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C/947/2024

ACJC/1434/2024 du 13.11.2024 sur JTPI/7847/2024 ( SML ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/947/2024 ACJC/1434/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 13 NOVEMBRE 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______, recourante contre un jugement rendu par la 5ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 18 juin 2024, représentée par
Me Mauro POGGIA, avocat, Etude Mont-de-Sion 8, rue du Mont-de-Sion 8,
1206 Genève,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Julien WAEBER, avocat, Waeber Penet Avocats, quai Gustave-Ador 2, 1207 Genève.

 

 

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/7847/2024 du 18 juin 2024, notifié aux parties le 21 juin 2024, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a rejeté la requête de mainlevée provisoire de l'opposition formée par B______ au commandement de payer dans la poursuite n° 1______ (ch. 1 du dispositif), laissé les frais judiciaires – arrêtés à 750 fr. – à la charge de A______ SA, compensé ces frais avec l'avance de même montant fournie par celle-ci (ch. 2), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B.            a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 27 juin 2024, A______ SA forme un recours contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation.

Principalement, elle conclut au prononcé de la mainlevée de l'opposition formée dans la poursuite n° 1______, à hauteur de 70'000 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2022, de 22'500 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er octobre 2023, de 22'500 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er novembre 2023 et de 22'500 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2023, avec suite de frais judiciaires et dépens.

Elle produit un bordereau de pièces dont certaines n'ont pas été soumises au Tribunal, parmi lesquelles figurent un extrait de site web (pièce 2), deux extraits du Registre du commerce (pièces 3 et 5) et un courriel du 15 août 2022 (pièce 10).

b. Dans sa réponse, B______ conclut à l'irrecevabilité des faits et moyens de preuve nouveaux invoqués par A______ SA, ainsi qu'au rejet du recours, avec suite de frais judiciaires et dépens.

c. Les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger par plis du greffe du 19 août 2024.

C.           Les faits pertinents suivants résultent du dossier de première instance:

a. A______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, active dans l'immobilier.

b. C______ SA et D______ SA sont des sociétés anonymes inscrites au Registre du commerce genevois, administrées par B______, lequel dispose dans chacune d'elle d'une signature individuelle.

La première a pour but l'exploitation et la gestion d'établissements publics tels que restaurants, cafés, hôtels, snack-bars, bars à café, tea-rooms ou entreprises analogues. La seconde a pour but l'acquisition, la détention, la gestion, l'administration et la réalisation de participations dans tous types d'entreprises, en Suisse et à l'étranger.

c. En novembre 2022, A______ SA, en qualité de bailleresse, et C______ SA, en qualité de locataire, agissant « avec le concours aux fins de garantie de D______ SA et B______ (les garants) », se sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur des locaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble sis no. ______, route 2______ à Genève, soit les locaux de l'ancien établissement public exploité à l'enseigne « E______ », les locaux anciennement affectés à l'appartement adjacent de 4.5 pièces, ainsi que des locaux techniques au sous-sol.

d. Le bail a été conclu jusqu'au 31 décembre 2028.

e. Le loyer mensuel était fixé à 10% du chiffre d'affaires réalisé par C______ SA, avec un minimum de 22'500 fr. du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2027, puis un minimum de 27'500 fr., payable par trimestre d'avance.

La locataire reconnaissait que la valeur des aménagements et agencements dont elle disposait s'élevait à 550'000 fr., dont elle avait déjà versé 200'000 fr. Elle s'engageait à verser un solde de 350'000 fr. au plus tard le 30 novembre 2022 (article 7 ch. 2 du contrat).

f. L'article 16 du contrat de bail précisait que B______ et D______ SA contresignaient le bail "uniquement en qualité de garants".

Le bail a été soumis au droit suisse, les tribunaux genevois étant exclusivement compétents en cas de litige.

g. Le 4 janvier 2024, A______ SA a fait notifier à B______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, pour les sommes suivantes:

-          70'000 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2022, au titre de "Obligation à titre de garant, selon article 7 chiffre 2 du contrat de bail à ferme du 30 novembre 2022";

-          22'500 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er octobre 2023, au titre du "loyer d'octobre 2023. Garant selon contrat de bail à ferme du 30 novembre 2022";

-          22'500 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 1er novembre 2023, au titre du "loyer de novembre 2023. Garant selon contrat de bail à ferme du 30 novembre 2022";

-          22'500 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 1er décembre 2023, au titre du "loyer de décembre 2023. Garant selon contrat de bail à ferme du 30 novembre 2022".

h. B______ a formé opposition à ce commandement de payer

i. Par acte du 17 janvier 2024, A______ SA a requis du Tribunal la mainlevée de provisoire de cette opposition.

