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Décisions | Chambre civile

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C/6041/2025

ACJC/1053/2025 du 05.08.2025 ( IUO )

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6041/2025 ACJC/1053/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 4 AOÛT 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], demanderesse et requérante sur mesures provisionnelles, représentée par Me Robert ANGELOZZI, avocat, Benoît & Arnold Avocats, rue Du-Roveray 16, case postale, 1211 Genève 6.

et

A______/B______ SA, sise ______ [GE], défenderesse et citée sur mesures provisionnelles, représentée par Me Romain CANONICA, avocat, Canonica Valticos Carnicé & Associés, rue de la Synagogue 31, case postale 214, 1211 Genève 8.

 


EN FAIT

A. a. A______ SA est une société inscrite au registre du commerce de Genève le ______ 2004, initialement sous la forme d'une société à responsabilité limitée avec la raison de commerce A______ Sàrl et transformée en janvier 2015 en société anonyme sous la raison sociale A______ SA.

Jusqu'en mai 2017, son but social consistait dans l'exécution de travaux de nettoyage, de désinfection, de stérilisation, de peinture, de pose et d'entretien de parquets.

Depuis lors, elle a pour but social l'exécution, en Suisse et à l'étranger, de tous travaux de nettoyage, d'entretien, de désinfection et de stérilisation, exercice de toutes activités dans le domaine du bâtiment, notamment rénovation, démolition, peinture, pose et entretien de parquets.

C______ en est l'administratrice-présidente, avec signature individuelle. D______ en est administrateur, avec signature individuelle.

La société est sise au no. ______, route 1______ à E______ (Genève).

b. A______/B______ SA est une société anonyme inscrite le ______ 2024 au registre du commerce de Genève.

Elle a pour but la réalisation de travaux de construction et de rénovation dans le domaine du bâtiment, la création, en Suisse à et l'étranger, de succursales, la participation à d'autres entreprises, l'acquisition d'immeubles, de sociétés immobilières ou d'entreprises visant un but économique identique ou analogue.

Elle propose des services de rénovation totale et partielle, en offrant à ses clients une prise en charge facilitée par l'intermédiaire d'un co-contractant unique, coordonnant l'ensemble des travaux et mobilisant les différents corps de métiers nécessaires à la réalisation de projets par le biais de contrats de sous-traitance.

Son siège social est à la rue 2______ no. ______ , à F______ (Genève).

G______ en est l'administrateur, avec signature individuelle.

c. G______ est également administrateur de la société française A______ SAS, inscrite au registre du commerce de H______ [France] depuis le ______ 2017.

d. A______ SA allègue que A______/B______ SA offre des prestations de services similaires aux siennes.

Il ressort de l'extrait du site internet de A______ SA qu'elle fournit principalement des prestations de nettoyage, d'entretien et de conciergerie, notamment pour des locaux commerciaux et des bureaux; elle offre également d'exécuter des travaux de nettoyage de fin de chantier, de nettoyage de façade ou des traitements anti-insectes.

A______/B______ SA expose, sur son site internet, les travaux de rénovation de biens immobiliers, d'appartements et de maisons familiales qu'elle a réalisés.

e. Par courrier du 18 octobre 2024, A______ SA a sommé A______/B______ SA de modifier sa raison sociale d'ici fin octobre 2024.

B. a. Le 13 mars2025, A______ SA a saisi la Cour de justice d'une demande tendant à la modification d'une raison de commerce dirigée contre A______/B______ SA, assortie d'une requête de mesures provisionnelles.

Elle a conclu, sur mesures provisionnelles, à ce qu'interdiction soit faite à A______/B______ SA d'utiliser dans sa raison sociale, sa publicité, ses papiers d'affaires, sur internet ou sous quelque forme que ce soit, la raison de commerce A______/B______ SA sous peine des sanctions prévues par l'art. 292 CP, sous suite de frais et dépens.

