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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3722/2020

ATA/348/2021 du 23.03.2021 ( AIDSO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3722/2020-AIDSO ATA/348/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 mars 2021

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

HOSPICE GÉNÉRAL



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1970, a bénéficié, du 1er janvier 2016 au 31 mai 2020, de prestations financières versées par l'Hospice général (ci-après : hospice) pour une somme totale de CHF 153'905.95.

Elle a signé, les 13 janvier 2016 et 23 janvier 2018, le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général » par lequel elle a pris acte du caractère subsidiaire de l'aide sociale et s'est engagée, notamment, à faire valoir immédiatement tous les droits auxquels elle pouvait prétendre en matière d'assurances sociales, de prestations sociales et ceux découlant de rapports de droit privé et de rembourser à l'hospice toute prestation exigible à teneur des dispositions légales en vigueur.

2) Lors de son premier entretien avec le centre d'action sociale (ci-après : CAS), elle a indiqué que son frère et elle avaient reçu en donation de leurs parents une maison sise à B______, dont ces derniers avaient conservé l'usufruit et dans laquelle ils vivaient.

3) Le 23 janvier 2018, Mme A______ a signalé qu'une admission en EMS de son père était en cours.

4) Par courriel du 16 mars 2020, elle a informé le CAS qu'elle avait signé l'acte de vente de la maison de ses parents. Sa situation financière se modifierait dès fin avril 2020, mais restait « complexe », le bénéfice de la vente devant servir à payer l'EMS.

5) Le 27 avril 2020, Mme A______ a transmis au CAS le projet d'acte de vente, qui prévoyait un prix de CHF 1'510'000.-, soit CHF 1'356'866.- pour la nue-propriété et CHF 156'134.- pour l'usufruit.

6) Selon le décompte de prix de vente du 5 mai 2020 établi par l'étude de notaires ayant instrumenté l'acte, le prix de vente, après paiement des frais, était réparti à hauteur de CHF 285'899.70 à chacun des nus-propriétaires, de CHF 156'134.- aux parents de ceux-ci au titre de vente de l'usufruit et de CHF 443'966.- aux parents au titre de donation consentie par les nus-propriétaires.

7) Par décision du 24 juillet 2020, le CAS a réclamé à Mme A______ le remboursement de la somme de CHF 153'905.95 correspondant aux prestations dont elle avait bénéficié. L'aide de l'hospice a par ailleurs pris fin le 31 mai 2020, la fortune de l'intéressée étant supérieure aux limites y donnant droit.

8) Dans sa réclamation, Mme A______ a exposé que le service des prestations complémentaires (ci-après : SPC) avait refusé toute aide financière à son père, alors même qu'il avait fait donation de sa maison à ses enfants. C'était ainsi qu'ils l'avaient vendue. Selon elle, les « lois SPC » prévoyaient que le prix de vente devait servir à payer le placement en EMS de son père et en maison de retraite de sa mère. Le montant distribué aux trois enfants nus-propriétaires avait ainsi été limité à CHF 200'000.- par enfant, afin que le solde permette le paiement en faveur des parents. La famille avait pris contact avec un avocat spécialisé en vue d'attester de cette réserve. Celui-ci avait toutefois indiqué ne pas pouvoir établir un tel document. Elle avait en vain interpellé le SPC afin qu'il formule ses prétentions. Elle estimait indispensable que le SPC et l'hospice se coordonnent. Elle demandait qu'une solution soit trouvée qui protégeait les intérêts de tous sans créer une situation « inextricable ».

9) Par décision du 22 octobre 2020, l'hospice a rejeté la réclamation et confirmé sa décision.

10) Par acte expédié le 13 novembre 2020 à l'hospice, qui l'a transmis à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), Mme A______ a recouru contre cette décision. Elle a indiqué qu'elle avait besoin d'un délai supplémentaire pour envoyer un second recours fin décembre 2020, car elle attendait une réponse du SPC. Selon le cabinet d'avocats consulté, le SPC devait procéder à un calcul pour déterminer le montant qu'il retiendrait de la vente de la maison.

11) Par courrier expédié le 2 décembre 2020 à la chambre administrative, Monsieur C______, frère de Mme A______, a formé un complément de recours. Il était préoccupé par le fait que l'hospice et le SPC traitaient séparément la situation, complexe, de sa famille. Le bénéfice de la vente de la maison ne leur revenait pas directement, car il était destiné à financer les frais des maisons de retraite dans lesquels se trouvaient leurs parents. Si ceux-ci devaient vivre longtemps, leurs enfants n'auraient plus les moyens de les aider pour le paiement des loyers. Ils n'avaient pas les moyens de s'acquitter de ces frais.

Selon les conseils reçus d'une étude d'avocats, le SPC était fondé à imputer à la fortune de ses parents une partie du bénéfice de la vente de la maison. Il avait besoin d'être certain de savoir quel montant serait retenu par le SPC.

À la demande de la chambre de céans, Mme A______ a confirmé que son frère pouvait la représenter et a contresigné le courrier de celui-ci du 2 décembre 2020.

12) Le 7 décembre 2020, Mme A______ a appelé le CAS pour savoir comment elle pouvait utiliser le bénéfice de la vente de la maison, notamment au regard des règles relatives au dessaisissement, dans l'éventualité où elle devait redemander de l'aide financière à l'hospice. À titre indicatif, un budget mensuel de CHF 5'000.- a été mentionné. Mme A______ a alors expliqué qu'en six mois, elle avait déjà dépensé CHF 55'000.-. Relevant que cela correspondait à un budget mensuel de CHF 9'100.-, l'assistante sociale lui a recommandé de conserver les justificatifs de ses dépenses.

13) L'hospice a conclu au rejet du recours.

Il était établi que la recourante avait reçu CHF 433'855.- à la suite de la vente de la maison familiale. Elle avait fait donation de CHF 147'955.30 à ses parents et obtenu le solde de CHF 285'899.70. La possession de ce montant rendait l'aide perçue de janvier 2016 à mai 2020 remboursable. En outre, après déduction de la donation à ses parents et remboursement de la somme réclamée par l'hospice, la recourante disposait encore de CHF 131'993.75. Enfin, d'après les pièces produites, les parents de celle-ci percevaient des prestations de vieillesse et de prévoyance professionnelle de CHF 89'000.- par an.

14) La recourante a sollicité une prolongation du délai de réplique, qui lui a été accordée. Elle ne s'est toutefois pas manifestée dans le délai prolongé.

15) Les parties ont ainsi été informées, le 8 mars 2021, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile et transmis d'office (art. 11 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) à la chambre administrative, juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) La recourante a demandé à pouvoir compléter son recours à fin décembre 2020. L'opportunité lui a été donnée de compléter son recours dans le délai de réplique. Elle ne s'est cependant pas manifestée dans le délai, pourtant prolongé à sa demande.

3) Le litige porte sur le principe de la demande de remboursement, la recourante ne contestant pas le montant réclamé.

a. La LIASI a pour but de prévenir l'exclusion sociale et d'aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel
(art. 1 al. 1 LIASI). L'art. 1 al. 1 let. a et c du règlement d'exécution du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01) prévoit que les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d'aide financière sont de CHF 4'000.- pour une personne seule majeure plus CHF 2'000.- pour chaque enfant à charge. Le total de la fortune ne peut en aucun cas dépasser CHF 10'000 pour l'ensemble du groupe familial (art. 1 al. 2 RIASI).

Les prestations d'aide financière versées en vertu de la LIASI sont subsidiaires à toute autre source de revenu ainsi qu'à toute autre prestation à laquelle le bénéficiaire a droit (art. 9 al.1 LIASI). Le bénéficiaire doit faire valoir sans délai ses droits auxquels l'aide financière est subsidiaire et doit mettre tout en oeuvre pour améliorer sa situation sociale et financière (art. 9 al. 2 LIASI).

b. Selon l'art. 40 al. 1 et 2 LIASI, si des prestations d'aide financière ont été accordées alors que le bénéficiaire s'est dessaisi de ses ressources ou de parts de fortunes, les prestations d'aide financière sont remboursables. Il en est de même lorsque le bénéficiaire est entré en possession d'une fortune importante, a reçu un don, réalisé un gain de loterie ou d'autres revenus extraordinaires ne provenant pas de son travail, ou encore lorsque l'équité l'exige pour d'autres raisons.

Il a été retenu qu'un héritage de CHF 606'000.-, dont à déduire la créance de l'hospice en CHF 26'373.- était une « fortune importante » au sens de
l'art. 40 LIASI, de même qu'un héritage de CHF 495'730.-, dont à déduire la créance de l'hospice en CHF 252'091.90 (
ATA/508/2016 du 14 juin 2016
consid. 8 et la référence citée).

c. La chambre administrative a eu l'occasion de procéder à une interprétation historique de l'art. 40 al. 2 LIASI à la lumière des travaux préparatoires de la LIASI. Elle a retenu que cette disposition ne pouvait viser le seul remboursement des prestations servies dès l'entrée en possession de la fortune, mais bien aussi des prestations servies auparavant. En l'absence de limite temporelle passée fixée par la loi, on devait retenir que le législateur avait visé l'ensemble des prestations déjà servies, sans limite de temps, mais dans les seules limites de l'équité et de la proportionnalité (ATA/508/2016 du 14 juin 2016 consid. 8 et la référence citée, confirmé par l'arrêt 8C_485/2016 du Tribunal fédéral du 29 mars 2017).

Il ressort par ailleurs des normes édictées par la Conférence suisse des institutions d'action sociale (ci-après : normes CSIAS) et en particulier de la norme E.3.1, dans sa teneur en vigueur jusqu'en décembre 2020, que le montant pouvant être considéré comme « fortune importante » a été clarifié dès décembre 2010 dans les directives, lesquelles précisent qu'il convient de laisser un montant approprié (CHF 25'000.- pour les personnes seules, CHF 40'000.- pour les couples, CHF 15'000.- par enfant mineur ; montants portés dès le 1er janvier 2021 à respectivement CHF 30'000.-, CHF 50'000.- et CHF 15'000.-) aux personnes qui, en raison d'une entrée en possession de biens importants, n'ont plus besoin d'aide matérielle. Ces montants laissés à la libre disposition devraient également être appliqués lorsque, après la fin de l'aide, il existe une obligation de rembourser des prestations obtenues antérieurement en raison de l'entrée ultérieure en possession d'une fortune avant l'expiration du délai de prescription défini par le droit cantonal (ATA/508/2016 précité consid. 9 et les références citées).

d. En l'espèce, la recourante a signé, les 13 janvier 2016 et 23 janvier 2018, le document intitulé « Mon engagement » résumant ses obligations et notamment son engagement à rembourser toute prestation exigible à teneur des dispositions légales en vigueur.

C'est en conformité des obligations découlant de ce même document qu'elle a annoncé à son assistante sociale, ce qui est attendu de tout bénéficiaire de l'aide sociale, sa part de nue-propriété et la vente de la maison familiale le 5 mai 2020. Selon le décompte établi par le notaire ayant instrumenté la vente, elle s'est vu attribuer CHF 285'899.70 et a consenti, avec ses deux frères et soeurs, une donation de CHF 443'866.- à ses parents, soit en ce qui la concerne un montant de CHF 147'955.30.

Ainsi, après la vente de la maison familiale, la recourante s'est trouvée à la tête d'une fortune nette de CHF 285'899.70 qu'elle a reçue en espèces et de CHF 147'955.30 qu'elle a donnée à ses parents. L'entrée en possession de CHF 433'855.30 constitue, à l'évidence, une fortune importante au sens de l'art. 40 LIASI ; il en va de même de la seule somme de CHF 285'899.70. Partant, que la recourante ait estimé, avec ses frères et soeurs, de son devoir ou de son obligation légale de faire donation de la somme de CHF 147'955.30 à ses parents afin de couvrir leurs frais de maison de retraite ou d'EMS, demeure sans impact sur l'issue du litige.

En effet, la seule somme de CHF 285'899.70 constituant une fortune importante au sens de l'art. 40 LIASI, l'hospice était fondé à réclamer, de ce fait, le remboursement des montants versés par ses soins entre le 1er janvier 2016 et mai 2020, qui totalisait CHF 153'905.95. Après paiement de ce montant, le solde revenant à la recourante se montait à CHF 131'993.75, soit un montant lui permettant largement de subvenir à ses besoins. Depuis le 1er juin 2020, elle n'a d'ailleurs plus perçu de prestations de l'hospice et a vécu de sa fortune. En décembre 2020, elle a indiqué à l'hospice qu'elle avait déjà dépensé CHF 55'000.-, à savoir CHF 9'100.- par mois. Même en tenant compte de cette somme déjà dépensée et d'une dépense mensuelle comparable de janvier à mars 2021, le remboursement de CHF 153'905.95 réclamé par l'hospice laisse, à la date du présent arrêt, à la recourante une fortune de plus de CHF 49'000.- (CHF 131'993.75 moins CHF 55'000.- moins CHF 27'300.- = CHF 49'693.75), soit une fortune excédant les CHF 25'000.- devant être laissés à sa disposition, retenus dans les recommandations de la norme CSIAS E.3.1.

C'est ainsi à bon droit que l'hospice a considéré qu'il pouvait lui demander le remboursement de CHF 153'905.95.

Le fait, allégué par la recourante, selon lequel elle serait susceptible de devoir, à terme, recourir à nouveau à l'aide sociale une fois qu'elle aura utilisé sa fortune n'est pas pertinent, dès lors que le prendre en considération reviendrait à rendre inapplicables les dispositions précitées de la LIASI sur le remboursement.

Enfin, la présente procédure ne porte pas sur la question de savoir si et dans quelle mesure la recourante peut être amenée à participer, au regard de la réglementation relative aux prestations complémentaires, aux frais d'hébergement de ses parents. La chambre de céans n'a donc pas à se prononcer à cet égard. Il est néanmoins relevé qu'à teneur des pièces produites par la recourante, ses parents bénéficient de rentes AVS/AI et du second pilier d'environ CHF 89'000.- par an et qu'au terme de la vente, ils ont perçu CHF 156'134.- au titre de la vente de l'usufruit et CHF 443'866.- au titre de donation de leurs enfants et disposent ainsi, en sus de leurs rentes, d'une fortune de CHF 600'000.-. À teneur du dossier, ils n'ont pas perçu, en 2019, de prestations complémentaires et leur situation financière depuis la vente de la maison ne justifie, a priori, pas non plus l'octroi de telles prestations. La demande de remboursement de l'hospice ne se heurte donc pas à une obligation concurrente de paiement à laquelle la recourante serait exposée.

Mal fondé, le recours sera donc rejeté.

4) Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la recourante, qui succombe (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 novembre 2020 par Madame
A______ contre la décision de l'Hospice général du 22 octobre 2020 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf et Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :