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Décisions | Chambre civile

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C/3264/2015

ACJC/1691/2016 du 12.12.2016 sur JTPI/4071/2016 ( OO ) , CONFIRME

Descripteurs : CONTRAT DE DÉPÔT ; IMPOSSIBILITÉ ; DROIT BANCAIRE ; MANDAT ; DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Normes : CO.119.1; CO.397.1; LDIP.19; CO.1; CO.6
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3264/2015 ACJC/1691/2016

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du LUNDI 12 DECEMBRE 2016

 

Entre

A.______ SA, ayant son siège social ______, appelante d'un jugement rendu par la 15ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 30 mars 2016, comparant par Me Thomas Goossens, avocat, rue Jacques-Balmat 5, case postale 5839, 1211 Genève 11, en l'étude duquel elle fait élection de domicile aux fins des présentes,

et

B.______ SA, ayant son siège social ______, République du Panama, intimée, comparant par Me C.______, avocat, ______, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A. a. Par jugement du 30 mars 2016, notifié aux parties le lendemain, le Tribunal de première instance a condamné A.______ SA à exécuter l'ordre du 6 août 2014 de clôturer le compte n° 1.______, dont B.______ SA était titulaire, et à transférer la somme de XXXX fr. plus intérêts à 5% dès le 7 août 2014, sous déduction de 2'220 fr. débités le 12 février 2015, de 220 fr. débités le 9 mars 2015, et de 20'020 fr. débités le 12 juin 2015, ainsi que des frais de clôture de 1'000 fr., sur le compte IBAN 2.______, dont C.______ était titulaire auprès d'E.______ à Genève (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 10'200 fr., compensés à due concurrence avec l'avance fournie par B.______ SA et mis à la charge d'A.______ SA, ordonné la restitution à B.______ SA du solde ladite avance de 10'000 fr., condamné A.______ SA à payer à B.______ SA 10'000 fr. à titre de frais judiciaires (ch. 2), et 10'000 fr. TTC à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

b. Par acte déposé le 3 mai 2016 au greffe de la Cour de justice, A.______ SA (ci-après : la banque) appelle de ce jugement dont elle requiert l'annulation. Elle conclut au rejet de la demande en paiement de B.______ SA, sous suite de frais et dépens.

La banque produit des pièces nouvelles, à savoir une circulaire de la FINMA (pièce 35), divers articles de presse parus entre le 17 mai 2013 et le 8 avril 2016, (pièces 36 à 44) ainsi qu'un courrier de sa partie adverse du 21 mars 2016, auquel sont joints deux jugements caviardés du Tribunal de première instance des 19 février et 11 mars 2016 (pièce 45).

c. Dans sa réponse déposée le 18 juillet 2016, B.______ SA conclut au rejet de l'appel, avec suite de dépens.

Elle produit deux pièces nouvelles, à savoir un jugement caviardé du Tribunal de première instance du 11 mai 2016 (pièce 36), ainsi que le rapport annuel 2015 de l'Association de Banques Privées Suisses non daté (pièce 37).

d. Les parties ont répliqué et dupliqué, puis se sont à nouveau déterminées, en persistant dans leurs conclusions.

La banque a produit deux pièces nouvelles, soit une reproduction de la conférence de presse annuelle de la FINMA du 7 avril 2016 (pièce 46), ainsi qu'un projet de circulaire de la FINMA non daté (pièce 35bis).

B.______ SA a produit deux pièces nouvelles, soit copie du procès-verbal d'une audience qui s'est tenue le 25 mars 2016 devant le Tribunal dans la cause n° C/2.______ opposant la banque à un autre client (pièce 38) et un article de doctrine paru dans la RSDA 2016 p. 110 ss (pièce 39).

B. Les éléments pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. B.______ SA, société de droit panaméen, dont Me C.______ est le président, est titulaire d'un compte bancaire n° 1.______ "F.______" ouvert auprès d'A.______ SA le 4 juillet 2005.

Les bénéficiaires économiques du compte étaient, jusqu'au 16 décembre 2013, G.______ et H.______, citoyens français domiciliés en France. A cette date, I.______, citoyen français domicilié en Thaïlande, est devenu l'unique bénéficiaire économique du compte.

Le compte n° 1.______ présentait un solde créancier de XXXX fr. le 31 août 2014.

b. Lors de l'ouverture du compte n° 1.______, B.______ SA a signé un exemplaire des conditions générales de la banque (ci-après : CG), lesquelles prévoyaient notamment : "La banque se réserve le droit de modifier les présentes conditions générales en tout temps. Les modifications sont communiquées au titulaire du compte par circulaire ou de toute autre manière que la banque considère appropriée. Si aucune communication contraire n'est reçue par la banque dans un délai d'un mois à compter de la date de communication de la version modifiée, les modifications en question sont réputées acceptées par le titulaire du compte" (art. 3.______ CG).

Les conditions générales prévoient une élection de for en faveur des tribunaux du siège de la banque ou d'une de ses succursales en Suisse et l'application du droit suisse à l'intégralité des relations entre le client et la banque (art. 4.______ CG).

Les conditions tarifaires 2014 prévoient notamment que les frais de transfert sortant, en francs suisses, s'élèvent à 10 fr. par e-banking, sinon à 20 fr., et les frais pour la clôture d'un compte à 1'000 fr.

c. Par courriel du 25 novembre 2013, la banque a communiqué à B.______ SA sa nouvelle politique en matière de clients résidant en France.

Ce courriel précise notamment :

"For all accounts with French resident beneficial owners, where we do not already hold on file adequate evidence of tax compliance as defined in point 4 below, the following will apply :

1.        No cash withdrawal or deposit over EUR 3'000.- may be made. Withdrawals/deposits to be limited to a maximum of 3 per year

2.        No fund transfers or other payments over EUR 3'000.- (and limited to a maximum of 3 a year to be made)

a.        To any account in any other A.______ entity

b.        To any account of any third party bank, unless that account is in the name or beneficial ownership of the same client and is situated in another EU or OECD country (other than Switzerland)

3.        […]

4.        Clients wishing to maintain their assets with us in Switzerland must

a.        Provide evidence (letter form French lawyer/tax accountant or French tax administration) that they have started self-declaration process or that they are already declared in respect of their account with us and

b.        Sign a waiver to Swiss Bank Secrecy for any purposes plus a confirmation of declaration (standard waiver form to be published very shortly).