Elle a notamment allégué que les loyers déduits en poursuite n'avaient pas été payés par la locataire et qu'il subsistait un solde de 70'000 fr sur la somme due en vertu de l'art. 7 ch. 2 du contrat de bail. Elle a qualifié la garantie donnée par B______ de porte-fort au sens de l'art. 111 CO.

j. A l'audience du Tribunal du 24 mai 2024, B______ a conclu au rejet de la requête, au motif que son engagement devait être qualifié de cautionnement, conformément à la législation applicable, et que ce cautionnement était nul, faute d'avoir été passé en la forme authentique et avec le consentement écrit de son épouse.

A______ SA a persisté dans les conclusions de sa requête, faisant valoir que le contrat avait été longuement négocié et qu'elle avait elle-même exigé que B______ se porte garant. Les dispositions relatives à la protection des locataires de logements étaient au surplus inapplicables, dès lors qu'il s'agissait d'un bail commercial.

k. A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

D.           Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que l'engagement du poursuivi en qualité de garant ne pouvait pas constituer un porte-fort, dès lors que cette forme de garantie était exclue en matière de bail par la législation genevoise. Un engagement en qualité de caution, seul admissible en théorie, n'était en l'espèce pas davantage valable, faute de respecter les exigences de formes applicables. Partant, le contrat de bail invoqué comme titre ne valait pas reconnaissance de dette du poursuivi et la requête de mainlevée devait être rejetée.

EN DROIT

1.             1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC).

Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire.

1.2 Interjeté en l'espèce dans le délai et selon la forme prescrits par la loi (art. 130, 131 et 142 al. 1 CPC), le recours est recevable.

Dans le cadre d'un recours, l'autorité a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait (art. 320 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2307).

Le recours étant instruit en procédure sommaire, la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 58 al. 1 et 255 let. a a contrario CPC).

2.             La recourante produit devant la Cour plusieurs pièces non soumises au Tribunal, dont la recevabilité est contestée.

2.1 Les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables dans une procédure de recours (art. 326 al. 1 CPC).

2.1.1 Une partie doit pouvoir toutefois articuler des nova en procédure de recours lorsqu'ils résultent de la décision attaquée (ATF 139 III 466 consid. 3.4; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 7 ad art. 326 CPC). Ainsi, l'exception prévue par l'art. 99 al. 1 LTF, qui vise les faits et moyens de preuve qui ont été rendus pertinents par la décision de l'autorité précédente elle-même, s'applique dans le cadre d'un recours (ATF 139 III 466 consid. 3.4). Il s'agit par exemple d'un problème de régularité de la procédure devant l'instance précédente ou de date de la notification de la décision attaquée ou encore de faits qui sont propres à contrer une argumentation de l'autorité précédente objectivement imprévisible pour les parties avant la réception de la décision. Le recourant qui entend se prévaloir de cette exception doit démontrer en quoi les conditions en sont remplies (arrêts du Tribunal fédéral 4A_421/2016 du 13 décembre 2016 consid. 4; 5A_904/2015 du 29 septembre 2016 consid. 2.3 non publié in ATF 142 III 617).

2.1.2 Les faits notoires ne doivent être ni allégués ni prouvés (art. 151 CPC). Pour être notoire, un renseignement ne doit pas être constamment présent à l'esprit; il suffit qu'il puisse être contrôlé par des publications accessibles à chacun (ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1). En ce qui concerne internet, seules les informations bénéficiant d'une empreinte officielle (par ex: Office fédéral de la statistique, inscriptions au Registre du commerce, cours de change, horaire de train des CFF, etc.) peuvent être considérées comme notoires, car facilement accessibles et provenant de sources non controversées (ATF 143 IV cité consid. 1.2).

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles produites par la recourante ont trait aux activités des différentes parties au contrat de bail litigieux, en vue d'établir les circonstances dans lesquelles ledit contrat a été conclu et les intentions que pouvaient avoir les parties à cette occasion, notamment au sujet de l'engagement de l'intimé en qualité de garant.

