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C/16439/2023

ACJC/864/2024 du 26.06.2024 sur OTPI/89/2024 ( SP ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16439/2023 ACJC/864/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 26 JUIN 2024

Entre

A______ SA, sise ______, recourante contre une ordonnance rendue par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 31 janvier 2024, représentée par Me Michel D'ALESSANDRI, avocat, Budin & Associés, rue De-Candolle 17, case postale 166, 1211 Genève 12,

et

Madame B______, domiciliée ______, Madame C______, domiciliée ______,
Madame D______, domiciliée ______, Madame E______, domiciliée ______,
Monsieur F______, domicilié ______, Monsieur G______, domicilié ______,
Madame H______, domiciliée ______, Madame I______, domiciliée ______,
Monsieur J______, domicilié ______, Monsieur K______, domicilié ______,
Madame L______, domiciliée ______, Madame M______, domiciliée ______,
Madame N______, domiciliée ______,

intimés, représentés par Me Alain MAUNOIR, avocat, Mentha Avocats, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12.


EN FAIT

A. Par ordonnance du 31 janvier 2024, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, a rejeté la requête en inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs formée par A______ SA (ch. 1 du dispositif), révoqué l'ordonnance sur mesures superprovisionnelles rendue le 9 août 2023 dans la cause C/16439/2023 (ch. 2), dit que les chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance ne seraient exécutoires qu'après expiration du délai d'appel de l'article 314 al. 1 CPC et, en cas d'appel, pour autant que l'effet suspensif n'ait pas été accordé (ch. 3), arrêté les frais judiciaires à 3'000 fr. (ch. 4), mis ceux-ci à la charge de A______ SA, compensés avec l’avance de frais qu'elle avait fournie (ch. 5), condamné A______ SA à verser à B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______ et N______, solidairement, la somme de 9'000 fr. à titre de dépens (ch. 6) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 7).

B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 12 février 2024,A______ SA a formé appel contre cette ordonnance. Elle a conclu à son annulation et, cela fait, à ce qu'il soit ordonné au Conservateur du registre foncier de procéder à l'inscription provisoire des hypothèques légales qu'elle avait requises, et dont elle donne le détail, le tout avec suite de frais.

A______ SA a également conclu à l'octroi de l'effet suspensif à son appel, lequel a été admis par arrêt de la Cour du 21 février 2024, en ce sens que l'inscription au Registre foncier opérée à titre provisoire par ordonnance de mesures superprovisionnelles du Tribunal du 9 août 2023 devait demeurer en vigueur jusqu'à droit jugé sur l'appel.

Elle a enfin sollicité qu'en cas de rejet de son appel, l'inscription provisoire soit maintenue jusqu'à l'expiration du délai de recours de l'art. 100 LTF et, en cas de recours, pour autant que l'effet suspensif n'ait pas été accordé.

b. Dans leur réponse à l'appel, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______ et N______ ont conclu au rejet de l'appel, à la confirmation de l'ordonnance attaquée, à la révocation de l'ordonnance sur mesures superprovisionnelles du 9 août 2023 et à la radiation immédiate de toutes les hypothèques légales inscrites, le tout avec suite de frais.

c. A______ SA a répliqué, persistant dans ses conclusions.

Les intimés n'ont pas dupliqué.

d. Le 28 mars 2024, les parties ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. A______ SA, ayant son siège à Genève, a pour but toutes activités dans le domaine immobilier.

b.a La parcelle n° 1______ de la commune de O______ [GE] est divisée en propriété par étages et comporte plusieurs propriétaires ou copropriétaires :

-     B______ est propriétaire de la parcelle n° 1______/2______, représentant 71/1000 de la copropriété ;

-     C______ est propriétaire de la parcelle n° 1______/3______, représentant 72/1000 de la copropriété;

-     D______ est propriétaire de la parcelle n° 1______/4______, représentant 94/1000 de la copropriété;

-     E______ et F______ sont copropriétaires de la parcelle n° 1______/5______ (parcelles n° 1______/5______-1 et n° 1______/5______-2), représentant 115/1000 de la copropriété;

-     G______ est propriétaire de la parcelle n° 1______/6______, représentant 80/1000 de la copropriété;

-     H______ est propriétaire de la parcelle n° 1______/7______, représentant 92/1000 de la copropriété;