5.        For clients who do not provide the documents stated in 4 above by 30/6/14 latest the account will be blocked – other than for payments to an "own name/commonly beneficially owned account in France or in another EU or OECD country, excluding Switzerland – and all facilities (Hold Mail, cards etc) will be terminated.

6.        […]"

d. Par courrier du 6 août 2014, B.______ SA, agissant par l'entremise de Me C.______, a donné ordre à la banque de clôturer le compte n° 1.______ en transférant les soldes disponibles, en francs suisses, sur le compte de l'étude du précité, auprès de la banque E.______ à Genève.

e. Le 22 août 2014, la banque lui a répondu que les restrictions qu'elle avait mises en œuvre dans le cadre du traitement des avoirs détenus directement ou indirectement (via des sociétés de domicile notamment) par des résidents fiscaux français l'empêchaient de procéder favorablement à ses instructions.

Ces restrictions s'inscrivaient dans le cadre de la politique de gestion générale des risques dits "transfrontaliers" ("cross-border") mise en place par la banque en vue d'offrir les garanties d'une activité irréprochable, politique qu'elle avait communiquée aux clients concernés sur une base bilatérale.

Elle a ajouté que, sans démonstration de conformité fiscale, les retraits en espèces avaient été limités à 10'000 EUR au maximum, pour une période donnée soit du 21 novembre 2013 à fin juin 2014. Les transferts de titres et espèces étaient autorisés pour autant que le compte destinataire des avoirs soit détenu par le même titulaire de compte ou par l'ayant droit économique du compte. Le compte destinataire devait par ailleurs être ouvert auprès d'une banque en Europe, dans un pays membre de l'OCDE, ou en Suisse.

Toute instruction allant à l'encontre de ces règles ne pouvait être suivie d'effet, son exécution étant devenue impossible (art. 119 CO).

f. Le 10 octobre 2014, B.______ SA a formé une requête en protection des cas clairs auprès du Tribunal de première instance, concluant à ce que la banque exécute l'ordre de clôture du 6 août 2014.

Par jugement JTPI/16346/2014 du 17 décembre 2014, le Tribunal a déclaré la requête irrecevable, la situation juridique n'étant pas claire, et condamné B.______ SA à payer 2'200 fr. de dépens à la banque.

g. En février 2015, la banque a communiqué à B.______ SA une version révisée des Conditions générales applicables à ses relations d'affaires dès cette date. Cette communication précisait qu'en l'absence d'un avis contraire écrit reçu dans un délai de 30 jours à compter de la date du courrier, les modifications seraient considérées comme ayant été lues, comprises et acceptées "expressément".

L'article 5.______ des conditions générales prévoit notamment que "le titulaire du compte prend acte, comprend et accepte que la Banque soit autorisée à restreindre, limiter ou refuser les retraits en espèces, les transferts télégraphiques ou les transferts de titres que la Banque considère, à sa seule discrétion, comme risquant de l'impliquer dans l'accomplissement d'un acte illicite en vertu de lois et règlementations suisses et étrangères applicables."

h. Sur instruction de B.______ SA, la banque a débité le compte n° 1.______ de 2'200 fr. correspondant aux dépens dus selon le jugement précité, plus 20 fr. de frais de transfert (avis du 12 février 2015), de 200 fr. correspondant à l'avance des frais en vue de la conciliation dans la présente cause, plus 20 fr. de frais de transfert (avis du 6 mars 2015) et de 20'000 fr. le 12 juin 2015 (audition de J.______).

C. a. Le 21 mai 2015, B.______ SA a déposé au Tribunal une action contre la banque en exécution de l'ordre de clôture de son compte n° 1.______ du 6 août 2014 par le transfert de tous ses avoirs, en particulier le montant de XXXX fr., plus intérêts à 5% dès le 6 août 2014, sur le compte de son conseil auprès d'E.______.

B.______ SA a fait valoir être contractuellement fondée, en vertu des règles du mandat applicables à sa relation avec la banque, à obtenir la restitution de ses avoirs d'origine licite. Il n'existait pas d'impossibilité objective d'exécuter la prestation, soit la clôture du compte et la restitution du solde, puisque la banque avait, entretemps, débité le compte pour payer divers montants à des tiers, selon les instructions données, et que nombre d'autres banques ne prétendaient pas que l'art. 119 CO fût applicable dans un cas similaire. Il n'existait aucune obligation d'examiner la conformité fiscale des avoirs. La banque ne pouvait pas non plus se prévaloir de son obligation de garantie d'une "activité irréprochable", puisque l'ordre de clôture ne contrevenait pas à l'exercice d'une telle activité et assurait le maintien du paper trail. Elle ne pouvait en définitive se fonder sur aucune base légale pour refuser le transfert des fonds, le droit étranger n'étant pas applicable.

b. A.______ SA a conclu au déboutement de B.______ SA.

Elle a fait valoir que l'exécution de l'ordre de clôture se heurtait à une impossibilité fondée sur l'art. 119 CO en relation avec les art. 3 al. 2 let. a et c et 3 f al. 2 LB, ainsi qu'avec les art. 9 al. 2 OB et 6 à OBA-FINMA, qui imposaient une activité irréprochable. Celle-ci présupposait une clarification de la situation fiscale du client en tenant compte du droit étranger. En outre, en donnant suite aux instructions de la cliente, elle se rendrait coupable, à titre de complice, voire même de co-auteur, d'infractions pénales de droit français, à savoir de fraude fiscale aggravée et de tentative de blanchiment d'argent. Le caractère illicite en droit étranger était transposable à une relation réglée par le droit suisse par le truchement de l'art. 19 LDIP.

c. Lors de l'audience de débats principaux et de plaidoiries finales devant le Tribunal le 9 février 2016, la banque a produit, notamment, ses directives internes concernant les résidents français.