On ne voit cependant pas en quoi ces moyens de preuve et les faits auxquels ils se rapportent auraient été rendus pertinents par la décision entreprise, au sens des principes rappelés ci-dessus. Il incombait en effet à la recourante d'invoquer d'emblée dans sa requête tous les faits et moyens de preuve justifiant selon elle de prononcer la mainlevée requise. Le seul fait que la décision entreprise ait débouté la recourante de ses conclusions, fût-ce pour des motifs invoqués par sa partie adverse, ne rend pas celle-ci imprévisible et ne constitue pas une circonstance nouvelle, l'autorisant à compléter son argumentation au stade du recours. Si le contenu des extraits du Registre du commerce produits peut certes être considéré comme notoire, conformément aux principes rappelés ci-dessus, tel n'est pas le cas de celui des autres pièces nouvelles produites, y compris les extraits de sites internet publiquement accessibles.

Par conséquent, les pièces en question sont irrecevables.

3.             La recourante reproche tout d'abord au Tribunal d'avoir retenu que seul un engagement de l'intimé en qualité de caution était en principe admissible et qu'un tel engagement faisait défaut en l'espèce, faute de respecter les exigences de forme applicable. Elle soutient que l'intimé se serait valablement engagé envers elle en qualité de porte-fort, au vu notamment de la nature du bail litigieux, qu'elle qualifie de bail à ferme.

3.1 Conformément à l'art. 82 al. 1 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire.

La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces (Urkundenprozess), dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire. Le juge de la mainlevée provisoire examine seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle – et non la validité de la créance – et lui attribue force exécutoire si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblables ses moyens libératoires (ATF 145 III 160 consid. 5.1 et la référence; arrêt du Tribunal fédéral 5A_272/2022 du 4 août 2022 consid. 6.1.2 et les références).

3.1.1 Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP, en particulier, l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi ou son représentant, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 145 III 20 consid. 4.1.1; 139 III 297 consid. 2.3.1 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 5A_595/2021 du 14 janvier 2022 consid. 6.2.1). Elle peut résulter du rapprochement de plusieurs pièces, dans la mesure où les éléments nécessaires en résultent (ATF 139 III 297 consid. 2.3.1; 136 III 627 consid. 2 et la référence; arrêt du Tribunal fédéral 5A_595/2021 du 14 janvier 2022 consid. 6.2.1).

Un contrat écrit justifie en principe la mainlevée provisoire de l'opposition pour la somme d'argent incombant au poursuivi lorsque les conditions d'exigibilité de la dette sont établies et, en particulier dans les contrats bilatéraux, lorsque le poursuivant prouve avoir exécuté les prestations dont dépend l'exigibilité (ATF 145 III 20 précité consid. 4.1.1 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 5A_39/2023 du 24 février 2023 consid. 5.2.3).

3.1.2 Le contrat de bail vaut reconnaissance de dette dans la poursuite en recouvrement du loyer dûment et des frais accessoires convenus et chiffrés. Si le bail est signé par plusieurs colocataires, ceux-ci répondent solidairement de la totalité du montant du loyer (Veuillet/Abbet, La mainlevée de l'opposition, 2022, n. 160 ad art. 82 LP).

La loi permet aux parties de renforcer la position du créancier en prévoyant des sûretés. Cette notion n'est pas définie par la loi. Il s'agit de l'ensemble des relations juridiques qui offrent une garantie au créancier pour l'exécution de la créance qu'il a, aura ou pourrait avoir à l'encontre d'un débiteur. On distingue les sûretés réelles et les sûretés personnelles. Par cette dernière catégorie, on entend l'engagement d'un tiers de garantir au créancier l'exécution de l'obligation du débiteur. La loi nomme expressément deux sûretés personnelles, le porte-fort et le cautionnement. Il ne s'agit cependant pas d'un numerus clausus et l'on peut trouver d'autres formes de sûretés personnelles en pratique, notamment l'engagement solidaire, respectivement la reprise de dette (Bohnet/Jeannin, Codébiteurs solidaires et tiers garants en droit du bail, 20ème séminaire sur le droit du bail, 2018, n. 4 à 8).

3.1.3 Selon l'art. 257e al. 4 CO, le législateur cantonal peut exclure certaines formes de garanties ou en fixer les modalités (Bohnet/Jeannin, op. cit., n. 34).

