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C/733/2025

ACJC/1280/2025 du 22.09.2025 sur JTPI/7143/2025 ( SML ) , RENVOYE

Normes : LP.80; CNy.4
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/733/2025 ACJC/1280/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 22 SEPTEMBRE 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______ (ZG), recourante contre un jugement JTPI/7143/2025 rendu par la 6ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 10 juin 2025, représentée par Me Michele CARATSCH, avocate, Zeltweg 44, case postale, 8032 Zürich,

et

B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Cyrus SIASSI, avocat, SIASSI McCUNN BUSSARD, avenue de Champel 29, case postale 344, 1211 Genève 12.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/7143/2025 du 10 juin 2025, le Tribunal de première instance a débouté A______ SA de ses conclusions en mainlevée définitive prises à l'encontre de B______ SA (chiffre 1 du dispositif), laissé les frais judiciaires, arrêtés à 400 fr., à sa charge (ch. 2 et 3) et l'a condamnée à verser 2'891 fr. à sa partie adverse à titre de dépens (ch. 4).

En substance, le Tribunal a refusé, préalablement, de reconnaître la sentence arbitrale invoquée à titre de mainlevée au motif que les pièces produites, qui ne contenaient ni les originaux ni de copies certifiées conformes de la sentence arbitrale et de la clause compromissoire, mais que de simples copies, ne satisfaisaient pas aux exigences formelles de reconnaissance. Dite sentence ne valait en conséquence pas titre de mainlevée.

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 23 juin 2025, A______ SA recourt contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation.

Cela fait, elle conclut à ce que la sentence arbitrale rendue le 21 novembre, respectivement le 9 décembre 2024 soit préalablement reconnue en Suisse et au prononcé de la mainlevée dans la poursuite n° 1______ portant sur le montant de 23'971 fr. 40 avec suite d'intérêts. Subsidiairement, elle sollicite le renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.

A l'appui de son recours, elle produit une pièce nouvelle, à savoir une copie certifiée conforme de la sentence arbitrale n° 2______ du 9 décembre 2024 dont la reconnaissance est requise, établie par un notaire établi à C______ [Royaume-Uni].

b. Dans sa réponse, B______ SA conclut au rejet du recours et à l'irrecevabilité de la pièce nouvelle produite à son appui.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Par écriture du 12 août 2025, A______ SA a déposé une demande d'effet suspensif, laquelle a été rejetée par décision de la Cour du 21 août 2025.

e. Les parties ont été informées par avis du greffe du 22 août 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. Par sentence arbitrale n° n° 2______ du 21 novembre 2024, le Tribunal arbitral de The Grain and Feed Trade Association (GAFTA), sis à Londres, Royaume-Uni, a condamné B______ SA à verser à A______ SA la somme de 19'637.18 USD, avec intérêts à 5% dès le 8 juillet 2024, actualisés sur une base de trois mois, ainsi que des frais de procédure de 5'595 GBP, les intérêts sur le montant alloué devant être payés jusqu'à ce que le montant alloué soit payé dans son intégralité.

b. A la demande de A______ SA, le Tribunal arbitral a procédé à une correction de la sentence qui n'a cependant rien changé au dispositif ou aux montants alloués en faveur de celle-ci (sentence n° 2______ du 9 décembre 2024).

c. Le 10 décembre 2024, A______ SA a fait notifier à B______ SA un commandement de payer, poursuite n° 1______, pour la somme de 23'971 fr. 40 indiquant comme cause de l'obligation la décision du Tribunal arbitral "GAFTA-AWARD n° 2______, Invoice n° 3______".

B______ SA y a formé opposition.

d. Par acte du 13 janvier 2025, A______ SA a sollicité la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer précité avec suite de frais judiciaires et dépens.

A l'appui de sa requête, elle a produit une copie de la sentence arbitrale des 21 novembre et 9 décembre 2024, ainsi que de la clause d'arbitrage.

e. Lors de l'audience du 9 mai 2025 devant le Tribunal, A______ SA a persisté dans ses conclusions.

B______ SA a principalement conclu au rejet de la demande de mainlevée, avec suite de frais et dépens, faute de production par sa partie adverse de l'original ou d'une copie certifiée conforme de la sentence arbitrale et de la clause compromissoire.

Elle a versé au dossier un chargé de pièces, comprenant, notamment, une copie des documents de la procédure d'arbitrage.

A l’issue de l’audience, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC).

Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, compte tenu de l'application de la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC).

1.2 Interjeté en temps utile et selon la forme prévue par la loi, le recours est recevable.

1.3 La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).

1.4 En matière de recours, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

Dans l'hypothèse où l'exequatur d'un jugement étranger est requis dans une procédure contradictoire de mainlevée définitive (art. 81 al. 3 LP), comme en l'espèce, et non pas dans une procédure unilatérale et distincte de la poursuite, les allégations et moyens de preuve admissibles s'étendent déjà en première instance à tout ce qui est nécessaire pour vérifier les conditions matérielles de la reconnaissance et de l'exécution (arrêt du Tribunal fédéral 5A_441/2011 du 16 décembre 2011 consid. 4.2.1), de sorte qu'il n'y a pas lieu d'admettre des faits et moyens de preuve nouveaux en procédure de recours (arrêts du Tribunal fédéral 5A_899/2020 du 15 novembre 2021 consid. 2.2.2 ; 5A_818/2014 du 29 juillet 2015 consid. 4.1).

Au vu de cette règle, l’appelante devait produire tous les documents dont elle entendait se prévaloir devant le Tribunal. La pièce qu’elle produit, pour la première fois, en appel est un document nouveau établi par un notaire qui ne figurait pas au dossier de première instance. Par conséquent, cette pièce, nouvelle, est irrecevable.

1.5 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir refusé de reconnaître la sentence arbitrale étrangère au motif que les pièces produites ne répondaient pas aux exigences formelles de reconnaissance. Elle soutient que les copies de la sentence et de la clause arbitrale étaient suffisantes pour obtenir l'exequatur dans la mesure où ni l'authenticité de la clause arbitrale ni celle de la sentence n'était contestée.

2.1 Aux termes de l'art. 80 al. 1 LP, le créancier qui est au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition.

Une sentence arbitrale étrangère, si elle est au préalable déclarée exécutoire, est assimilée à un jugement et constitue un titre de mainlevée définitive (ATF
139 III 135 consid. 4.5.1; 130 III 125 consid. 2).

Le juge doit statuer à titre incident sur l'exequatur de la sentence arbitrale étrangère (ATF 143 III 404 consid. 5.2.1; 135 III 670 consid. 1.3.2), en appliquant la Convention conclue à New-York le 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (CNY, RS 0.277.12; ATF
135 III 136 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_441/2015 du 4 février 2016 consid. 1). Il doit procéder à un examen sommaire du droit et se fonder sur les faits rendus simplement vraisemblables. Le requérant doit rendre le cas de mainlevée vraisemblable et démontrer que, prima facie, aucune objection ne s'oppose à la reconnaissance et à l'exécution de la sentence (ATF 139 III 135 consid. 4.5.2).

2.1.1 Selon l'art. IV al. 1 let. a et b CNY, la partie qui demande la reconnaissance et l'exécution d'une sentence arbitrale étrangère doit fournir, en même temps que la demande, l'original dûment authentifié de la sentence ou une copie de cet original réunissant les conditions requises pour son authenticité et l'original de la convention par laquelle les parties se sont soumises à l'arbitrage, ou une copie réunissant les conditions requises pour son authenticité.

Selon la jurisprudence, il convient d'éviter tout formalisme excessif dans l'application de cette norme. Il convient de garder à l'esprit le but de la disposition qui est de fournir, par un moyen de preuve formel, la certitude que la décision est authentique et qu'elle a acquis force de chose jugée (ATF 138 III 520 consid. 4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_17/2022 du 4 août 2022 consid. 5.3.3 et 5A_344/2012 du 18 septembre 2012 consid. 4.3 s'agissant de l'art. 29 al. 1 let. a et b LDIP; Abbet, La mainlevée de l'opposition, 2ème éd., 2022, p. 102).

La jurisprudence et la doctrine admettent que l'absence de document original ou certifié conforme n'entraîne pas systématiquement le refus de l'exequatur (arrêts du Tribunal fédéral 5A_17/2022 du 4 août 2022 consid. 5.3.1 et les références citées, 5A_441/2015 du 4 février 2016 consid. 3.5; Abbet, op. cit, p. 102). La preuve littérale n'est, en effet, pas le seul moyen admissible pour établir la réalisation des conditions de la reconnaissance ou de l'exécution d'un jugement étranger (arrêts du Tribunal fédéral 5A_344/2012 du 18 septembre 2012 consid. 4.4; 5P_353/1991 du 24 avril 1992 consid. 3c non publié aux ATF 118 Ia 118).

En particulier, le comportement des parties peut, dans des circonstances particulières et conformément au principe de la bonne foi, pallier l'absence de forme (arrêt du Tribunal fédéral 5A_441/2015 du 4 février 2016 consid. 3.5). Le grief d'absence d'authentification de la clause compromissoire doit également être rejeté lorsque la partie qui s'en prévaut ne conteste pas l'authenticité de celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 5A_427/2011 du 10 octobre 2011 consid. 5 et les références citées). Il n'est pas non plus arbitraire de prononcer la mainlevée définitive de l'opposition sur la base d'une sentence arbitrale, bien que le créancier n'ait pas produit la convention d'arbitrage dont elle découle (ATF 130 III 125 consid. 2.1).

2.2 En l'espèce, la sentence arbitrale dont l'exequatur est sollicité à titre préjudiciel a été rendue par le Tribunal arbitral de la GAFTA, sis à Londres.