D. a. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que le cadre juridique était demeuré inchangé, tant sur le plan du droit pénal étranger que sur celui du droit bancaire suisse, de sorte que la banque ne pouvait se prévaloir d'une impossibilité juridique subséquente. Elle ne pouvait non plus se prévaloir d'un droit de rétention sur les avoirs de sa cliente au motif que le transfert contreviendrait au droit français, alors-même qu'elle avait accepté le dépôt de ces avoirs, puis en avait assuré la gestion durant de nombreuses années, sauf à commettre un abus de droit (art. 2 al. 2 CC). L'interprétation objective de l'art. 5.______ CG ne permettait pas non plus de justifier le refus de cette dernière, puisque l'obligation impérative de restitution du contrat de dépôt ne pouvait pas être réduite à une "opération". Au surplus, les normes légales de droit français prohibant la fraude fiscale ne constituaient pas des principes d'ordre public étranger ayant vocation à être prises en considération au sens de l'art. 19 LDIP. L'application de la "clausula rebus sic stantibus" était exclue, en l'absence de déséquilibre des prestations et de changement dans la législation.

b. Dans son appel, la banque se plaint d'une constatation inexacte des faits. Le Tribunal avait erré en retenant que ni le droit suisse, ni le droit français n'avaient changé récemment. En outre, les conditions générales de la banque (art. 5.______ CG) ne se référaient pas au terme "opération" évoqué par le Tribunal, mais aux termes "retraits en espèce" et "transferts". Enfin, le Tribunal avait occulté les possibilités de transfert offertes par la banque, à savoir qu'elle aurait accepté un transfert des avoirs sur un compte en faveur de l'ayant-droit dans tout établissement bancaire sis en Europe, dans un pays de l'OCDE ou en Suisse.

En droit, la banque fait grief au Tribunal d'avoir violé l'art. 397 al. 1 CO en lui imposant d'exécuter une instruction lui faisant courir un risque juridique, ainsi que l'art. 2 CC et la "clausula rebus sic stantibus". Elle reprend au surplus son argumentaire concernant ses conditions générales, l'art. 19 LDIP et l'impossibilité subséquente au sens de l'art. 119 CO.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance, dans les causes dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure, est supérieure à 10'000 fr. comme en l'espèce (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

Formé en temps utile et selon la forme prescrite par la loi (art. 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable (art. 130, 131, 145 al. 1 let. a et 311 al. 1 CPC).

1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d’examen (art. 310 CPC). Elle applique en outre la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

1.3 Les parties ont produit des pièces nouvelles.

1.3.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

La Cour a déjà eu l'occasion de préciser que sont toutefois admis, pour autant qu'ils soient produits dans le délai de recours, les précédents et avis de droit visant uniquement à renforcer et à développer le point de vue d'une partie (ACJC/444/2015 du 24 avril 2015 consid. 2.1 et ACJC/699/2014 du 20 mai 2014 consid. 3.1; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 4A_170/2015 du 28 octobre 2015 consid. 1), étant relevé que le droit étranger ne relève, en principe, pas du fait, mais du droit de sorte qu'une interdiction de présenter des moyens de preuve nouveaux ne s'y applique pas (ATF 138 III 232 consid. 4.2.4).

1.3.2 En l'espèce, les pièces produites par les parties sont recevables dans la mesure où il s'agit de divers articles de journaux et de doctrine, ainsi que de précédents judiciaires et de documents publiés par la FINMA tendant à étoffer leur argumentaire juridique.

Par contre, le procès-verbal d'audience devant le Tribunal tenue dans la cause n° C/2.______ le 25 février 2016 n'est pas recevable, dès lors que cette pièce est antérieure au prononcé du jugement entrepris et qu'elle ne réunit pas les conditions des exceptions à l'art. 317 al. 1 CPC énoncées ci-dessus.

2. L'intimée étant sise à l'étranger, la cause revêt un caractère international.

Vu les élections de for et de droit convenues par les parties, les autorités genevoises sont compétentes pour connaître du présent litige (art. 1 al. 2 LDIP; art. 23 al. 1 let. a CL) et le droit suisse est applicable (art. 116 LDIP).

3. 3.1 Il n'est pas contesté que les parties sont liées par une relation juridique complexe comportant des éléments caractéristiques d’un compte courant (pour le décompte des opérations), d’un dépôt irrégulier (pour les fonds remis à la banque) et plus généralement d’un mandat (ATF 131 III 377 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 4C.387/2000 du 15 mars 2001 consid. 2a, SJ 2001 I 525; cf. ATF 101 II 117 consid. 5, JdT 1976 I 329; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 2014, p. 201).

Dès lors que seule est litigieuse la restitution des avoirs en compte, le présent différend est soumis aux règles du mandat et du dépôt irrégulier.

3.2 En tant que mandataire, la banque doit se conformer aux instructions de son client (art. 397 CO) et répond de leur bonne et fidèle exécution (art. 398 CO).

En tant que dépositaire, elle est tenue de rendre à son client la même somme que celle reçue (art. 481 al. 1 CO).

Selon l'art. 475 al. 1 CO, le déposant peut réclamer en tout temps la somme déposée, même si un terme a été fixé pour la durée du dépôt. Cette disposition est de droit impératif (Barbey, in Commentaire romand, Code des obligations I,
2ème éd., 2012, n. 5 ad art. 475 CO; cf. ég. ATF 100 II 153, JdT 1975 I 174).

A cet égard, le Tribunal fédéral a récemment rappelé, dans le cadre de deux procédures sommaires fondées sur un cas clair, le principe selon lequel le client d'une banque sise en Suisse a le droit d'obtenir, sur la base des normes de droit civil applicables, la restitution de ses avoirs en espèces à la fin de la relation contractuelle, sans avoir préalablement à justifier de sa conformité fiscale (arrêts du Tribunal fédéral 4A_168/2015 du 28 octobre 2015 consid. 3; 4A_170/2015 du 28 octobre 2015 consid. 4).

Reste à examiner si les objections soulevées en l'occurrence par la banque pour refuser d'exécuter l'instruction de l'intimée peuvent l'emporter sur le droit de cette dernière à obtenir la restitution de ses avoirs.