Selon l'art.1 de la Loi genevoise du 18 avril 1975 protégeant les garanties fournies par les locataires (LGFL, RS GE I 4 10), toute garantie en espèces ou en valeurs fournie en faveur d'un bailleur par un locataire ou par une tierce personne au profit d'un locataire doit être constituée sous la forme d'un dépôt bloqué auprès de la caisse de consignation de l'Etat ou dans un établissement bancaire reconnu comme office de consignation au sens de l'art. 633 al. 3 CO (al. 1). Le recours au cautionnement simple est, toutefois, autorisé pour les baux à usage d'habitation, à la demande du locataire. Ce dernier peut en tout temps se mettre au bénéfice de l'alinéa 1 (al. 2). Le recours au cautionnement simple ou solidaire est autorisé pour les baux à usage exclusivement commercial (al. 3).

Selon la jurisprudence de la Chambre d'appel en matière de baux et loyers, l'art. 1 LGFL exclut toutes formes de garanties données par le locataire et des tiers en faveur d'un bailleur autres que les deux formes de garanties mentionnées, à savoir celles en espèce ou en valeurs fournies par le locataire lui-même ou par une tierce personne, ainsi que le recours au cautionnement simple, car seul ce dernier permet au locataire d'opposer ses droits découlant du contrat de bail (cf. ACJC/908/1998 du 7 septembre 1998 consid. 7).

Cette jurisprudence genevoise n'a pas fait l'objet d'une contestation devant le Tribunal fédéral. Toutefois, ce dernier a considéré que l'art. 6 al. 2 AMSL, dont la teneur était quasiment identique à celle de l'art. 257e al. 4 CO, permettait aux cantons d'édicter des dispositions complémentaires non seulement en ce qui concerne les sûretés fournies en espèces ou sous forme de papiers-valeurs, mais également pour les autres formes de sûretés (cf. ATF 102 Ia 372 consid. 3), de sorte que la jurisprudence suvsisée paraît difficilement contestable (Bohnet/ Jeannin, op. cit., n. 40 et 59).

3.1.4 Le bail à ferme est un contrat par lequel le bailleur s'oblige à céder au fermier, moyennant un fermage, l'usage d'un bien ou d'un droit productif et à lui en laisser percevoir les fruits ou les produits (art. 275 CO).

En vertu de l'art. 253b al. 1 CO, les dispositions sur la protection contre les loyers abusifs (art. 269ss CO) s'appliquent par analogie aux baux à ferme non agricoles et aux autres contrats qui visent principalement la cession à titre onéreux de l'usage d'habitations ou de locaux commerciaux.

Bien que la loi ne prévoie pas de semblable application analogique de l'art. 257e CO concernant les sûretés fournies par le locataire, ni de l'art. 254 CO relatif aux transactions couplées ou de l'art. 257b CO qui définit les frais accessoires, il faut admettre que ces dispositions s'appliquent également aux baux à ferme portant sur des habitations ou des locaux commerciaux. Cela vaut aussi pour les éventuelles dispositions complémentaires édictées par les cantons en vertu de l'art. 257e al. 4 CO. En effet, l'absence de mention de ces dispositions dans la partie du code consacrée au bail à ferme procède d'un simple oubli du législateur et ne constitue donc pas un silence qualifié (Nussbaumer/Roncoroni in Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd., 2021, n. 6 et 10 ad intro aux art. 275-304 CO).

3.2 En l'espèce, le contrat de bail invoqué comme titre de mainlevée porte sur la mise à disposition de locaux commerciaux. L'intimé s'y est engagé aux côtés de la locataire "uniquement en qualité de garant", à teneur expresse dudit contrat.

Conformément aux dispositions et principes rappelés-ci-dessus, la garantie de l'intimé, de nature personnelle, ne peut a priori constituer qu'un porte-fort ou un cautionnement. Dans le premier cas, dont la recourante soutient qu'il serait réalisé, il doit être rappelé qu'un porte-fort ne peut pas valablement garantir les obligations d'un locataire de locaux commerciaux, au regard de la législation genevoise édictée en application de l'art. 257e al. 4 CO et de la jurisprudence rendue à ce sujet (cf. consid. 3.1.3 ci-dessus).

