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Décisions | Chambre civile

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C/13109/2022

ACJC/547/2023 du 11.04.2023 sur JTPI/13431/2022 ( SDF ) , MODIFIE

Normes : CC.176
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13109/2022 ACJC/547/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 11 AVRIL 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______[GE], appelante d'un jugement rendu par la 25ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 14 novembre 2022, comparant par Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate, BST Avocats, boulevard des Tranchées 4, 1205 Genève, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, France, intimé, comparant en personne.

 

 

 

 

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/13431/2022 du 14 novembre 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant sur mesures protectrices de l'union conjugale, a constaté que A______ et B______ vivaient séparément depuis le mois de novembre 2021 (ch. 1 du dispositif), attribué à A______ la jouissance exclusive du domicile conjugal, ainsi que du mobilier le garnissant (ch. 2), condamné B______ à verser, par mois et d'avance, à A______, au titre de contribution à son entretien, 1'485 fr. du 1er juillet au 31 décembre 2022, puis 135 fr. à compter du 1er janvier 2023 (ch. 3), prononcé la séparation de biens (ch. 4), arrêté les frais judiciaires à 1'000 fr. qu'il a mis à charge de chacune des parties par moitié (ch. 5), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 6) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 7).

B.            a. Par acte expédié le 25 novembre 2022 à la Cour de justice, A______ a appelé de ce jugement, qu'elle a reçu le 15 novembre 2022. Elle a conclu à l'annulation des chiffres 3 et 7 de son dispositif et, cela fait, à ce que B______ soit condamné à lui verser, par mois et d'avance, la somme de 3'300 fr. au titre de contribution à son entretien, avec effet rétroactif au 1er novembre 2021, sous suite de frais judiciaires, les dépens devant être compensés.

Préalablement, elle a conclu à ce que soit ordonnée l'audition des parties, ainsi que la production par B______ des fiches de salaire en lien avec ses emplois dans les sociétés C______ SA, D______, et E______, depuis le mois de novembre 2021.

Elle a produit des pièces nouvelles, soit sa fiche de salaire pour le mois d'octobre 2022 et le courrier de résiliation de son contrat de travail du 9 novembre 2022.

b. B______ n'a pas répondu à l'appel dans le délai qui lui a été imparti pour ce faire par la Cour.

c. La Cour a gardé la cause à juger en date du 8 février 2023.

C.           Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. A______, née le ______ 1984, de nationalité brésilienne, et B______, né le ______ 1981, de nationalité portugaise, par ailleurs tous deux titulaires d'un permis C, se sont mariés le ______ 2013 au Portugal.

A______ a rejoint son époux en Suisse immédiatement après leur mariage.

Aucun enfant n'est issu de leur union.

B______ est quant à lui le père de deux enfants, nées respectivement les ______ 2004 et ______ 2008, lesquelles vivent auprès de leur mère, au Portugal.

b. Les époux se sont séparés au mois de novembre 2021. B______ a quitté le domicile conjugal pour se constituer un domicile séparé à F______, en France.

c. Par acte du 6 juillet 2022, A______ a formé une requête de mesures protectrices de l'union conjugale.

Elle a notamment conclu à ce que le Tribunal condamne B______ à lui verser, par mois et d'avance, 3'300 fr. au titre de contribution à son entretien, rétroactivement à partir du 1er novembre 2021.

d. Dans sa réponse du 30 septembre 2022, B______ a acquiescé aux conclusions de A______ sous réserve du versement d'une contribution à son entretien, à laquelle il s'opposait.

Il a notamment admis ne plus participer aux charges du ménage depuis la séparation des parties.

e. Lors de l'audience du 11 octobre 2022, A______ a déclaré avoir toujours travaillé pendant le mariage, dans le domaine du nettoyage ou comme femme de ménage dans des hôtels, et avoir gagné entre 2'400 fr. et 2'700 fr. par mois, pour une activité à temps partiel. Elle avait une pleine capacité de travail et cherchait un travail à temps plein, qu'elle ne trouvait pas. Actuellement, elle travaillait une heure trente par jour comme agent d'entretien et effectuait en plus un remplacement dans le même domaine à concurrence de deux heures par jour. Son revenu net du mois de septembre était de 1'500 fr. Au mois de juin, elle avait touché environ 3'000 fr., vacances comprises.

