelle n° 491 de la commune de Chêne-Bougeries.

Le DT et Keat ont conclu au rejet dudit recours, enregistré sous le numéro de cause A/3895/2019.

17) Par décision du 8 janvier 2020, le TAPI a rejeté la demande de restitution de l'effet suspensif au recours contre l'autorisation de construire DD 111'744, constaté que le recours contre l'autorisation de démolir M 8'200 avait effet suspensif de plein droit et prononcé la suspension de la procédure jusqu'à droit connu suite au recours déposé par APV auprès de la chambre administrative en la cause A/3895/2019.

18) Après échange d'écritures, la chambre administrative a, par arrêt ATA/932/2020 du 22 septembre 2020, rejeté le recours d'APV contre l’arrêté du Conseil d'État du 18 septembre 2019.

Cette autorité, qui était entrée en matière sur la demande de classement alors qu'elle aurait pu la déclarer irrecevable en application de l'art. 10 al. 3 LPMNS, ne s'était pas écartée des préavis de la commune et de la plénière de la CMNS et s'était référée pour le surplus au PLQ approuvé le 28 février 2018 et au rejet le même jour de la demande de mise à l'inventaire, pour lesquels une pesée d'intérêts avait été effectuée entre construction de logements et préservation du patrimoine, à une époque où la valeur des bâtiments était connue et documentée. Ce raisonnement ne prêtait pas le flanc à la critique et le choix du Conseil d'État d'accorder un poids supérieur à l'intérêt à la construction de logements au moment de l'adoption du PLQ relevait de sa marge d'appréciation. Par ailleurs, d'autres mesures de protection que l'inscription avaient été examinées et écartées. Ce choix pouvait être contesté à l'époque de l'adoption du PLQ, ce qui ne l'avait été que temporairement, et c'était conformément à la jurisprudence de la chambre administrative que le Conseil d'État s'était référé dans la décision attaquée au PLQ aujourd'hui entré en force pour rejeter la demande de classement. Au surplus, aucun élément nouveau décisif pour la pesée d'intérêts ne s'était produit ou n'avait été découvert depuis l'adoption du PLQ.

Cet arrêt n'a pas été porté devant le Tribunal fédéral.

19) Après reprise de la procédure A/4116/2019 le 6 novembre 2020, à la suite de l'entrée en force de l'arrêt ATA/932/2020 et échange d'écritures – Keat et le DT ayant conclu au rejet du recours d'APV –, le TAPI a, par jugement du 16 avril 2021, rejeté ledit recours.

APV soulevait préalablement une problématique liée à l'application de la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger du 16 décembre 1983 (LFAIE - RS 211.412.41). Or à Genève, l'autorité de première instance était le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS ; art. 8 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger du 20 juin 1986 (LaLFAIE - E 1 43), la chambre administrative étant l'autorité de recours (art. 10 LaLFAIE). Le TAPI n'était donc pas compétent pour connaître des questions relatives à une éventuelle violation de la LFAIE. Ce grief était irrecevable.

APV se plaignait d'une violation de l'art. 13 LPMNS, en ce sens que le département ne pouvait délivrer les autorisations querellées tant que le refus de classement n'était pas définitif. Elle soutenait également que, dès lors que la procédure de classement avait été déférée à la chambre administrative, la compétence pour prendre une décision au sens de cette disposition relevait des prérogatives de celle-ci. Cette disposition ne constituait pas un obstacle à la délivrance des autorisations litigieuses, le propriétaire pouvant apporter tout changement autorisé à un immeuble visé par une procédure de classement. Le fait que la procédure de classement était encore pendante au moment de la délivrance desdites autorisations n'y changeait rien, la loi n'imposant pas que la décision de classement soit en force pour que de telles autorisations soient octroyées. Au surplus, les autorisations querellées n'étaient pas de nature à mettre en péril les objectifs poursuivis par la procédure de classement, dès lors que l'intérêt patrimonial des bâtiments à démolir avait déjà été examiné à plusieurs reprises par les autorités compétentes dans le cadre de procédures aujourd'hui en force et définitives. Cet argument frôlait d'ailleurs la témérité, dans la mesure où la demande de classement, qui portait sur un immeuble dont la démolition avait fait l'objet d'un préavis favorable de la CMNS et était prévue dans un PLQ en force depuis moins de cinq ans, aurait dû être déclarée d'emblée irrecevable par le Conseil d'État, conformément à l'art. 10 al. 3 LPMNS. Enfin, il n'appartenait pas la chambre administrative de délivrer une autorisation au sens de l'art. 13 al. 1 LPMNS, cette compétence étant du seul ressort du département. Manifestement mal fondé, ce grief devait donc être écarté.