-     I______ et J______ sont copropriétaires de la parcelle n° 1______/8______ (parcelles n° 1______/8______-1 et n° 1______/8______-2), représentant 81/1000 de la copropriété;

-     K______ est propriétaire de la parcelle n° 1______/9______, représentant 88/1000 de la copropriété;

-     L______ est propriétaire des parcelles n° 1______/10______ et n° 1______/11______, représentant respectivement 77/1000 et 4/1000 de la copropriété;

-     M______ est propriétaire de la parcelle n° 1______/12______, représentant 88/1000 de la copropriété;

-     N______ est propriétaire de la parcelle n° 1______/13______, représentant 77/1000 de la copropriété.

b.b La parcelle n° 14______ est propriété de P______ et Q______, R______, S______, T______ SNC et de U______ et V______.

b.c La parcelle n° 15______ est propriété de W______.

c. Dans le courant de l'année 2019, respectivement 2020, dans le cadre d'une promotion immobilière réalisée par X______ SA sur la parcelle n° 1______ portant sur deux habitats groupés de logements et aménagements extérieurs, A______ SA a conclu, avec chaque copropriétaire, un contrat d'entreprise générale portant sur la construction d'un appartement.

Les plans ont été établis par Y______ SA. La construction était au bénéfice de l'autorisation de construire DD 16______-1 et de l'autorisation de démolir M 17______/1.

Selon les contrats, le prix était forfaitaire, "y compris renchérissement". Tous travaux, options ou modifications du projet que l'entrepreneur général était appelé à effectuer à la demande du maître d'ouvrage, en dehors des prestations du descriptif technique comprises dans le prix forfaitaire, devaient être exécutés après approbation écrite du maître d'ouvrage du délai supplémentaire s'il y avait lieu et du prix complémentaire.

Les contrats prévoyaient aussi que les travaux débuteraient en octobre 2019 et s'achèveraient vingt et un mois plus tard.

d. Les travaux de terrassement ont débuté le 1er juin 2020.

e. Par courrier du 13 janvier 2023, A______ SA a indiqué aux copropriétaires que les plans d'autorisations de démolir, de construire, les plans contractuels remis, ainsi que le terrain, étaient défectueux. Par ailleurs, les voisins n'avaient pas donné leur accord à certains travaux nécessaires aux constructions projetées. Ces problématiques avaient engendré des travaux et démarches supplémentaires et conduit à un important décalage du planning d'exécution des travaux.

e.a Selon A______ SA, les travaux supplémentaires concernaient:

-     l'élargissement du chemin d'accès (283'560 fr. 32),

-     le renforcement du mur de la parcelle n° 14______ (130'308 fr. 50),

-     la mise en conformité de la rampe d'accès au parking et l'empiètement d'arbres sis sur la parcelle n° 18______ (1'066'093 fr. 83),

-     la mise en place d'une paroi cloutée dans le sous-sol de la parcelle n° 15______ (113'203 fr. 12);

-     la pose d'un bassin de rétention (54'598 fr. 66).

A______ SA a réclamé aux copropriétaires le paiement de ces frais supplémentaires, s'élevant à 1'364'204 fr. 11, déduction faite de la somme de 283'560 fr. 32 relative au chemin d'accès, prise en charge à bien plaire par elle.

e.b A______ SA a en outre réclamé le paiement de travaux supplémentaires entrainés par la pollution du terrain (117'861 fr. 34).

e.c Le coût de l'ouvrage avait en outre augmenté, selon elle, de 575'162 fr. en raison de circonstances extraordinaires (conflit ukrainien, crise énergétique et pandémie), compte tenu de l'augmentation de 7,8% pour la Suisse romande selon l'indice des prix de la construction publié par l'Office fédéral de la statistique (hausse de référence du mois d'avril 2022 par rapport à avril 2021).

e.d A______ SA a requis le paiement de ces sommes en fonction des millièmes des lots des différents copropriétaires.