B______ a déclaré vivre avec sa compagne originaire du Brésil, laquelle avait perdu le bébé qu'ils attendaient et souffrait de problèmes de santé. Sans papiers, elle ne travaillait pas. Ils n'allaient faire aucune démarche pour qu'elle reste et prévoyaient qu'elle s'en aille à l'échéance de son autorisation de séjour en décembre.

A______ a produit de nouvelles pièces, soit notamment des décomptes de salaire de B______ des entreprises C______ SA, D______, et E______, pour le mois d'août 2022.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

D.           Les faits pertinents suivants résultent encore de la procédure :

a. A______ travaillait en qualité d'agent d'entretien auprès de la société D______. En 2022, elle a perçu des revenus mensuels de 3'000 fr. au mois de juin, de 1'500 fr. au mois de septembre et de 1'111 fr. 10 au mois d'octobre. Elle a ainsi réalisé un salaire net moyen de 1'867 fr.

Selon la déclaration d'impôts des époux, son revenu net s'est élevé à 3'000 fr. par mois en 2020.

Son contrat de travail a été résilié avec effet au 31 décembre 2022. Elle émarge depuis à l'aide sociale.

b. Son loyer s'élève à 1'564 fr. par mois, charges comprises.

La prime de son assurance-maladie de base s'est élevée à 462 fr. 05 par mois en 2022.

c. B______ travaille en qualité de maçon auprès de la société C______ SA.

A teneur de son certificat de salaire, son salaire annuel net s'est élevé à
55'676 fr. 75, soit un salaire net moyen de 4'640 fr. par mois en 2021.

Il a perçu un revenu mensuel net de 4'469 fr. 50 en juin 2022, 4'487 fr. 80 en juillet 2022 et 4'058 fr. 80 en août 2022, soit un salaire net moyen de 4'330 fr. par mois.

En août 2022, il a également perçu un salaire net de 743 fr. 95 de la société D______, 416 fr. de revenus vacances, et un salaire net de 1'018 fr. 35 de la société E______.

Selon le décompte de salaire du mois d'août 2022 établi par C______ SA, il a travaillé 9 jours durant le mois (contre 17.80 en juin et 18 en juillet) et a perçu des indemnités maladie pour le surplus.

d. Il fait l'objet d'une saisie de salaire pour toute somme supérieure à 4'116 fr. par mois. Le salaire mensuel déterminant retenu par l'Office des poursuites s'élève à 4'812 fr. 80.

e. Son loyer pour un appartement meublé en France s'élève à 1'090 EUR par mois.

La prime de son assurance-maladie de base s'est élevée à 360 fr. 55 en 2022.

E.            Dans la décision querellée, le premier juge a retenu, s'agissant des points encore litigieux en appel, que A______ n'épuisait pas sa capacité de travail, sans motif aucun selon sa propre appréciation. Se fondant sur le calculateur de salaire mis en ligne par l'Office fédéral de la statistique (Salarium), le Tribunal a retenu que A______ était en mesure de réaliser un revenu de l'ordre de 4'246 fr. 60, arrondi à 4'200 fr. net par mois, pour une activité à plein temps dans le domaine de l'entretien, soit le salaire médian, treizième salaire compris et compte tenu de charges sociales à hauteur de 15%, réalisé par une femme sans formation de son âge, au bénéfice d'un permis C et disposant de neuf ans d'expérience professionnelle. Ses charges s'élevaient à 2'768 fr. 05 par mois, arrondies à 2'770 fr., comprenant le loyer (1'036 fr., soit un montant raisonnablement réduit par équité avec celui de son époux), la prime d'assurance-maladie de base (360 fr. 55), les frais de transport (70 fr.) et l'entretien de base selon les normes OP (1'200 fr.). Elle était susceptible de bénéficier d'un solde disponible de plus de 1'430 fr. pas mois. Il devait être tenu compte d'un délai jusqu'au 1er janvier 2023 pour lui permettre de déployer sa pleine capacité de gain. Dans l'intervalle, faute de documentation probante, un déficit de l'ordre de 1'270 fr. devait être retenu, en comptant avec des gains réalisés à concurrence de 1'500 fr. nets environ par mois, ce montant n'ayant pas été remis en cause par B______ et étant conforme à une activité déployée dans la mesure indiquée pour une rémunération horaire brute de 23 fr. minimum.