3.2.1 A ce propos, c'est en vain que la recourante conteste la validité de cette législation et son application par les juridictions genevoises. Contrairement à ce qu'elle soutient, dans le porte-fort, le promettant (in casu l'intimé) ne peut pas se prévaloir des exceptions que le tiers (in casu la locataire) pourrait opposer au bénéficiaire (in casu la recourante), sauf circonstances particulières qui ne sont pas réalisées en l'espèce (soit la demeure de la bailleresse d'accepter les prestations de la locataire, un défaut de paiement de la locataire imputable à une faute de la bailleresse, ou l'existence de dispositions contractuelles permettant au garant de se prévaloir des objections et exceptions que la locataire pourrait opposer à la bailleresse; sur ces questions, cf. Tevini in Commentaire romand, Code des obligations I, n. 15 ad art. 111 CO). Seul le cautionnement permet à la caution de se prévaloir de telles exceptions (cf. art. 502 al. 1 CO), ce qui protège le locataire et justifie que cette seule forme de garantie soit admise en la matière.

La compétence du législateur genevois, en vertu de l'art. 257e al. 4 CO, de réglementer et de limiter les formes de garanties susceptibles d'être fournies, en matière de baux d'habitation et de locaux commerciaux, non seulement en espèces ou papiers-valeurs, mais également à titre personnel, n'a par ailleurs pas été remise en cause par le Tribunal fédéral ni par la doctrine à ce jour, conformément aux principes rappelés sous consid. 3.1.3 ci-dessus. Au surplus, il n'appartient pas au juge de la mainlevée, dont le pouvoir d'examen est limité, de revoir le bien-fondé de la législation cantonale en vigueur et de la jurisprudence rendue de longue date sur celle-ci par le juge du fond. Partant, le grief doit être écarté.

3.2.2 C'est également en vain que la recourante conteste que l'art. 257e CO, et les dispositions de la LGFL édictées sur la base de cette disposition, soient applicables aux baux à ferme, dont relèverait selon elle le contrat litigieux. A supposer qu'une telle qualification doive être retenue – question qui peut demeurer indécise –, il ressort des principes rappelés ci-dessus que l'absence d'un renvoi formel à l'art. 257e CO dans la réglementation relative au bail à ferme procède d'une omission du législateur et que la disposition précitée, comme celles relatives à la protection contre les loyers abusifs, demeure applicable par analogie aux baux à ferme, dès lors qu'elle vise elle aussi la protection des locataires. La recourante n'apporte pas d'élément susceptible de remettre en cause ce qui précède; l'arrêt du Tribunal fédéral 4C_43/2000 du 21 mai 2001 auquel elle se réfère a certes pour objet la distinction entre bail à ferme et bail ordinaire, mais ne se prononce pas sur l'application par analogie de certaines dispositions du bail à loyer, notamment celles poursuivant un but de protection des locataires, aux contrats de bail à ferme.

Par conséquent le grief doit également être écarté, étant là encore observé qu'il n'incombe pas au juge de la mainlevée de trancher définitivement de délicates questions de qualification du contrat invoqué comme titre de mainlevée, ni de revoir une application analogique de dispositions jusque-là admise en doctrine.

3.3 Au vu des motifs qui précèdent, c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que l'engagement de l'intimé en qualité de garant selon le contrat litigieux ne pouvait pas valoir titre de mainlevée s'il constituait un porte-fort, comme le soutenait la recourante, dès lors qu'une telle forme de garantie est prohibée en cas de bail de logements ou de locaux commerciaux. Point n'est besoin de déterminer si le bail litigieux constituait en réalité un bail à ferme non agricole, puisque les dispositions prohibant le recours au porte-fort seraient également applicables en pareil cas.

La recourante ne conteste par ailleurs pas que dans la branche de l'alternative restante, soit celle où l'engagement de l'intimé constituerait un cautionnement, un tel engagement ne serait en l'espèce pas davantage valable, faute de respecter les exigences de forme applicables à ce contrat (forme authentique et consentement écrit du conjoint).

Partant, comme retenu par le premier juge, la recourante ne dispose pas d'un titre de mainlevée valable à l'encontre de l'intimé.

Il reste à examiner si ce dernier abuse de son droit en s'opposant au prononcé de la mainlevée requise, comme le soutient la recourante.

4.             Dans un moyen subsidiaire, la recourante fait valoir que l'invocation par l'intimé de la nullité formelle de la clause de garantie prévue dans le contrat de bail constituerait une violation des règles de la bonne foi.

4.1 A teneur de l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. Cette règle permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste. Le juge apprécie la question au regard des circonstances concrètes. Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 143 III 279 consid. 3.1; 135 III 162 consid. 3.3.1 et les arrêts cités).