Elle a précisé qu'en raison de ces travaux, l'échéance des travaux prévue le 1er mars 2022 était reportée au mois d'avril 2023.

f. Par courrier du 21 mars 2023, les copropriétaires ont intégralement contesté les prétentions de A______ SA, exposant que cette dernière avait vérifié, validé et repris, sous sa propre responsabilité, les documents et plans de l'architecte ainsi que les autorisations de construire et de démolir. Par ailleurs, les contrats d'entreprise prévoyaient un prix forfaitaire, incluant le renchérissement. Enfin, aucun avis ne leur avait été notifié.

g. Le 11 avril 2023, A______ SA a envoyé sa facture finale aux copropriétaires, comprenant notamment les frais supplémentaires listés dans son courrier du 13 janvier 2023.

h. Les copropriétaires ont refusé de s'acquitter de ces frais supplémentaires et un échange de courriers entre les avocats des parties s'en est suivi.

i. Les appartements ont été réceptionnés dans le courant des mois d'avril et de mai 2023.

j. Par acte adressé au Tribunal de première instance le 9 août 2023, A______ SA a formé une requête en inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, à titre superprovisionnel et provisionnel, et conclu, avec suite de frais, à ce que le Tribunal ordonne l'inscription provisoire d'une hypothèque légale, avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mars 2023, à concurrence de :

-     146'063 fr. 10 sur la parcelle n° 1______/2______;

-     148'120 fr. 37 sur la parcelle n° 1______/3______;

-     193'379 fr. 38 sur la parcelle n° 1______/4______;

-     236'581 fr. 15 sur la parcelle n° 1______/5______;

-     164'578 fr. 19 sur la parcelle n° 1______/6______;

-     189'264 fr. 92 sur la parcelle n° 1______/7______;

-     166'635 fr. 42 sur la parcelle n° 1______/8______;

-     181'036 fr. 01 sur la parcelle n° 1______/9______;

-     158'406 fr. 51 sur la parcelle n° 1______/10______;

-     181'036 fr. 01 sur la parcelle n° 1______/12______;

-     158'406 fr. 51 sur la parcelle n° 1______/13______;

-     8'228 fr. 90 sur la parcelle n° 1______/11______.

A______ SA a en outre conclu, à titre provisionnel, à ce qu'elle soit dispensée de fournir des sûretés, à ce que lui soit fixé un délai pour faire valoir son droit en justice et à ce qu'en cas de rejet, l'inscription soit maintenue pendant vingt jours afin de lui permettre, le cas échéant, d'obtenir l'effet suspensif de l'autorité de recours.

A l'appui de ses conclusions, portant sur le paiement des sommes réclamées dans son courrier du 13 janvier 2023, elle a produit :

-     S'agissant des travaux de renforcement du mur situé sur la parcelle n° 14______ (130'308 fr. 50) : une facture de 5'141 fr. 35 du bureau d'ingénieurs Z______ SA du 17 février 2021, une offre complémentaire de 9'500 fr. HT de AA______ SA du 17 février 2020 et une offre de AB______ SA du 15 juin 2020 contenant une note manuscrite indiquant "TOTAL RENFORCEMENT MUR T______" pour un montant de 76'693 fr. HT.

-     S'agissant des travaux relatifs à la rampe d'accès (1'066'093 fr. 83) : des lettres de commandes et offres complémentaires de l'entreprise AB______ SA, des courriers de l'entreprise AC______ SA intitulés "estimations des hausses" et "devis"; des factures de AD______ SA pour transport de matériel, location de surfaces et déchargement, des devis et une soumission de AE______ SA, des notes d'honoraires de AF______, des offres complémentaires établies par AA______ SA, des factures de Z______ SA, AG______ SA et AH______ SA, des devis de AI______, AJ______ SA et AK______, des factures du SERVICE DE L'ESPACE PUBLIC DE LA VILLE DE GENEVE pour "chantier, fouille", de AL______ pour la location d'une cabine, des SIG et de AM______ SA.

Sur certains documents, des sommes sont encadrées en rouge (soit 84'933 fr. 50, 55'788 fr. 60, 309'766 fr. 43, 32'342 fr. 45, 126'109 fr., 61'667 fr. 85, 32'766 fr. 10, 9'531 fr. 45, 7'000 fr. 50, 9'046 fr. 80, 9'423 fr. 75, 7'727 fr. 50, 3'747 fr. 95, 6'190 fr., 1'526 fr. 65, 12'454 fr. 85, 5'438 fr. 85, 15'481 fr. 87, 2'907 fr. 90, 12'285 fr., 12'285 fr., 6'505 fr. 08, 5'167 fr. 05, 4'658 fr. 10, 1'486 fr. 25 et 3'105 fr. 35).

