Décisions | Sommaires
ACJC/943/2025 du 07.07.2025 sur JTPI/2677/2025 ( SFC ) , JUGE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/20382/2024 ACJC/943/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU LUNDI 7 JUILLET 2025 |
Entre
Madame A______, domiciliée ______, recourante contre un jugement rendu par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 février 2025, représentée par Me Christophe GAL, avocat, CG Partners, rue du Rhône 100, 1204 Genève,
et
B______, sise ______, intimée, représentée par Me Gabriel RAGGENBASS, avocat, OA Legal SA, place de Longemalle 1, 1204 Genève.
A. Par jugement JTPI/2677/2025 du 17 février 2025, reçu le 19 février 2025 par les parties, le Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal), statuant par voie de procédure sommaire, a rejeté la requête de faillite sans poursuite préalable déposée par A______ à l'encontre de [la régie immobilière] B______ (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 500 fr., les a compensés avec l'avance de frais fournie par A______ (ch. 2), les a laissés à la charge de cette dernière (ch. 3), l'a condamnée à verser 1'000 fr. à B______ au titre des dépens (ch. 4) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).
B. a. Par acte expédié le 3 mars 2025 au greffe de la Cour de justice, A______ recourt contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut à ce que la Cour prononce la faillite de B______, avec suite de frais et dépens.
b. Dans sa réponse du 27 mars 2025, B______ conclut au rejet du recours, avec suite de frais et dépens.
c. Les parties ont répliqué et dupliqué les 10 et 24 avril 2025, persistant dans leurs conclusions respectives.
d. Elles se sont encore déterminées les 8 et 23 mai 2025.
e. Par avis du 26 mai 2025, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
f. Le 13 juin 2025, A______ a produit une pièce nouvelle. B______ a déposé une détermination spontanée le 26 juin 2025.
C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure:
a. A______ est propriétaire des immeubles sis rue 1______ no. ______ et rue 2______ no. ______ à Genève.
Elle est administratrice unique de la société C______ SA, active notamment dans le domaine de la location d'appartements. Son mari, D______, était directeur de cette société jusqu'en mai 2007.
b. B______, dont le siège est à Genève, a notamment pour but social la prestation de services en matière de location, gérance, commerce et construction de biens immobiliers.
E______ en est son administrateur unique, avec signature individuelle.
c. A______ allègue être liée depuis 2009 à B______ par un contrat non écrit portant sur la gestion d'une partie des appartements et locaux commerciaux situés dans les immeubles susmentionnés.
d. Entendu le 14 mai 2013 par la police en qualité de personne amenée à donner des renseignements dans une procédure étrangère à la présente cause, E______ a expliqué que B______ gérait, parmi d'autres, les immeubles situés no. ______, rue 2______ et no. ______, rue 1______. Les locaux situés dans ceux-ci étaient loués en partie à des artistes de cabaret et des prostituées qui payaient leur loyer en espèces. Il récoltait lesdits loyers et les remettait en cash à D______, lequel intervenait comme directeur de la société C______ SA, administrée par A______. D______ lui donnait en échange un reçu daté et signé. Environ 15'000 fr. cash par semaine étaient ainsi remis à D______.
e. Dans le courant de l'année 2021, B______ n'a plus versé régulièrement les montants dus à A______.
f.a Le 21 janvier 2022, A______ a mis B______ en demeure de lui verser les loyers en retard en 296'001 fr. au 31 décembre 2021 ainsi que les loyers dus de 66'000 fr. par mois pour 2022. Ces derniers devaient être payés sur son compte bancaire auprès de la banque F______.
f.b B______ a versé 16'000 fr. à A______ les 19 janvier, 28 janvier et 10 février 2022, avec la mention "avance loyers".
f.c Le 10 février 2022 A______, constatant que sa précédente mise en demeure n'avait pas été suivie d'effets, en a réitéré les termes.
f.d En février 2022, D______ a relancé plusieurs fois E______ au sujet des arriérés de paiement par messages WhatsApp. Ce dernier n'a pas contesté devoir les sommes réclamées, se limitant à répondre qu'il allait payer prochainement.
g. Par courrier du 3 mars 2022, A______ a résilié avec effet au 31 mars 2022 le mandat de gestion la liant à B______. Le mandat était repris par la régie G______, à qui tous les documents nécessaires devaient être transmis. Les montants encore dus devaient être versés sur le compte bancaire dont cette dernière lui transmettrait les coordonnées.
h. Il résulte de la procédure que certains des appartements litigieux ont été loués au H______ [Administration cantonale], qui a consigné les loyers dans le courant de l'année 2022.
i. B______ soutient qu'elle est au bénéfice de contrats de baux sur les appartements situés dans les immeubles précités, qu'elle allègue sous-louer. Elle a refusé de restituer la gérance des immeubles.
Dans ce cadre, elle a notamment fait savoir, le 28 avril 2022, à l'un des locataires des locaux litigieux, à savoir le I______ CLUB, qu'elle était en litige avec A______ et qu'il incombait à la locataire de continuer à s'acquitter du loyer en ses mains, en non en mains de A______.
j. Les parties sont depuis en conflit, notamment sur la question de la qualification du contrat les liant ainsi que sur l'existence d'une créance compensatrice que fait valoir B______ à l'encontre de A______.
k. Outre une plainte pénale, A______ a introduit une procédure civile en octobre 2022 afin d'obtenir la restitution des montants indument perçus et des immeubles (C/3______/2022), tandis que B______ a introduit une procédure devant le Tribunal des baux et loyers, suspendue jusqu'à droit jugé définitif dans la cause susévoquée.
l. A______ a fait notifier à B______ trois commandements de payer les montants suivants:
- 560'000 fr. pour des sommes dues jusqu'à la semaine 17 de l'année 2022 (poursuite n° 4______);
- 48'000 fr. pour celles dues entre les semaines 18 et 20 de l'année 2022 (poursuite N° 5______);
- 1'538'793 fr. 20 pour les sommes dues entre les semaines 21 de l'année 2022 et 14 de l'année 2024 (poursuite N° 6______).
B______ y a formé opposition.
m. Le 27 août 2024, A______ a déposé par devant le Tribunal une requête de faillite sans poursuite préalable à l'encontre de B______.
Elle a allégué être titulaire d'une créance composée des loyers que B______ ne lui avait plus reversés depuis février 2022, dont le montant s'élevait en dernier lieu à 16'000 fr. par semaine, puis à 12'674 fr. 35 depuis qu'elle avait récupéré certains de ses appartements. Sa créance était de 228'138 fr. 30 pour les loyers à compter du 8 avril 2024 (semaine 15 de l'année 2024), laquelle n'avait pas fait l'objet de poursuites.
Elle a produit des décomptes de loyers pour les deux immeubles précités, signés d'une signature illisible, pour les années 2012 à 2020. Il en ressort qu'à compter de l'année 2018, les loyers mensuels nets s'élevaient à 55'633 fr. 36 pour l'immeuble sis rue 1______ no. ______ et à 10'366 fr. 75 pour celui sis rue 2______ no. ______.
n. Lors de l'audience du 11 novembre 2024, B______ a conclu au rejet de la requête, avec suite de frais et dépens.
Elle a notamment allégué être au bénéfice d'une créance qu'elle opposait en compensation aux prétentions de sa partie adverse. Pour étayer cette allégation, elle a produit quatre réquisitions de poursuites des 31 octobre et 6 novembre 2024, par lesquelles elle a fait valoir, à l'encontre de A______, des créances de 432'327 fr. 50 pour les "charges des communs, électricité des 9 appartements, productions d'eau chaude sanitaire dès 01.01.2013 à 31.12.2022", 629'805 fr. 70 pour les "charges du bâtiment, factures SIG, factures des communs; travaux de rénovations et d'aménagements des 45 studios", 1'448'040 fr. pour les "avances sur les loyers trop perçus de 01_01_2011 à 31_01_2023" et 43'019 fr. 75 pour des "prestations de ménage et produits d'entretiens […]".