Il y a notamment abus de droit lorsqu'une institution juridique est utilisée à des fins étrangères au but même de la disposition légale qui la consacre, c'est-à-dire quand elle est invoquée pour servir des intérêts qu'elle ne veut précisément pas protéger (ATF 138 III 401 consid. 2.4.1; 137 III 625 consid. 4.3; 135 III 162 consid. 3.3.1). L'exercice d'un droit peut également être abusif s'il contredit un comportement antérieur, qui avait suscité des attentes légitimes chez l'autre partie (venire contra factum proprium; ATF 130 III 113 consid. 4.2, JdT 2004 I 296).

L'abus de droit doit être admis restrictivement, comme l'exprime l'adjectif "manifeste" utilisé dans le texte légal (ATF 143 III 279 consid. 3.1; 135 III 162 consid. 3.3.1 et les arrêts cités). Il incombe à la partie qui se prévaut d'un abus de droit d'établir les circonstances particulières qui autorisent à retenir cette exception (ATF 134 III 52 consid. 2.1 in fine et les arrêts cités).

4.2 En l'espèce, la recourante soutient que l'intimé aurait certainement su, ou n'aurait pu raisonnablement ignorer, lors de la conclusion du bail litigieux, que son engagement en qualité de garant serait éventuellement invalide à la forme et qu'il aurait signé ledit bail avec l'intention de se prévaloir au besoin de ce motif pour se soustraire à ses obligations.

Les allégations de la recourante selon lesquelles l'intimé serait rompu aux affaires et posséderait des compétences étendues dans les domaines de l'immobilier, des baux et des garanties, en particulier à Genève, ne sont toutefois pas vérifiées par les pièces admises à la procédure. Le contenu de ces allégations ne peut davantage être tenu pour notoire, au sens des principes rappelés ci-dessus. Le fait qu'à teneur des pièces susvisées, l'intimé soit administrateur de deux sociétés, dont l'une est active dans la restauration et l'autre dans la gestion de participations, ne suffit notamment pas à démontrer la réalité des intentions que lui prête la recourante en relation avec la conclusion du bail litigieux, ni la mauvaise foi de celui-ci.

Contrairement à ce que soutient la recourante, il n'est pas non plus établi que ce soit le recourant qui ait proposé de s'engager en qualité de garant aux côtés de la locataire de la manière dont il l'a fait, ni que la rédaction du contrat de bail sur ce point doive lui être imputée. Devant le Tribunal, le représentant de la recourante a au contraire exposé que la recourante avait elle-même exigé que l'intimé se porte garant. Sachant que selon ce même représentant, le contrat a été longuement négocié, il apparait qu'il incombait à la recourante de s'assurer que l'engagement pris par l'intimé pour satisfaire ses propres exigences était valable, et qu'elle a disposé du temps et des moyens nécessaires pour ce faire.

Il n'y a ainsi pas lieu de retenir que l'intimé reviendrait aujourd'hui abusivement sur son engagement de garant, celui-ci ayant pu de bonne foi s'en remettre à l'appréciation de la recourante quant à la validité de la garantie qu'il lui était demandé de fournir. En cela, le cas d'espèce se distingue de ceux où une personne physique accepte de s'engager à titre principal, en qualité de colocataire, aux côtés d'une autre personne, physique ou morale, pour lui permettre de se voir attribuer un logement ou un local commercial, puis soutient que son engagement est un cautionnement déguisé et invalide, ce qui peut heurter la conception de la bonne foi et ne doit pas être admis à la légère (cf. Lachat/Stastny, Les garanties fournies par le locataire, in Le bail à loyer, 2019, pp. 95 et 430).

4.3 Pour ces motifs, le moyen tiré de l'abus de droit doit également être écarté, de sorte que c'est à bon droit que le Tribunal a refusé de prononcer la mainlevée requise au vu de l'invalidité du titre produit.

Le recours sera donc rejeté.

5.             Les frais judicaires du recours seront arrêtés à 1'125 fr. (art. 48 et 61 OELP) et mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par celle-ci, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

La recourante sera également condamnée à verser à l'intimée la somme de 1'200 fr. à titre de dépens de recours (art. 84, 85, 88 à 90 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 27 juin 2024 par A______ SA contre le jugement JTPI/7847/2024 rendu le 18 juin 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/947/2024-5 SML.

Au fond :

Rejette le recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'125 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance de frais de même montant fournie par celle-ci, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à payer à B______ la somme de 1'200 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

La présidente :

Pauline ERARD

 

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.