B______ réalisait un revenu mensualisé net de 4'670 fr. environ. Ses charges étaient de 2'945 fr. 55, comprenant le loyer (1'070 fr. [contre-valeur arrondie de 1'090 EUR au jour du prononcé du jugement de mesures protectrices]), la prime d'assurance-maladie de base (360 fr. 55), les frais de transport (70 fr.) et l'entretien de base selon les normes OP (1'445 fr. [minimum vital OP pour un ménage commun – 15% compte tenu du coût de la vie moins élevé en France voisine]). Hors saisie de salaire, son solde disponible était de 1'724 fr. 45, arrondi à 1'700 fr. B______ n'avait pas été contredit lorsqu'il avait indiqué vivre avec une nouvelle compagne, qui ne réalisait aucun revenu du fait de l'absence de titre de séjour et souffrait de problèmes de santé, de sorte qu'il devait être tenu compte du montant de l'entretien pour un couple, sous déduction de 15% pour tenir compte d'un coût de la vie moins élevé en France voisine. Il n'y avait pas lieu par ailleurs de considérer les sommes alléguées à titre de contributions d'entretien en faveur de ses enfants au Portugal, la régularité de cette dépense n'étant pas attestée, même sous l'angle de la vraisemblance.

B______ devait verser à son épouse la somme de 1'485 fr. (déficit de 1'270 fr. majoré de la moitié du solde d'excédent de 430 fr.) à compter du 1er juillet 2022 et jusqu'au 31 décembre 2022. Il n'y avait pas lieu de tenir compte d'un dies a quo antérieur à celui du dépôt de la requête, A______ n'ayant pas collaboré à l'établissement de la réalité de ses revenus. A compter du 1er janvier 2023, l'excédent des parties de 3'130 fr. (1'700 fr. + 1'430 fr.) devait être réparti par moitié entre elles et une contribution d'entretien de 135 fr. versée par B______ à A______.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les jugements de mesures protectrices de l'union conjugale, considérés comme des décisions provisionnelles au sens de l'art. 308 al. 1 let. b CPC (ATF 137 III 475 consid. 4.1), dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse au dernier état de conclusions devant l'autorité inférieure est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, le litige porte sur la contribution de l'entretien de l'épouse qui, capitalisée selon l'art. 92 al. 2 CPC, conduit à une valeur litigieuse supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai utile de dix jours (art. 271 let. a et 314 al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC).

Les mesures protectrices de l'union conjugale étant soumises à la procédure sommaire (art. 271 let. a CPC), l'autorité peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_916/2019 du 12 mars 2020 consid. 3.4).

S'agissant de la contribution d'entretien due à l'épouse, les maximes de disposition et inquisitoire simple sont applicables (art. 58 al. 1 et 272 CPC; ATF 128 III 411 consid. 3.2.2; 129 III 417).

1.4 La cause présente des éléments d'extranéité en raison des nationalités brésilienne et portugaise des parties, ainsi que du domicile français de l'intimé.

Avec raison, les parties ne remettent pas en cause la compétence de la Cour de justice pour connaître du litige (art. 46 LDIP), ni l'application du droit suisse
(art. 48 al. 2, 49 LDIP), puisque l'appelante est domiciliée à Genève.

2.             L'appelante a allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles en appel.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles, soit la fiche de salaire de l'appelante pour le mois d'octobre 2022 et le courrier de résiliation de son contrat de travail du
9 novembre 2022, ainsi que les faits en découlant, sont recevables car elles se rapportent à des faits survenus postérieurement à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger et sans retard.