-     Concernant la paroi cloutée (113'203 fr. 12) : des factures de Z______ SA, de respectivement 4'631 fr. 10, 5'735 fr. 40, 24'483 fr. 45 et 3'123 fr. 30, notamment intitulées "relevé complémentaire parcelle 15______" et "paroi berlinoise – surveillance: Parcelle 14______", une facture de AN______ SA, AO______ de 11'540 fr. 05 pour des mesures inclinométriques, une offre complémentaire de AA______ SA de 29'000 fr. mentionnant notamment le "soutènement amont sous propriété AP______: remplacement paroi clouée par paroi berlinoise" et une offre complémentaire de AB______ SA, mentionnant la "réalisation d'inclinomètres parcelle AP______" pour 19'600 fr.

-     Concernant le bassin de rétention (54'598 fr. 66) : une offre complémentaire de AB______ SA du 3 mars 2022 faisant notamment état d'un montant de 40'000fr. HT pour "fourniture et pose d'un bassin de rétention (…)".

-     Concernant la pollution du terrain (117'861 fr. 34) : un courrier de A______ SA réclamant à X______ SA le paiement de cette somme, auquel était annexé un "devis n° 1" se référant à deux factures [du bureau d'ingénieurs] AS______ des 28 février 2021 et 8 novembre 2021 de, respectivement, 12'759 fr. TTC et 3'161 fr. TTC et une facture de AB______ SA du 1er juin 2022 de 83'962 fr. 25 pour "plus-value sur prestations de base pour évacuation en décharge type B ou E" ainsi qu'un courrier de X______ SA refusant de prendre ces frais à sa charge.

-     Concernant les coûts supplémentaires liés à la guerre en Ukraine et au Covid-19 (575'162 fr.) : un tableau établi par A______ SA détaillant le calcul de la somme de 575'162 fr., soit une addition des "montants considérés sur la période supplémentaire", auquel un pourcentage de 7,8% était appliqué, un courrier de A______ SA informant un propriétaire de ce qu'en raison du conflit en Ukraine et de la crise sanitaire, des problèmes de livraison étaient envisagés et de ce que l'entreprise, ne pouvant plus s'engager sur des prix fermes, se réservait le droit d'appliquer des renchérissements, un courrier adressé par AB______ SA à A______ SA ayant en substance la même teneur, des communiqués de AQ______ SA et AR______ SA relatifs à des ajustements tarifaires, et une "estimation des hausses" envoyée par AC______ SA.

La requête comporte un allégué relatif à la description de chacun des postes pour lesquels une somme est réclamée (la rampe, la paroi cloutée, etc.; allégués 43 à 46, 49 et 52), qui ne détaille pas le calcul y relatif mais renvoie à la "pièce 25" produite, soit un classeur entier qui contient les documents précités.

k. Par ordonnance du 9 août 2023, le Tribunal a fait droit à la requête à titre superprovisionnel.

l. Le 11 septembre 2023, A______ SA a adressé au Tribunal l'attestation de dépôt de l'inscription provisoire des hypothèques légales établie par le registre foncier.

m. Dans leurs déterminations écrites du 11 septembre 2023, les copropriétaires ont conclu, avec suite de frais, principalement, au déboutement de A______ SA et à la radiation des hypothèques inscrites et, subsidiairement, à la réduction desdites hypothèques aux montants strictement conformes aux exigences et critères d'application des articles 837 à 839 CC.

Ils ont en substance repris les arguments contenus dans leur courrier du 21 mars 2023, indiquant notamment ne jamais avoir été informés des travaux supplémentaires et, a fortiori, ne les avoir ni commandés ni approuvés. Ils ont aussi exposé que les montants figurant sur les pièces produites, ayant parfois trait à des prestations d'ingénieurs ou d'architectes, ne correspondaient pas aux sommes réclamées et souligné que ces travaux avaient été achevés plus de quatre mois avant la réquisition d'inscription des hypothèques légales.

n. Le 28 septembre 2023, A______ SA a déposé des déterminations sur les allégués des copropriétaires. Elle y a notamment indiqué, dans sa partie en droit, avoir avisé par écrit les copropriétaires des travaux supplémentaires.

o. Par courrier du 11 octobre 2023, les copropriétaires se sont déterminés sur les écritures de A______ SA du 28 septembre 2023.