Elle a en outre fourni des décomptes établis par ses soins à l'appui des trois premières créances et des échanges WhatApp et des tickets de caisse illisibles à l'appui de la quatrième.
o.a Selon l'extrait du registre des poursuites au 6 mars 2025, et sans tenir compte des poursuites engagées par A______, B______ fait l'objet de 29 poursuites pendantes depuis 2022, pour des montants totalisant plus de 324'490 fr., somme à laquelle s'ajoutent 64'928 fr. 36 au titre de 13 actes de défaut de biens non éteints. Deux de ces poursuites sont au stade de la commination de faillite. De nombreuses poursuites émanent de créanciers de droit public notamment de la Caisse de compensation J______, la Fondation de prévoyance K______ et de l'Administration fiscale.
B______ a soldé deux poursuites, les 24 septembre et 30 octobre 2024 en réglant respectivement 1'118 fr. 60 et 1'378 fr. 65 à l'Office des poursuites. La première de ces poursuites n'est pas incluse dans le décompte précité.
o.b B______ a produit, à l'appui de ses allégations selon lesquelles elle n'a pas suspendu ses paiements, des quittances relatives au paiement des salaires de quatre employés, entre mai et août 2024, à hauteur de 20'735 fr. par mois et d'un employé, en septembre et octobre 2024, à hauteur de 4'832 fr. par mois.
Elle a en outre fourni une attestation de L______, "gérant associé" de la société M______ SARL, laquelle expose ce qui suit : "Les documents fournis par les assurances sociales J______, ainsi que notre analyse interne, indiquent que la société dispose de la capacité financière nécessaire pour répondre à ses obligations, à condition que le déblocage de ses fonds soit effectué rapidement. Il n'y a donc aujourd'hui pas de surendettement (…) si on tient compte du dernier jugement en sa faveur et des créances que la société détient contre des tiers". Cette attestation contient un "résumé sommaire", lequel fait état "d'avoirs" en 405'000 fr. au titre de "loyers séquestrés du H______" et en 60'000 fr. au titre d'"APG pour Directeur" suite à un accident intervenu en 2023. Les dettes sont chiffrées à 316'973 fr. au titre d'arriérés de cotisations AVS, de salaires et d'assurances. Le rédacteur de ce document précise que les poursuites engagées par A______ ne sont pas fondées, contrairement à celles déposées par B______.
Cette attestation n'est étayée par aucun document comptable.
B______ a également produit divers récépissés de paiement, notamment pour des factures d'électricité - dont certaines font l'objet d'un paiement échelonné -, de téléphone, de quincaillerie et de loyer pour d'autres appartements.
p. La cause a été gardée à juger par le Tribunal à une date qui ne résulte pas du dossier.
1. 1.1 L'appel étant irrecevable dans les affaires relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 CPC), seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a CPC; art. 174 LP, par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP).
1.2 Formé selon la forme et dans le délai prévus par la loi (art. 142 al. 3 et 321 al. 1et 2 CPC), le recours est recevable en l'espèce.
La pièce déposée par la recourante le 13 juin 2025 et l'écriture de l'intimée du 26 juin 2025 sont par contre irrecevables, car elles ont été produites après la date à laquelle la cause a été gardée à juger.
1.3 La procédure sommaire est applicable (art. 251 let. a CPC) et le juge établit les faits d'office (maxime inquisitoire, art. 255 let. a CPC).
2. Le Tribunal a retenu que la recourante n'avait pas établi sa qualité de créancière, puisqu'aucun des titres produits ne portait la signature de l'intimée et qu'elle n'avait pas fourni de documents qui, pris isolément ou dans leur ensemble, constitueraient une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP.