3.             L'appelante sollicite que soit ordonnée l'audition des parties, ainsi que la production, par l'intimé, des fiches de salaires en lien avec ses emplois dans les sociétés C______ SA, D______ et E______, depuis le mois de novembre 2021.

3.1 Conformément à l'art. 316 al. 3 CPC, l'instance d'appel peut librement décider d'administrer des preuves: elle peut ainsi ordonner que des preuves administrées en première instance le soient à nouveau devant elle, faire administrer des preuves écartées par le tribunal de première instance ou encore décider l'administration de toutes autres preuves. Cette disposition ne confère pas au recourant un droit à la réouverture de la procédure probatoire et à l'administration de preuves (arrêts du Tribunal fédéral 5A_86/2016 du 5 septembre 2016 consid. 3.1; 5A_851/2015 du 23 mars 2016 consid. 3.1). En règle générale, la procédure d'appel est menée purement sur dossier, sans tenue d'une audience ni administration de preuves. L'autorité jouit d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 142 III 413 consid. 2.2.1).

3.2 En l'espèce, l'appelante sollicite l'audition des parties, sans indiquer ni motiver les raisons pour lesquelles celle-ci serait nécessaire. Les époux ont en effet eu l'occasion de s'exprimer et de se déterminer sur le sujet litigieux devant le premier juge, auquel ils ont pu soumettre toute pièce utile, ainsi que par écrit devant la Cour. La mesure d'instruction sollicitée par l'appelante sera dès lors rejetée. Il ne se justifie pas non plus d'ordonner à l'intimé de produire ses fiches de salaire à compter de novembre 2021, la production de ces pièces n'ayant pas été demandée en première instance, de sorte qu'elles constitueraient ainsi des pièces nouvelles au sens de l'art. 317 CPC et seraient irrecevables. En tout état, la Cour considère être à même d'estimer le montant vraisemblable des revenus de l'intimé sur la base des pièces immédiatement disponibles.

4.             L'appelante reproche au Tribunal de n'avoir pas correctement déterminé les revenus et les charges des parties, de lui avoir imputé à tort un revenu hypothétique et, ce faisant, de lui avoir accordé une contribution à son entretien d'un montant insuffisant ainsi que de ne pas avoir correctement déterminé le dies a quo de celle-ci.

4.1.1 Le principe et le montant de la contribution d'entretien due par l'un des époux à l'autre selon l'art. 176 al. 1 ch. 1 CC se déterminent en fonction des facultés économiques et des besoins respectifs des époux. Le juge doit partir de la convention, expresse ou tacite, que les conjoints ont conclue au sujet de la répartition des tâches et des ressources entre eux, l'art. 163 CC demeurant la cause de leur obligation d'entretien réciproque (ATF 140 III 337 consid. 4.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_409/2021 du 4 mars 2022 consid. 3.5.1). Il doit ensuite prendre en considération qu'en cas de suspension de la vie commune, le but de l'art. 163 al. 1 CC impose à chacun des époux le devoir de participer, selon ses facultés, aux frais supplémentaires qu'engendre la vie séparée (ATF 137 III 385 consid. 3.1, précisant l'arrêt paru aux ATF 128 III 65; arrêt du Tribunal fédéral 5A_409/2021 précité). Si leur situation financière le permet encore, le standard de vie antérieur choisi d'un commun accord doit être maintenu pour les deux parties. Quand il n'est pas possible de conserver ce niveau de vie, les conjoints ont droit à un train de vie semblable (ATF 140 III 337 consid. 4.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 409/2021 précité).

4.1.2 Dans trois arrêts (ATF 147 III 265, 147 III 293 et 147 III 301), le Tribunal fédéral a posé, pour toute la Suisse, une méthode de calcul uniforme des contributions d'entretien du droit de la famille. Selon cette méthode en deux étapes, ou méthode du minimum vital avec répartition de l'excédent, il convient de déterminer les ressources et besoins des personnes intéressées, puis les ressources sont réparties entre les membres de la famille concernés de manière à couvrir, dans un certain ordre, le minimum vital du droit des poursuites ou, si les ressources sont suffisantes, le minimum vital élargi du droit de la famille, puis l'excédent éventuel (ATF 147 III 265 consid. 7). Le juge jouit d'un large pouvoir d'appréciation et applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC; ATF 140 III 337 consid. 4.2.2; 134 III 577 consid. 4; 128 III 411 consid. 3.2.2).