4. L'appelante se prévaut de l'art. 119 CO, exposant que le Tribunal a retenu à tort l'immutabilité des droits suisse et français. Elle est confrontée à l'impossibilité juridique d'exécuter la prestation requise dès lors qu'elle doit gérer de façon prudente les risques liés à son activité, notamment avec une clientèle étrangère se trouvant en situation fiscale irrégulière. En exécutant l'ordre de transfert, elle se rendrait complice de deux délits réprimés par le droit pénal français et violerait ainsi la garantie d'une activité irréprochable à laquelle elle est tenue en vertu des dispositions légales et règlementaires en matière bancaire.

4.1.1 Selon l'art. 119 al. 1 CO, l'obligation s'éteint lorsque l'exécution devient impossible par suite de circonstances non imputables au débiteur. Cette disposition régit l'impossibilité subséquente, par opposition à l'impossibilité originaire, qui rend le contrat nul en vertu de l'art. 20 al. 1 CO. L'impossibilité subséquente peut être matérielle - par exemple le décès d'un cheval dont le débiteur devait assurer l'entretien et le dressage (ATF 107 II 144 consid. 3) - ou juridique - ainsi une interdiction d'exportation qui empêche le débiteur de fournir la prestation (ATF 111 II 352 consid. 2a) - (arrêts du Tribunal fédéral 4C.344/2002 du 12 novembre 2003 consid. 4.2; 4C.43/2000 du 21 mai 2001 consid. 2e).

4.1.2 L'art. 3 al. 2 let. c LB relatif aux conditions d'autorisation de la banque à exercer son activité, en vigueur depuis le 1er juillet 1971, prévoit que l'autorisation est accordée lorsque les personnes chargées d'administrer et de gérer la banque jouissent d'une bonne réputation et présentent toutes garanties d'une activité irréprochable.

Selon l'art. 3f LB, en vigueur depuis le 1er janvier 2006, les personnes chargées de la gestion, d'une part, et celles responsables de la haute direction, de la surveillance et du contrôle du groupe financier ou du conglomérat financier, d'autre part, doivent jouir d'une bonne réputation et présenter toutes garanties d'une activité irréprochable (al. 1); le groupe financier ou le conglomérat financier doit être organisé de manière à pouvoir, en particulier, déterminer, limiter et contrôler les risques principaux (al. 2).

L'art. 9 al. 2 aOB, en vigueur du 1er février 1994 au 31 décembre 2014, prévoyait que la banque fixait, dans un règlement ou dans des directives internes, les principes de gestion des risques ainsi que les compétences et la procédure en matière d'octroi de l'autorisation d'effectuer des opérations à risques. La banque devait notamment déterminer, limiter et contrôler les risques de crédit, les risques de pertes, les risques liés au marché, à l'exécution des transactions et au manque de liquidité, les risques opérationnels et juridiques, ainsi que les risques susceptibles de ternir sa réputation.

Le contenu de cette disposition a été repris à l'art. 12 al. 2 de la nouvelle ordonnance sur les banques et les caisses d'épargne du 30 avril 2014, entrée en vigueur le 1er janvier 2015.

4.1.3 Selon l'art. 7 de la loi de surveillance des marchés financiers (LFINMA,
RS 956.1), la FINMA adopte des ordonnances lorsque la législation sur les marchés financiers le prévoit et des circulaires afin de préciser les modalités d'application de la législation sur les marchés financiers.

Les ordonnances établies par la FINMA font partie intégrante du droit suisse dans la mesure où elles sont publiées au Recueil systématique (cf. par exemple l'Ordonnance sur les audits des marchés financiers, RS 956.161).

Il résulte d'un rapport du 22 octobre 2010, intitulé "Position de la FINMA à propos des risques juridiques et de réputation dans le cadre des activités financières transfrontières", qu'en droit fiscal et pénal, le risque existe qu'un intermédiaire financier ou ses employés se rendent coupables d'une participation sanctionnée pénalement (par exemple en tant que complice ou instigateur) à des délits fiscaux commis par des clients étrangers. Les actes de participation punissables sont définis par le droit du pays étranger concerné. Selon l'ordre juridique applicable, un comportement intervenu exclusivement ou principalement en dehors de ce pays, c'est-à-dire par exemple sur territoire suisse peut aussi être réprimé pénalement. La gamme de services proposés à des clients étrangers, et notamment la politique d'affaires en matière de visites de clientèle, doivent donc être soigneusement évaluées et réglementées. La LFINMA ne prévoit ni directement ni explicitement une obligation pour les assujettis de respecter le droit étranger. La violation du droit étranger peut enfreindre certaines dispositions de surveillance suisses sujettes à interprétation, comme l'exigence de la garantie d'une activité irréprochable.

Dans une circulaire 2008/21 intitulé "Risques opérationnels-banques", destinée à entrer en vigueur le 1er juillet 2017, la FINMA a indiqué s'attendre notamment à ce que les banques autorisées à pratiquer en Suisse respectent le droit étranger de la surveillance. Les banques soumettent leurs opérations de prestations de service transfrontières ainsi que la distribution transfrontière de produits financiers à une analyse approfondie des conditions cadres juridiques et des risques correspondants. Sur la base de cette analyse, les banques prennent les mesures stratégiques et organisationnelles nécessaires à l’élimination et à la minimisation des risques et les adaptent au fur et à mesure à l’évolution de la situation. Elles possèdent notamment les connaissances spécialisées spécifiques aux pays requises, définissent des modèles de prestations spécifiques aux pays desservis, forment les collaborateurs et garantissent le respect des prescriptions grâce à des mesures organisationnelles, des instructions, des modèles de rémunération et de sanction correspondants.

La FINMA ne fournit aucune indication concrète sur la manière pour la banque d'appréhender et de contrôler le risque de participer à une infraction fiscale commise par un client à l'étranger (Matthey, in Services financiers : Suisse et Union européenne, Dossier de droit européen n° 31, 2016, p. 209).

De l'avis de certains auteurs, le principe de la garantie de l'activité irréprochable ne peut justifier le refus de la banque d'exécuter les instructions du client de clôturer un compte bancaire par le retrait d'espèces ou par le transfert des actifs auprès d'une autre banque sise dans une juridiction pour qui le statut fiscal des clients n'est pas encore sujet à préoccupation (Matthey, op. cit., p. 233;
cf. ég. Lombardini, Banques et clients en situation fiscale irrégulière : un état des lieux, Not@lex, Revue de droit privé et fiscal du patrimoine, 2/2015, pp. 33ss, p. 45).

4.1.4 En droit français, la fraude fiscale est visée par l'art. 1741 du Code général des impôts français, qui prévoit que quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans ledit code, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 500'000 EUR et d'un emprisonnement de cinq ans.

Dans sa version initiale, datant du 1er juillet 1979, cette disposition légale avait une teneur similaire, bien que prévoyant des peines moins importantes (source : legifrance.gouv.fr).

Des circonstances aggravantes, introduites par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, portent les peines à 2'000'000 EUR et sept ans d'emprisonnement, notamment lorsque la commission de la fraude fiscale a lieu par le biais de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger ou par l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiduciaire ou institution comparable établis à l'étranger (source : legifrance.gouv.fr).

Selon l'art. 324-1 du Code pénal français, en vigueur depuis le 14 mai 1996, le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect (par. 1). Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit (par. 2). Le paragraphe 3 de cette disposition prévoit une peine menace de cinq ans d'emprisonnement et de 2'500'000 FF d'amende, modifiés dès le 1er janvier 2002 en 375'000 EUR d'amende (source : legifrance.gouv.fr).

Dans le droit de l'Union européenne, la seule acceptation d'avoirs non fiscalisés peut être constitutive d'un acte de blanchiment, la banque et ses employés pouvant être attirés comme complices devant la juridiction compétente pour le client
(cf. Lombardini, op. cit., p. 35 note 3).

4.2 En l'espèce, aucune modification importante n'est survenue dans le cadre juridique bancaire suisse, ni dans les dispositions de droit pénal français invoquées par l'appelante depuis l'ouverture des relations bancaires avec l'intimée en 2005.

En effet, la législation bancaire suisse n'a introduit aucune disposition nouvelle prévoyant l'obligation explicite de respecter le droit étranger, ou plus particulièrement faisant interdiction aux banques suisses de transférer vers une autre relation bancaire ou de remettre au moyen d'un chèque des avoirs dont la conformité fiscale ne serait pas établie. La FINMA a elle-même relevé qu'une obligation pour les banques de respecter la législation étrangère n'était pas explicitement prévue par la loi. Par ailleurs, l'obligation faite aux banques de jouir d'une bonne réputation et de présenter toutes garanties d'une activité irréprochable existe depuis 1971.

La FINMA n'a ainsi édicté aucune ordonnance, ni circulaire relative à l'activité transfrontière des banques, qui rendrait aujourd'hui impossible la restitution des fonds vraisemblablement non déclarés à un fisc étranger. Sa position du 22 octobre 2010 et le projet de circulaire publié le 1er mars 2016, destiné à entrer en vigueur le 1er juillet 2017, s'inscrivent dans un contexte de prise de consciences de ce que les banques suisses ne sont pas à l'abri de poursuites pénales à l'étranger lorsqu'elles ont ouvert ou maintenu des relations bancaires dans le cadre desquelles les fonds déposés par les clients étrangers ne sont pas connus des autorités fiscales dont relèvent ces derniers. On ne saurait en déduire que la situation légale ait changé. Cette position de la FINMA ne peut ainsi constituer une modification juridique survenue postérieurement à la conclusion du contrat, qui rendrait impossible le respect de ce dernier.

C'est par ailleurs en vain que l'appelante invoque ses directives internes et sa politique de gestion des risques. En effet, le fait qu'elle ait décidé de les renforcer pour se mettre en conformité avec la législation d'ores et déjà en vigueur n'est pas pertinent.

Au surplus, les dispositions de droit pénal français invoquées par la banque existaient elles aussi lors de l'ouverture de la relation bancaire en 2005. Certes, une modification a été apportée, par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, à l'art. 1741 du Code général des impôts français. Toutefois, celle-ci ne vise que la peine menace de l'infraction réprimée, les faits constitutifs de la fraude fiscale restant inchangés.

Ainsi, lors de l'ouverture du compte bancaire de l'intimée auprès de l'appelante, l'acceptation, la détention et la gestion des fonds litigieux pouvaient déjà être constitutives de complicité de fraude fiscale et de blanchiment d'argent selon le droit français. Aussi, même à admettre l'existence de risques pour la banque d'être poursuivie pénalement par les autorités françaises, les infractions précitées, à supposer qu'elles doivent être considérées comme réalisées, auraient déjà été consommées par l'appelante durant la relation bancaire.

Dans ces circonstances, l'appelante ne peut se prévaloir de l'art. 119 al. 1 CO pour ne pas opérer le versement litigieux, le caractère subséquent de l'impossibilité invoquée faisant en tout état de cause défaut.

5. L'appelante conteste l'interprétation de ses conditions générales à laquelle s'est livré le Tribunal. Elle fait valoir que celui-ci a, par erreur, retenu que le terme "opération" figure à l'art. 5.______ CG alors que les termes "retraits" et "transferts" sont utilisés. En outre, la banque avait proposé une alternative à l'ordre donné par la cliente, soit un transfert en faveur de l'ayant-droit économique vers un établissement bancaire situé en Europe, dans un pays de l'OCDE, ou en Suisse. Cette alternative n'a pas été examinée par le Tribunal. L'art. 5.______ CG ne viole pas l'art. 475 al. 1 CO.

5.1 Aux termes de l'art. 1er CO, le contrat est parfait lorsque les parties ont, réciproquement et de manière concordante, manifesté leur volonté. Cette manifestation peut être expresse ou tacite. Selon la jurisprudence, celui qui signe un texte comportant une référence expresse à des conditions générales est lié, au sens de l'art. 1er CO, au même titre que celui qui appose sa signature sur le texte même des conditions générales. Il importe peu à cet égard qu'il ait réellement lu les conditions générales en question (ATF 119 III 443 consid. 1a; arrêt du Tribunal fédéral 5A_511/2012 du 8 octobre 2012 consid. 5.1).

