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Décisions | Chambre civile

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C/12678/2022

ACJC/206/2023 du 10.02.2023 ( ADOPT ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12678/2022 ACJC/206/2023

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 10 FÉVRIER 2023

 

Requête (C/12678/2022) formée le 20 juin 2022 par Madame A______, domiciliée ______ (Genève), comparant par Me Michael WELLS-GRECO et
Me Joanna METAXAS, tendant à l'adoption de B______, né le ______ 2010 et C______, né le ______ 2012.

* * * * *

Décision communiquée par plis recommandés du greffier du 13 février 2023 à :

 

- Madame A______
c/o Me Michael WELLS-GRECO et Me Joanna METAXAS, avocats
Rue de la Confédération 5, 1204 Genève.

- Madame D______
______, ______ [GE]..


EN FAIT

A.           a) D______, née le ______ 1983 à Genève, originaire de Genève et E______ (TG) s'est liée par un partenariat enregistré le ______ 2008 à F______ (Genève) à A______, née le ______ 1977 à G______ (Croatie), de nationalité croate.

b) D______ a donné naissance, le ______ 2010, à l'enfant B______ et, le ______ 2012, à l'enfant C______. Aucun père n'est enregistré à l'état civil.

c) Le partenariat enregistré de D______ et A______ a été dissous, sur requête commune des parties, par jugement du Tribunal de première instance du ______ 2014, rectifié le ______ 2014. Dans ce cadre, il a été donné acte à D______ de son engagement d'accorder à A______ un droit de visite sur les mineurs B______ et C______.

d) Des conflits sont intervenus en 2018/2019 entre la mère des mineurs et la requérante, entraînant une interruption des visites de A______ sur les enfants en mars 2019, ce qui a conduit cette dernière à déposer le 20 juin 2019 une requête au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : le Tribunal de protection) en "modification du jugement du Tribunal de première instance". Le SEASP, en charge de l'évaluation sociale, a relevé que les enfants s'étaient trouvés pris dans un important conflit entre les deux protagonistes, dont ils avaient souffert. Ils avaient également connu des changements importants dans leur vie familiale, leur mère biologique et la requérante s'étant mis en couple avec des compagnes ayant des enfants, et avec lesquelles elles avaient toutes deux emménagé au cours de l'été 2018, de sorte que les enfants avaient, à la rentrée scolaire 2018/2019, changé d'école. Ces changements pouvaient expliquer les difficultés dans lesquelles les enfants se trouvaient, soit des difficultés de comportement avec agressivité. Le conflit entre les ex-partenaires était tellement important qu'elles ne parvenaient plus à se faire confiance dans la prise en charge des enfants, allant jusqu'à s'accuser de maltraitance. Un travail auprès de H______ [centre de consultations familiales] avait été suggéré, ainsi qu'une reprise des relations personnelles entre A______ et les enfants, avec instauration d'une curatelle de surveillance du droit de visite.

e) Par ordonnance du 28 novembre 2019, le Tribunal de protection a relevé que, dans des circonstances exceptionnelles, le droit d'entretenir des relations personnelles pouvait être accordé à d'autres personnes que les père et mère, en particulier à des membres de la parenté, à condition que ce soit dans l'intérêt de l'enfant (art. 274a CC) et, considérant que tel était le cas, a réservé à A______ un droit aux relations personnelles avec les mineurs B______ et C______, à raison d'un week-end sur deux, sauf avis contraire des parties, du vendredi à la sortie de l'école au dimanche 18h00, ainsi qu'une nuit par semaine à fixer d'entente entre elles et la curatrice des mineurs, une curatelle d'organisation et de surveillance du droit de visite étant instaurée.