APV estimait que le département avait abusé de son pouvoir d'appréciation en délivrant les autorisations litigieuses, car ce faisant et en autorisant la démolition des bâtiments concernés, il la privait des voies de droit prévues à l'art. 63 LPMNS en vidant de son objet le recours contre le refus de classement. Cet argument tombait à faux, dès lors qu'APV avait pu exercer son droit non seulement contre l'arrêté du Conseil d'État du 18 septembre 2019 refusant le classement, mais également contre les autorisations litigieuses.

APV, bien qu'assistée par un conseil expérimenté, ne motivait nullement le grief d'une non-conformité des autorisations accordées au PLQ n° 29'978, se contentant d'affirmer ne pas avoir encore pu consulter le dossier. Le TAPI rappelait que non seulement les dossiers d'autorisations pouvaient librement être consultés auprès du département pendant le délai de recours, mais qu'en plus, APV avait déjà bénéficié d'un délai supplémentaire pour compléter ses écritures. Au demeurant, elle n'indiquait pas pour quelle raison elle aurait été empêchée de consulter les autorisations délivrées. Au demeurant, à défaut d'avoir consulté le dossier, on voyait mal comment elle aurait pu évaluer les dérogations au PLQ et leur importance. Ce grief était irrecevable.

À titre superfétatoire, le TAPI a rappelé que, dans le cadre de l'instruction des autorisations querellées, tous les préavis recueillis s'étaient avérés favorables. En particulier, dans son préavis du 5 septembre 2018, la direction de la planification directrice cantonale et régionale avait considéré que les écarts au PLQ (légère adaptation de l'implantation, diminution de quatre places de stationnement, clé de répartition différant légèrement) constituaient des modifications mineures au sens de l'art. 3 al. 5 LGZD. En l'absence de tout élément particulier commandant de s'écarter de l'avis de l'instance spécialisée, et compte tenu de la retenue qu'il se devait d'observer, le TAPI ne pouvait que constater que rien ne permettait de retenir que le département aurait mésusé de son pouvoir d'appréciation en accordant les autorisations sollicitées.

20) Par acte expédié à la chambre administrative le 19 mai 2021, APV a formé recours contre ce jugement, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à cette instance en vue de déterminer d'office si les exigences découlant de la LFAIE avaient été respectées par Keat.

Seule restait litigieuse, à ce stade de la procédure, la question de savoir si Keat était valablement devenue propriétaire de la parcelle n° 491 de la commune de Chêne-Bougeries au regard de la LFAIE.

Dans la cause A/3895/2019, la question avait été soulevée de savoir qui était l'ayant droit économique de Keat, et cette dernière avait refusé d'y répondre dans ses observations finales du 24 août 2020. APV avait informé la chambre administrative de cette problématique par courrier du 23 septembre 2020 qui s'était croisé avec l'arrêt ATA/932/2020 du 22 septembre 2020. Par télécopie du 28 septembre 2020, APV avait relancé Keat pour savoir si une autorisation au sens de la LFAIE lui avait été délivrée pour le rachat de la parcelle n° 491 de la commune de Chêne-Bougeries. Le 30 septembre 2020, Keat avait refusé de répondre à cette question en affirmant simplement que l'achat de ladite parcelle avait eu lieu « dans le strict respect de la LFAIE ». À teneur de l'acte constitutif de Keat et jusqu'à preuve du contraire, il apparaissait que l'administrateur unique de la société, Monsieur Philippe PROST, n'était pas le propriétaire d'actions, même moins de la majorité de celles-ci, si ce n'était à titre fiduciaire. Ainsi, une autorisation au sens de la LFAIE était indispensable à Keat pour acquérir la parcelle en cause. Or, Keat avait admis, dans ses écritures au TAPI du 19 novembre 2020, qu'aucune autorisation ne lui avait été donnée dans ce sens. L'attestation établie par un notaire genevois le 16 novembre 2020, soit plus de huit ans après la promesse de vente et plus de six ans après l'acquisition de la parcelle, selon laquelle il connaissait l'identité des actionnaires de la société immobilière Keat et détenait des preuves documentaires confirmant qu'elle n'était pas assujettie aux restrictions découlant des lois et ordonnances sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger ne contenait ni l'identité, ni la nationalité, ni le domicile du véritable propriétaire des actions de Keat à l'époque de l'acquisition de la parcelle en cause. Une telle déclaration n'était d'aucun secours à Keat.

L'absence d'une autorisation LFAIE passée en force avait pour conséquence, au terme de cette loi, que les actes juridiques concernant une acquisition restaient sans effets, l'inefficacité et la nullité étant prises en considération d'office. En d'autres termes, les autorisations de démolir et de construire litigieuses obtenues par Keat étaient sans effets de plein droit. Il appartenait à Keat de démontrer qu'elle n'avait pas besoin d'une autorisation LFAIE pour acquérir la parcelle en cause. Le TAPI, en refusant d'instruire cette question, avait violé l'art. 23 al. 3 LFAIE.

21) Le département a conclu, le 9 juin 2021, au rejet du recours.

C'était à juste titre que le TAPI avait déclaré irrecevable le grief relatif à une éventuelle violation de la LFAIE.

Il n'était de surcroît pas contesté que l'autorisation de construire avait été requise par Keat, inscrite en qualité de propriétaire au registre foncier, ce, par demande portant sa signature. Ainsi, en vertu du principe de la foi publique rattachée audit registre ainsi qu'à l'incompétence du TAPI pour trancher les questions liées à la LFAIE, Keat jouissait de la maîtrise nécessaire à la délivrance de l'autorisation de construire.

22) APV a adressé à la chambre administrative le 18 juin 2021 copie d'une « dénonciation LFAIE » adressée le 14 juin précédent au Ministère public (ci-après : MP) par Madame Erica DEUBER ZIEGLER, Monsieur Guy METTAN et Monsieur Miguel BUENO en lien avec l'acquisition par Keat de la parcelle litigieuse, au sujet de laquelle Keat et le département ont pu se déterminer, par des observations du 3 août 2021.

23) Keat a conclu le 30 juin 2021 principalement à l'irrecevabilité du recours d'APV et subsidiairement à son rejet ainsi qu'à la condamnation de celle-ci en tous les frais et dépens.

APV ne pouvait prétendre disposer de la qualité pour agir au sens de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, conformément à l'arrêt du Tribunal fédéral 1C_499/2020 du 24 septembre 2020. Elle ne pouvait davantage fonder une telle qualité sur l'art. 145 al. 3 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), dans la mesure où elle n'invoquait aucune violation de la LCI ou plus largement du droit des constructions ou de l'aménagement du territoire, limitant au contraire expressément son recours à la question de l'application de la LFAIE.

Au fond, dans le système de la LFAIE, si une société suisse faisait l'acquisition d'un bien immobilier en Suisse, le notaire chargé d'instrumenter la transaction pouvait attester de l'absence de position dominante d'une personne à l'étranger dans cette société et donc son caractère « suisse ». Dans un tel cas, le non-assujettissement résultait de l'état de fait constaté et était vérifié par le registre foncier. Si cette autorité avait le moindre doute, elle saisissait le département pour qu'il rende une décision et elle bloquait l'enregistrement de la transaction. Dans le cas présent, les documents soumis au registre foncier par le notaire ayant instrumenté la promesse de vente et d'achat comprenaient l'attestation notariale du 30 juin 2014 confirmant que toutes les informations requises par la loi avaient été communiquées au registre foncier, lequel procédait systématiquement à une vérification détaillée des pièces soumises (extrait du registre du commerce, statuts de la société, registre des actions certifié conforme, liste certifiée conforme de tous les actionnaires avec notamment leur nationalité et le nombre d'actions détenues, attestation selon laquelle chacun d'eux détenait les actions pour son propre compte, comptes de la société, liste de ses créanciers, attestation que la société intervenait pour son propre compte, décompte des fonds propres et étrangers utilisés pour l'acquisition). Le registre foncier n'avait en l'espèce eu aucun doute sur la véracité des informations qui lui avaient été fournies, sans quoi il aurait refusé de procéder à l'inscription et renvoyé Keat devant l'autorité compétente en application de l'art. 11 al. 3 LaLFAIE. L'instruction de cette question ne relevait pas de la compétence de la chambre administrative.