Sur le fond, elle a pris les mêmes conclusions en sollicitant qu'un délai de 30 jours soit fixé à A______/B______ SA pour modifier sa raison sociale auprès du registre du commerce, sous suite de frais et dépens.

b. Dans sa réponse, A______/B______ SA a conclu au rejet de la requête, sous suite de frais et dépens.

c. Les parties ont fait usage de leur droit de réplique spontanée, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Le 12 juin 2025, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger sur mesures provisionnelles.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre civile de la Cour de justice est compétente à raison de la matière pour connaître en instance unique de la requête de mesures provisionnelles, fondée sur les dispositions régissant l'usage d'une raison de commerce et la loi sur la concurrence déloyale (art. 5 al. 1 let. c et d CPC; art. 5 al. 2 LCD; art. 120 al. 1 let. a LOJ).

1.2 Elle l'est également à raison du lieu, les parties ayant leur siège à Genève
(art. 13 et 36 CPC).

1.3 Les mesures provisionnelles sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC).

2. L'audition de témoins sollicitée par la requérante à l'appui de sa requête sur mesures provisionnelles ne sera pas ordonnée, compte tenu de la nature sommaire de la présente procédure, qui serait sensiblement retardée par l'administration du moyen de preuve requis (art. 254 al. 1 et 2 CPC).

3. La requérante sollicite le prononcé de mesures provisionnelles tendant à ce qu'il soit fait interdiction à la citée d'utiliser dans sa raison sociale, sa publicité, ses papiers d'affaires, sur internet ou sous quelque forme que ce soit, la raison de commerce A______/B______ SA. Elle expose qu'elle risque de subir un préjudice difficile à réparer découlant de ce que de potentiels clients pourraient être dirigés à leur insu vers la citée.

3.1.1 Le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires, lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC). Il peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite (art. 262 let. a et
b CPC).

L'autorité judiciaire qui se prononce sur des mesures provisionnelles peut se limiter à la simple vraisemblance des faits après une administration limitée des preuves, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3).

Les conditions au prononcé de mesures provisionnelles sont : l'existence d'une prétention relevant du droit civil, une menace d'un danger imminent contre cette prétention, qui causerait un préjudice difficilement réparable, l'urgence et la proportionnalité (Sprecher, Basler Kommentar - ZPO, 4ème éd. 2024, n. 10
ad art. 261 CPC).

L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; arrêts du Tribunal fédéral 5A_931/2014 du 1er mai 2015 consid. 4; 5A_791/2008 du 10 juin 2009 consid. 3.1; Bohnet, Commentaire romand, 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC). Est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1). Il suffit que la partie requérante risque un préjudice difficilement réparable; il n'est pas nécessaire que ce préjudice soit plus important ou plus vraisemblable que celui qu'encourrait la partie adverse au cas où les mesures requises seraient ordonnées (ATF 139 III 86, consid. 5).

La mesure doit respecter le principe de la proportionnalité, par quoi on entend qu'elle doit être adaptée aux circonstances de l'espèce et ne pas aller au-delà de ce qu'exige le but poursuivi. Les mesures les moins incisives doivent avoir la préférence. La mesure doit également se révéler nécessaire, soit indispensable pour atteindre le but recherché, toute autre mesure ou action judiciaire ne permettant pas de sauvegarder les droits du requérant (Message du Conseil fédéral, FF 2006 p. 6962; arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

3.1.2 L'inscription au registre du commerce d'une raison de commerce confère à l'ayant droit l'usage exclusif de celle-ci (art. 956 al. 1 CO). Celui qui subit un préjudice du fait de l'usage indu d'une raison de commerce peut demander au juge d'y mettre fin (art. 956 al. 2 CO).

Est donc prohibé non seulement l'usage d'une raison de commerce identique à celle dont le titulaire a le droit exclusif, mais aussi l'utilisation d'une raison semblable, qui ne se différencie pas suffisamment de celle inscrite au point de créer un risque de confusion (ATF 131 III 572 consid. 3).

Sur la base de son droit d'exclusivité, le titulaire d'une raison de commerce antérieure peut ainsi agir contre le titulaire d'une raison postérieure et lui en interdire l'usage s'il existe un risque de confusion entre les deux raisons sociales (ATF 131 III 572 consid. 3; 122 III 369 consid. 1).

La raison de commerce d'une société commerciale doit se distinguer nettement de toute autre raison de commerce d'une société commerciale déjà inscrite en Suisse (art. 951 CO). Comme les sociétés anonymes et à responsabilité limitée peuvent choisir en principe librement leur raison de commerce, des exigences élevées quant à leur caractère distinctif sont posées (arrêt du Tribunal fédéral 4A_45/2012 du 12 juillet 2012 consid. 3.2.2).

3.1.3 Le titulaire de la première raison sociale inscrite peut aussi agir sur la base de l'art. 3 let. d LCD, qui s'applique cumulativement si les parties sont dans un rapport de concurrence (ATF du 15 décembre 1992, consid. 4 in RSPI 1994 p. 53; 100 II 395 consid. 1; 100 II 224 consid. 5; Meier-Hayoz/Forstmoser, Schweizerisches Gesellschaftsrecht, 2007, § 7 n. 109).

A teneur de cette disposition est déloyal le comportement de celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d'autrui. Est ainsi visé tout comportement au terme duquel le public est induit en erreur par la création d'un danger de confusion, en particulier lorsque celui-ci est mis en place pour exploiter, de façon parasitaire, la réputation d'un concurrent (arrêts du Tribunal fédéral 4A_168/2010 du 19 juillet 2010 consid. 5.1; 4A_253/2008 du 14 octobre 2008 consid. 5.2; ATF 127 III 33 = JdT 2001 I 340 consid. 2b).

3.1.4 Savoir si deux signes sont suffisamment distincts l'un de l'autre se détermine sur la base de l'impression d'ensemble que ces signes donnent au public. Si la notion de risque de confusion est la même dans tout le droit relatif aux signes distinctifs ce risque ne s'apprécie pas forcément selon les mêmes critères dans les différents domaines du droit (140 III 297 consid. 3.5; ATF 131 III 572 
consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_167_2019 du 8 août 2019 consid. 3.1.1).

Un risque de confusion existe lorsque la fonction distinctive du signe antérieur est atteinte par l'utilisation du signe le plus récent. Des personnes qui ne sont pas titulaires du droit exclusif à l'usage d'un signe peuvent provoquer, en utilisant des signes identiques ou semblables à celui-ci, des méprises en ce sens que les destinataires vont tenir les personnes ou les objets distingués par de tels signes pour ceux qui sont individualisés par le signe protégé en droit de la propriété intellectuelle (confusion dite directe). La confusion peut également résider dans le fait que, dans le même cas de figure, les destinataires parviennent certes à distinguer les signes, par exemple des raisons sociales, mais sont fondés à croire qu'il y a des liens juridiques ou économiques entre l'utilisateur de la raison et le titulaire de la raison valablement enregistrée (confusion dite indirecte)
(ATF 131 III 572 consid. 3; 128 III 146 consid. 2a).

  3.1.5 En droit des raisons de commerce, tous les signes n'ont pas la même importance pour l'appréciation du risque de confusion. Selon la jurisprudence, il convient surtout de prendre en compte les éléments frappants que leur signification ou leur sonorité mettent particulièrement en évidence, si bien qu'ils ont une importance accrue pour l'appréciation du risque de confusion (ATF 131 III 572 consid. 3; 127 III 160 consid. 2b/cc; ATF 122 III 369 consid. 1). Cela vaut en particulier pour les désignations de pure fantaisie, qui jouissent généralement d'une force distinctive importante, à l'inverse des désignations génériques appartenant au domaine public. Il est possible pour celui qui emploie comme éléments de sa raison sociale un signe similaire voir identique à celui d'une raison plus ancienne de se distinguer en la complétant avec des éléments additionnels qui l'individualisent. Là encore, tous les éléments additionnels n'ont pas la même force distinctive. A cet égard, ne sont généralement pas suffisants les éléments descriptifs qui ont trait à la forme juridique ou au domaine d'activité de l'entreprise (ATF 131 III 572 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_167_2019 du 8 août 2019 consid. 3.1.2). La jurisprudence retient que les exigences posées quant à la force distinctive de ces éléments additionnels ne doivent pas être exagérées lorsque ceux-ci viennent compléter des désignations génériques, le public n'attribuant qu'une importance limitée aux éléments génériques et accordant plus d'attention aux autres composants de la raison sociale
(ATF 131 III 572 consid. 3; ATF 122 III 369 consid. 1). Il en va autrement lorsque l'élément identique ou similaire de la raison sociale est une dénomination de fantaisie jouissant d'une force distinctive importante; il est nécessaire que l'élément additionnel complétant la raison sociale jouisse d'une force distinctive telle qu'il permette d'éviter une confusion entre les raisons de commerce (arrêt du Tribunal fédéral 4A_167/2019 du 8 août 2019, consid. 3.1.2).

3.2 En l'espèce, la requérante rend vraisemblable que l'utilisation par la citée de la raison de commerce A______/B______ SA, inscrite en ______ 2024, porte atteinte à son droit exclusif d'utiliser sa raison sociale A______ SA, inscrite au registre du commerce en 2004.

Les deux raisons sociales A______ SA et A______/B______ SA sont en effet similaires, puisqu'elles consistent toutes deux en la juxtaposition de la lettre "______" et du terme "______" et que la seule différence réside dans le terme "______", présent dans la raison sociale de la partie citée, qui n'est pas d'une grande force distinctive.

Les deux entités sont toutes deux inscrites au registre du commerce de Genève et déploient leurs activités principalement à Genève, donc dans un même périmètre géographique délimité.

S'il est vrai que leurs domaines d'activités paraissent pour l'essentiel distincts, puisque les prestations principales de la requérante consistent dans l'entretien, le nettoyage et la conciergerie, proposées pour des locaux commerciaux ou privés, alors que la citée effectue des travaux dans le domaine du bâtiment, plus particulièrement dans la rénovation d'appartements et de biens immobiliers, il n'en demeure pas moins que les deux entreprises proposent des prestations de nettoyage de fin de chantier et qu'elles sont donc toutes deux appelées à effectuer des travaux dans le domaine du bâtiment.

Ces circonstances conduisent à retenir qu'il est vraisemblable qu'un risque de confusion existe entre les raisons sociales des deux entités et que cette atteinte au droit exclusif de la requérante d'utiliser la raison sociale A______ SA est susceptible de causer à la requérante un préjudice difficile à déterminer et, partant, à réparer si elle devait obtenir gain de cause à l'issue de la procédure au fond.

Il se justifie en conséquence de faire droit aux conclusions prises par la requérante et d'interdire à la citée d'utiliser la dénomination "A______/B______ SA" dans sa raison sociale, sa publicité, ses papiers d'affaires, sur internet ou sous quelque forme que ce soit, ces mesures apparaissant adéquates et proportionnées en vue de protéger la requérante de l'atteinte à son droit exclusif d'utiliser sa raison de commerce.

Il n'y a en revanche pas lieu de prononcer cette interdiction sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, la requérante n'avançant aucun élément qui laisserait craindre que la citée ne se conformera pas à la présente décision (art. 343 al. 1 let. a CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_839/2010 du 9 août 2011
consid. 6.3).

4.  Il sera statué sur les frais et dépens liés à la présente décision dans l'arrêt à rendre sur le fond (art. 104 al. 3 CPC).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

 

Statuant sur mesures provisionnelles :

Fait interdiction à A______/B______ SA d'utiliser dans sa raison sociale, sa publicité, ses papiers d'affaires, sur internet ou sous quelque forme que ce soit de la raison de commerce A______/B______ SA.

Déboute les parties de toutes autres conclusions prises sur mesures provisionnelles.

Dit qu'il sera statué sur les frais liés à la présente décision dans l'arrêt à rendre sur le fond.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.