B.            a) Par requête du 20 juin 2022, A______ a sollicité l'adoption par ses soins des enfants B______ et C______. Elle expose que son ex-partenaire et elle-même avaient toujours souhaité fonder une famille, que les enfants étaient nés durant leur partenariat enregistré, avaient vécu les premières années de leur enfance avec elle et qu'il était dans leur intérêt qu'ils bénéficient d'un second lien juridique. Quand bien même elle ne vivait plus avec la mère biologique et les enfants, elle continuait à exercer un large droit de visite sur les enfants et leur prodiguait soins et éducation. Le partenariat enregistré avait été dissous le 17 novembre 2014 et un droit de visite en sa faveur sur les deux enfants avait été convenu. Début 2019, la famille avait traversé une période houleuse durant laquelle le SEASP avait dû intervenir, un conflit personnel entre la mère des enfants et elle-même ayant affecté ses relations personnelles avec les mineurs. Suite à l'ordonnance rendue le 28 novembre 2019, un droit aux relations personnelles à raison d'un week-end sur deux, du vendredi à la sortie de l'école au lundi au retour de l'école, ainsi qu'une nuit supplémentaire par semaine, à fixer d'entente entre les parties, avait été arrêté. Depuis plus de deux ans, grâce à un suivi régulier de la famille notamment, une harmonie avait été retrouvée et le droit de visite s'exerçait sans accroc. Malgré la séparation, la famille était aujourd'hui unie et tous ses membres souhaitaient que le lien de filiation entre la requérante et les enfants soit formalisé. Il était dans l'intérêt des mineurs d'être adoptés par A______, afin qu'ils bénéficient d'un double lien de filiation. L'adoption permettrait d'officialiser les liens déjà existants entre la requérante et les mineurs. Elle relève également que si les enfants de son ex-partenaire étaient nés durant leur partenariat enregistré, elle aurait été enregistrée à l'Etat civil comme seconde mère des enfants, selon les nouvelles dispositions consécutives à l'acceptation du "mariage pour tous", ce qui justifie d'autant plus les adoptions requises.

d) Par courrier du 12 mai 2022, D______ a manifesté son accord à l'adoption de ses deux fils par A______, laquelle avait pleinement participé à leur projet de fonder une famille, était la seconde maman des enfants depuis leur naissance, leur fournissait les soins nécessaires et subvenait à leurs besoins et à leur éducation. Il était dans l'intérêt des mineurs de reconnaître leur double filiation et d'officialiser les liens déjà existants.

EN DROIT

1.             La cause présente un élément d'extranéité dans la mesure où la requérante est de nationalité croate.

En vertu de l'art. 75 al. 1 LDIP, sont compétentes pour se prononcer sur les requêtes d'adoption les autorités judiciaires ou administratives suisses du domicile de l'adoptant. Les conditions de l'adoption prononcée en Suisse sont régies par le droit suisse (art. 77 al. 1 LDIP).

Compte tenu du domicile à Genève de la requérante et des mineurs dont l'adoption est requise, la Cour de justice est compétente pour connaître de la requête (art. 268 al. 1 CC, art. 120 al. 1 let. c LOJ).

2.             2.1.1 Selon l'art. 264 al. 1 CC, un enfant mineur peut être adopté si le ou les adoptants lui ont fourni des soins et ont pourvu à son éducation pendant au moins un an et si toutes les circonstances permettent de prévoir que l'établissement d'un lien de filiation servira au bien de l'enfant. Une adoption n'est possible que si le ou les adoptants, vu leur âge et leur situation personnelle, paraissent à même de prendre l'enfant en charge jusqu'à sa majorité (art. 264 al. 2 CC).

Une personne peut adopter l'enfant de son conjoint (art. 264c al. 1 ch. 1), de son partenaire enregistré (art. 264c al. 1 ch. 2 CC) ou de la personne avec laquelle elle mène de fait une vie de couple (art. 264c al. 1 ch. 3 CC). Le couple doit faire ménage commun depuis au moins trois ans (art. 264c al. 2 CC).

La différence d'âge entre l'enfant et le ou les adoptants ne peut pas être inférieure à seize ans ni supérieure à quarante-cinq (art. 264d al. 1 CC).

L'adoption requiert le consentement du père et de la mère de l'enfant (art. 265a al. 1 CC). Il peut être fait abstraction du consentement d'un des parents lorsqu'il est inconnu, absent depuis longtemps sans résidence connue ou incapable de discernement de manière durable (art. 265c CC).

2.1.2 Selon l'art. 268 al. 2 CC, les conditions d'adoption doivent être remplies dès le dépôt de la requête. Il résulte donc du texte clair de la loi que le mariage, le partenariat enregistré ou la communauté de vie de fait au sens d'une relation de couple doivent encore exister, au moins au moment du dépôt de la demande d'adoption.

2.1.3 L'art. 264c al. 2 CC exige en outre que le couple fasse ménage commun depuis au moins trois ans. Cette condition vise à garantir une certaine stabilité de la relation entre les personnes souhaitant adopter, dans l'intérêt de l'enfant. Selon le message, le ménage commun d'un couple ne signifie pas seulement une communauté domestique vécue par deux ou plusieurs personnes, comme cela peut être le cas entre frères et sœurs ou amis, mais la vie commune d'un couple vivant sous le même toit dans une communauté semblable au mariage (Message du Conseil Fédéral concernant la modification du code civil du 28 novembre 2014- droit de l'adoption, p. 859).

Ainsi, selon la volonté claire du législateur, l'adoption de l'enfant du conjoint est possible uniquement dans le cadre d'une relation stable et étroite entre deux personnes de sexes différents ou de même sexe, au sens d'une communauté semblable au mariage, et donc uniquement pour les personnes vivant en couple. L'adoption de l'enfant du partenaire vise à fonder une famille dans laquelle la personne qui adopte prend le rôle de second parent (Message, op cit. p. 866).

2.2 En l'espèce, les conditions au prononcé de l'adoption ne sont pas remplies. En effet, la requérante et la mère des mineurs, dont le partenariat enregistré a été dissous en novembre 2014, ne vivent plus en communauté domestique depuis cette date, à tout le moins. La condition de la vie commune n'existait donc plus, depuis huit ans déjà, au moment du dépôt de la requête d'adoption. Contrairement à ce que soutient la requérante, la lecture de l'art. 264c al. 2 CC ne laisse pas de place à une adoption possible de l'enfant de l'ex-partenaire, dès lors que le législateur a souhaité qu'un enfant mineur adopté par un conjoint, que ce soit au sein d'un mariage, d'un partenariat enregistré ou d'une union libre, vive dans une communauté domestique formé de son parent biologique et de la personne qui fait ménage commun avec elle. La lecture de l'art. 264c al. 2 CC est par ailleurs indissociable de celle de l'art. 268 al. 2 CC, de sorte qu'une union ancienne ne permet pas d'asseoir les conditions de l'adoption d'un mineur, puisque c'est au moment du dépôt de la requête d'adoption que la vie commune des deux parents, légal et adoptif, doit être réalisée.

S'il demeure toujours possible pour une personne seule d'adopter un enfant (art. 264b CC), cette adoption a pour conséquence de rompre les liens de filiation avec le parent biologique, ce qui n'est pas voulu en l'espèce, la requérante souhaitant devenir le second parent des mineurs, soit le parent des enfants de son ex-partenaire en sollicitant cette adoption sur la base de l'art. 264c al. 1 ch. 2 CC. Or, les règles émises par le législateur dans le cadre de l'adoption selon cette dernière disposition ont pour but de faire vivre le mineur au sein d'une famille toujours unie, et non au sein d'une famille d'ores et déjà séparée. Il ne paraît ainsi pas possible, dans le seul but d'établir un second lien de filiation en faveur d'un mineur, de s'écarter à ce point du texte légal et de la volonté du législateur, clairement exprimée. L'intérêt de l'enfant à bénéficier d'un double lien de filiation doit ainsi céder le pas à l'absence de réalisation de ces conditions de vie commune au moment de l'adoption.