Il n'est pas contesté que la recourante n'a pas produit l'original ni une copie certifiée conforme de la sentence et de la clause d'arbitrage à l'appui de sa requête du 13 janvier 2025, mais de simples copies.

Cela étant, devant le Tribunal, l'intimée n'a formulé aucune objection quant à l'authenticité et au caractère complet de l'expédition versée par la recourante ni n'a mis en cause l'entrée en force de la décision étrangère. Elle ne le soulève pas davantage devant la Cour. Elle fait uniquement valoir que les pièces produites ne rempliraient pas les exigences formelles de la reconnaissance, faute d'être des originales ou des copies conformes.

Or, la jurisprudence rendue en la matière ne prévoit pas une application aussi stricte des règles formelles de reconnaissance que celle soutenue par l’intimée. Le but de la loi est d’obtenir la certitude que la décision dont la reconnaissance est requise est authentique et qu'elle a acquis force de chose jugée, ce qui peut découler d’autres pièces du dossier que la décision en elle-même, voire du comportement des parties.

En l’occurrence, selon les règles d'arbitrage convenues par les parties, toutes les communications adressées dans le cadre de la procédure arbitrale devaient être transmises par voie électronique, pour des motifs de célérité, et en application de ces règles, la sentence arbitrale a été notifiée aux parties par simple courrier électronique, ce qui n'est pas contesté. Les parties ont ainsi reconnu que la procédure menée sous forme électronique, qui n'aboutit pas à une décision sur papier en version originale, revêtait néanmoins un caractère officiel et authentique.

De plus, l'intimée a elle-même produit des titres lors de l'audience du 9 mai 2025 devant le Tribunal, comprenant notamment une copie de la clause d'arbitrage et de la sentence arbitrale dont le contenu est identique aux pièces produites par la recourante.

Il est ainsi rendu vraisemblable que la sentence arbitrale produite à l'appui de la requête en mainlevée revêt un caractère authentique, lequel n’est, au demeurant, pas contesté en tant que tel. Le simple fait que la décision étrangère ne soit pas produite en version originale ou certifiée conforme ne saurait suffire, dans le cas d’espèce, à faire échec à sa reconnaissance puisque l'authenticité peut, conformément à la jurisprudence applicable en la matière, résulter d'autres documents ainsi que du comportement des parties.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir le caractère authentique de la sentence arbitrale à la base de la requête de mainlevée. Contraindre la recourante à déposer une nouvelle requête aux seules fins d'attester un fait acquis constituerait, en l'occurrence, un formalisme excessif.

Le recours doit dès lors être admis.

Dans la mesure où les autres conditions de la mainlevée n'ont pas été examinées par l'autorité précédente et que celles-ci ne peuvent l'être pour la première fois devant l'instance de recours, qui dispose d'un pouvoir de cognition limité (art. 327 al. 3 let. a et b a contrario CPC), la cause sera renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision.

3. Lorsque l'autorité de recours statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC applicable par analogie; Jeandin, in Commentaire romand CPC, 2019, n° 9 ad art. 327 CPC).

3.1 La cause étant renvoyée au Tribunal, le sort des frais de première instance sera réglé dans la décision finale (art. 104 al. 1 CPC).

3.2 Les frais judiciaires de la procédure de recours seront arrêtés à 800 fr. au total, soit 200 fr. pour la décision rendue sur effet suspensif et à 600 fr. pour le présent arrêt (art. 48 et 61 OELP). Ils seront mis à hauteur de 200 fr à la charge de la recourante, qui succombe dans sa demande sur effet suspensif (art. 106 al. 1 CPC), et compensés avec la première avance du même montant qu'elle a fournie, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). Pour le surplus, ils seront mis à la charge de l'intimée, qui succombe au fond, à concurrence de 600 fr. La seconde avance de frais versée par la recourante lui sera restituée puisqu’elle obtient gain de cause au fond (art. 111 al. 1 CPC) et l’intimée sera condamnée à verser 600 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Vu l'issue du litige, l'intimée sera condamnée à verser à la recourante 2'500 fr., TVA et débours compris, à titre de dépens de recours (art. 84, 85, 87, 89 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 23 juin 2025 par A______ SA contre le jugement JTPI/7143/2025 rendu le 10 juin 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/733/2025–6 SML.

Au fond :

Annule le jugement entrepris.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais de la procédure de recours à 800 fr., les met à la charge de A______ SA à hauteur de 200 fr. ainsi qu’à la charge de B______ SA à hauteur de 600 fr. et dit qu’ils sont partiellement compensés avec les avances fournies par les parties.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA son avance de 600 fr.

Condamne B______ SA à verser 600 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire à titre de frais judiciaires de recours.

Condamne B______ SA à verser 2'500 fr. à A______ SA à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Barbara NEVEUX, greffière.

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.