Pour fixer la contribution d'entretien, le juge doit en principe tenir compte du revenu effectif des parties, tant le débiteur d'entretien que le créancier pouvant néanmoins se voir imputer un revenu hypothétique supérieur (ATF 143 III 233 consid. 3.2; 137 III 102 consid. 4.2.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1026/2021 du 27 janvier 2022 consid. 4.1). Lorsque le juge entend tenir compte d'un revenu hypothétique, il doit examiner successivement deux conditions. Il doit d'abord déterminer si l'on peut raisonnablement exiger d'une personne qu'elle exerce une activité lucrative ou augmente celle-ci, eu égard, notamment, à sa formation, à son âge et à son état de santé. Le juge doit ensuite établir si la personne a la possibilité effective d'exercer l'activité ainsi déterminée et quel revenu elle peut en obtenir, compte tenu des circonstances subjectives susmentionnées, ainsi que du marché du travail. Le juge ne peut se limiter à retenir de manière toute générale que la personne est capable de réaliser des revenus supérieurs; il doit examiner sa situation professionnelle concrète et le marché du travail, notamment en se fondant sur les enquêtes de l'Office fédéral de la statistique (ATF 143 III 233 consid. 3.2; 137 III 102 consid. 4.2.2.2; 137 III 118 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_712/2021 du 23 mai 2022 consid. 4.3). Si le juge entend exiger d'un époux la prise ou la reprise d'une activité lucrative ou encore l'extension de celle-ci, il doit généralement lui accorder un délai approprié pour s'adapter à sa nouvelle situation (ATF 129 III 417 consid. 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_407/2021 du 6 mai 2022 consid. 3.2; 5A_444/2021 du 9 mars 2022 consid. 3.1).

Les besoins des parties sont calculés en partant du minimum vital au sens du droit des poursuites (art. 93 LP). Celui-ci comprend le montant de base fixé par les normes d'insaisissabilité (NI 2021, 2022 et 2023, RS/GE E 3 50.04), les frais de logement effectifs ou raisonnables, les coûts de santé, tels que les cotisations d'assurance-maladie obligatoire, les frais de transports publics et les frais professionnels, tels que les frais de repas à l'extérieur. Lorsque les moyens financiers le permettent, l'entretien convenable doit être étendu au minimum vital du droit de la famille, lequel comprend notamment les acomptes d'impôts et les primes d'assurances non obligatoires (ATF 147 III 265 consid. 7.2; Leuba/Meier/Papaux van Delden, Droit du divorce, 2021, p. 310 à 314). Seules les charges effectives, à savoir celles qui sont réellement acquittées par le débirentier ou le crédirentier, doivent être prises en compte (ATF 121 III 20 consid. 3a et les références; arrêt du Tribunal fédéral 5A_717/2019 du 20 avril 2020 consid. 3.1.2.2). Toutes les autres particularités du cas d'espèce doivent également être appréciées au moment de la répartition de l'excédent (ATF 147 III 265 consid. 7.2).

Lorsqu'il s'agit de fixer la contribution à l'entretien durant les mesures protectrices de l'union conjugale, il convient de prendre en considération que le conjoint vit en communauté avec une autre personne. La durée du concubinage n'est pas déterminante. Ce qui importe, c'est que les intéressés tirent des avantages économiques de leur relation, soit qu'ils forment une communauté de toit et de table ayant pour but de partager les frais et les dépenses (ATF 138 III 97 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1068/2021 du 30 août 2022 consid. 3.2.1). En règle générale, on considère que le concubin règle la moitié du loyer et que le minimum vital de l'époux qui vit en concubinage s'établit à la moitié du montant de base de deux adultes formant une communauté domestique durable, conformément aux lignes directrices pour le calcul du minimum d'existence selon l'art. 93 LP. La répartition du montant de base LP par moitié est absolue car elle résulte du seul fait que les charges de base du débiteur sont inférieures en raison de la vie commune quand bien même il ne s'agit que d'une (simple) communauté domestique et que le concubin n'apporte aucun soutien financier au débirentier (ATF 144 III 502 consid. 6.6; 137 III 59 consid. 4.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1068/2021 précité). Il est en revanche possible de s'écarter de la répartition par moitié en ce qui concerne les frais communs, tel que le loyer (ATF 137 III 59 consid. 4.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_855/2017 précité). Cette répartition peut s'effectuer en fonction de la capacité de gain effective ou hypothétique du concubin (ATF 137 III 59 consid. 4.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_855/2017 précité) et des circonstances.

S'agissant des dettes, celles qui occasionnent une saisie de salaire sont écartées puisque le débiteur pourra requérir la révision de la saisie en invoquant ses nouvelles obligations d'entretien (ATF 130 III 45 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_43/2019 consid. 4.6.1).

4.1.3 Les contributions pécuniaires fixées par le juge dans le cadre des mesures protectrices de l'union conjugale ou sur mesures provisionnelles dans le cadre d'une procédure de divorce peuvent être réclamées pour l'avenir et pour l'année qui précède l'introduction de la requête (art. 173 al. 3 CC par renvoi de l'art. 276 al. 1 CPC; ATF 115 II 201 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_454/2017 du 17 mai 2018 consid. 4.1). L'effet rétroactif ne se justifie que si l'entretien dû n'a pas été assumé en nature ou en espèces ou dès qu'il a cessé de l'être (arrêts du Tribunal fédéral 5A_372/2015 du 29 septembre 2015 consid. 3.1 et 5A_591/2011 du 7 décembre 2011 consid. 5.2).

4.2.1 En l'espèce, l'appelante conteste le revenu de l'intimé tel que retenu par le Tribunal. Si dans le cadre de la maxime inquisitoire simple, il n'existe certes aucune obligation pour le juge de rechercher lui-même l'état de fait pertinent, un examen détaillé de sa part des documents au dossier ne relève pas de l'arbitraire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_622/2021 du 7 novembre 2022 consid 8.5).

Contrairement à l'avis de l'appelante, les décomptes de salaire produits par elle pour le mois d'août 2022 ne suffisent pas à établir que l'intimé exercerait une activité professionnelle régulière au sein des entreprises D______ et E______, en sus de son activité au sein de la société C______ SA. Un examen des différents décomptes de salaire permet en effet de constater qu'au mois d'août 2022, l'intimé a travaillé seulement 9 jours pour son employeur – contre 18 jours les mois de juin et juillet 2022 – et qu'il a perçu pour le surplus des indemnités maladie. Il apparaît ainsi vraisemblable que l'intimé a profité de son arrêt maladie pour déployer une activité officieuse auprès d'autres employeurs, de sorte que les revenus cumulés réalisés par l'intimé durant le mois d'août 2022 revêtent un caractère exceptionnel. C'est ainsi à raison qu'ils n'ont pas été pris en compte dans la détermination des revenus de l'intimé.

Les allégations de l'intimé quant à ses revenus sont en outre corroborées par les montants retenus à titre de salaire pour l'année 2020 par l'Administration fiscale, par le certificat de salaire de l'intimé pour l'année 2021, ainsi que par les montants retenus à titre de salaire par l'Office des poursuites, qui s'inscrivent tous dans un même ordre de grandeur. Il apparaît ainsi raisonnable et adéquat de déterminer le revenu de l'intimé en se fondant sur le salaire mensuel net moyen réalisé durant l'année 2021. Au vu de ce qui précède, il a lieu de retenir que l'intimé perçoit un salaire mensuel net de l'ordre de 4'600 fr.

4.2.2 L'appelante reproche également au Tribunal d'avoir retenu qu'elle serait en mesure de réaliser un revenu mensuel net de l'ordre de 4'200 fr. par mois, à compter du 1er janvier 2023. Elle fait valoir que, durant la vie commune, ses activités professionnelles revêtaient un caractère accessoire et que son époux n'avait jamais eu l'intention de requérir d'elle qu'elle travaille à temps plein, sans pour autant rendre vraisemblable ses explications. Au contraire, en 2020, elle a déployé une activité suffisamment importante pour réaliser un revenu de 3'000 fr. par mois en moyenne. En outre, elle a admis avoir toujours travaillé durant le mariage, disposer d'une pleine capacité de travail et être à recherche d'une activité à temps plein, qu'elle ne parviendrait toutefois pas à trouver, sans pour autant produire les preuves de ses recherches d'emploi.

