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Décisions | Chambre civile

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C/26165/2024

ACJC/1215/2025 du 09.09.2025 sur DTPI/12144/2024 ( OO ) , JUGE

Descripteurs : AVANCE DE FRAIS
Normes : aCPC.98; RTFMC.2; RTFMC.5; RTFMC.17
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26165/2024 ACJC/1215/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 9 SEPTEMBRE 2025

 

Pour

 

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre la décision DTPI/12144/2024 rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 18 novembre 2024, représenté par Me Laurent WINKELMANN, avocat, avenue de la Roseraie 76A, case postale, 1211 Genève 12.

 

 

 


EN FAIT

A. a. En date du 26 février 2019, B______ et feu C______, actionnaires et administrateurs de la société anonyme D______ SA (ci-après : la société), d'une part, et A______, d'autre part, ont signé une convention de vente des actions de la société (ci-après : la Convention), le but étant, selon A______, qu'il trouve un investisseur en vue de sauver cette entité en proie à des difficultés financières.

Le prix convenu était de 900'000 fr., payable à raison d'un premier versement de 250'000 fr. au jour de la signature. Le solde de 650'000 fr. devait, si un investisseur rachetait 50% de parts de la société, être versé dans le mois suivant la réception des fonds dudit investisseur ou, à défaut d'investisseur, à raison de 250'000 fr., un an après l'acquisition de la société, et à raison de 400'000 fr. deux ans après cette acquisition.

b. A______ s'est acquitté du premier versement de 250'000 fr.

c. Les conditions de paiement du solde du prix de vente ont fait l'objet de deux attestations des 5 juillet 2019 et 12 mai 2020, ainsi que d'un avenant du 23 juillet 2021.

d. D______ SA a été dissoute par suite de faillite prononcée le
12 avril 2021.

e. Considérant qu'une condition suspensive au paiement dudit solde avait été convenue par les parties, A______ ne s'en est pas acquitté.

f. B______ lui a fait notifier, le 25 octobre 2022, un commandement de payer, n° 1______, portant sur la somme de 250'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 mars 2021 et de 400'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 mars 2022, auquel il a été fait opposition.

g. Par acte déposé le 6 février 2023, B______ a requis la mainlevée provisoire de l'opposition faite à la poursuite, laquelle a été refusée par jugement du Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) JTPI/117/2024 du 22 décembre 2023, puis admise par arrêt de la Cour de justice (ci-après : la Cour) ACJC/1285/2024 du 15 octobre 2024.

h. Par acte déposé le 11 novembre 2024, A______ a saisi le Tribunal d'une action en libération de dette dirigée contre B______, tendant à ce qu'il soit constaté qu'il ne lui doit pas les sommes de 250'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 mars 2021 et de 400'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 mars 2022, et à ce qu'il soit dit que la poursuite n° 1______ n'irait pas sa voie.

Cette demande, de vingt pages, comporte trente-huit allégués de faits et est accompagnée de vingt-cinq pièces.

i. Par décision DTPI/12144/2024 du 18 novembre 2024, remise pour notification à A______ le lendemain, le Tribunal a imparti à celui-ci un délai au
3 janvier 2025 pour fournir une avance de frais de 30'000 fr.

B. a. Par acte expédié le 29 novembre 2024 à la Cour, A______ a recouru contre cette décision, dont il a sollicité l'annulation.

Il a conclu à ce que l'avance de frais soit fixée à 15'000 fr., subsidiairement à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision, et, en tout état, à ce que les frais de la procédure soient mis à la charge de l'Etat et que des dépens lui soient alloués.

Il a, préalablement, requis la suspension du caractère exécutoire de la décision entreprise, requête qui a été accordée par décision de la Cour du 2 décembre 2024.

b. Dans son avis du 7 janvier 2025, le Tribunal a relevé que le montant fixé pour l'avance de frais était conforme à l'art. 17 RTFMC, ainsi qu'à son tarif interne des demandes d'avances de frais.

c. A______ a été avisé de ce que la cause était gardée à juger par courrier du greffe du 27 janvier 2025.

EN DROIT

1. 1.1 La décision entreprise ayant été communiquée au recourant avant le 1er janvier 2025, le présent recours demeure régi par l'ancien droit de procédure (art. 404
al. 1 et 405 al. 1 CPC), sous réserve des dispositions d'application immédiate énumérées à l'art. 407f CPC, dont l'art. 98 CPC ne fait pas partie.

