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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4038/2008

ATA/377/2009 du 29.07.2009 ( FIN ) , REJETE

Recours TF déposé le 15.09.2009, rendu le 24.02.2010, IRRECEVABLE, 2C_576/2009
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4038/2008-FIN ATA/377/2009

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 29 juillet 2009

2ème section

dans la cause

 

 

Madame R______
représentée par Me Michel Lambelet, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE

 

 

et

 

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE



EN FAIT

1. Depuis 1984, Madame R______ est propriétaire d’un immeuble à Collonge-Bellerive dans lequel elle a habité du 30 juillet 1985 au 31 juillet 2003.

2. Le 21 février 2003, elle a acquis un autre bien immobilier à Anières dans lequel elle a emménagé le 1er août 2003.

Elle a mis en location, dès le 1er septembre 2003, le bâtiment sis à Collonge-Bellerive.

3. Dans sa déclaration fiscale pour l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) 2003, la contribuable a inscrit, sous la rubrique "immeubles locatifs ou loués", le bâtiment de Collonge-Bellerive auquel elle a appliqué un abattement de 40%. Elle a déclaré un montant de CHF 1’534’194.- au titre de la fortune.

Quant au bien sis à Anières, il a été inscrit sous la rubrique "immeubles occupés par le propriétaire" ; un abattement de 4% a été appliqué sur la fortune déclarée de CHF 5’760’000.-.

4. Le 19 mai 2005, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) a adressé à la contribuable un bordereau de taxation ICC 2003 en considérant une valeur fiscale de CHF 2’487’742.- pour l’immeuble de Collonge-Bellerive, sans admettre l’abattement de 40% précité.

Pour celui d’Anières, l’AFC a accepté l’abattement de 4% ainsi que la valeur fiscale déclarée par la contribuable.

5. En temps utile, la contribuable a élevé réclamation à l’encontre du bordereau de taxation susmentionné. L’abattement de 40% pour l’immeuble sis à Collonge-Bellerive devait être admis puisque, même si cet immeuble était dorénavant mis en location, elle l’avait occupé pendant plus de dix ans en sa qualité de propriétaire.

6. Le 7 décembre 2006, l’AFC a rejeté la réclamation relative à l’ICC 2003.

7. De la même manière et pour la déclaration ICC 2004, la contribuable a appliqué un abattement de 40% pour l’immeuble de Collonge-Bellerive et déclaré un montant de CHF 1’534’194.- pour la valeur fiscale de ce bien. Quant à celui d’Anières dans lequel elle était toujours domiciliée, la contribuable a mentionné un abattement de 8% appliqué à la fortune, ascendant ainsi à CHF 5’520’000.-.

8. Le 5 décembre 2005, l’AFC a émis un bordereau ICC 2004 ; elle a refusé l’abattement de 40% pour l’immeuble de Collonge-Bellerive et retenu pour celui-ci une valeur fiscale de CHF 2’487’742.-, l’immeuble étant loué au 31 décembre 2003.

En revanche, elle a admis l’abattement de 8% et la valeur fiscale déclarée pour le bien immobilier sis à Anières.

9. En temps utile, la contribuable a élevé réclamation à l’encontre du bordereau ICC 2004 en reprenant son argumentation.

10. Le 18 décembre 2006, l’AFC a rejeté la réclamation relative à l’ICC 2004 et refusé l’abattement de 40% sur l’immeuble de Collonge-Bellerive, toujours loué au 31 décembre 2004.

11. Par deux actes des 22 décembre 2006 et 15 janvier 2007, la contribuable a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts, devenue depuis le 1er janvier 2009 le commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission) contre les décisions sur réclamation prises respectivement par l’AFC les 7 et 18 décembre 2006. Mme R______ a conclu principalement à un abattement de 40% sur le bien immobilier sis à Collonge-Bellerive, soit à une valeur fiscale de celui-ci de CHF 1'534'194.- et, subsidiairement, à une valeur fiscale de l'immeuble sis à Anières de CHF 4'977'240.-.

Puisqu’elle avait occupé pendant plus de dix ans le bien immobilier de Collonge-Bellerive, l’abattement de 40% était acquis quand bien même elle ne demeurait plus dans cet immeuble. L’art. 7 let. e de la loi sur l’imposition des personnes physiques - Impôt sur la fortune du 22 septembre 2000 (LIPP - III D 3 13) - ne prévoyait pas que la propriétaire perde le bénéfice de l’occupation continue de son bien si elle cessait d’occuper celui-ci. Par ailleurs, elle avait acquis un bien immobilier de remplacement à Anières ; pour ce dernier, elle devait bénéficier du taux de réduction auquel elle aurait eu droit si elle était demeurée dans le précédent immeuble.

Soit l’abattement de 40% devait continuer à s’appliquer à l’immeuble de Collonge-Bellerive, ce qui représentait une réduction de la valeur fiscale de CHF 1’022’796.-, soit l’abattement de 40% devait s’appliquer sur l’immeuble d’Anières mais limité à CHF 1’022’796.-. Il n’existait aucune raison de faire une différence, au regard de l’application de l’art. 7 let. e LIPP-III, entre le contribuable qui conservait son bien immobilier pour le louer et celui qui le vendait avant ou après en avoir acquis un nouveau.

Les règles sur le remploi fixaient à cinq ans la durée maximale du temps pouvant s’écouler entre les deux opérations. Si elle venait à vendre son bien immobilier d’ici 2008, elle bénéficierait alors de l’abattement avec la possibilité de demander la réouverture des taxations 2003 à 2008. La notion de remploi devait être prise dans une acception large comprenant l’échange.

12. L’AFC a répondu le 16 juillet 2007. Selon la jurisprudence et le message relatif à l’art. 48 let. e de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (aLCP - D 3 05), l’abattement ne s’appliquait que lorsque l'immeuble était occupé d’une manière continue par le propriétaire ; cela se justifiait par le fait que celui-là ne réalisait aucun revenu en espèces lui permettant d’acquitter l’impôt. L’abattement disparaissait lorsque le bien était loué. Si le propriétaire occupait à nouveau celui-ci, l’abattement minimum de 4% lui était appliqué.

En l’espèce, l’immeuble de Collonge-Bellerive était loué. L’occupation par la propriétaire avait été interrompue. L’abattement de 40% n’était plus applicable à cet immeuble et ne pouvait être reporté sur la valeur fiscale du bien acquis à Anières. Pour ce dernier, la contribuable pouvait bénéficier depuis 2003, d’un abattement de 4% sur la valeur fiscale déclarée en 2003 et de 8% sur la valeur fiscale déclarée en 2004. Enfin, le remploi ne pouvait être admis car l’immeuble de Collonge-Bellerive n’avait pas été vendu pour acquérir celui d’Anières.

13. Le 29 septembre 2008, la commission a rejeté les recours en faisant sienne l’argumentation de l’AFC.

14. Par acte déposé le 10 novembre 2008 auprès du greffe du Tribunal administratif, Mme R______ a recouru contre cette décision qu’elle avait reçue le 9 octobre 2008, en concluant :

Principalement :

à ce que le Tribunal administratif dise

"qu’il y a lieu de tenir compte d’une valeur de CHF 1’534’194.- comme valeur de fortune de l’immeuble situé à Collonge-Bellerive, dont la valeur fiscale s’élève à CHF 2’556’990.-, en application de l’art. 7 let. e 2ème phrase LIPP-III.

Subsidiairement seulement :

Dire que la valeur de fortune du bien situé au chemin Y______ à Anières, d’une valeur fiscale de CHF 6’000’000.- doit s’élever à CHF 4’977’240.- en application de l’art. 7 let. e 3ème phrase LIPP-III.

Cela fait :

Inviter le département des finances à émettre des nouveaux bordereaux ICC 2003 et ICC 2004 en tenant compte de la nouvelle valeur de la fortune du bien immobilier.

Allouer à la recourante un émolument à titre de dépens."

La recourante reprenait son argumentation. Les dispositions de la LIPP-III ne stipulaient pas que l’abattement acquis par occupation continue disparaîtrait si l’occupation personnelle par le contribuable cessait. Elle devait ainsi conserver l’estimation qui avait présidé à son imposition sur la fortune pour les années 1994 à 2002, soit un abattement de 40%.

L’AFC alléguait que la justification de cet abattement résidait dans le fait qu’en occupant l’immeuble, la propriétaire ne réalisait aucun revenu en espèces lui permettant d’acquitter l’impôt. Depuis 2003, elle ne réalisait ainsi aucun revenu sur le nouvel immeuble qu’elle occupait à Anières.

La décision attaquée était contraire à la loi et inique en ce sens qu’elle refusait le remploi par référence à l’art. 85 al. 2 LCP. Or, cette disposition légale était doublement irrelevante en l’espèce puisqu’elle figurait dans le titre 2 de la loi, relatif à l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers. Selon les travaux préparatoires, la notion de remploi devait s’entendre comme d’une acception large et comprendre l’échange.

15. Le 4 décembre 2008, l’AFC a conclu au rejet du recours. La jurisprudence développée dans le cadre de l’art. 48 let. e aLCP était applicable à l’art. 7 let. e LIPP-III, les deux dispositions étant semblables. Or, le texte de cette disposition étant clair, l’interprétation littérale devait être privilégiée. L’abattement était une déduction qui ne s’appliquait que lorsque l’immeuble était occupé par son propriétaire, ce qui résultait des travaux parlementaires relatifs à l’introduction en 1963 de l’art. 48 let. e aLCP.

Mme R______ ayant loué le bien de Collonge-Bellerive à un tiers, il y avait eu interruption dans l’occupation par la propriétaire et l’abattement de 40% n’était plus justifié selon le sens et l’esprit de la loi. Il serait contraire au texte légal de vouloir "capitaliser" l’abattement obtenu les années précédentes pour le reporter sur la valeur fiscale le jour où la contribuable déciderait d’occuper à nouveau son bien.

En admettant en 2003 un abattement de 4% et en 2004 un abattement de 8% pour l’immeuble d’Anières, l’AFC avait appliqué correctement la loi, reprenant d’ailleurs ce pourcentage tel qu’il avait été indiqué par la contribuable dans ses déclarations fiscales 2003 et 2004.

S’il fallait maintenir pour l’immeuble de Collonge-Bellerive un abattement de 40% alors que celui-ci était loué, cela ferait "doublon" avec les abattements de 4% et 8% accordés pour Anières en 2003 et 2004.

Quant au remploi, ses conditions n’en étaient pas remplies, l’immeuble d’Anières ayant été acquis avant que Mme R______ ne cesse d’occuper celui de Collonge-Bellerive.

16. La recourante a renoncé à répliquer et les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige a trait à l'ICC 2003 et 2004.

3. Le 1er janvier 2001 est entrée en vigueur la nouvelle loi genevoise sur l'imposition des personnes physiques LIPP, divisée désormais en quatre parties (loi sur l'imposition des personnes physiques - objet de l'impôt - assujettissement à l'impôt du 22 septembre 2000 - LIPP-I - D 3 11 ; loi sur l'imposition dans le temps des personnes physiques du 30 août 2000 - LIPP-II - D 3 12 ; LIPP-III - D 3 13 ; et loi sur l’imposition des personnes physiques - Impôt sur le revenu [revenu imposable] du 22 septembre 2000 LIPP-IV - D 3 14), l'art. 7 LIPP-III fixe les principes d'estimation des immeubles.

L'art. 7 let. e LIPP-III reprend presque exactement l'art. 48 let. e al. 1 et 2 aLCP, de sorte que les jurisprudences rendues en application de cette dernière disposition demeurent applicables.

Le texte de l'art. 7 LIPP-III, figurant dans la section "fortune imposable", est le suivant :

"L'évaluation des immeubles situés dans le canton est faite d'après les principes suivants  :

….

les autres immeubles, notamment les villas, parcs, jardins d'agrément, ainsi que les immeubles en copropriété par étage, sont estimés en tenant compte du coût de leur construction, de leur état de vétusté, de leur ancienneté, des nuisances éventuelles, de leur situation, des servitudes et autres charges foncières les grevant, de prix d'achats récents ou d'attribution en suite de succession ou de donation et des prix obtenus pour d'autres propriétés de même nature qui se trouvent dans des conditions analogues, à l'exception des ventes effectuées à des prix de caractère spéculatif.

Cette estimation est diminuée de 4% par année d'occupation continue par le même propriétaire ou usufruitier, jusqu'à concurrence de 40%. Il est également tenu compte de la durée d'occupation continue par le précédent propriétaire lorsqu'il s'agit, en cas de liquidation du régime matrimonial, de donation, d'acquisition par avancement d'hoirie ou par succession, du conjoint, de ses parents en ligne directe ou de ses frères et sœurs."

4. La recourante habitant son immeuble à Anières depuis le 1er août 2003, l'AFC a admis pour ce bien un abattement de 4% pour 2003 et de 8% pour 2004, conformément aux déclarations fiscales remplies par la contribuable.

5. L'art. 85 LCP figure sous le titre II "impôt sur les bénéfices et gains immobiliers". En vigueur depuis le 1er janvier 1995, il a la teneur suivante :

"L'impôt est remboursé en cas de remploi du bénéfice résultant de l'aliénation

a) d'un logement (villa ou appartement) occupé par le propriétaire qui aliène ;

Il y a remploi lorsque l'aliénateur utilise le produit de l'aliénation pour acquérir, construire ou transformer un immeuble de même nature, pourvu qu'il ne s'écoule pas plus de cinq ans entre les deux opérations" (ATA/275/2008 du 27 mai 2008 ; ATA/755/2005 du 8 novembre 2005 ; ATA/607/2005 du 13 septembre 2005).

Cette disposition ne s'applique que dans le cadre de la perception de l'impôt sur un bénéfice immobilier.

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.115/2003 du 14 mai 2004).

En l'espèce, le texte clair de la loi ne souffre pas d'interprétation : le remploi implique une aliénation. Or, la recourante n'a vendu aucun de ses immeubles, de sorte qu'elle ne peut se prévaloir de l'art. 85 LCP. La notion d'échange ne résulte pas du texte de la loi."

6. Ayant demeuré auparavant dix-huit ans dans sa propriété de Collonge-Bellerive, la recourante a bénéficié depuis 1995 de l'abattement maximum de 40% pour cet immeuble-ci.

Elle aimerait pouvoir continuer à bénéficier d'un tel abattement dès le 1er septembre 2003, date à laquelle elle a loué cet immeuble à un tiers.

L'art. 7 let. e LIPP-III ne lui confère pas un tel droit. La recourante ne peut prétendre cumuler ces abattements, respectivement de 4% et 8%, en raison de l'occupation effective de son logement à Anières et simultanément de la déduction maximale possible pour l'autre immeuble, ce qui pourrait être constitutif d'un abus de droit.

Le texte de l'art. 7 let. e LIPP-III est plus précis que celui de l'art. 85 LCP en ce sens qu'il prévoit qu'il peut être tenu compte de la durée d'occupation du précédent propriétaire mais dans certains cas seulement. Or, la recourante n'est pas la précédente propriétaire, faute d'aliénation, et elle ne se trouve pas dans l'une des situations mentionnées.

De plus, selon l'AFC, l'abattement se justifierait par le fait que le propriétaire occupant son immeuble n'en tirerait aucun revenu lui permettant de s'acquitter de l'impôt, ce qui n'est donc plus le cas si ce bien est loué, comme c'est le cas en l'espèce.

7. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante. Il ne lui sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 novembre 2008 par Madame R______ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 29 septembre 2008 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1’500.- ;

dit qu’il n'est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michel Lambelet, avocat de la recourante, à l’administration fiscale cantonale ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière administrative.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :