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Décisions | Chambre civile

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C/864/2021

ACJC/220/2023 du 13.02.2023 sur ORTPI/1134/2022 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/864/2021 ACJC/220/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du LUNDI 13 FEVRIER 2023

 

Entre

1) A______ SA, sise ______ [GE],

2) Madame B______, C______ SERVICE, domiciliée ______ [GE],

3) Monsieur D______, domicilié, ______ [GE],

recourants contre un jugement rendu par la 26ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 18 octobre 2022, comparant tous par Me Daniel SCHUTZ, avocat, rue des Maraîchers 36, 1205 Genève, en l'Etude duquel ils font élection de domicile,

et

E______ SRLS, sise ______, (Italie), intimée, comparant par Me Jonathan NESI, avocat, DEMOLE HOVAGEMYAN, rue Charles-Bonnet 2, case postale,
1211 Genève 3, en l'Etude duquel elle fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance de preuve du 18 octobre 2022 (ORTPI/1134/2022), communiquée aux parties le 19 octobre 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a déclaré la liste de témoins déposée le 22 septembre 2022 par A______ SA, B______ et D______, irrecevable (ch. 1 du dispositif), et réservé la suite de la procédure (ch. 2).

Le Tribunal a retenu en substance que la liste de témoins déposée par les précités lors de l'audience de débats d'instruction du 22 septembre 2022 était tardive, les témoins n'ayant pas été mentionnés spécifiquement dans les écritures procédurales initiales et ne pouvait être admise aux conditions de l'art. 229 al. 1 CPC, les faits proposés à la preuve par témoins n'étant pas nouveaux.

B.            a. Contre cette ordonnance, A______ SA, B______ et D______ ont formé recours par acte expédié le 27 octobre 2022 à l'adresse du greffe de la Cour, concluant à son annulation et à ce qu'il soit dit que la liste de témoins des recourants est recevable sous suite de frais et dépens. Ils ont préalablement sollicité l'octroi de l'effet suspensif à leur recours, requête rejetée par la Cour le 5 décembre 2022 pour défaut de préjudice difficilement réparable à attendre la décision sur recours. Les frais de cette décision ont été renvoyés à la décision au fond.

Dans leur recours, les recourants font essentiellement grief au premier juge d'avoir fait preuve de formalisme excessif en ne leur donnant pas la possibilité de réparer un vice partiel (adresse) dans la désignation des témoins proposés dans leurs écritures et d'avoir ainsi violé la loi. Ce faisant, et rendant par-là la situation procédurale des recourants notablement plus difficile, la décision leur cause un préjudice difficilement réparable.

b. Par réponse au recours reçue au greffe le 2 décembre 2022, E______ SRLS a conclu à l'irrecevabilité du recours pour défaut de dommage difficilement réparable, des témoignages n'étant pas pertinents pour la résolution du fond du litige, respectivement à son rejet, le premier juge n'ayant commis aucune violation de la loi, sous suite de frais et dépens.

C. Résultent pour le surplus de la procédure les faits pertinents suivants :

a. Par demande en paiement du 24 septembre 2021 d'une valeur de 101'145,40 EUR, E______ SRLS a assigné A______ SA, B______ et D______, concluant à leur condamnation à lui verser la somme visée en exécution de contrats d'entreprise conclus entre les parties dans le cadre de travaux exécutés dans un établissement public exploité par les recourants. Elle allègue avoir exécuté les travaux commandés dans les règles de l'art, ne jamais avoir reçu d'avis des défauts en relation avec lesdits travaux et ne pas avoir été payée complètement. Elle a proposé des offres de preuve par témoins, sans indiquer ni les noms ni les adresses de ceux-ci.

b. Par réponse du 18 février 2022, A______ SA, B______ et D______ ont conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet, soutenant ne pas être débiteurs solidaires des sommes réclamées et déclarant parallèlement compenser pour partie l'éventuelle créance de E______ SRLS à leur égard avec une contre-créance alléguée par eux-mêmes. Ils ont offert de prouver certains de leurs allégués, notamment l'avis des défauts, par témoins sans fournir ni les noms ni les adresses desdits témoins.

c. Par ordonnance du 22 février 2022, le Tribunal a ordonné un second échange d'écritures, impartissant des délais aux parties pour leurs "réplique" et "duplique".

d. Par "réplique" déposée le 6 mai 2022 au greffe du Tribunal, E______ SRLS a essentiellement persisté dans ses précédentes conclusions. Elle a allégué des faits "additionnels" à prouver par témoins dont elle n'a pour partie pas donné les noms ni adresses, pour partie mentionné le nom, sans adresse. Elle a produit en annexe à cette écriture une liste de témoins comprenant deux noms et adresses.

e. Par "duplique" du 9 juin 2022, A______ SA, B______ et D______ ont essentiellement persisté dans leurs conclusions initiales. Ils ont introduit des nouveaux faits, sans offrir de preuve par témoins pour ceux-ci.

f. Le Tribunal a tenu une audience de débats d'instruction le 22 septembre 2022, lors de laquelle E______ SRLS a souhaité verser des pièces complémentaires ce qui a été admis par le Tribunal. Les recourants ont déposé à l'audience la liste des témoins dont ils souhaitaient l'audition. Le Tribunal a imparti un délai à la demanderesse pour se déterminer sur ce dépôt. Pour le surplus, l'audience a porté essentiellement sur des aspects formels et organisationnels de la suite de la procédure.

g. En date du 29 septembre 2022, E______ SRLS a conclu à l'irrecevabilité de la liste de témoins déposée par les recourants à l'audience du 22 septembre 2022. Le 11 octobre 2022, les recourants ont persisté à vouloir voir leur liste de témoins admise, considérant que le contraire aurait relevé du formalisme excessif.

Sur quoi la décision contestée a été rendue.

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 1 et 2 CPC).

Le délai de recours est de dix jours, à moins que la loi n'en dispose autrement (art. 321 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours a été interjeté en temps utile et selon la forme prévue par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 2 et 3 CPC). En tant qu'elle refuse l'administration de divers moyens de preuve, l'ordonnance querellée constitue une ordonnance d'instruction susceptible d'un recours immédiat (art. 319 lit. b ch. 2 CPC).

2. L'hypothèse visée par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisée, le recours est soumis aux conditions restrictives de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, soit que la décision querellée est de nature à causer un préjudice difficilement réparable au recourant (cf. notamment ACJC/580/2017 du 15 mai 2017; ACJC/71/2017 du 20 janvier 2017).

2.1 La notion de préjudice "difficilement réparable" est plus large que celle de préjudice "irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, in SJ 2012 I 77). Constitue un préjudice "difficilement réparable", toute incidence dommageable y compris financière ou temporelle qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette condition sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (Jeandin, Code de procédure civile commenté, 2011 ad art. 319 CPC n. 22; ATF 138 III 378 et 137 III 380 cités).

Le préjudice sera considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé, ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, Baker & Mckenzie, 2010, ad art. 319 CPC n. 8). Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spuhler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2013 ad art. 319 n. 7; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013 ad art. 319 CPC n. 25). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (JdT 2013 III p. 131 ss, 155; Spuhler, op. cit. ad art. 319 CPC n. 8). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur, comme mentionné plus haut, a justement voulu éviter (ACJC/35/2014 du 10 janvier 2014).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2). Lorsque la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, la décision incidente ne pourra être attaquée qu'avec la décision finale sur le fond (Brunner, Kurzkommentar Schweizerische Zivilprozessordnung ZPO, 2014, ad art. 319 CPC n. 13).

Enfin, selon l'art. 154 in fine CPC, les ordonnances d'instruction, qui statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités d'administration des preuves, ne déploient pas autorité de force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps.

2.2 En l'espèce, les recourants considèrent subir un préjudice difficilement réparable du fait de l'ordonnance attaquée en ce sens qu'elle leur interdirait le droit à la preuve des faits qu'ils allèguent et constituerait un cas de formalisme excessif prohibé, ce qui leur ouvrirait la voie du recours direct.

Or, sur la base des principes dégagés ci-dessus, il n'y a pas matière à considérer que la décision attaquée ferait subir aux recourants un préjudice difficilement réparable qui ouvrirait immédiatement la voie à un recours.

D'une part, l'ordonnance entreprise, comme toutes les ordonnances de preuves, ne statue pas définitivement sur les offres de preuves. En effet, le Tribunal, qui peut modifier ou compléter en tout temps les ordonnances de preuve (art. 154 in fine CPC), pourra ordonner l'administration de preuves complémentaires si celles administrées ne devaient pas suffire. Cela dit, même si tel ne devait pas être le cas, les recourants pourraient encore faire valoir les griefs soulevés ce jour dans le cadre d'un appel contre la décision finale. L'instance d'appel a en outre la possibilité d'administrer elle-même des preuves le cas échéant (art. 316 al. 3 CPC). Elle peut également renvoyer la cause en première instance pour complément d'instruction (art. 318 al. 1 let. c CPC), si la loi devait avoir été violée, notamment relativement au droit à la preuve invoqué.

D'autre part, les recourants ne démontrent pas que les moyens de preuve dont le Tribunal a écarté l'administration en l'état ne pourraient plus être administrés par la suite ou ne pourraient l'être que dans des conditions notablement plus difficiles ou onéreuses. Certes, l'admission d'un appel pour ce motif entraînerait un allongement de la procédure et des coûts de celle-ci. Cela ne suffit pas toutefois, de jurisprudence constante, à admettre l'existence d'un préjudice difficilement réparable des recourants, au sens des principes rappelés plus haut. La pratique restrictive imposée par le législateur et le Tribunal fédéral à la reconnaissance d'un préjudice difficilement réparable dans le cas d'un recours direct contre une ordonnance d'instruction, impose à la Cour de rejeter, dans le cas présent, cette éventualité.

Par conséquent, en l'absence de préjudice difficilement réparable au sens de la loi, le recours contre l'ordonnance d'instruction attaquée doit être déclaré irrecevable.

3. Dans la mesure où ils succombent, les frais judiciaires, réduits au vu du caractère singulier de la procédure, seront mis à la charge des recourants en 700 fr., compensés à due concurrence avec l'avance de frais versée (art. 106 al. 1 CPC), dont le solde leur sera restitué, des dépens réduits de même à hauteur de 400 fr. étant alloués à l'intimée.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours interjeté par A______ SA, B______ et D______ le 27 octobre 2022 contre l'ordonnance ORTPI/1134/2022 rendue le 18 octobre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/864/2021.

Arrête les frais judiciaires de recours à 700 fr., les met à la charge de A______ SA, B______ et D______ conjointement et solidairement et les compense à due concurrence avec l'avance de frais versée.

Ordonne la restitution aux recourants conjointement et solidairement du solde de l'avance versée.

Condamne les recourants conjointement et solidairement à verser à l'intimée des dépens de recours en 400 fr.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Pauline ERARD et
Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Gladys REICHENBACH, greffière.

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, les motifs étant limités (art. 93 LTF).

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.