Le fait que la requérante entretienne avec les mineurs des liens étroits et ait obtenu un droit de visite sur ces derniers dans le cadre de la dissolution du partenariat enregistré ne permet pas de s'écarter de cette solution. En effet, si le Tribunal fédéral a récemment admis que le parent "social" pouvait obtenir un droit de visite sur les enfants de son ex-partenaire enregistré (arrêt du Tribunal fédéral 5A_755/2020) - ce qui est le cas en l'espèce - cela n'emporte encore pas la possibilité d'adopter les enfants de cet ex-partenaire (cf à cet égard commentaire de cet arrêt par Marie-Hélène PETER-SPIESS, le droit aux relations personnelles du parent social suite à la dissolution du partenariat enregistré, art. 27 al. 2 LPart cum 274a CC, in www.lawside.ch/1052, qui précise que dans le cas examiné l'ex-partenaire aurait en théorie pu adopter les enfants concernés selon l'art. 264c CC à compter de 2018, date de l'entrée en vigueur du changement législatif, et dès trois ans de ménage commun, mais que le couple s'étant séparé en 2018, cela excluait cette option). Les dispositions législatives sur l'adoption de mineurs mettent l'accent sur la nécessité d'une vie commune pour adopter les enfants de son partenaire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, chacune des protagonistes vivant, selon les termes du rapport SEASP, depuis 2018 en vie commune avec une autre partenaire. Même si la mère des mineurs et la requérante passent des moments festifs ou des vacances ensemble avec les enfants, comme il est exposé, il ne peut être considéré qu'elles font ménage commun au sens du Message du Tribunal fédéral, qui reprend la jurisprudence du Tribunal fédéral en ce domaine, et qui exige la communauté de toit, de table et de lit pour retenir l'existence d'une vie commune.

Dans ces circonstances, il n'est pas possible de s'écarter du respect des conditions de l'art. 264c al. 1 et 2 CC, qui sont sans équivoque. L'entrée en vigueur le 1er juillet 2022 de la modification du Code civil suite à l'adoption du "mariage pour tous" n'y change rien, puisque cette modification législative, s'agissant de l'adoption, permet dorénavant aux couples du même sexe d'adopter conjointement un enfant, ce qui n'était pas possible auparavant, mais n'a pas d'incidence sur l'adoption de l'enfant du partenaire, qui doit toujours répondre aux conditions de l'art. 264 c al. 2 CC, soit un ménage commun de trois ans au moment du dépôt de la requête d'adoption. Aucune disposition n'a en effet été introduite permettant de retenir que les enfants nés pendant un ex-partenariat enregistré, dissous avant le 1er juillet 2022, devraient être considérés comme les enfants de l'ex-partenaire, qui n'est pas la mère inscrite à l'Etat civil. Cela correspond à l'esprit de la loi sur l'adoption qui met l'accent sur la vie commune. Une solution identique au présent cas serait d'ailleurs apportée à une requête d'adoption d'un mineur formée par l'ex-époux de la mère de celui-ci, laquelle serait rejetée en l'état de la jurisprudence actuelle, faute de ménage commun entre le requérant et la mère du mineur. Il n'est ainsi pas possible de faire une exception dans le cas de la requérante, qui s'apparente à cette dernière situation.

La requête sera par conséquent rejetée.

3.             Les frais de la procédure, arrêtés à 1'000 fr. (art. 19 al. 1 et 3 let. a LaCC; 26 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile - RTFMC) sont mis à la charge de la requérante, laquelle sera condamnée à les verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financier du Pouvoir judiciaire.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Rejette la requête d'adoption formée le 20 juin 2022 par A______.

Arrête les frais de la procédure à 1'000 fr. et les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser la somme de 1'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI et Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, juges; Madame Jessica QUINODOZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 308 ss du code de procédure civile (CPC), la présente décision peut faire l'objet d'un appel par-devant la Chambre de surveillance de la Cour de justice dans les 10 jours qui suivent sa notification.

 

L'appel doit être adressé à la Cour de justice, place du Bourg-de-Four 1,
case postale 3108, 1211 Genève 3.