A teneur de l'art. 6 CO, lorsque l'auteur de l'offre ne devait pas, en raison soit de la nature spéciale de l'affaire, soit des circonstances, s'attendre à une acceptation expresse, le contrat est réputé conclu si l'offre n'a pas été refusée dans un délai convenable. Dans ce contexte, une clause de modification unilatérale des conditions générales, pour peu qu'elle soit valide, doit prévoir une forme de la communication des nouvelles dispositions adoptées permettant au client d'être informé de manière adéquate, afin de respecter l'art. 6 CO (Perrig, Schweizerisches Recht der Allgemeinen Geschäftsbedingungen, Berne 2016, n. 123).

Une banque ne peut pas se prévaloir de sa règlementation interne pour refuser de restituer des fonds au client, puisqu'il n'existe alors qu'une impossibilité subjective, fondée sur des règles qui ne lient que la banque et non le client (Emmenegger/Good, Der Einfluss ausländischer (Steuer-) Regulierung auf die Bank/Kunden-Beziehung : Welche Rechte haben Abschleicher?, in: Susan Emmenegger (Hrsg.), Verhaltensregeln, Bâle 2015, p. 73).

5.2 L'appelante relève à juste titre que le Tribunal a évoqué le terme "opération" dans son interprétation de l'art. 5.______ CG, alors que celui-ci ne mentionne pas ce mot, et que le Tribunal a omis de tenir compte des autres possibilités de transfert permises par cette disposition. Ces griefs sont cependant dénués de pertinence au vu de ce qui suit.

L'art. 5.______ CG a été adopté et communiqué à l'intimée en février 2015, soit postérieurement à l'ordre de clôture donné en août 2014. Il n'est pas allégué que ladite clause aurait un effet rétroactif. Certes, les parties ont conclu une clause d'acceptation tacite des nouvelles conditions générales (art. 3.______ CG), ce qui est en soi admissible. Toutefois, la modification des conditions générales par acceptation tacite implique que d'éventuelles modifications des clauses soient clairement communiquées à la cliente. Il n'est au contraire pas permis de modifier implicitement les conditions générales par le biais d'autres envois effectués à l'attention de la cliente, par exemple en lui notifiant l'existence d'une nouvelle politique interne. L'appelant reconnaît par ailleurs, dans sa réplique, que ses directives internes n'étaient pas applicables à la relation contractuelle avec l'intimée. L'art. 5.______ CG n'est donc, en l'occurrence, pas opposable à celle-ci.

Par conséquent, il ne se justifie pas de procéder à une interprétation de cette clause, qui n'a pas été valablement intégrée au contrat.

Par ailleurs, la validité d'une telle clause, qui limiterait fortement le droit de la cliente à la restitution de ses avoirs - même en l'autorisant à procéder à des transferts sur un compte bancaire à son nom dans tout pays d'Europe, de l'OCDE ou en Suisse -, apparaîtrait en tout état de cause fortement douteuse, au vu du caractère impératif de l'art. 475 al. 1 CO (cf. arrêts du Tribunal fédéral 4A_168/2015 et 4A_170/2015 précités, au sujet de la condition imposée par la banque de conformité fiscale; cf. ég. Amadò, La sentenza del Tribunale federale n. 4A_168/2015, in tema di restrizioni bancarie nei rapporti tra banche e clienti, NF 12/2015 p. 43 et note 40 p. 44).

Les griefs de l'appelant seront donc rejetés.

6. L'appelante fait également grief au Tribunal d'avoir violé l'art. 397 al. 1 CO en l'obligeant à exécuter une instruction illicite ou à tout le moins qui poursuit un but - le maintien du client dans une situation fiscale illicite - qui ne mérite pas la protection de l'ordre juridique suisse.

6.1 Des instructions illicites ou contraires aux mœurs ne lient pas le mandataire, dès lors qu'en acceptant de telles instructions ce dernier conclurait un contrat nul (Werro, in Commentaire romand, Code des obligations I, 2ème éd., 2012, n. 8 et 9 ad art. 397 CO). L'illégalité de l'instruction doit être appréciée au regard du droit suisse (ATF 80 II 47; 80 II 51, JdT 1954 I 581 consid. 3; Lombardini, op. cit., p. 46; Engel, Traité des obligations en droit suisse, 1997, p. 270 et ss).

En droit suisse, le fait qu'un client, par ses instructions, indique qu'il ne veut pas régulariser sa situation fiscale n'entache pas ses instructions d'illégalité (Lombardini, op. cit., p. 32).

6.2 Au vu de ce qui précède, les instructions de l'intimée, même à supposer qu'elles poursuivent le but de ne pas régulariser sa situation fiscale en France, ne sont pas illégales du point de vue du droit suisse. La question de savoir si elles sont contraires aux mœurs sera examinée ci-après (consid. 7), dès lors qu'elle se recoupe avec celle de l'applicabilité de l'art. 19 LDIP.

7. L'appelante se prévaut de l'art. 19 LDIP pour admettre la prise en considération des lois françaises prohibant la fraude fiscale dans les rapports contractuels des parties. Elle fait valoir qu'en exécutant l'ordre litigieux, elle court le risque de poursuites pénales.

7.1 Selon l'art. 19 LDIP, lorsque des intérêts légitimes et manifestement prépondérants au regard de la conception suisse du droit l’exigent, une disposition impérative d’un droit autre que celui désigné par la LDIP peut être prise en considération, si la situation visée présente un lien étroit avec ce droit (al. 1). Pour juger si une telle disposition doit être prise en considération, on tiendra compte du but qu'elle vise et des conséquences qu'aurait son application pour arriver à une décision adéquate au regard de la conception suisse du droit (al. 2).