Par ailleurs, l'appelante n'allègue ni ne rend vraisemblable que l'on ne pourrait raisonnablement exiger d'elle qu'elle exerce une activité lucrative telle que celle retenue par le Tribunal, ni qu'elle n'aurait pas la possibilité effective d'exercer une telle activité. Elle ne critique ni la quotité du revenu hypothétique, ni le délai d'adaptation retenus par le Tribunal. Dès lors, le revenu hypothétique retenu par le Tribunal sera confirmé tant dans son principe que dans sa quotité.

Dans l'intervalle, le montant de 1'500 fr. retenu par le Tribunal au titre des revenus mensuels de l'appelante n'ayant pas été contesté par les parties, il sera confirmé.

4.2.3 S'agissant des charges de l'intimé, l'appelante reproche au premier juge de ne pas avoir correctement tenu compte du fait qu'il vivait en concubinage. L'intimé a reconnu que sa compagne vivait avec lui. S'il a soutenu que sa présence était due à des problèmes de santé et revêtait un caractère temporaire, dès lors qu'elle ne disposait pas d'autorisation de séjour au-delà de décembre 2022, il n'a pas rendu vraisemblable son départ, notamment dans le cadre de la procédure d'appel. Dès lors, il sera tenu compte de l'existence d'un concubinage.

Un montant de 722 fr. 50 ((1'700 fr. /2) x 85%) sera retenu dans les charges de l'intimé à titre de montant de base OP, soit la moitié du montant de base pour un couple réduit de 15% compte tenu du coût de la vie moins élevé en France (ACJC/947/2022 du 8 juillet 2022 consid. 10.2.1). L'intimé n'ayant pas été contredit s'agissant de l'absence de ressources de sa compagne, l'absence de soutien financier de celle-ci au paiement des frais communs est vraisemblable, de sorte qu'il ne sera pas tenu compte d'une participation de sa part au loyer.

Les charges de l'intimé s'élèvent au montant de 2'223 fr. 05, arrondi à 2'223 fr. comprenant son montant de base OP (722 fr. 50), son loyer (1'070 fr.), son assurance-maladie LAMal (360 fr. 55) – laquelle est obligatoire et a également été intégrée dans les charges de l'appelante – ainsi que ses frais de transport (70 fr.).

Le budget de l'intimé présente ainsi, hors saisie de salaire, un solde positif arrondi de 2'377 fr. (4'600 fr. – 2'223 fr.).

4.2.4 Le loyer de l'appelante, soit celui de l'appartement conjugal dont la jouissance lui a été attribuée dans le cadre de la procédure de mesures protectrices de l'union conjugale, lequel s'élève à 1'564 fr., est un loyer raisonnable compte tenu du revenu hypothétique imputé à l'appelante. On ne saurait notamment exiger d'elle qu'elle aille vivre en France, afin de bénéficier d'un loyer équivalent à celui de l'intimé. Le montant de sa prime d'assurance-maladie s'élève à 462 fr. 05 et non à 360 fr. 55 comme retenu par le Tribunal par erreur. Les autres postes n'étant pas contestés, les charges mensuelles de l'appelante seront nouvellement fixées à un montant de 3'296 fr. 05, arrondi à 3'296 fr., comprenant son montant de base OP (1'200 fr.), son loyer (1'564 fr.), son assurance-maladie LAMal obligatoire
(462 fr. 05) ainsi que ses frais de transport (70 fr.).

L'appelante subit donc un déficit mensuel de 1'796 fr. (1'500 fr. – 3'296 fr.) jusqu'à fin décembre 2022. Dès le 1er janvier 2023, compte tenu du revenu hypothétique qui lui sera imputé, elle sera en mesure de couvrir ses propres charges et de bénéficier, en sus, d'un disponible arrondi de 904 fr. (4'200 fr. - 3'296 fr.).