APV n'avait engagé aucune action auprès du département compétent ni interpellé le MP, le seul gardien de la bonne application de la LFAIE (art. 9 LaLFAIE). Le comportement d'APV tendant à ignorer des éléments irréfutables pour tenter de remettre en cause la vérité était téméraire et méritait d'être sanctionné.

24) Le 27 juillet 2021, APV a déposé une requête de mesures superprovisionnelles tendant à faire interdiction à Keat de procéder à de quelconques travaux sur la parcelle en cause jusqu'à droit jugé sur le fond, lesquels avaient commencé notamment par l'abattage d'arbres et la pose de palissades de chantier.

25) Le 28 juillet 2021, la juge déléguée a fait interdiction à Keat, à titre superprovisionnel, de procéder à des travaux sur la parcelle jusqu'à droit jugé sur mesures provisionnelles et a imparti un délai à APV au 4 août 2021 pour se prononcer sur ce dernier point, son recours ne comprenant aucune conclusion ni motivation sur la question de l'effet suspensif.

26) APV a déposé le 4 août 2021 une réplique et demande de mesures provisionnelles.

Elle a conclu à la restitution de l'effet suspensif à son recours et à ce qu'il soit ordonné « en conséquence la préservation de tous les éléments d'architecture d'intérieur de la maison de maître de la parcelle n° 491 de la commune de Chêne-Bougeries, dont ses parquets, cheminées et huisseries (fenêtres, boiseries et portes) d'époque ». L'objet du litige devait être préservé. Si les autorisations de démolir et de construire litigeuses étaient mises à exécution avant l'issue du recours, celui-ci deviendrait sans objet.

Sur le fond, APV avait pour seule motivation l'émergence de la vérité. Keat n'était pas la propriétaire légitime de la parcelle en cause dans la mesure où elle n'avait pas rempli de demande au sens de la LFAIE alors qu'elle y était selon toute vraisemblance tenue. Les documents produits par Keat pour prouver qu'elle ne serait pas assujettie à cette loi ne le démontraient pas. Il manquait la pièce principale qui était l'attestation sur l'honneur selon laquelle les actionnaires détiendraient leurs actions pour leur propre compte et non pour celui de tiers. Or, la question était de savoir pour le compte de qui les actions de la société étaient détenues au moment de l'acquisition de la parcelle en cause. APV rappelait les indices de violation de la LFAIE, nombreux et convergents, ayant pour conséquence que Keat n'était pas devenue légitimement propriétaire et que sa qualité comme telle au registre foncier constituait un « état illicite » au sens de l'art. 27 LFAIE. Si la dénonciation LFAIE déposée le 14 juin 2021 devait être admise, il en découlerait que Keat n'aurait, rétroactivement, pas la qualité de partie à la présente procédure, conformément à l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Les demandes d'autorisation de démolir et de construire seraient elles aussi réputées sans effet et sans objet, puisque sollicitées par une personne sans intérêt juridique à l'obtention de ces décisions au sens de l'art 4 al. 1 let. a LPA.

27) Les parties ont été informées, le 11 août 2021, que la cause était gardée à juger sur mesures provisoires et sur le fond.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile, contre un jugement du TAPI, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 al. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) Les intimés contestent la qualité pour recourir d'APV, celle-ci ayant expressément limité au stade du recours ses conclusions à la seule question de la LFAIE, soutenant que les autorisations de construire et de démolir querellées seraient sans effet juridique, dans la mesure où Keat n'aurait pas été au bénéfice de l'autorisation LFAIE nécessaire à l'acquisition de la parcelle concernée.

La question de la qualité pour recourir d'APV souffrira de demeurer indécise au vu de ce qui suit.

3) a. La LFAIE limite l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger dans le but de prévenir l'emprise étrangère sur le sol suisse (art. 1 LFAIE).

Selon l'art. 2 LFAIE, l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger est subordonnée à une autorisation de l'autorité cantonale compétente (al. 1).

b. À teneur de l'art. 5 al. 1 let. c LFAIE, par personnes à l'étranger on entend les personnes morales ou les sociétés sans personnalité juridique, mais ayant la capacité d'acquérir, qui ont leur siège statutaire et réel en Suisse, et dans lesquelles des personnes à l'étranger ont une position dominante.