La recourante fait valoir qu'il n'est pas nécessaire que le créancier dispose d'une reconnaissante de dette au sens de l'art. 82 LP pour obtenir le prononcé de la faillite sans poursuite préalable, puisqu'il suffit qu'il rende sa créance vraisemblable. Tel était le cas en l'espèce, car il était établi que l'intimée lui avait régulièrement remis des montants en espèces en lien avec les immeubles litigieux. Il existait donc une relation contractuelle entre les parties, dont la qualification pouvait demeurer indécise, que l'intimée ne contestait pas. Cette dernière conservait l'usage des appartements de la recourante et était tenue de s'acquitter d'une rémunération en échange. Les prétendues créances compensatoires invoquées par l'intimée n'étaient pas rendues vraisemblables.
2.1.1 Selon l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP, le créancier peut requérir la faillite sans poursuite préalable si le débiteur sujet à la poursuite par voie de faillite a suspendu ses paiements.
Celui qui requiert la faillite sans poursuite préalable selon l'art. 190 al. 1 LP doit rendre vraisemblable sa qualité de créancier. La loi exige la simple vraisemblance, et non une vraisemblance qualifiée. Il suffit ainsi que l'autorité, se fondant sur des éléments objectifs, acquière l'impression que les faits pertinents se sont produits, mais sans qu'elle doive exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement. La légitimation pour requérir la faillite appartient au créancier même si sa créance n'est pas encore exigible à la date du dépôt de la requête. La situation du créancier qui requiert l'ouverture de la faillite sans poursuite préalable est analogue à celle du créancier qui requiert un séquestre. Il s'ensuit que le débiteur peut contester que l'existence de la créance ait été rendue vraisemblable, en particulier qu'elle soit née valablement. A cette fin, il doit rendre immédiatement vraisemblable sa libération. L'allégation insuffisamment prouvée d'une créance compensante ne suffit en effet pas à remettre en cause la qualité de créancier du requérant d'une faillite sans poursuite préalable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_341/2021 du 24 juin 2021 consid. 4.1).
2.1.2 Le motif de la faillite posé à l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP, soit la suspension des paiements, est une notion juridique indéterminée qui accorde au juge un large pouvoir d'appréciation. Pour qu'il y ait suspension de paiements, il faut que le débiteur ne paie pas des dettes incontestées et exigibles, laisse les poursuites se multiplier contre lui, tout en faisant systématiquement opposition, ou omette de s'acquitter même des dettes minimes; il n'est cependant pas nécessaire que le débiteur interrompe tous ses paiements; il suffit que le refus de payer porte sur une partie essentielle de ses activités commerciales. La suspension des paiements ne doit pas être de nature simplement temporaire, mais doit avoir un horizon indéterminé (ATF 137 III 460 consid. 3.4.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_198/2025 du 14 avril 2025 consid. 3.1; 5A_264/2020 du 18 juin 2020 consid. 4.1.1).
Le non-paiement de créances de droit public peut constituer un indice de suspension des paiements. Il n'est en tout cas pas arbitraire de conclure à la suspension des paiements lorsqu'il est établi que le débiteur a, sur une certaine durée, effectué ses paiements quasi exclusivement en faveur de ses créanciers privés et qu'il a ainsi suspendu ses paiements vis-à-vis d'une certaine catégorie de créanciers, à savoir ceux qui ne peuvent requérir la faillite par la voie ordinaire (art. 43 ch. 1 aLP). Le but de la loi n'est en effet pas de permettre à un débiteur d'échapper indéfiniment à la faillite uniquement grâce à la favorisation permanente des créanciers privés au détriment de ceux de droit public (arrêts du Tribunal fédéral 5A_264/2020 du 18 juin 2020 consid. 4.1.1; 5A_720/2008 du 3 décembre 2008 consid. 4).
2.2.1 En l'espèce, il est établi que les parties ont été liées par un contrat, dont seule la qualification est litigieuse, en vertu duquel l'intimée versait régulièrement des loyers à la recourante en lien avec l'usage des appartements dont celle-ci est propriétaire. Il n'est pas contesté que l'intimée conserve à ce jour la possession de ces appartements, sans verser à la recourante un quelconque montant en contrepartie depuis mi-février 2022. L'intimée ne soutient pas qu'elle serait en droit d'occuper les locaux à titre gratuit, mais estime détenir une créance à l'encontre de la recourante, supérieure à la sienne.
La créance alléguée par la recourante de 2'374'931 fr. 20 - dont 228'138 fr. 30 ne font l'objet d'aucune poursuite - correspond aux loyers qu'elle n'a plus perçu de l'intimée depuis début 2022, calculé sur la base des derniers loyers versés de 16'000 fr., ramenés à 12'674 fr. 35 à compter de 2024, déduction faite des loyers relatifs aux appartements qu'elle allègue avoir récupérés fin 2023.
Outre le fait que l'intimée n'a pas contesté ces montants en première instance, ceux-ci ont été rendus vraisemblables par les décomptes de loyers concernant les appartements établis pour la période de 2012 à 2020, qui attestent de ce que les loyers mensuels nets étaient de 66'000 fr. à compter de 2018, soit de 16'500 fr. par semaine. Les éléments du dossier permettent de retenir que ces décomptes ont bien été établis par l'intimée et que les montants qui y figurent ont été versés à la recourante. L'intimée n'a d'ailleurs pas contesté en être à l'origine en première instance ni n'avoir versé les montants indiqués.
Le fait que la signature qui y figure soit illisible n'est pas déterminant.
Ce qui précède est de plus corroboré par les déclarations faites par l'administrateur de l'intimée lors de son audition par la police en 2013, par les relevés bancaires de la recourante attestant de trois versements de l'intimée de 16'000 fr. chacun les 19 janvier, 28 janvier et 10 février 2022 avec la mention "avance loyer" ainsi que par la teneur des messages WhatsApp échangés entre l'administrateur de l'intimée et D______ en février 2022.
L'intimée ne conteste pas que l'appelante a récupéré certains appartements et que le montant résiduel des loyers relatifs aux appartements dont elle a encore l'usage à ce jour s'élève à 12'674 fr. 35 par semaine, selon les décomptes précités. Le montant de 228'138 fr. 30, correspondant au loyer hebdomadaire de 12'674 fr. 35 pour la période de 18 semaines entre la dernière poursuite et l'introduction de la requête, a donc été rendu suffisamment vraisemblable.
En tout état de cause, s'agissant d'une faillite sans poursuite préalable, le requérant doit uniquement justifier de sa qualité de créancier, sans qu'il soit nécessaire de déterminer le montant exact de sa créance.
Reste à examiner la question de savoir si cette créance est éteinte par une contre-créance de l'intimée. Celle-ci allègue que sa partie adverse lui doit 2'553'192 fr. 95. Elle étaie ses affirmations par quatre réquisitions de poursuite datées du 31 octobre et du 6 novembre 2024, pour des montants de 432'327 fr. 50, 629'805 fr. 70, 1'448'040 fr. et 43'019 fr. 75 et par des tableaux confectionnés par ses soins.
Ces documents, qui valent uniquement comme allégués de partie, n'ont aucune force probante, de sorte qu'ils ne rendent pas vraisemblables les créances alléguées par l'intimée.
S'agissant de la dernière créance invoquée de 43'019 fr. 75, il n'est pas utile d'examiner si les pièces produites suffisent à la rendre vraisemblable, dès lors qu'elle est largement inférieure à celle de la recourante. En tout état de cause, les échanges WhatsApp produits par l'intimée sur ce point ne sont pas concluants, pas plus que les tickets de caisse, qui sont illisibles.
Au vu de ce qui précède, la qualité de créancière de la recourante a été rendue vraisemblable. Le fait que celle-ci ne dispose pas d'une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP n'est quant à lui pas déterminant, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal.
2.2.2 Il convient d'examiner si l'intimée a suspendu ses paiements, au sens de l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP.
Il ressort de l'extrait des poursuites de l'intimée que, sans compter les créances de la recourante, l'intimée a des dettes pour plus de 389'418 fr. et qu'elle laisse les poursuites se multiplier contre elle depuis 2022. Elle ne paie pas ses créanciers de droit public et fait l'objet de deux comminations de faillite, ce qui constitue des indices de suspension des paiements. Les treize actes de défaut de biens délivrés à son encontre confirment de plus que ces difficultés ne sont pas uniquement passagères et que la situation financière de l'intimée est durablement obérée.
Les arguments invoqués par l'intimée sur cette question ne sont pas convaincants. Aucun élément du dossier ne permet de retenir que ses difficultés seraient dues à une consignation injustifiée de loyers par le H______.
Le fait que l'intimée ait payé certains de ses employés n'est pas non plus déterminant car l'on ignore si tous les employés ont été payés. Leurs charges sociales ne le sont probablement pas, puisque la Caisse AVS a dû engager des poursuites à l'encontre de l'intimée en 2023, 2024 et 2025. Le fait qu'elle s'acquitte de certaines factures par paiements échelonnés confirme de plus que l'intimée est en manque de liquidités.
Le paiement de certaines factures courantes et de deux poursuites en 1'118 fr. 60 et 1'378 fr. 65, ne suffit pas non plus à considérer que l'intimée n'a pas suspendu ses paiements au sens de la jurisprudence, puisqu'il n'est pas nécessaire que le débiteur interrompe tous ses paiements.
L'attestation non datée établie par la fiduciaire M______ SARL n'a quant à elle aucune force probante. Elle est imprécise et peu claire et n'est accompagnée d'aucun document comptable. A cela s'ajoute que, même à suivre la fiduciaire, la solvabilité de l'intimée est subordonnée à la condition que les loyers consignés par le H______ soient débloqués rapidement. Or, aucun élément du dossier ne permet de retenir que tel sera le cas.
Au vu de ce qui précède, il doit être considéré que l'intimée a suspendu ses paiements au sens de l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP.
2.2.3 Pour le surplus, l'intimée, société anonyme inscrite au Registre du commerce, est sujette à la poursuite par voie de faillite (art. 39 al. 1 ch. 8 LP), ce qui n'est pas contesté.
Les conditions de la faillite sans poursuite préalable sont donc remplies.
Le jugement attaqué sera par conséquent annulé et la faillite de l'intimée prononcée avec effet au jour du prononcé du présent arrêt, à 12h00 (art. 327 al. 3 let. b CPC).
3. Les frais judiciaires et dépens des deux instances seront mis à la charge l'intimée, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC).
La quotité des frais fixés par le Tribunal n'est, à juste titre, pas contestée et sera confirmée. L'intimée sera par conséquent condamnée à verser 500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de frais judiciaires de première instance et 1'000 fr. à la recourante à titre de dépens de première instance. L'avance de frais de 500 fr. effectuée par la recourante lui sera restituée (art. 111 al. 1 CPC).
Les frais judiciaires de recours seront fixés à 750 fr. (art. 52 et 61 OELP). L'intimée sera condamnée à verser ce montant à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire. L'avance de 750 fr. fournie par la recourante lui sera restituée (art. 111 al. 1 CPC). Les dépens de recours seront quant à eux arrêtés à 1'000 fr., débours et TVA compris (art. 84, 85, 89 et 90 RTFMC, art. 23, 25 et 26 LaCC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 3 mars 2025 par A______ contre le jugement JTPI/2677/2025 rendu le 17 février 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/20382/2024–19 SFC.
Au fond :
Annule ce jugement et, statuant à nouveau:
Prononce la faillite sans poursuite préalable de B______ avec effet au jour du prononcé du présent arrêt à 12h00.
Arrête les frais judiciaires de première instance à 500 fr. et les met à la charge de B______.
Condamne B______ à verser 500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer l'avance de frais de 500 fr. à A______.
Condamne B______ à verser 1'000 fr. à A______ à titre de dépens de première instance.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires de recours à 750 fr. et les met à la charge de B______.
Condamne B______ à verser 750 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer l'avance de frais de 750 fr. à A______.
Condamne B______ à verser 1'000 fr. à A______ à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.
Le président : Laurent RIEBEN |
| La greffière : Mélanie DE RESENDE PEREIRA |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.