p. Le 23 octobre 2023, A______ SA s'est déterminée sur le courrier des copropriétaires du 11 octobre 2023.

q. La cause a été gardée à juger le 7 novembre 2023.

r. Dans son ordonnance du 31 janvier 2024, le Tribunal a considéré que A______ SA n'avait pas suffisamment allégué les éléments permettant de déterminer les travaux réalisés, leur existence, leur coût et l'existence du gage, notamment le respect du délai pour en requérir l'inscription depuis la fin du chantier. Le genre des prestations réalisées par A______ SA n'était pas décrit, ni illustré par des pièces telles que des procès-verbaux de chantier ou photographies, la nécessité de réaliser les travaux supplémentaires litigieux ou l'accord des propriétaires avec leur exécution n'étaient pas rendus vraisemblables et le montant des hypothèques légales dont l'inscription était requise n'était pas détaillé de sorte qu'il n'était pas possible de le vérifier sur la base des pièces produites.

Le Tribunal a également relevé qu'une partie des travaux avait été vraisemblablement effectuée sur d'autres parcelles que celles visées par la requête et que certains coûts ayant été introduits dans les montants des hypothèques requises concernaient des prestations d'ingénieurs et de transports, ainsi que la fourniture d'énergie et de services, toutes prestations exclues du droit de gage.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC), lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

La voie de l'appel est dès lors ouverte en l'espèce.

1.2 L'appel a été introduit en temps utile, selon la forme prescrite par la loi (art. 311 al. 1 CPC). Il est donc recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2. L'appelante soutient que les conditions pour le prononcé des hypothèques légales sont réunies. Elle conteste, dans son appel, le jugement en tant qu'il a considéré que la nécessité et la réalisation des travaux n'étaient pas attestées et s'attache à rendre vraisemblable ses prétentions en relation avec en particulier les travaux de renforcement du mur mitoyen, les travaux relatifs au bassin de rétention, les travaux concernant des questions de pollution et les circonstances extraordinaires de renchérissement des prix.

2.1
2.1.1
L'art. 837 al. 1 ch. 3 CC prévoit un droit à l'inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs. L'inscription peut être requise dès le moment de la conclusion du contrat (art. 839 al. 1 CC; arrêt du Tribunal fédéral
5A_630/2021 du 26 novembre 2021 consid. 3.3.2.4) et doit être obtenue, à savoir opérée au registre foncier, au plus tard dans les quatre mois qui suivent l'achèvement des travaux (art. 839 al. 2 CC). Il s'agit d'un délai de péremption qui ne peut être ni suspendu ni interrompu, mais il peut être sauvegardé par l'annotation d'une inscription provisoire (ATF 137 III 563 consid. 3.3; 126 III 462 consid. 2c/aa; arrêts du Tribunal fédéral 5A_630/2021 précité loc. cit.; 5A_518/2020 du 22 octobre 2020 consid. 3.1 et les autres références).

2.1.2 Conformément à l'art. 961 al. 3 CC, le juge statue - en procédure sommaire (art. 249 let. d ch. 5 CPC) - sur la requête et autorise l'inscription provisoire si le droit allégué lui paraît exister. Il statue sur la base de la simple vraisemblance, sans qu'il faille se montrer trop exigeant quant à l'existence du droit allégué. Selon la jurisprudence, vu la brièveté et l'effet péremptoire du délai de l'art. 839 al. 2 CC, l'inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ne peut être refusée que si l'existence du droit à l'inscription définitive du gage immobilier paraît exclue ou hautement invraisemblable. En présence d'une situation de fait ou de droit mal élucidée méritant un examen plus ample que celui auquel il peut être procédé dans le cadre d'une instruction sommaire, il convient bien plutôt de laisser au juge de l'action au fond le soin de décider si le droit à l'hypothèque doit en définitive être admis (ATF 102 Ia 81 consid. 2b/bb; 86 I 265 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_822/2022 du 14 mars 2023 consid. 4.2; 5A_280/2021 du 17 juin 2022 consid. 3.1, publié in RSPC 2023 p. 97; 5A_1047/2020 du 4 août 2021 consid. 3.1). Il en résulte qu'à moins que le droit à la constitution de l'hypothèque n'existe clairement pas, le juge qui en est requis doit ordonner l'inscription provisoire (ATF 102 Ia 81 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_658/2023 du 17 janvier 2024 consid. 4.1).

2.1.3 Un fait est rendu vraisemblable si le juge, en se basant sur des éléments objectifs, a l'impression que le fait invoqué s'est produit, sans pour autant devoir exclure la possibilité qu'il ait pu se dérouler autrement (ATF 140 III 610 consid. 4.1; 132 III 715 consid. 3.1).

2.1.4 A teneur de l'art. 373 CO, lorsque le prix a été fixé à forfait, l'entrepreneur est tenu d'exécuter l'ouvrage pour la somme fixée, et il ne peut réclamer aucune augmentation, même si l'ouvrage a exigé plus de travail ou de dépenses que ce qui avait été prévu (al. 1). A l'inverse, le maître est tenu de payer le prix intégral, même si l'ouvrage a exigé moins de travail que ce qui avait été prévu (al. 3). Le prix ferme fixe ainsi une limite tant minimale que maximale à la rémunération de l'entrepreneur (arrêt du Tribunal fédéral 4A_458/2016 du 29 mars 2017 consid. 6.1 et les références citées). Il sera dû indépendamment des coûts effectifs de réalisation de l'ouvrage, des quantités effectivement fournies et des dépenses engagées (arrêt du Tribunal fédéral 4C.90/2005 du 22 juin 2005 consid. 3.2). L'art. 59 SIA 118 prévoit un correctif similaire.

2.1.5 L'art. 373 al. 2 CO prévoit toutefois un correctif tiré des règles de la bonne foi, lorsque surgissent des circonstances imprévisibles, ou des circonstances que les parties ont exclues de leurs prévisions sur la base d'une (fausse) représentation commune. En effet, lorsque l'exécution de l'ouvrage est empêchée ou rendue difficile à l'excès par des circonstances extraordinaires, impossibles à prévoir ou exclues par les prévisions qu'ont admises les parties, le juge peut, en vertu de son pouvoir d'appréciation, accorder soit une augmentation du prix stipulé, soit la résiliation du contrat.

Il faut que des circonstances extraordinaires se manifestant après la conclusion du contrat aggravent à l'excès le fardeau de l'exécution du contrat pour l'entrepreneur, en lui occasionnant des frais supplémentaires excessifs. Ces circonstances "renchérissantes" peuvent prendre diverses formes; elles entravent parfois l'exécution de l'ouvrage en tant que telle, mais pas nécessairement. L'entrepreneur doit par exemple fournir un supplément de travail, d'instruments de travail ou de matériel, ou encore affronter des variations monétaires qui renchérissent les matériaux achetés à l'étranger. La disproportion entre la prestation de l'entrepreneur et la rémunération convenue est si manifeste que les règles de la bonne foi imposent de corriger le contrat pour atténuer le déséquilibre induit par ces circonstances nouvelles (ATF 104 II 314; cf. aussi 58 II 422 spéc. p. 423; arrêt du Tribunal fédéral 4A_156/2018 du 24 septembre 2019 consid. 4.2.2).

La loi assimile à des circonstances imprévisibles les faits dont les deux parties, au moment de conclure le contrat, ont exclu l'existence ou la survenance ultérieure, en raison d'une fausse représentation commune. Ces circonstances, avec lesquelles les deux parties n'ont pas compté, peuvent déjà exister au moment de la conclusion du contrat (état géologique) ou se produire après (augmentation extraordinaire des salaires ou des matériaux; ATF 104 II 314 consid. b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_156/2018 du 24 septembre 2019 consid. 4.2.2).

L’entrepreneur a le devoir d’informer le maître dès que survient un fait nouveau. Il doit tout faire pour connaître rapidement la nature, l’ampleur et les conséquences du fait nouveau sur l’exécution de l’ouvrage (Chaix, Commentaire romand, Code des obligations I, 3ème éd., 2021, n. 26 ad art. 373 CO). L'entrepreneur est déchu du droit à l'augmentation du prix s'il exécute l'ouvrage et s'écarte consciemment de l'offre sans résilier le contrat ou sans exiger immédiatement l'adaptation des bases de calcul et du prix (ATF 116 II 315 consid. 3).

Comme c'est l'entrepreneur qui entend déduire un droit à une rémunération supplémentaire, c'est lui qui supporte le fardeau de la preuve de la modification de commande et des frais supplémentaires en résultant (arrêt du Tribunal fédéral 4C.23/2004 du 14 décembre 2004 consid. 4.1)

2.2
2.2.1
Le Tribunal a considéré que l'appelante n'avait produit aucun procès-verbal de chantier, photographie ou autre pièce permettant d'attester de la nécessité et de la réalisation des travaux supplémentaires litigieux qui dépassaient le cadre des contrats d'entreprise initialement signés.

Se référant à cette motivation, l'appelante indique dans son appel qu'elle avait conclu avec chacun des intimés un contrat d'entreprise générale qui la chargeait de l'intégralité des travaux, que la construction projetée était le fruit d'une promotion immobilière, que les plans avaient été élaborés par un bureau d'architecte pour le compte des intimés et qu'il était apparu, suite à la conclusion des contrats d'entreprise, que les différents plans étaient défectueux et que des voisins n'avaient pas donné leur accord à certains travaux nécessaires. Elle se réfère à cet égard à l'allégué 39 de sa demande, dont la teneur est similaire à ce qui précède. De telles explications ne permettent toutefois pas de retenir que les travaux dont le paiement est réclamé étaient effectivement nécessaires. Comme l'a relevé le Tribunal, l'appelante n'a produit notamment aucun avis de l'architecte ou procès-verbal de chantier faisant état du fait que des travaux supplémentaires à ceux projetés devaient être exécutés. Concernant par exemple les travaux en lien avec la modification de la rampe d'accès, elle indique que ces travaux seraient dus au fait que le Service d'incendie et de secours a jugé la déclivité trop importante, mais sans produire d'avis dudit Service à cet égard permettant de le rendre vraisemblable.

L'appelante indique par ailleurs que l'audition des parties et des témoins lors de la procédure au fond permettrait de démontrer qu'elle avait avisé par écrit les intimés de ce que des travaux complémentaires étaient nécessaires. Elle ne fournit toutefois pas de pièces rendant vraisemblable un tel avis, ce qu'elle aurait pu et dû faire dans le cadre de la présente procédure dans laquelle la preuve est apportée par titres, ni n'indique quels témoins pourraient attester de ses dires. En outre, le fait qu'elle ait informé les intimés des travaux supplémentaires litigieux ne permet pas encore de rendre vraisemblable leur nécessité.

Le Tribunal a par ailleurs relevé à juste titre que l’appelante avait produit à l'appui de ses prétentions des offres complémentaires, devis et estimations, sans préciser lesquels auraient le cas échéant été approuvés, que certains documents n'étaient pas signés et que certaines pièces produites ne se référaient pas aux travaux supplémentaires qui auraient été nécessaires, comme des factures de AD______ SA, produites à l'appui de la prétention relative à la rampe d'accès, se référant à la location de surfaces. En tout état de cause, il est douteux que le simple renvoi général, dans la requête, à un classeur entier d'offres, devis et factures soit suffisant pour rendre vraisemblables les montants réclamés pour chaque poste particulier. Quant à l'annexe 2 figurant dans ledit classeur, qui récapitule les montants litigieux, elle n'est qu'un tableau établi vraisemblablement par l'appelante elle-même qui ne constitue pas un moyen de preuve mais un simple allégué qui n'a pas de valeur probante particulière.

2.2.2 L’appelante développe dans son appel une argumentation plus spécifique concernant certains travaux, à savoir les travaux de renforcement du mur mitoyen, les travaux relatifs au bassin de rétention, les travaux concernant des questions de pollution et les circonstances extraordinaires de renchérissement des prix.

Concernant les travaux de renforcement d'un mur, l'appelante indique que ledit mur menaçait de s'effondrer, sans s'appuyer sur aucun élément permettant d'étayer son affirmation, de sorte que la nécessité des travaux, – sur un mur situé sur une parcelle voisine et dont la mitoyenneté n'est pas rendue vraisemblable –, n'est pas rendue vraisemblable. Elle n'explique pas davantage pourquoi le mur aurait risqué de s'effondrer, ce qui empêche de pouvoir retenir que le coût invoqué devrait être supporté par les intimés.

Concernant les travaux du bassin de rétention, pour lesquels un montant supplémentaire de 54'598 fr. est réclamé, l'appelante n'explique pas pourquoi un tel bassin était nécessaire, alors qu'il n'avait pas été prévu par les auteurs du projet. Il ressort en outre de la pièce qui attesterait de son coût qu'il ne s'agit que d'une offre. Enfin, ladite offre s'élève à 40'000 fr. HT. L'appelante y ajoute, outre la TVA, divers frais, notamment des "frais de chantier" de 8% et des "frais d'encadrement" de 3% sans expliquer sur quoi elle se fonde à cet égard et sur quelle base elle serait en droit de réclamer de tels frais.

Concernant les travaux de dépollution, l'appelante conteste que les prestations facturées consistaient en de simples travaux de chargement et déblaiement qui ne pourraient pas faire l'objet d'une hypothèque légale dans la mesure où elle était chargée de l'intégralité des travaux. Cela étant, elle a exposé dans sa requête que le terrain était défectueux en raison de terres polluées, qui avaient nécessité la mise en œuvre de mandataires et entreprises spécialisées. Elle n'explique cependant pas sur quelle base elle se fonde pour considérer que l'évacuation de telles terres n'était pas comprise dans le prix forfaitaire convenu, ni pourquoi l'évacuation en décharge de type B ou E aurait entraîné un coût supplémentaire. Elle n'explique pas davantage, si une telle évacuation n'était pas comprise dans le prix forfaitaire convenu, en quoi elle constituerait une circonstance extraordinaire, impossible à prévoir ou exclue par les prévisions qu'ont admises les parties, et donnerait ainsi droit à une rémunération supplémentaire en application de l'art. 373 al. 2 CO.

Concernant enfin le renchérissement des travaux en raison des circonstances extraordinaires, d'un montant de 572'162 fr., l'appelante se fonde notamment sur des statistiques faisant état d'un renchérissement de 7,8%, pourcentage qu'elle a appliqué pour réclamer un supplément de prix. Si les statistiques peuvent constituer des faits notoires, cela ne permet pas encore de retenir que l'appelante a effectivement subi une telle augmentation de ses coûts d'un tel pourcentage. Il lui appartenait bien plus de rendre vraisemblable que les facteurs, notoires (COVID 19, "crise énergétique", guerre en Ukraine), qu'elle invoque avaient effectivement eu pour conséquence d'augmenter le coût de ses prestations qu'elle a fournies d'un tel pourcentage, ce qu'elle n'a pas fait.

Pour le surplus, l'appelante ne conteste pas de manière motivée, dans son appel, les considérations du Tribunal en tant qu'elles concernent spécifiquement la paroi cloutée.

En définitive, il ressort de ce qui précède que l'appelante n'a pas rendu vraisemblable qu'elle disposait de prétentions à l'encontre des intimés et, ainsi, que les conditions nécessaires à l'inscription de l'hypothèque légale requise étaient réunies.

L'appel n'est ainsi pas fondé, de sorte que le jugement attaqué sera confirmé.

3. Conformément à la conclusion subsidiaire de l'appelante, qui risque de subir un préjudice difficilement réparable en ce sens que l'hypothèque légale, dont le délai d'inscription est de nature péremptoire, risque d'être radiée sans qu'elle ne puisse par la suite requérir sa réinscription (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5P.344/2005 du 23 décembre 2005 consid. 3.1), le présent arrêt ne sera exécutoire qu'après l’expiration du délai de recours auprès du Tribunal fédéral et, en cas de recours, pour autant que l'effet suspensif n'ait pas été accordé (art. 315 al. 5 CPC).

4 L'appelante, qui succombe, sera condamnée aux frais judicaires d'appel (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 4'000 fr. (art. 13, 26 et 35 RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

L’appelante sera condamnée à verser le solde aux Services financiers du Pourvoir judiciaire.

L'appelante sera par ailleurs condamnée aux dépens des intimés, arrêtés à 6'000 fr. (art. 85, 88 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 12 février 2024 par A______ SA contre l'ordonnance OTPI/89/2024 rendue le 31 janvier 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/16439/2023-20 SP.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Dit que le présent arrêt ne sera exécutoire qu'après l’expiration du délai de recours auprès du Tribunal fédéral et, en cas de recours, pour autant que l'effet suspensif n'ait pas été accordé.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judicaires d’appel à 4'000 fr., les met à la charge de A______ SA et dit qu'ils sont partiellement compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser le solde de 1'400 fr. à l’Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne A______ SA à verser à B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______ et N______, solidairement entre eux, une somme de 6'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.