4.2.5 L'appelante reproche encore au premier juge d'avoir fixé le dies a quo de la contribution d'entretien en sa faveur à la date du dépôt de la requête et non pas rétroactivement à la date de la séparation des parties.

L'intimé ayant expressément admis ne plus participer aux charges du ménage dès son départ du domicile conjugal, il est rendu vraisemblable que l'entretien dû n'a pas été assumé en nature ou en espèces depuis la séparation des parties.

Compte tenu de ce qui précède, le dies a quo pour le versement de la contribution due par l'intimé sera fixé rétroactivement à la date de séparation des parties, le 21 novembre 2021.

4.2.6 Compte tenu de la situation financière des parties, il aurait dû être tenu compte du minimum vital du droit de la famille, à tout le moins à compter du 1er janvier 2023. Cela étant, les parties n'ont pas produit les preuves permettant d'établir leurs charges respectives de la sorte. Dans la mesure où l'intimé a rendu vraisemblable l'absence de ressources de sa compagne avec laquelle il vit en concubinage, il se justifie d'en tenir compte dans la répartition de l'excédent, qui sera d'un tiers en faveur de l'appelante et de deux tiers en faveur de l'intimé.

Au vu de ce qui précède, pour la période du 21 novembre 2021 jusqu'à fin décembre 2022, l'intimé sera condamné à verser à l'appelante une contribution à son entretien de 1'990 fr. (1'796 fr. + 194 fr.), soit un montant permettant la couverture de son déficit (1'796 fr.), majoré d'un tiers de l'excédent de 581 fr. (2'377 fr. – 1'796 fr.) de l'intimé. A compter du 1er janvier 2023, l'excédent des parties (2'377 fr. + 904 fr.) sera réparti à raison d'un tiers en faveur de l'appelante (3'281 fr. /3, soit 1'094 fr.) et de deux tiers en faveur de l'intimé, la contribution d'entretien due par l'intimé en faveur de l'appelante s'élevant alors à un montant de 190 fr. (1'094 fr. – 904 fr.).

5.             5.1 Lorsque l'autorité d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC).

En l'espèce, les parties ne critiquent ni la quotité ni la répartition des frais de première instance, lesquelles sont au demeurant conformes au règlement et à la loi (art. 31 RTFMC). Compte tenu de la nature familiale du litige, la modification du jugement attaqué ne justifie pas que la répartition des frais soit revue. Les frais et leur répartition seront donc confirmés par la Cour.

5.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 95 al. 2 et 105 al. 1 CPC; art. 31 et 35 RTFMC). Ils seront mis à la charge des parties en raison d'une moitié chacune, soit 500 fr. à charge de l'appelante et 500 fr. à charge de l'intimé, compte tenu de la nature du litige (art. 107 al. 1 let. c CPC). L'appelante plaidant au bénéfice de l'assistance juridique, sa part des frais sera provisoirement supportée par l'Etat de Genève (art. 122 al. 1 let. b, 123 al. 1 CPC et 19 RAJ). En conséquence, l'intimé sera condamné à verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 500 fr.

Compte tenu de la nature familiale du litige, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 25 novembre 2022 par A______ contre le jugement JTPI/13431/2022 rendu le 14 novembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/13109/2022.

Au fond :

Annule le chiffre 3 du dispositif du jugement précité.

Cela fait et statuant à nouveau sur ce point :

Condamne B______ à verser à A______ par mois et d'avance, à titre de contribution à son entretien, 1'990 fr. du 21 novembre 2021 au 31 décembre 2022, puis 190 fr. dès le 1er janvier 2023.

Confirme le jugement attaqué pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., et les mets à la charge des parties pour moitié chacune.

Dit que la somme de 500 fr. due par A______, qui plaide au bénéfice de l'assistance juridique, est provisoirement supportée par l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser à l'Etat de Genève la somme de 500 fr. à titre de frais judiciaires d'appel.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, dans les limites des art. 93 et 98 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.