Une personne morale est présumée être dominée par des personnes à l'étranger lorsque celles-ci possèdent plus d'un tiers du capital-actions ou du capital social (art. 6 al. 2 let. a LFAIE).

c. L'art. 15 al. 1 LFAIE institue trois « autorités » : les « autorités de première instance » chargées de statuer sur l'assujettissement au régime de l'autorisation, sur l'octroi de l'autorisation ainsi que sur la révocation d'une autorisation ou d'une charge (let. a), une « autorité » habilitée à recourir, à requérir la révocation d'une autorisation ou l'ouverture d'une procédure pénale et à agir en cessation de l'état illicite (let. b), et l' « autorité de recours » (let. c).

À Genève, l'autorité de première instance cantonale compétente, désignée par le Conseil d’État, chargée de statuer sur l’assujettissement au régime de l’autorisation, sur l’octroi de l’autorisation, ainsi que sur la révocation d’une autorisation ou d’une charge est le DSPS (art. 8 al. 1 LaLFAIE).

Le MP est l'autorité habilitée à recourir, à requérir la révocation d'une autorisation, à ordonner l'ouverture d'une procédure pénale et à agir en cessation de l'état illicite (art. 9 LaLFAIE), qui reprend les termes de l'art. 15 al. 1 let. b LFAIE.

La chambre administrative est l’autorité cantonale de recours. Elle constate d’office les faits. Elle connaît de la violation du droit, y compris l’excès et l’abus de pouvoir d’appréciation. Le grief tiré de l’inopportunité de la décision attaquée est irrecevable (art. 10 LaLFAIE).

d. Dans le projet initial du Conseil fédéral, l'art. 23 al. 1 LFAIE disposait que « l'autorité cantonale habilitée à recourir ou, si elle n'agit pas, l'office fédéral de la justice intente contre les parties, devant le juge du lieu de situation de l'immeuble, une action en cessation de l'état illicite, lorsque l'immeuble a été acquis sur la base d'un acte juridique nul en raison du défaut d'autorisation ; [...] » (FF 1981 631).

4) En l'espèce, le recours est formé devant la chambre de céans contre le jugement du TAPI ayant déclaré irrecevable le grief formulé par la recourante d'une prétendue violation par l'intimée de la LFAIE pour s'opposer aux autorisations de construire et de démolir litigieuses. Or, c'est à juste titre que le TAPI est parvenu à la conclusion qu'il n'était pas compétent pour connaître des questions relatives à l'application de la LFAIE, ce que la recourante ne discute au demeurant pas spécifiquement dans son acte de recours. Il ne l'était pas en qualité d'autorité de première instance chargée de statuer sur une autorisation LFAIE, du ressort à Genève du DSPS. Il ne l'était pas davantage au titre d'autorité de contrôle en l'espèce. Peu importe au demeurant que la recourante ait ou non en parallèle saisi l'une et/ou l'autre de ces autorités de la problématique de l'acquisition de la parcelle en cause en conformité avec les dispositions de la LFAIE.

Au stade du recours contre le jugement du TAPI, la chambre de céans n'est pas compétente pour examiner le grief d'une prétendue violation de la LFAIE, ne pouvant intervenir, en application de la LaLFAIE, que dans le cadre du recours qui serait formé contre une décision du DSPS, inexistante dans le cas d'espèce, ce que la recourante ne conteste pas. Ce n'est en tout état pas une décision émanant de ce département qui est attaquée en l'espèce.

Ainsi, le grief d'une violation de la LFAIE est irrecevable devant la chambre de céans appelée à statuer sur jugement du TAPI, ce qui rend sans objet celui d'un constat de nullité des autorisations querellées qui pourrait en être l'éventuelle conséquence.

Le recours sera donc rejeté, en tant qu'il est recevable.

La demande d'effet suspensif est sans objet vu le prononcé du présent arrêt.

5) Vu l'issue du litige et les mesures superprovisionnelles, un émolument de CHF 1'800.- sera mis à la charge d'APV (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'800.- sera allouée à Keat, qui y a conclu. Il n'en sera pas alloué au département qui a agi par son propre service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu'il est recevable, le recours interjeté le 19 mai 2021 par l’Association Action Patrimoine Vivant contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 avril 2021 ;

met un émolument de CHF 1'800.- à la charge de l'Association Action Patrimoine Vivant ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'800.- à la société Keat SA, à la charge de l'Association Action Patrimoine Vivant ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité au département ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Florian Baier, avocat de la recourante, à Me François Bellanger, avocat de Keat SA, au département du territoire-oac ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Chappuis Bugnon et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :