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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/817/2005

ATA/607/2005 du 13.09.2005 ( FIN ) , ADMIS

Descripteurs : IMPOT; LOGEMENT; REMPLOI; VENTE D'IMMEUBLE; INTERPRETATION(SENS GENERAL)
Normes : LHID.12 al.3; LCP.85 al.1; LCP.85 al.2
Résumé : Acquisition d'un nouveau logement et vente de l'ancien plus de quatre ans après. Le laps de temps qui s'est écoulé entre les deux opérations immobilières n'est pas compatible avec le facteur de simultanéité qui doit entourer les opérations d'aliénation/acquisition. Le remploi ne saurait dès lors être admis.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/817/2005-FIN ATA/607/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 13 septembre 2005

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIèRE D’IMPÔTS

et

Madame et Monsieur P__________
représentés par PricewaterhouseCoopers S.A.


 


1. Madame P__________, née J__________, et Monsieur P__________ (ci-après : les contribuables), domiciliés __________, chemin de R__________, 12__________ C__________/Genève, ont acquis le 12 août 1980, pour un prix de CHF 5'982'883,40, un immeuble sis sur la commune de Z__________/Genève dans lequel ils ont vécu depuis le 26 octobre 1982.

2. Le 3 juillet 1998, les contribuables ont acquis la Villa D__________ à C__________ pour le prix de CHF 12'300'000.-, dans laquelle ils ont emménagé le 7 octobre 1999.

3. Le 4 octobre 2002, les contribuables ont vendu l’immeuble de Z__________ pour le prix de CHF 9'500'000.-.

4. Dans la déclaration pour l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers qu’ils ont remplie le 6 octobre 2002, les contribuables ont présenté une demande de remploi au sens de l’article 85 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (LCP – D 3 05).

5. Le 18 novembre 2002, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC) a notifié aux contribuables deux bordereaux fixant à CHF 152'401.- l’impôt sur le bénéfice de la vente immobilière de l’immeuble de Z__________ à payer par chacun des époux, soit 10 % du gain immobilier imposable réalisé par chacun d’eux.

La demande de remploi n’était pas accordée, l’article 85 alinéa 2 LCP ne le prévoyant que pour un bien de remplacement acquis avant la vente de l’objet concerné.

6. Par décision du 9 octobre 2003, l’AFC a rejeté la réclamation présentée par les contribuables, les conditions de l’article 85 alinéa 1 lettre a et alinéa 2 LCP n’étant pas réunies.

7. Les contribuables ont saisi la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : la commission) d’un recours contre les décisions précitées par acte du 11 novembre 2003.

L’exigence que l’aliénateur habite ou soit domicilié dans l’immeuble aliéné au moment du transfert de ce dernier procédait d’une mauvaise interprétation de l’article 85 alinéa 1 lettre a LCP, incompatible avec les articles 12 alinéa 3 lettre e et 72 alinéa 2 de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). Ils avaient habité l’immeuble de Z__________ pendant plus de 17 ans et ils ne l’avaient pas affecté à un autre usage jusqu’à son aliénation. La période qui s’était écoulée entre les deux opérations immobilières était principalement due à la nature du bien et à la morosité du marché immobilier qui ne leur avait pas permis de trouver un acquéreur dans un délai plus bref. Ils n’étaient pas des spéculateurs de l’immobilier et soulignaient la nature exceptionnelle de la Villa D__________, un monument répertorié au patrimoine immobilier du canton de Genève, qu’ils avaient acquis.

8. Par décision du 21 février 2005, la commission a admis le recours des contribuables.

La loi était muette sur la question de l’ordre dans lequel devaient s’effectuer les deux opérations de vente et d’acquisition du bien de remplacement. Lors de la modification de l’ancien article 86A alinéa 2 LCP, entré en vigueur le 1er avril 1987, le législateur avait étendu la faculté du remploi dans un délai de cinq ans au lieu de trois ans. Ce faisant, il n’avait pas remis en question le fait que l’ordre des transactions était indifférent. Cette interprétation était conforme au remploi défini à l’article 12 alinéa 3 lettre e LHID. En l’espèce, les contribuables remplissaient les deux conditions de l’actuel article 85 alinéas 1 et 2 LCP. D’une part, l’aliénation portait sur leur propre logement et, d’autre part, la limite de cinq ans pour procéder aux opérations immobilières était respectée.

En conséquence, le remploi était admis en totalité. Au vu des valeurs d’acquisition, force était de constater que les contribuables avaient investi l’intégralité du bénéfice réalisé dans leur nouveau logement.

9. L’AFC a saisi le Tribunal administratif d’un recours contre la décision précitée par acte du 29 mars 2005.

La condition de l’article 85 alinéa 1 lettre a LCP n’était pas remplie, les contribuables ayant quitté le logement aliéné trois ans avant sa vente.

Quant à l’article 85 alinéa 2 LCP, il n’autorisait pas le remploi « inversé » en dehors de cas exceptionnels non réalisés en l’espèce. Si les contribuables avaient patienté plus de quatre ans pour revendre leur ancien immeuble de Z__________, c’était parce qu’ils avaient attendu, tout en pouvant se le permettre, le moment le plus favorable pour en retirer le meilleur prix. A cet égard, ils avaient agi dans un but de spéculation et, accorder le remploi dans un tel cas, serait abusif et contraire au but et à l’esprit de la loi. En effet, le remploi n’avait pas été conçu dans le but de procurer un avantage fiscal à des personnes qui commençaient par acquérir un nouvel immeuble et qui attendaient ensuite plusieurs années pour revendre leur ancien bien à un meilleur prix. Une telle interprétation n’était pas contraire à l’article 12 alinéa 3 lettre e LHID. Si le texte de cette disposition légale ne semblait pas exclure la possibilité du « remploi inversé », elle ne contraignait pas pour autant les cantons à l’accorder dans ce genre de cas.

Elle conclut à l’annulation de la décision querellée et à la confirmation de ses propres décisions du 9 octobre 2003.

10. Dans leur réponse du 13 mai 2005, les contribuables se sont opposés au recours.

Même s’ils ne contestaient pas le fait que le logement de Z__________ n’était plus occupé lors son aliénation, il n’était pas loué et, à cet égard, il devait être assimilé à un bien immobilier occupé par le propriétaire. L’utilisation du produit de la vente de l’immeuble de Z__________ avait bien été utilisé pour l’acquisition de celui de C__________, si tant est qu’ils avaient contracté un crédit hypothécaire remboursé par la suite par le produit de l’aliénation de la villa de Z__________. C’était à tort que l’AFC les considérait comme spéculateurs de l’immobilier, relevant que le retard dans l’aliénation de la villa de Z__________ était exclusivement dû à la morosité du marché immobilier genevois. Enfin, le texte de l’article 85 alinéa 2 LCP ne précisait pas l’ordre dans lequel devaient intervenir les deux opérations (aliénation et acquisition de remplacement), de sorte que le remploi inversé n’était pas exclu.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le 1er janvier 2001 est entrée en vigueur la nouvelle loi genevoise sur l'imposition des personnes physiques - LIPP, divisée désormais en quatre parties (LIPP-I, LITPP-II, LIPP-III et LIPP-IV) - qui a modifié ou abrogé la plupart des dispositions de la LCP. Toutefois, l’article 85 LCP n’a pas été modifié par ces textes.

3. L’article 85 LCP, en vigueur depuis le 1er janvier 1995, a la teneur suivante :

1 L’impôt est remboursé en cas de remploi du bénéfice résultant de l’aliénation :

a) d’un logement (villa ou appartement) occupé par le propriétaire qui aliène;

(…)


2 Il y a remploi au sens de l’alinéa précédant lorsque l’aliénateur utilise le
produit de l’aliénation pour acquérir, construire ou transformer un immeuble de même nature, pourvu qu’il ne s’écoule pas plus de 5 ans entre les deux opérations.

(…)

4. L’AFC fonde son refus d’admettre un tel remploi au double motif que les contribuables n’habitaient plus le logement aliéné (art. 85 al. 1 LCP) d’une part et qu’ils n’ont pas eu à utiliser le produit de la vente de l’aliénation pour acquérir le bien immobilier de C__________ (art. 85 al. 2 LCP) d’autre part. En ce sens, ils ont adopté un comportement de spéculateurs de l’immobilier, ce qui va précisément à l’encontre du but de la loi sur les bénéfices et gains immobiliers.

5. La réponse au premier grief de l’AFC procède de l’interprétation de l’article 85 alinéa 1 LCP.

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale) (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.115/2003 du 14 mai 2004). Si le texte légal n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme, en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé, (interprétation téléologique) ainsi que de la volonté du législateur, telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique - ATF 121 III 413 consid. 4b; 121 V 60 consid. 3b). A cet égard, les travaux préparatoires ne sont pas directement déterminants pour l'interprétation et ne lient pas le Tribunal fédéral; ils ne sont toutefois pas dénués d'intérêt et peuvent s'avérer utiles pour dégager le sens d'une norme, car ils révèlent la volonté du législateur, laquelle demeure, avec les jugements de valeur qui la sous-tendent, un élément décisif dont le juge ne saurait faire abstraction, même dans le cadre d'une interprétation téléologique (ATF 119 II 189 consid. 4b; 117 II 499 consid. 6a). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 248 ; 177 Ia 331 et les arrêts cités).

L’AFC fait une interprétation littérale du terme « occupé ». En l’espèce, les contribuables avaient quitté la villa de Z__________ en 1997 déjà et ils n’y habitaient plus lors de la vente intervenue en 2002. Partant, le remploi doit être refusé pour ce seul motif.

Force est de constater que l’AFC a interprété la disposition légale pertinente conformément aux principes posés par le Tribunal fédéral. Il n’y a pas lieu de s’en écarter.

6. Le Tribunal administratif constate que l’AFC n’exclut pas le principe du remploi inversé, mais en réduit l’application à des cas exceptionnels, sans préciser d’ailleurs quels en seraient les paramètres. Elle fonde au surplus sa position sur la jurisprudence développée sous l’ancien article 86A LCP, ainsi que sur les travaux préparatoires de l’actuel article 85 alinéa 2 LCP.

En l’espèce, la question n’est pas tant de décider de l’admissibilité du remploi inversé, mais bien plutôt de se pencher sur les conditions auxquelles est intervenu ledit remploi. Il n’est en effet pas contesté par les contribuables qu’ils n’ont pas eu à attendre la vente de la villa de Z__________ pour acquérir celle de C__________. En ce sens, le produit de l’aliénation n’a pas été utilisé pour l’acquisition du second immeuble, mais il a été affecté au remboursement du crédit hypothécaire y relatif. Si la qualification de spéculateurs de l’immobilier ne semble pas appropriée au cas des contribuables, il n’en demeure pas moins que ceux-ci avaient les moyens financiers d’acquérir la villa de C__________ sans devoir vendre celle de Z__________, qui plus est hors de toute contrainte temporelle. Or, le délai de plus de quatre ans qui s’est écoulé entre les deux opérations immobilières n’est pas compatible avec le facteur de simultanéité qui doit entourer les opérations d’aliénation/acquisition. En effet, la loi fiscale offre un avantage au contribuable qui doit se dessaisir de son bien immobilier pour en acquérir un nouveau. Tel n’est manifestement pas le cas ici.

Il en résulte que le recours sera admis et la décision de la commission annulée.

7. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 3'000.- sera mis à la charge des époux P__________, pris conjointement et solidairement. Il ne sera pas alloué d’indemnité à l’AFC.

* * * * *

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 mars 2005 par l’administration fiscale cantonale contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d’impôts du 21 février 2005 ;

au fond :

l’admet ;

met à la charge des époux P__________, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 3'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité à l’administration fiscale cantonale ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à la commission cantonale de recours en matière d’impôts, ainsi qu'à PricewaterhouseCoopers S.A., mandataire des recourants.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :