Aller au contenu principal

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/16730/2008

ACJC/1425/2023 du 17.10.2023 sur JTPI/11869/2022 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16730/2008 ACJC/1425/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 17 OCTOBRE 2023

 

Entre

1) A______ SA, ayant son siège ______,

2) B______ SA, ayant son siège ______, appelantes d'un jugement rendu par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 10 octobre 2022, représentées toutes deux par Me Malek ADJADJ, AAA AVOCATS SA, rue du Rhône 118, 1204 Genève,

et

1) ETAT DE GENEVE, rue de l'Hôtel-de-Ville 2, case postale 3964, 1211 Genève 3, intimé, représenté par Me Bertrand REICH, avocat, DE BOCCARD ASSOCIES SA, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,

2) C______, ______, autres intimés, représentés par Me Nicolas WISARD, avocat, BMG AVOCATS, avenue de Champel 8C, case postale 385, 1211 Genève 12,

3) Monsieur D______, domicilié ______, autre intimé,


4) Madame E______, domiciliée ______, autre intimée,

5) Madame F______, domiciliée ______, autre intimée,

6) Monsieur G______, domicilié ______, autre intimé, représentés tous quatre par Me Soile SANTAMARIA et Me Raphaël JAKOB, avocats, rue François-Versonnex 7, 1207 Genève.

Le présent arrêt est communiqué aux parties par plis recommandés du 23.10.2023.

 

 

 

 

 

 

 



EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/11869/2022 du 10 octobre 2022, notifié à B______ SA le 12 octobre 2022, à A______ SA le 13 octobre 2022 et aux autres parties le 12 octobre 2022, le Tribunal de première instance a débouté A______ SA et B______ SA des fins de leur demande, dans la mesure de sa recevabilité (ch. 1 du dispositif), condamné A______ SA et B______ SA en tous les dépens, comprenant une équitable indemnité de procédure de 150'000 fr. en faveur de l'ETAT DE GENEVE, de 150'000 fr. en faveur des C______ et de 150'000 fr. en faveur de G______, E______, F______ et D______, pris conjointement et solidairement (ch. 2) et débouté les parties de toutes autres conclusions, dans la mesure de leur recevabilité (ch. 3).

B.            a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 11 novembre 2022, A______ SA et B______ SA appellent de ce jugement, dont elles sollicitent l'annulation.

Principalement, elles concluent à ce que l'ETAT DE GENEVE, les C______, D______, E______, F______ et G______ soient condamnés, conjointement et solidairement, à leur payer la somme de 6'991'734 fr. 75 plus intérêts à 5% l'an dès le 15 août 2004, avec suite de frais judiciaires et dépens.

Subsidiairement, elles concluent à ce qu'il soit dit qu'une société simple existait entre elles et que leur demande du 22 juillet 2008 était recevable et, cela fait, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants, avec suite de frais judiciaires et dépens.

b. Dans leurs réponses respectives, l'ETAT DE GENEVE, les C______, D______, E______, F______ et G______ concluent principalement au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais judiciaires et dépens.

Subsidiairement, les C______, D______, E______, F______ et G______ concluent au renvoi de la cause au Tribunal pour compléter l'état de fait.

c. Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger par plis du greffe du 28 août 2023.

C.           Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Au mois d'avril 1988, H______, I______, J______ et K______ ont contracté un emprunt hypothécaire de 20'000'000 fr. auprès de la [banque] L______ à Genève, reprise ensuite par la M______ (ci-après : la M______ ou la banque), afin d'acquérir les parcelles n. 1______ et 2______ de la commune de N______, ainsi que l'intégralité du capital-actions de la société genevoise B______ SA, propriétaire de la parcelle n. 3______ de la même commune.

Sur les parcelles susvisées sont respectivement bâtis les immeubles d'habitation contigus sis no. ______, boulevard 4______, no. ______ et no. ______, boulevard 5______, à Genève.

En garantie du prêt accordé, la banque a reçu en nantissement le capital-actions de B______ SA, ainsi que les cédules hypothécaires grevant les parcelles sus-indiquées, à concurrence de 21'000'000 fr., en pleine propriété.

b. Les immeubles susvisés, ainsi que le capital-actions de B______ SA, ont ensuite été acquis par H______, I______, J______ et O______, pour un prix total de 26'000'000 fr.

K______ a renoncé à devenir propriétaire, mais est demeuré codébiteur du prêt.

c. Le 9 novembre 1988, une cinquantaine de manifestants sont entrés par effraction dans les immeubles sis no. ______ et no. ______, boulevard 5______, ainsi que dans l'immeuble contigu sis no. ______, boulevard 4______, pour s'y installer durablement.

Bien que voués au logement, les trois immeubles étaient alors inoccupés depuis une dizaine d'années, à l'exception de deux appartements et d'un local, dans lesquels demeuraient des locataires. Les immeubles étaient destinés de longue date à être rénovés ou transformés.

d. Par ordonnances du 10 novembre 1988, statuant sur plaintes des propriétaires, le Procureur général a invité la force publique à expulser tout individu qui se trouverait en flagrant délit d'occupation illicite dans l'un des bâtiments susmentionnés (procédure P/6______/1991).

Le Conseil d'Etat genevois a cependant décidé de ne pas mettre en œuvre la force publique, considérant qu'au regard des circonstances, les propriétaires n'avaient qu'un intérêt négligeable à l'évacuation, alors que celle-ci, exécutée par la force publique, pourrait provoquer des troubles sociaux.

e. Le 8 novembre 1989, les propriétaires ont recouru au Tribunal fédéral pour violation de leurs droits constitutionnels. Par arrêt du 8 mai 1991, le Tribunal fédéral a admis le recours et invité le Conseil d'État genevois à exécuter les ordonnances du Procureur général du 10 novembre 1988.

Le Conseil d'Etat n'a toutefois pas donné suite à cet arrêt, indiquant qu'il renoncerait de manière générale à expulser des occupants illicites aussi longtemps que les propriétaires des immeubles concernés n'étaient pas au bénéfice d'une autorisation de construire ou de transformer, ou d'un projet d'occupation quelconque. En contrepartie, il s'engageait à faire évacuer les immeubles aussitôt que cette condition serait réalisée.

f. Dans l'intervalle, le Département des travaux publics a refusé d'octroyer aux propriétaires une autorisation portant sur la transformation et la rénovation des trois immeubles, au motif que le projet ne respectait notamment pas la loi genevoise sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation.

g. A une date indéterminée, les occupants ont constitué l'association à but non lucratif P______, dont les statuts prévoyaient notamment que la qualité de membre était réservée aux personnes qui habitaient dans les immeubles no. ______, boulevard 4______ et no. ______ - no. ______, boulevard 5______.

Dans les années qui ont suivi, D______, E______, F______, Q______ et G______ ont notamment fait partie des occupants et sont devenus membres de l'association.

h. Le ______ 1998, la faillite de H______ a été prononcée par les autorités judiciaires vaudoises.

B______ SA a été dissoute par suite de faillite, prononcée par le Tribunal de première instance le ______ 1998.

A la même époque, les autres copropriétaires, qui ne faisaient plus face à leurs obligations hypothécaires, étaient débiteurs de 32'397'821 fr. à l'égard de la banque.

i. K______ a envisagé de reprendre l'opération immobilière, à décharge des copropriétaires, et s'est déclaré disposé à se faire céder les créances de la banque contre ses codébiteurs.

Par convention du 16 mars 1998, la banque a ainsi cédé à K______ l'intégralité de sa créance de 32'397'821 fr. contre H______, I______, J______ et lui-même. La banque lui a également cédé, en pleine propriété, l'intégralité des cédules hypothécaires qui lui avaient été remises d'abord en nantissement, puis en pleine propriété. Elle a également cédé à K______, en pleine propriété, l'intégralité du capital-actions de B______ SA.

En contrepartie des cessions consenties, K______ a versé 2'000'000 fr. à la banque, ainsi que 600'000 fr. pour solder une dette relative à une autre opération.

j. Le montant nécessaire à l'acquisition de la créance, respectivement des cédules hypothécaires et des actions susmentionnées, ainsi qu'à solder les prétentions de la banque vis-à-vis de K______, a été intégralement financé par R______, à hauteur de 2'600'000 fr., par convention de prêt du 16 mars 1998.

Peu après, R______ a décidé à son tour de reprendre l'opération immobilière, à la décharge de K______.

k. Par convention du 30 juin 1999, K______ a ainsi cédé à R______ la créance de 32'397'821 fr. contre H______, I______, J______ et lui-même, les cédules hypothécaires grevant les immeubles précités ainsi que l'intégralité du capital-actions de B______ SA, alors en liquidation.

La cession a été consentie pour le prix de 2'600'000 fr., dont le paiement est intervenu par compensation avec le montant identique dont K______ était redevable envers R______, à la suite du prêt du 16 mars 1998.

l. Entre le 20 décembre 1999 et le 13 avril 2000, I______, J______ et O______ ont chacun vendu leur part de copropriété d'un quart dans les immeubles sis no. ______, boulevard 4______ et no. ______, boulevard 5______ à S______ SA, société détenue et contrôlée par R______. Le prix de chaque part était fixé à 550'000 fr., dont l'acquéreuse s'est acquittée par compensation avec des dettes que les vendeurs avaient envers elle.

Le 10 mars 2000, l'administration spéciale de la faillite de H______ a également vendu à S______ SA la part de copropriété d'un quart que celui-ci détenait dans les immeubles sis no. ______ boulevard 4______ et no. ______, boulevard 5______, pour le prix de 550'000 fr. L'acquéreuse s'en est acquittée par compensation avec la dette que le failli avait envers elle.

m. La dissolution de B______ SA par suite de faillite a été révoquée par jugement du 12 janvier 2004.

La clôture de la faillite de H______ est intervenue le ______ 2004.

n. Le 12 février 2004, un avis de droit demandé par les C______ (ci-après : les C______) a conclu que le fait de fournir en fluides les occupants contre la volonté des propriétaires, manifestée par le dépôt d'une plainte pénale, remplissait les éléments constitutifs des art. 186 et 25 CP. Les propriétaires n'ont toutefois pas déposé de plainte pénale à l'encontre des C______.

En décembre 2004, un accord a été trouvé entre les occupants et les C______, avec l'agrément du Ministère public, pour qu'ils s'acquittent de la facture de fourniture en fluides. Les propriétaires ne se sont pas opposés à cet état de fait.

o. Par trois décisions du ______ 2004, le Département compétent a accordé aux propriétaires l'autorisation de réhabiliter les immeubles, lesquelles sont entrées en force le 27 septembre 2005, à l'issue de divers recours.

Au mois de janvier 2007, S______ SA et B______ SA ont formé une action en revendication et en évacuation contre les occupants par devant le Tribunal de première instance, indiquant notamment qu'elles intervenaient en qualité de consorts simples.

p. Par lettre du 14 mai 2007, le chef du Département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : le Département) a invité S______ SA et B______ SA à se déterminer sur le fait que l'autorisation de construire délivrée le ______ 2004 n'avait pas été exécutée.

Le 21 mai 2007, les sociétés propriétaires ont répondu que les travaux ne pouvaient être réalisés sans une évacuation préalable des immeubles, qu'elles essayaient en vain d'obtenir depuis plusieurs années.

q. Le 24 mai 2007, le chef du Département a ordonné aux propriétaires de procéder aux travaux nécessaires pour remédier à l'état de dégradation des immeubles et de "rétablir des conditions d'habitabilité et d'entretien acceptables"; l'ouverture du chantier devait intervenir dans un délai de quarante-cinq jours, sans quoi les travaux seraient exécutés d'office aux frais des propriétaires.

Le 11 juillet 2007, les propriétaires ont confirmé au Département qu'elles étaient en mesure de commencer les travaux; les immeubles devaient toutefois être libres de tout occupant pour les effectuer.

r. Le 23 juillet 2007, à la demande du chef du Département, les occupants ont été évacués de force par la police.

s. Le 2 juillet 2008, S______ SA et B______ SA ont déposé une demande d'indemnisation pour expropriation matérielle à l'encontre de l'ETAT DE GENEVE à hauteur de 14'192'285 fr. auprès de la Commission cantonale de conciliation et d'estimation en matière d'expropriation (devenue depuis lors le Tribunal administratif de première instance). Cette demande a été rejetée par décision du 22 novembre 2010 (cause A/7______/2008).

Par arrêt du 10 janvier 2012, la Chambre administrative de la Cour de justice a rejeté le recours formé par les propriétaires contre cette décision, arrêt lui-même confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1C_121/2012 du 12 juillet 2012.

Le Tribunal fédéral a reconnu que l'atteinte portée à la propriété par l'occupation totale des immeubles pendant dix-neuf ans, sans contrepartie d'aucun loyer, était grave au sens de l'art. 26 al. 2 Cst. et de la jurisprudence. Les conditions d'une expropriation n'étaient toutefois pas réalisées et les griefs invoqués relevaient le cas échéant d'une éventuelle responsabilité de l'Etat pour ses actes illicites.

t. Dans le cadre d'une autre procédure, R______ a indiqué avoir transféré toutes les actions de la B______ SA en pleine propriété à S______ SA, précisant qu'elles n'étaient plus détenues pour son compte, mais pour celui de cette dernière société.

u. Le 18 juillet 2013, les trois immeubles ont été vendus par la B______ SA et S______ SA, au prix de 21'000'000 fr., à T______.

Le chiffre 8 de l'acte de vente précise qu'il est expressément convenu que les procédures actuellement en cours intentées par les vendeurs contre l'ETAT DE GENEVE, les C______, la [commune] N______ et les squatters restent au bénéfice et à la libre disposition des vendeurs à leurs frais, risques et périls, l'acquéreur reconnaissant n'avoir aucune prétention à aucun titre que ce soit de ce chef. Les droits y relatifs restent acquis aux vendeurs et ne sont pas cédés à l'acquéreur.

v. Le ______ 2017, S______ SA a été radiée par suite de fusion. Ses actifs et passifs envers les tiers ont été repris par la société A______ SA, dont R______ est administrateur avec pouvoir de signature individuelle.

D.           a. Par demande en paiement déposée au greffe du Tribunal de première instance le 22 juillet 2008, S______ SA et B______ SA ont conclu à ce que l'ETAT DE GENEVE, les C______, D______, E______, G______, Q______ et F______, pris conjointement et solidairement, soient condamnés à leur verser 14'192'285 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 1997, avec suite de frais judiciaires et dépens.

b. Le Tribunal a suspendu la cause jusqu'à droit jugé dans la procédure A/7______/2008 introduite par S______ SA et la B______ SA devant la Commission cantonale de conciliation et d'estimation en matière d'expropriation (cf. consid. C. let. s ci-dessus). Sur requête des parties demanderesses, il a constaté la reprise de l'instruction par jugement du 15 novembre 2012.

c. Par ordonnance du 10 mai 2013, le Tribunal a limité l'objet de la procédure aux questions du principe de la responsabilité des défendeurs et de l'éventuelle prescription des prétentions formulées à leur encontre. Il a ordonné l'apport de la procédure administrative A/7______/2008, l'apport de la procédure pénale P/6______/1991 et a autorisé les parties demanderesses à compléter leur demande déposée le 22 juillet 2008.

d. Les parties défenderesses ont répondu le 29 novembre 2013. L'ETAT DE GENEVE a conclu principalement au déboutement des parties demanderesses de toutes leurs conclusions, avec suite de frais judiciaires et dépens.

e. Les C______ ont conclu à ce qu'il soit constaté que les conditions légales stipulées par la loi sur la responsabilité de l'Etat et des communes pour engager la responsabilité des C______ n'étaient pas réunies et à ce que S______ SA et B______ SA soient en conséquence déboutées des fins de leur demande, avec suite de frais judiciaires et dépens.

f. Pour leur part, D______, E______, G______, Q______ et F______ ont conclu principalement à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet, et à ce qu'il soit constaté que les parties demanderesses n'avaient pas la légitimation active, que leurs prétentions étaient prescrites et que D______, E______, G______, Q______ et F______ n'étaient pas responsables d'un quelconque éventuel dommage, avec suite de frais et dépens.

g. Par ordonnance du 27 mars 2014, le Tribunal a admis un second échange d'écritures, au motif que certains défendeurs avaient soulevé pour la première fois une objection de défaut de légitimation.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions. Dans la partie en droit de leur réplique, S______ SA et B______ SA ont notamment indiqué que "il semble avoir échappé aux squatters, mais pas aux autres défendeurs qui ne soulèvent à raison pas cet argument, que les demanderesses ont toujours agi dans les buts communs de récupérer leurs immeubles, de les réparer, de les rénover et de se faire indemniser de leur dommage avant de les vendre conjointement".

h. Par lettre du 22 janvier 2015, le Tribunal a été informé du décès de Q______. L'instance a été suspendue par jugement du 27 janvier 2015.

Par jugement du 15 juin 2016, le juge de la faillite a prononcé la clôture de la liquidation de la succession de feu Q______ selon les règle de la faillite.

La reprise de l'instance a été prononcée par jugement du 13 décembre 2016.

i. Divers incidents ont émaillé l'instruction de la cause, au cours de laquelle le Tribunal a entendu vingt-huit témoins.

Les faits retenus ci-dessus se fondent sur leurs déclarations dans la mesure utile.

j. Les parties et leurs représentants ont été entendus les 11 novembre 2019 et 17 janvier 2022.

Devant le Tribunal, R______ a notamment déclaré :

"Comme K______ a eu des problèmes de refinancement, il m'a proposé des immeubles à titre de garantie, puis ensuite comme propriétaire, ce qui ne m'intéressait pas a priori, compte tenu notamment de l'existence de squatters. Cette situation n'était pas agréable pour moi. J'ai racheté ces immeubles pour ensuite les développer, à savoir le rénover et les remettre en location. […]

Je n'avais en outre pas le choix et j'étais obligé d'acheter. […]

Au moment de l'acquisition, je n'ai pas demandé aux squatters de partir, car il y avait une autorisation de rénover en force et je pensais qu'on pourrait reloger les squatters de manière amiable. Il est clair et net que je ne voulais pas la présence de squatters et que je voulais remettre cet immeuble en location. […]

Je voulais mettre en valeur ces immeubles, mais ce n'était pas mon premier choix économiquement parlant. Je ne voulais pas les garder comme patrimoine, c'est la raison pour laquelle je les ai vendus".

k. Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience de plaidoiries du 15 juin 2022, lors de laquelle les parties ont persisté dans leurs conclusions.

E.            Dans le jugement entrepris, le Tribunal a tout d'abord considéré que S______ SA ayant été radiée par suite de fusion, dans laquelle A______ SA avait repris la totalité de ses actifs et de ses passifs, la substitution de partie devait être constatée.

Selon l'ancien droit de procédure civile genevois, qui était applicable, les demanderesses ne pouvaient prendre des conclusions communes qu'à condition d'être liés par une consorité nécessaire. En l'occurrence, les parties demanderesses prenaient une conclusion unique et globale à l'encontre des défendeurs, indiquant agir en tant que société simple et être légitimées à agir à ce titre. Elles invoquaient un dommage découlant directement de l'atteinte portée aux trois immeubles objets de l'occupation. Elles ne démontraient cependant pas que les immeubles objets de l'occupation auraient été apportés à une société simple, pas plus qu'une éventuelle créance en dommages-intérêts préexistante aurait été valablement cédée à une telle société. Faute d'individualiser le montant du dommage que chacune d'elles avait subi en lien avec l'immeuble en sa propriété, elles ne pouvaient ainsi agir conjointement et la demande devait dès lors être rejetée, dans la mesure de sa recevabilité.

EN DROIT

1.             1.1 Aux termes de l'art. 405 al. 1 CPC entré en vigueur le 1er janvier 2011 (RS 272), les recours sont régis par le droit en vigueur au moment de la communication de la décision entreprise.

L'appel étant en l'espèce dirigé contre un jugement notifié aux parties après le 1er janvier 2011, la cause est régie devant la Cour par le nouveau droit de procédure.

1.2 Interjeté contre une décision finale (308 al. 1 let. a CPC), dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), dans le délai utile de trente jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1, 142 al. 1, et 311 CPC), l'appel est recevable.

1.3 S'agissant d'un appel (art. 308 al. 1 let. a CPC), la Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

Dans la mesure des conclusions prises en appel (art. 315 al. 1 CPC), la Cour applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58
al. 1 CPC).

L'autorité de seconde instance examine l'application de l'ancien droit de procédure par le premier juge (art. 404 al. 1 CPC) au regard de ce droit (Tappy, Le droit transitoire applicable lors de l'introduction de la nouvelle procédure civile unifiée, in JdT 2010 III 11, p. 39).

2.             Les appelantes invoquent tout d'abord une violation de leur droit d'être entendues. Ce moyen étant susceptible de sceller le sort de l'appel, il se justifie de l'examiner en priorité.

2.1.1 Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse en saisir la portée, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision; il n'est pas tenu de discuter tous les arguments soulevés par les parties, mais peut se limiter à ceux qui lui apparaissent pertinents (ATF 143 III 65 consid. 5.2;
142 II 154 consid. 4.2; 142 III 433 consid. 4.3.2 et les arrêts cités). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_335/2019 du 4 septembre 2019 consid. 3.3 et les références citées).

La violation du droit d'être entendu entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée (ATF 142 II 218 consid. 2.3 et 2.8.1). Une violation du droit d'être entendu qui n'est pas particulièrement grave peut être exceptionnellement réparée devant l'autorité de recours lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une telle autorité disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité précédente sur les questions qui demeurent litigieuses (ATF 133 I 201 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_897/2015 du 1er février 2016 consid. 3.2.2) et qu'il n'en résulte aucun préjudice pour le justiciable (ATF 136 III 174 consid. 5.1.2).

2.1.2 Il y a déni de justice [formel] lorsqu'une autorité refuse expressément de rendre une décision bien qu'elle y soit tenue (ATF 135 I 6 consid. 2.1; 124 V 130 consid. 4). Il y a, en revanche, retard injustifié à statuer lorsque l'autorité compétente ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable. Ce qui doit être considéré comme une durée raisonnable s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard en particulier à la complexité et l'urgence de l'affaire, au comportement des autorités et des parties, ainsi qu'à l'enjeu du litige pour l'intéressé (ATF 135 I 265 consid. 4.4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_670/2016 du 13 février 2017 consid. 3.1; 5A_684/2013 du 1er avril 2014 consid. 6.2).

2.1.3 La légitimation active ou passive dans un procès civil relève du fondement matériel de l'action; elle appartient au sujet (actif ou passif) du droit invoqué en justice et son absence entraîne, non pas l'irrecevabilité de la demande, mais son rejet (arrêt du Tribunal fédéral 4A_145/2016 du 19 juillet 2016 consid. 4.1). Elle s'examine d'office et librement, dans la limite des faits allégués et établis lorsque le litige est soumis à la maxime des débats (ATF 130 III 550 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_217/2017 du 4 août 2017 consid. 3.4.1).

2.2.1 En l'espèce, les appelantes reprochent au Tribunal d'avoir retenu que les immeubles litigieux n'avaient pas été apportés en propriété à la société simple qu'elles soutiennent avoir formée, et d'avoir donc nié qu'elles puissent se prévaloir en commun du dommage subi en relation avec lesdits immeubles, sans examiner si elles avaient pu apporter ces immeubles à la société simple à un autre titre, d'usage ou de destination, les autorisant à invoquer conjointement la totalité du dommage susvisé.

Les appelantes ne soutiennent cependant pas, ni ne démontrent, avoir allégué devant le premier juge un titre particulier, autre que la pleine propriété, auquel elles auraient apporté les immeubles litigieux à la société simple invoquée. On ne saurait dès lors reprocher au Tribunal d'avoir ignoré, dans sa motivation, un argument pertinent présenté par les appelantes. En tant qu'elles soutiennent que le Tribunal aurait nécessairement dû aborder cette question, avant de parvenir à la conclusion qu'elles ne pouvaient se prévaloir conjointement du préjudice allégué, les appelantes dénoncent en réalité une application erronée du droit, à laquelle le Tribunal procède d'office (iura novit curia; cf. ATF 133 III 639; 107 II 122;
99 II 76). Elles ne démontrent pas une violation de leur droit d'être entendues, étant observé que la motivation du Tribunal, qui aurait par hypothèse omis ce point, demeure parfaitement compréhensible, ce que les appelantes ne contestent pas, et permet à celles-ci de critiquer avec précision le raisonnement tenu par le premier juge, y compris sur l'éventuelle omission susvisée, ce qu'elles font amplement dans leurs écritures d'appel. Par conséquent, le grief tombe à faux.

2.2.2 S'il est compréhensible que le Tribunal ait d'entrée de cause, c'est-à-dire avant même que les défendeurs/intimés ne répondent à la demande, limité l'objet de la procédure aux questions du principe de la responsabilité et de l'éventuelle prescription des prétentions, on peut regretter qu'il n'ait pas, à réception de la réponse des défendeurs/intimés D______, E______, G______, Q______ et F______, limité également l'instruction de la cause à la légitimation active des demandeurs/appelants, alors que cette question était soulevée. Il s'est alors contenté d'ordonner un second échange d'écritures motif pris de ce nouvel argument. L'instruction de plus de dix ans qui a suivi et qui a porté essentiellement sur le principe de la responsabilité - qui finalement n'a pas été tranché -, aurait ainsi pu être évitée, ou à tout le moins raccourcie. Savoir si le Tribunal a commis, ce faisant, un déni de justice sous la forme d'un retard injustifié, n'a pas besoin d'être examiné plus avant, aucune des parties ne soulevant ce grief, et une décision ayant été rendue. Pour le surplus, c'est à bon droit que le Tribunal a examiné la question de la légitimation active des demandeurs/appelants préalablement à toute autre question de fond.

2.2.3 Il n'y a dès lors pas lieu d'annuler le jugement entrepris, ni de retourner la cause au Tribunal, au motif de la violation du droit d'être entendu.

3.             Sur le fond, les appelantes reprochent au Tribunal d'avoir considéré qu'elles n'étaient pas légitimées à réclamer conjointement la réparation d'un seul et même dommage aux parties intimées, au motif qu'elles ne formaient pas une consorité nécessaire, dès lors qu'elles ne se trouvaient notamment pas dans un rapport de société simple. Elles soutiennent avoir formé une telle société et être donc fondées à agir de la sorte.

3.1 Selon l'art. 6 aLPC, la demande peut être formée par un seul acte lorsque les demandeurs agissent conjointement et ont un intérêt commun ou lorsque les défendeurs sont obligés conjointement.

En cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, divers problèmes se posent, qui méritent une solution spécifique à ce type d’assignation. S’agissant des conclusions, il convient de distinguer suivant que les demandeurs (défendeurs) sont liés par une consorité simple (ou facultative) ou par une consorité nécessaire. Dans le premier cas, les conclusions devront être individualisées pour chaque demandeur (défendeur), alors que dans le second cas, des conclusions communes sont possibles (Bertossa et al., Commentaire de la loi de procédure civile du canton de Genève, n. 11 ad art. 7 aLPC/GE).

3.1.1 La consorité nécessaire résulte exclusivement du droit matériel. Il y a consorité nécessaire en vertu du droit fédéral lorsque plusieurs personnes sont ensemble titulaires d'un seul droit, de sorte que chaque partie au rapport de droit ne peut l'exercer ou en faire modifier le contenu seule en justice (ATF 138 III 737 consid. 4.1; ATF 118 II 168 consid. 2).

La légitimation active ou passive dans un procès civil relève du fondement matériel de l'action; elle appartient au sujet (actif ou passif) du droit invoqué en justice et son absence entraîne, non pas l'irrecevabilité de la demande, mais son rejet (ATF 128 III 50 consid. 2b/bb et les réf. citées).

3.1.2 Selon l'art. 530 al. 1 CO, la société simple est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d'unir leurs efforts ou leurs ressources en vue d'atteindre un but commun.

La société simple se présente comme un contrat de durée dont les éléments caractéristiques sont, d'une part, le but commun qui rassemble les efforts des associés et, d'autre part, l'existence d'un apport, c'est-à-dire une prestation que chaque associé doit faire au profit de la société. Ce contrat ne requiert, pour sa validité, l'observation d'aucune forme spéciale; il peut donc se créer par actes concluants, voire sans que les parties en aient même conscience (ATF 124 III 363 consid. II/2a; arrêts du Tribunal fédéral 4A_377/2018 du 5 juillet 2019 consid. 4.1 et 5A_881/2018 du 19 juin 2019 consid. 3.1.1.3).

Chaque associé doit fournir un apport (art. 531 al. 1 CO), qui peut consister aussi bien dans une prestation patrimoniale que dans une prestation personnelle ATF 137 III 455 consid. 3.1).

Les associés doivent avoir l'animus societatis, soit la volonté de mettre en commun des biens, ressources ou activités en vue d'atteindre un objectif déterminé, d'exercer une influence sur les décisions et de partager non seulement les risques et les profits, mais surtout la substance de l'entreprise (arrêts du Tribunal fédéral 4A_421/2020 du 26 février 2021 consid. 3.1; 4A_251/2016 du 13 décembre 2016 consid. 5.2.1; 4A_619/2011 du 20 mars 2012 consid. 3.6).

3.1.2.1 L'apport que chaque associé doit fournir peut intervenir selon différents modes. Il peut être opéré en pleine propriété ("quoad dominium"), tous les associés en devenant propriétaires en main commune. Il peut également être effectué en destination ("quoad sortem"); l'associé garde alors la propriété du bien, mais accepte de ne l'affecter qu'à un usage déterminé. Il peut enfin être fait en usage ("quoad usum"), les associés ne bénéficiant que de l'usage de la chose (arrêts du Tribunal fédéral 4A_485/2013 du 4 mars 2014 consid. 6.1; 4A_398/2010 du 14 décembre 2010 consid. 5.2.3.2 et les références).

L'apport de biens en propriété, en particulier de biens immobiliers, implique le respect des règles qui leur sont propres, à savoir acte authentique et inscription au registre foncier pour les immeubles (art. 657 al. 1 CC et 90 al. 1 let. c et 96 al. 3 de l'ordonnance sur le Registre foncier [ORF, RS 211.432.1]; arrêt du Tribunal fédéral 5A_881/2018 du 19 juin 2019 consid. 3.1.1.2 et les références citées).

En cas d'apport "quoad usum", l'associé agit en tant que propriétaire vis-à-vis de l'extérieur et de l'intérieur et exerce également les droits qui en découlent à l’égard des coassociés. Si sa propriété n’a d’effet que vis-à-vis de l’extérieur et qu’il renonce en même temps, dans ses rapports internes avec ses coassociés, aux droits qui en découlent, il apporte la chose à la société "quoad sortem" (Handschin, Basler Kommentar OR II, 2016, n. 8 ad art. 531 CO). La chose est alors traitée en interne, pendant la durée de la société, comme si elle était entrée dans le patrimoine de la société. Du point de externe, l'associé conserve à la fois la propriété et le droit d'usage (Meier-Hayoz/Forstmoser, Schweizerisches Gesellschaftsrecht, 12. Aufl., 2018, §12 n. 46).

3.1.2.2 Selon l'art. 544 al. 1 CO, les choses, créances et droits réels transférés ou acquis à la société appartiennent en commun aux associés dans les termes du contrat de société. Dès lors qu'aucune convention contraire n'a été prouvée, il faut en déduire que les biens de la société simple appartiennent, sous la forme de la propriété en main commune, à tous les associés, de sorte qu'ils ne peuvent en disposer qu'en commun (ATF 137 III 455 consid. 3.4; arrêt du Tribunal fédéral 4A_275/2010 du 11 août 2010 consid. 4.2).

En tant qu'ils sont titulaires en main commune d'une créance, les associés forment également entre eux une consorité nécessaire (arrêt du Tribunal fédéral 4C.190/1996 du 14 octobre 1996 consid. 3c, in SJ 1997 I p. 396).

3.2 En l'espèce, les appelantes soutiennent avoir formé une société simple, au motif que leur actionnaire avait, dès l'acquisition de la société détenant le premier des trois immeubles occupés, l'intention d'acquérir l'ensemble desdits immeubles, de les libérer de toute occupation illicite, de les rénover et de les revendre en bloc.

Outre que les appelantes n'ont pas réellement allégué l'existence de telles intentions comme un fait devant le Tribunal, mais seulement par le biais d'une observation figurant dans la partie en droit de leur réplique, de sorte que la recevabilité de l'allégué de fait correspondant au stade de l'appel paraît pour le moins douteuse au regard de l'art. 317 al. 1 CPC, comme le relèvent les parties intimées, il convient d'observer que l'actionnaire des appelantes a déclaré devant le Tribunal avoir eu l'intention de rénover les immeubles non pas pour les revendre, mais pour les mettre en location, avant d'exposer de manière partiellement contradictoire qu'il ne souhaitait pas en garder la propriété et qu'il les avait donc vendus.

L'existence du but commun allégué ne peut pas être retenue dans ces conditions. Le fait même que les appelantes aient pu obéir aux souhaits de leur actionnaire, au point qu'elles confondent aujourd'hui les intentions de celui-ci avec leur propre volonté, indique au contraire qu'elles étaient dépourvues d'animus societatis et qu'il ne leur était pas nécessaire de constituer une société simple, même par actes concluants, pour coordonner leurs actions, les seuls pouvoirs de contrôle dont celui-ci disposait suffisant manifestement à exclure le risque qu'elles disposent ou usent de leurs immeubles d'une manière contraire aux intérêts de l'autre, et rendant donc caduc le besoin qu'elles s'engagent de surcroît, par contrat de société simple, à agir conformément à un quelconque but commun. Les appelantes n'en demeuraient pas moins des entités distinctes et il n'est guère contestable que chacune d'elles aurait pu, si leur actionnaire l'avait souhaité, agir seule contre les intimés pour obtenir réparation du dommage qu'elle avait elle-même subi en relation avec le(s) seul(s) immeuble(s) dont elle était propriétaire. Comme le relèvent les occupants intimés, les appelantes ont notamment requis leur évacuation en justice en indiquant qu'elles agissaient comme consorts simples, chacune d'entre elles n'intervenant que pour le ou les immeubles lui appartenant.

Comme le relèvent également les parties intimées, il convient également d'observer qu'au moment où l'appelante S______ SA a acquis deux des trois immeubles litigieux, l'appelante B______ SA était dissoute par voie de faillite. Celle-ci ne pouvait dès lors valablement constituer une société simple avec celle-là, étant ispo jure privée de la faculté d'administrer ses biens et d'en disposer (cf. art. 204 LP) - et par là même d'effectuer un quelconque apport à la société simple alléguée. S'il est concevable que les appelantes aient pu s'associer lorsque la faillite susvisée a été révoquée (avec pour conséquence qu'elles n'auraient subi un dommage commun que depuis lors, comme elles l'affirment désormais), rien n'indique que tel ait effectivement été le cas, l'appelante B______ SA se trouvant alors aussitôt sous le contrôle du même actionnaire que S______ SA, ce qui rendait une telle association superflue, pour les raisons exposées ci-dessus.

Pour ces motifs déjà, le jugement entrepris doit être confirmé en tant qu'il a retenu que les appelantes ne formaient pas une consorité nécessaire et ne pouvaient dès lors pas prendre des conclusions communes, tendant au paiement de la totalité du dommage allégué sans distinction.

3.3 A supposer que les appelantes se soient liées par un contrat de société simple, elles ne formeraient pas non plus une consorité nécessaire aux fins de la présente action en dommages-intérêts.

Il n'est en effet pas contesté que les appelantes n'ont pas cédé la pleine propriété des immeubles litigieux à la société simple qu'elles soutiennent avoir formée, faute d'avoir convenu d'une telle cession dans la forme authentique prévue par la loi (cf. art. 657 al. 1 CC). L'apport de leurs immeubles à ladite société simple n'a donc pu intervenir qu'aux fins de destination (quoad sortem) ou d'usage (quoad usum), comme elles le relèvent elles-mêmes, avec pour conséquence que les appelantes sont dans ce cas demeurées personnellement titulaires de l'ensemble des droits et obligations relatifs auxdits immeubles dans les rapports de la société avec les tiers (rapports externes), conformément aux principes rappelés ci-dessus (consid. 3.1.3 in fine), et ce y compris vis-à-vis des parties intimées, auxquelles elles réclament des dommages-intérêts à différents titres. En tant que propriétaire d'un ou des immeubles concernés, chacune des appelantes est ainsi demeurée titulaire du bien juridique lésé par l'occupation illicite de ceux-ci, et par là-même personnellement titulaire des diverses créances en réparation contre les éventuels responsables. Il n'est au surplus pas allégué, ni établi, que les appelantes auraient à un moment donné apporté leurs créances en réparation du dommage à la société simple supposée, aucune cession - qui doit être passée en la forme écrite (art. 165 al. 1 CO) - n'étant notamment invoquée, ni versée à la procédure.

Pour ces motifs également, le jugement entrepris doit être confirmé en tant qu'il a retenu que les appelantes n'étaient pas fondées à prendre des conclusions communes tendant à la réparation de la somme du dommage que chacune d'elles a pu éprouver séparément. Faute de disposer de la légitimation active, celles-ci devaient donc être déboutées de leurs conclusions, conformément aux principes rappelés ci-dessus.

L'appel sera par conséquent rejeté.

4.             Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 86'400 fr. (art. 13, 17 et 35 RTFMC) et mis à la charge des parties appelantes, prises conjointement et solidairement, dès lors qu'elles succombent dans leur appel (art. 105 al. 1, art. 106 al. 1 CPC). Ces frais seront compensés avec l'avance de frais de même montant versée par les appelantes, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Les appelantes seront également condamnées, conjointement et solidairement, à verser la somme de 50'000 fr. à chacune des parties intimées (conjointement et solidairement en faveur des intimés occupants), à titre de dépens d'appel (art. 105 al. 2 CPC, art. 84, 85 et 90 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et
26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ SA et B______ SA contre le jugement JTPI/11869/2022 rendu le 10 octobre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/16730/2008.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute A______ SA et B______ SA de toutes leurs conclusions.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 86'400 fr., les met à la charge de A______ SA et de B______ SA, prises conjointement et solidairement, et les compense avec l'avance de frais de même montant fournie par celles-ci, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA et B______ SA, prises conjointement et solidairement, à payer les sommes de 50'000 fr. à l'ETAT DE GENEVE, de 50'000 fr. aux C______ et de 50'000 fr. à D______, E______, F______ et G______, pris conjointement et solidairement, à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Gladys REICHENBACH, greffière.

 

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 

 

 


Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
(LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.