La mise en œuvre de cette disposition suppose un jugement de valeur : l'intérêt à l'application de la norme impérative étrangère doit être digne de protection selon la conception suisse du droit et l'emporter manifestement sur l'intérêt à l'application de la lex causae. Conformément à l'art. 19 al. 2 LDIP, l'éventuelle prise en considération du droit impératif d'un Etat tiers dépendra du but poursuivi par la disposition en cause et des conséquences de ce rattachement spécial. L'appréciation se fera selon les valeurs fondamentales de l'ordre juridique suisse. A cet égard, il n'est pas nécessaire que le droit suisse connaisse des normes impératives semblables; il suffit que le but poursuivi par la disposition étrangère soit conforme à la conception suisse. L'éventuelle prise en considération de normes d'un Etat tiers doit permettre, dans un cas particulier, d'aboutir à un résultat qui tienne compte de l'effet desdites dispositions sur le rapport juridique en cause et sur la situation de la partie concernée d'une manière conforme à la conception suisse du droit (ATF 136 III 392 consid. 2.3.3.1; 130 III 620 consid. 3.5.1 p. 630).

L'art. 19 LDIP a un aspect moral. Il tend à éviter que, par l'utilisation habile
des règles de conflit de lois, les parties puissent échapper à des dispositions
qui, bien qu'inapplicables, méritent le respect et sont conformes aux principes fondamentaux du droit suisse (Knoepfler/Schweizer/Othenin-Girard, Droit international privé suisse, 3e éd., 2005, p. 200 n. 397a).

L'application de l'art. 19 LDIP doit rester exceptionnelle de par sa ratio legis et ne vise que les personnes privées (ATF 130 III 620, JdT 2004 I 555 consid. 3.5.1 et consid. 3.5.2; arrêt du Tribunal fédéral 5C.60/2004 du 8 avril 2005 consid. 3.1.2, non publié in ATF 131 III 418).

D'après certains auteurs de doctrine, il est douteux que cette disposition puisse être utilement invoquée pour obtenir du juge suisse qu'il tienne compte d'une règle étrangère dont l'existence ne se justifierait que par des intérêts économiques ou fiscaux de l'Etat qui l'a édictée (Knoepfler/Schweizer/Othenin-Girard,
op. cit, p. 200 n. 396a; cf ég. Molo, Legittimità delle restrizioni bancarie nell’esecuzione delle istruzioni dei clienti, NF 7-8/2015 p. 36). Selon Lombardini, l'art. 19 LDIP pourrait en revanche permettre aux banques de se prévaloir de dispositions de droit étranger contre le blanchiment d'argent et l'évasion fiscale pour s'opposer à l'exécution de certaines instructions des clients. A son avis, il serait ainsi justifié de refuser, par exemple, un prélèvement en espèces mais non un transfert sur un compte au nom du client ou de l'ayant droit économique dans un pays de l'Union Européenne. Cet auteur relève toutefois qu'il est difficile de dire quel sort la jurisprudence réserverait à cette argumentation (Lombardini, op. cit., pp. 47ss).

Dans un arrêt du 7 septembre 1984, le Tribunal fédéral a relevé qu'en soi, le fait de fonder une société étrangère pour permettre à une société italienne d'éluder la règlementation italienne des changes n'est pas nécessairement jugé illicite ou immoral en Suisse (ATF 110 Ib 213). Plus récemment, dans le contexte d'une exportation de pièces d'or de provenance indienne, il a considéré que l'exportation illicite d'un bien culturel selon le droit public indien ne saurait affecter la validité, sur le plan du droit privé, du transfert de la propriété du bien en question ou de la constitution d'un droit de gage sur ce bien, rappelant que la Suisse n'est pas tenue, sous réserve d'accords internationaux, d'appliquer des règles de droit public étrangères à l'intérieur de ses frontières (ATF 131 III 418 consid. 3.2.1). Dans ce même arrêt, il a mentionné que le problème de la restitution à l'État d'origine d'œuvres illicitement exportées et appartenant à son patrimoine culturel relevait davantage du droit public et des conventions internationales que du droit international privé, de sorte que l'application de l'art. 19 LDIP apparaissait exclue (arrêt du Tribunal fédéral 5C.60/2004 du 8 avril 2005 consid. 3.1.2, non publié in ATF 131 III 418). Enfin, dans un arrêt du 7 mai 2004, le Tribunal fédéral a estimé qu'une banque suisse ne pouvait pas invoquer le droit de la faillite américain pour s'opposer à la restitution de fonds à l'une de ses clientes, dont le mari était en faillite aux Etats-Unis, au motif qu'elle risquait de devoir s'acquitter du même montant une seconde fois envers la masse en faillite. Il a considéré que les
art. 166 ss LDIP constituaient une réglementation spéciale faisant obstacle à la prise en considération d'un droit tiers au sens de l'art. 19 LDIP. Il a rejeté l'argument de la banque tiré des éventuelles mesures de rétorsion qu'elle risquait de subir aux Etats-Unis où elle déployait des activités (ATF 130 III 620, JdT 2004 I 555).

Le 27 février 2013, le Conseil fédéral a proposé d'introduire, dans la loi fédérale sur le blanchiment, une base légale formelle obligeant l'ensemble des intermédiaires financiers à déterminer, lors de l'acceptation de valeurs patrimoniales, si celles-ci "sont ou seront fiscalisées" et à vérifier la conformité fiscale des comptes déjà existants. Lors de la consultation du projet de loi, ces obligations de diligence accrue en matière fiscale ont été jugées inapplicables, obligeant le Conseil fédéral à les retirer. Un autre projet de loi, prévoyant le principe d'un devoir de diligence des intermédiaires financiers en matière fiscale et l'obligation de refuser ou de résilier la relation d'affaires lorsqu'ils présument que les valeurs proposées ou déposées "n'ont pas été ou ne seront pas fiscalisées", s'est également heurté à une forte opposition sur ce point lors de sa mise en consultation. Enfin, le Conseil national a rejeté - en refusant d'entrer en matière - un troisième projet de loi visant à imposer aux intermédiaires financiers, dans la loi fédérale sur le blanchiment, des obligations de diligence spécifiques, afin de vérifier, sur la base d'indices, que les clients résidant à l'étranger se conforment aux règles de la fiscalité (Matthey, op. cit., pp. 206 et 207 et références citées; Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur le blanchiment d’argent (Obligations de diligence étendues pour empêcher l’acceptation de valeurs patrimoniales non fiscalisées) du 5 juin 2015, FF 2015 3799).

7.2 En l'espèce, il n'est pas établi que l'interdiction de fraude fiscale et/ou celle de blanchiment constitueraient des règles fondamentales de l'ordre juridique français. Par ailleurs, même à admettre qu'elles fassent partie de l'ordre public français, on ne saurait considérer les actes qu'elles répriment comme étant nécessairement jugés immoraux en Suisse. En effet, jusqu'à très récemment, l'évasion fiscale était encore considérée comme insuffisante pour justifier une levée du secret bancaire. En outre, depuis 2013, pas moins de trois projets de loi prévoyant un devoir de diligence accrue des banques ont été présentés par le Conseil fédéral. Lors de leur mise en consultation, ils se sont tous heurtés à une forte opposition. Cette réaction vient infirmer l'existence d'intérêts légitimes et manifestement prépondérants au regard de la conception suisse du droit exigeant de prendre en considération, au sens de l'art. 19 al. 1 LDIP, les normes légales de droit français prohibant la fraude fiscale.

Compte tenu de la position très restrictive de la jurisprudence, comme de plusieurs auteurs de doctrine cités plus haut, il n'y a pas lieu de considérer que les dispositions du droit pénal français invoquées sont applicables à la relation contractuelle entre les parties, par le biais de l'art. 19 LDIP.

8. L'appelante invoque encore l'exception tirée de la clausula rebus sic stantibus.

8.1 Constitue une exception au principe de la fidélité contractuelle l'application de la clausula rebus sic stantibus. Celle-ci permet d'adapter un contrat synallagmatique de durée lorsque, en vertu d'une modification des circonstances qui n'était ni prévisible ni évitable, l'équilibre entre prestation et contre-prestation est à ce point rompu que le créancier abuse manifestement de son droit, en exigeant la prestation promise par son cocontractant (ATF 127 III 300, in SJ 2002 I 1; ATF 122 III 97, JdT 1997 I 294 consid. 3a).

8.2 En l'espèce, l'appelante soutient que les modifications législatives et règlementaires initiées en 2010, ainsi que le durcissement de la législation française et de sa pratique en matière de fraude fiscale et de blanchiment constituent un changement extraordinaire de circonstances intervenu postérieurement à la conclusion de la relation contractuelle. Si l'évolution législative n'était en soi pas imprévisible, sa nature, son ampleur et ses effets ne pouvaient être anticipés.

A l'appui de sa thèse, l'appelante se prévaut d'un avis de doctrine, selon lequel les banques pourraient se prévaloir de l'application de la clausula rebus sic stantibus pour refuser d'exécuter une opération qui augmenteraient considérablement leur risque d'être sanctionnées, ce notamment en raison du changement de paradigme ayant eu lieu récemment dans le domaine fiscal au niveau international (Emmenegger/Good, op. cit., p. 79 ss).

Ce raisonnement ne peut être suivi. En effet, ainsi qu'il a été exposé plus haut, les législations suisse et française n'ont subi aucune modification essentielle depuis l'ouverture de la relation bancaire. Au surplus, le durcissement de la pratique par les autorités françaises, même à supposer l'applicabilité des dispositions françaises invoquées sur territoire suisse, ne saurait constituer une modification extraordinaire non prévisible justifiant l'intervention du juge dans le cadre du rapport contractuel liant les parties. Une telle intervention est d'autant moins justifiée que la banque a ouvert les relations bancaires et les a entretenues pendant de nombreuses années, sans jamais se prévaloir de l'effet de la législation fiscale étrangère sur la relation contractuelle.

9. L'appelante soutient enfin que la requête de l'intimée constitue un abus de droit, dans la mesure où cette dernière refuse de régulariser sa situation fiscale en France, poursuit un intérêt économique qui, compte tenu de son caractère illicite, ne bénéficie d'aucune protection juridique, expose, par sa requête, la banque à des risques de poursuites pénales et l'empêche de se conformer à son obligation de gestion prudente.

9.1 Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. Savoir s'il y a un tel abus dépend de l'analyse des circonstances du cas concret, au regard des catégories typiques d'abus de droit développées par la jurisprudence et la doctrine (ATF 129 III 493 consid. 5.1; 125 III 257 consid. 2a ;121 III 60 consid. 3d), telles que l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit (ATF 123 III 200 consid. 2b), l'utilisation contraire à son but d'une institution juridique (ATF 128 II 145 consid. 2.2; 122 III 321 consid. 4a), la disproportion grossière des intérêts en présence (ATF 132 III 115 consid. 2.4) ou encore l'attitude contradictoire (venire contra factum proprium; ATF 125 III 257 consid. 2a; 121 III 350 consid. 5b;
115 II 331 consid. 5a).

L'abus de droit ne doit cependant être admis qu'avec une grande retenue et, dans le doute, le droit formel doit être protégé; plus le droit formel revêt un caractère absolu, plus l'abus de droit doit être admis restrictivement. Cela vaut en particulier pour un droit absolu comme la propriété (arrêts du Tribunal fédéral 5A_11/2015 du 13 mai 2015 consid. 4.3.2.1; 5A_655/2010 du 5 mai 2011 consid. 2.2.1).

9.2 En l'espèce, les arguments de l'appelante doivent être écartés. L'intimée a un intérêt légitime à récupérer l'argent confié à la banque. Son comportement n'est constitutif d'aucun abus de droit.

10. Le jugement entrepris sera confirmé.

11. Les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 15'000 fr. (art. 17 et 35 RTFMC), seront mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 95 al. 2 et 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais fournie par elle, qui reste acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelante sera par ailleurs condamnée à verser à l'intimée la somme de 7'000 fr. à titre de dépens d'appel, débours compris (art. 84, 85 et 90 RTFMC, art. 25
et 26 LaCC), étant précisé que les prestations du conseil de l'intimée ne sont pas soumises à la TVA (arrêt du Tribunal fédéral 4A_623/2015 du 3 mars 2016).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A.______ SA contre le jugement JTPI/4071/2016 rendu le 30 mars 2016 par le Tribunal de première instance dans la cause C/3264/2015-15.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 15'000 fr., les met à la charge de A.______ SA et dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A.______ SA à payer à B.______ SA la somme de 7'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Florence KRAUSKOPF, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

La présidente :

Florence KRAUSKOPF

 

La greffière :

Camille LESTEVEN

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.