La procédure de première instance, qui a débuté en 2024, est également régie par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 CPC).

1.2 Selon l'art. 103 CPC, les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours.

La décision entreprise est une ordonnance d'instruction, soumise au délai de recours de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC (art. 319 let. b ch. 1 CPC; Tappy,
CR-CPC, 2019, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC).

Le recours ayant été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 CPC), il est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en droit et avec un pouvoir d'examen restreint à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (arrêts du Tribunal fédéral 4D_9/2021 du 19 août 2021 consid. 3.3.1; 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2014 consid. 5.3.2; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2307).

2. Le recourant conteste la quotité de l'avance de frais fixée par le Tribunal, qu'il considère comme trop élevée au regard de la valeur litigieuse, celle-ci correspondant à la valeur plafond prévue à l'art. 17 RTFMC.

2.1

2.1.1 Le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés (art. 98 aCPC et 2 al. 1 RTFMC).

L'art. 98 aCPC est une "Kann-Vorschrift", le Tribunal jouissant en la matière d'un important pouvoir d'appréciation, puisque s'il doit en principe réclamer une avance de frais correspondant à l'entier des frais judiciaires présumables, il peut également réclamer un montant inférieur, voire renoncer à toute avance de frais, étant cependant relevé que le prélèvement d'une avance de frais pleine et entière est la règle et que celle d'une avance moindre, ou la renonciation à percevoir une avance, sont l'exception (ATF 140 III 159 consid. 4.2).

L'avance a un double but : éviter que le demandeur puisse s'avérer insolvable ou doive être poursuivi si c'est finalement lui qui doit supporter les frais judiciaires en tout ou en partie, dans le cadre de leur répartition finale, d'une part, et assurer que l'Etat n'aura pas de peine à recouvrer les montants mis à la charge du défendeur dans cette même répartition finale, l'avance en question servant dans ce cas de garantie de paiement, d'autre part (TAPPY, CR-CPC, n. 3 ad. art. 98 CPC).

2.1.2 Pour déterminer le montant des frais, il y a lieu de se référer au tarif des frais prévu par le droit cantonal (art. 96 CPC).

Selon l'art. 19 al. 3 LaCC, les émoluments forfaitaires sont calculés en fonction de la valeur litigieuse, s'il y a lieu, de l'ampleur et de la difficulté de la procédure et sont fixés dans un tarif établi par le Conseil d'Etat (art. 19 al. 6 LaCC), soit le RTFMC (RS GE E 1 05. 10).

La fixation de l'avance de frais doit correspondre en principe à l'entier des frais judiciaires présumables (art. 2 RTFMC), compte tenu notamment des intérêts en jeu, de la complexité de la cause, de l'ampleur de la procédure et de l'importance du travail qu'elle impliquera, par anticipation sur la décision fixant l'émolument forfaitaire arrêté en fin de procédure (art. 5 RTFMC).

L'art. 17 RTFMC prévoit un émolument forfaitaire de décision de 5'000 fr. à 30'000 fr. pour une cause pécuniaire dont la valeur litigieuse se situe entre 100'001 fr. à 1'000'000 fr.

Selon le ch. 3.1.1 du tarif interne des demandes d'avances de frais pour le TPI - adopté par la présidence du Tribunal le 28 janvier 2011 et modifié en dernier lieu le 12 octobre 2018 (ci-après : le tarif interne du Tribunal), disponible sur le site internet du Pouvoir judiciaire -, pour une valeur litigieuse entre 500'001 fr. et 1'000'000 fr., l'émolument est de 30'000 fr.

Dans la fixation des frais de justice, la valeur litigieuse joue un rôle déterminant (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4). La valeur litigieuse est déterminée par les conclusions (art. 91 al. 1 première phrase CPC). S'agissant d'une action en libération de dette, elle se détermine en fonction du montant dont la libération est souhaitée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_346/2014 du 14 juillet 2014 consid. 1).

Les émoluments de justice obéissent au principe de l'équivalence (ATF 133 V 402 consid. 3.1). Ainsi, leur montant doit être en rapport avec la valeur objective de la prestation fournie et rester dans des limites raisonnables. Pour que le principe de l'équivalence soit respecté, il faut que l'émolument soit raisonnablement proportionné à la prestation de l'administration, ce qui n'exclut cependant pas un certain schématisme. Les émoluments doivent être établis selon des critères objectifs et s'abstenir de créer des différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs pertinents (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4). Le taux de l'émolument ne doit pas, en particulier, empêcher ou rendre difficile à l'excès l'accès à la justice
(arrêt du Tribunal fédéral 2C_513/2012 du 11 décembre 2012 consid. 3.1).

2.1.3 La Cour examine la cause avec une certaine réserve. Ainsi, seul un abus du pouvoir d'appréciation du juge constitue une violation de la loi (ACJC/807/2025 du 17 juin 2025 consid. 3.1.4; ACJC/1547/2018 du 8 novembre 2018; ACJC/278/2014 du 25 février 2014; ACJC/208/2014 du 13 février 2014).

2.2 En l'espèce, le montant fixé par le Tribunal correspond au maximum de la catégorie prévue par l'art. 17 RTFMC pour la valeur litigieuse en cause, ainsi que de l'avance visée par le tarif interne du Tribunal.

Il ne résulte pas de la décision attaquée que d'autres critères (énoncés à
l'art. 5 RTFMC) que celui de la valeur litigieuse, certes prépondérant, auraient été pris en considération. Il ne peut ainsi être retenu que le Tribunal aurait procédé à un examen complet des circonstances pertinentes.

A ce stade, la procédure ne s'annonce pas exagérément compliquée et les actes d'instruction requis semblent limités. Il apparaît dès lors que l'usage fait par le Tribunal de son pouvoir d'appréciation n'est pas exempt de tout abus, dès lors que le montant de l'avance de frais, qui correspond au maximum de la "fourchette" prévue à l'art. 17 RTFMC et du tarif interne du Tribunal, alors que la valeur litigieuse de 650'000 fr. est de l'ordre des deux-tiers du maximum de cette "fourchette" et que le litige ne présente pas de complexité particulière, paraît excessif au regard de l'art. 5 RTFMC.

Il convient ainsi de réduire l'avance de frais à 20'000 fr., ce montant tenant davantage compte prima facie des intérêts financiers en jeu, de l'ampleur prévisible de la procédure, de la relative complexité de la cause et de l'importance du travail qu'elle impliquera, étant relevé que tout acte d'instruction requis de façon supplémentaire pourrait en tout état fonder une demande d'avance complémentaire.

Compte tenu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis et la décision querellée sera annulée. L'avance de frais sera arrêtée à 20'000 fr. et le Tribunal invité à impartir au recourant un nouveau délai pour le paiement de cette avance.

3. Les frais judiciaires du recours seront arrêtés à 600 fr., comprenant l'émolument de la décision du 2 décembre 2024 (art. 41 RTFMC).

Compte tenu de l'issue de la procédure (le recourant ayant obtenu gain de cause sur effet suspensif, sur le principe des conclusions de son recours et sur une partie de la quotité en cause), lesdits frais seront mis à sa charge à hauteur de 300 fr. et à la charge de l'Etat de Genève à hauteur de 300 fr. (art. 106 al. 2 et 107 al. 2 CPC).

Lesdits frais, couverts par l'avance de frais, restent acquis à l'Etat de Genève à due concurrence (art. 111 al. 1 aCPC).

Les Services financiers seront invités à restituer la somme de 300 fr. au recourant.

L'art. 107 al. 2 CPC ne s'appliquant pas en matière de dépens, le recourant conservera à sa charge l'intégralité de ses dépens de recours (ATF 140 III 385 consid. 4.1).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 29 novembre 2024 par A______ contre la décision DTPI/12144/2024 rendue le 18 novembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/26165/2024.

Au fond :

Annule la décision querellée et, statuant à nouveau :

Fixe l'avance de frais due par A______ à 20'000 fr.

Invite le Tribunal de première instance à impartir à A______ un nouveau délai pour le paiement de cette avance.

Déboute A______ de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 600 fr., les met à hauteur de 300 fr. à charge de A______ et de 300 fr. à charge de l'Etat de Genève, et les compense avec l'avance de frais, acquise à due concurrence à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 300 fr. à A______.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.