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C/20612/2023

ACJC/471/2024 du 15.04.2024 sur OTPI/719/2023 ( SP ) , CONFIRME

Normes : cpc.261; cc.679; cc.584; cc.712.letg
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/20612/2023 ACJC/471/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 15 AVRIL 2024

 

Entre

LA COMMUNAUTE DES COPROPRIETAIRES A______, c/o B______ SA, Me C______, admin., ______ [GE], appelante d'une ordonnance rendue par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 16 novembre 2023, représentée par Me C______, avocat, et

D______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Andreas FABJAN, avocat, Muller & Fabjan, rue Ferdinand-Hodler 13, 1207 Genève.

 

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/719/2023 du 16 novembre 2023, le Tribunal de première instance a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée le 10 octobre 2023 par LA COMMUNAUTE DES COPROPRIETAIRES A______ contre D______ SA tendant, notamment, à faire interdiction à cette dernière d'utiliser son lot comme école (chiffre 1 du dispositif), mis les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., à la charge de la première précitée (ch. 2), condamné LA COMMUNAUTE DES COPROPRIETAIRES A______ à verser 1'000 fr. à sa partie adverse à titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte déposé le 30 novembre 2023, LA COMMUNAUTE DES COPROPRIETAIRES A______ forme appel contre cette ordonnance, dont elle sollicite l'annulation.

Cela fait, elle conclut à ce qu'il soit fait interdiction à D______ SA d'utiliser comme école le lot 2.01 dont elle est propriétaire au rez-de-chaussée de la PPE no. ______, chemin 1______ à Genève, correspondant à la part 2______-3______ de la Commune de Genève - E______, jusqu'à droit jugé dans la cause C/4______/2023, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, et à ce qu'elle soit autorisée à faire appel à la force publique pour faire respecter cette interdiction.

b. Dans sa réponse, D______ SA conclut au rejet de l'appel et à la confirmation de l'ordonnance entreprise.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. LA COMMUNAUTE DES COPROPRIETAIRES A______ s'est encore déterminée par écritures du 7 février 2024.

e. Par avis de la Cour du 28 février 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.A Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. L'immeuble sis chemin 1______ no. ______ à Genève, situé sur la parcelle n° 2______ de la commune de Genève-E______, est constitué en propriétés par étages (LA COMMUNAUTE DES COPROPRIETAIRES A______, ci-après également: la PPE).

Il comprend des surfaces d'habitations et des bureaux, distribués sur environ 7 étages.

b. D______ SA est propriétaire de la part n° 2______-3______, d'une surface de 167 m2, correspondant au lot 2.01 situé au rez-de-chaussée de l'immeuble.

Selon le cahier de répartition des locaux, ce lot est destiné à l'usage de bureaux.

c. Le PPE est régie par un Règlement d'administration et d'utilisation (RAU), adopté le 21 novembre 2001.

L'art. 6 RAU prévoit notamment que chaque copropriétaire est libre d'user comme il l'entend des locaux sur lesquels il détient un droit exclusif mais dans la mesure seulement où il ne porte atteinte ni aux droits identiques des autres copropriétaires, ni aux intérêts de la communauté des copropriétaires. Toutefois, il ne doit pas changer la destination des locaux sur lesquels il détient un droit exclusif sans l'assentiment de l'Assemblée générale des copropriétaires pris à la double majorité.

A teneur de l'art. 7 RAU, chaque copropriétaire qui entend procéder à des travaux autres que l'entretien courant est tenu d'informer préalablement par écrit l'Administrateur de leur nature et de leur déroulement en vue d'obtenir son autorisation.

Il est précisé que les parties privées et les parties communes ne peuvent servir qu'à l'usage auquel elles sont destinées (art. 10 § 1 RAU) et que toutes les activités susceptibles d'importuner ou de provoquer un désagrément pour les occupants de la copropriété à l'intérieur comme à l'extérieur des locaux sont interdites (art. 11 RAU).

Enfin, le Règlement prévoit que chaque copropriétaire est en droit d'utiliser les parties et installations communes suivant leur destination propre et selon les besoins découlant de la jouissance normale de sa part de copropriété, mais dans une mesure compatible avec les droits respectifs des autres copropriétaires et avec les intérêts de la copropriété (art. 16 RAU).

d. Par contrat du 10 février 2023, D______ SA a remis ses locaux à bail à F______ en vue de l'exploitation "d'une école [privée] G______ exclusivement", pour un loyer annuel de 62'280 fr., charges comprises, pour une durée de cinq ans à compter du 1er mars 2023.

Par avenant du 7 juillet 2023, D______ SA et F______ ont convenu que les installations communes du bâtiment (piscines, jardins, etc.) ne pouvaient pas être utilisées par la locataire dans le cadre de l'exploitation de son activité, ni par d'autres tierces personnes, que seul le hall d'entrée d'immeuble et le chemin le plus court pour accéder à la surface louée pouvaient être utilisés et qu'en aucun cas, il n'était autorisé de s'attarder ou de demeurer dans les parties communes et ce pour la tranquillité du bâtiment.

e. Des travaux d'aménagements intérieurs des locaux ont débuté au printemps 2023.

f. Par courrier du 27 avril 2023, les administrateurs de la PPE se sont adressés à D______ SA en lui indiquant avoir été très surpris par les travaux entrepris sans autorisation dans les locaux de cette dernière et lui ont demandé d'arrêter lesdits travaux. Ils lui ont rappelé qu'une autorisation de l'administrateur était nécessaire et que tout changement d'affectation devait être adopté à la double majorité de l'Assemblée des copropriétaires.

g. En réponse, D______ SA a requis, le 12 mai 2023, l'autorisation d'entreprendre les travaux. Pour le surplus, elle a contesté l'appréciation selon laquelle l'affectation des locaux serait modifiée.

h. Les administrateurs de la PPE ont confirmé l'interdiction d'exécuter les travaux prévus, par courrier du 26 mai 2023.

i. S'en sont suivis plusieurs échanges de correspondance, aux termes desquelles chaque partie a maintenu sa position. La PPE estimait que le projet d'ouvrir une école et les travaux y relatifs constituaient un changement d'utilisation des locaux et que cette nouvelle activité était incompatible avec l'art. 11 RAU, nécessitant pour ces deux motifs la double majorité de l'Assemblée des copropriétaires. Pour sa part, D______ SA estimait qu'aucune autorisation de l'Assemblée des copropriétaires n'était nécessaire dans la mesure où il ne s'agissait pas d'un changement d'affectation des locaux et que la nouvelle activité prévue n'était pas de nature à engendrer davantage de nuisances que toute autre activité d'entreprise.

j. Le 7 juillet 2023, la PPE a tenu une assemblée générale extraordinaire au cours de laquelle elle a refusé d'autoriser le changement d'utilisation des locaux de D______ SA.

Le 4 août 2023, D______ SA a déposé une action en annulation de la décision de l'assemblée générale du 7 juillet 2023. Cette procédure fait l'objet de la cause C/4______/2023, actuellement pendante devant le Tribunal. La société a, par ailleurs, déposé un mémoire préventif le 11 juillet 2023 au greffe du Tribunal à l'encontre de la PPE et de chacun de ses copropriétaires individuels.

k. Les travaux ont repris le 25 septembre 2023, après une interruption dans l'attente du permis de construire relatif à la demande de transformation de bureaux en salle d'école privée, déposée le 16 juin et accordée le 22 août 2023.

l. La PPE a sommé, à plusieurs reprises, D______ SA de cesser le chantier, ce à quoi cette dernière s'est opposée.

m. Les travaux s'étant terminés, l'école a ouvert ses portes le 1er novembre 2023.

C.B a. Par acte du 10 octobre 2023, la PPE a formé une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles, concluant à ce que le Tribunal ordonne à D______ SA d'arrêter immédiatement les travaux de transformation en cours dans le lot 2.01 et lui fasse interdiction d'utiliser ledit lot comme école jusqu'à droit jugé dans la cause C/4______/2023, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP. Elle a également conclu à ce que le Tribunal l'autorise à recourir à la force publique pour l'exécution de la décision en l'autorisant, par exemple à faire changer, aux frais de D______ SA, les serrures de la porte palière donnant accès aux locaux et y faire apposer des scellés.

Elle a notamment allégué que l'exploitation d'une école dans les locaux, outre qu'elle constituait un changement d'utilisation devant être autorisé à la double majorité des copropriétaires, était susceptible d'augmenter les désagréments pour les copropriétaires, notamment en termes de sécurité et de circulation sur le chemin d'accès à l'immeuble, étroit, en lacet et pentu, plusieurs fois par jour. Elle risquait inévitablement de générer des nuisances sonores s'agissant d'enfants de moins de 6 ans et allait engendrer une augmentation de déchets dans et aux abords de l'immeuble. L'école devant ouvrir le 1er novembre 2023, il y avait urgence à ce que les mesures requises soient prononcées.

b. Par ordonnance du même jour, le Tribunal a rejeté la requête sur mesures superprovisionnelles, relevant notamment que D______ SA, qui avait décidé de reprendre les travaux et de poursuivre son projet d'ouvrir une école dans les locaux loués sans attendre la décision qui serait rendue par les autorités judiciaires, courait le risque de devoir finalement renoncer à son projet.

c. Aux termes de ses déterminations du 30 octobre 2023, D______ SA a conclu au rejet des mesures provisionnelles.

d. Lors de l'audience du 6 novembre 2023, la PPE a persisté dans ses conclusions à l'exception de celles visant à l'interdiction des travaux, ceux-ci s'étant dans l'intervalle terminés. Elle a déposé des pièces complémentaires démontrant notamment que l'école était désormais ouverte et qu'à côté de l'entrée de celle-ci se trouvaient les locaux du concierge, lequel serait dérangé par l'activité de l'école. Elle a rappelé que l'accès à l'école se faisait par une rue en pente et en lacets, sans possibilité de faire demi-tour, de sorte que cette utilisation causerait des nuisances.

D______ SA a soulevé, s'agissant de l'accès aux locaux, que la configuration serait la même pour tous les utilisateurs et notamment si les locaux avaient été utilisés par une agence immobilière. La PPE n'alléguait aucune nuisance ce qui démontrait l'absence d'urgence à interdire l'utilisation des locaux comme école.

Pour le surplus, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives.

e. Dans la décision entreprise, le Tribunal a considéré que la PPE avait échoué à rendre vraisemblable tant l'urgence que l'existence d'un préjudice difficilement réparable justifiant le prononcé des mesures requises à titre provisionnel. La recrudescence de nuisances causées par l'exploitation de l'école litigieuse par rapport, par exemple, à l'occupation de plusieurs logements de l'immeuble par des familles plus ou moins nombreuses n'était pas rendue vraisemblable, ce d'autant que dans une telle hypothèse, lesdites familles pourraient, elles, accéder librement à l'ensemble des parties communes de l'immeuble. D______ SA avait du reste pris toutes les mesures que l'on pouvait attendre d'elle pour limiter les nuisances de manière à ce que celles-ci restent dans des limites tolérables pour les voisins. La liberté économique de cette dernière ne pouvait être restreinte dans une trop large mesure. Les mesures requises apparaissaient ainsi disproportionnées.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions de première instance rendues sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC), dans des causes non patrimoniales ou lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

Le litige s'inscrit dans le cadre d'une action en contestation d'une décision de l'assemblée des propriétaires d'étages ayant des répercussions financières, de sorte qu'il tranche une contestation civile portant sur des droits de nature pécuniaire (ATF 140 III 571 consid. 1.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_61/2023 du 7 février 2024 consid. 1; 5A_31/2020 du 6 juillet 2020 consid. 1.1 et les références citées).

Les droits litigieux concernent l'étendue du droit d'utilisation de l'intimée de sa part de propriété par étages, dont la valeur monétaire peut être estimée à un montant largement supérieur à 10'000 fr., compte tenu de la surface des locaux (167 m2), du prix au mètre carré, notoirement élevé, du terrain sis à Genève, ainsi que du montant du loyer convenu entre l'intimée et sa locataire pour une durée de cinq ans, ce qui ouvre la voie de l'appel.

1.2 Interjeté dans le délai utile de dix jours (art. 248 let. d et 314 al. 1 CPC) et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), avec administration restreinte des moyens de preuve, la cognition du juge est toutefois limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_293/2019 du 29 août 2019 consid. 4.2).

2. L'appelante développe un chapitre "en fait" sur plusieurs pages en vue de compléter l'état de fait tel que retenu par le Tribunal, le jugeant "lacunaire". Dans la mesure où ces faits ne sont pas destinés à corriger, mais à compléter l'état de fait, qu'ils ont déjà été exposés devant le premier juge et qu'ils s'avèrent utiles pour la compréhension du litige, ils ont été, en tant que de besoin, intégrés dans la partie EN FAIT ci-dessus.

3. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir rejeté sa requête de mesures provisionnelles, en écartant notamment l'urgence à statuer ainsi que le risque d'un préjudice difficilement réparable.

3.1.1 Selon l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC).

Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment une interdiction (art. 262 let. a CPC).

L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; Bohnet, in Commentaire romand CPC, 2ème éd., 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC).

Celui qui requiert des mesures provisionnelles doit ainsi rendre vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte - ou risque de l'être - et qu'il s'expose de ce fait à un préjudice difficilement réparable (ATF 139 III 86 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral 5D_219/2017 du 24 août 2018 consid. 4.2.2).

Le dommage difficilement réparable au sens de l'art. 261 al. 1 let. b CPC est principalement de nature factuelle. Il concerne tout préjudice, patrimonial ou immatériel, et peut même résulter du seul écoulement du temps pendant le procès. Le dommage est constitué, pour celui qui requiert les mesures provisionnelles, par le fait que, sans celles-ci, il serait lésé dans sa position juridique de fond et, pour celui qui recourt contre le prononcé de telles mesures, par les conséquences matérielles qu'elles engendrent (ATF 138 III 378 consid. 6.3 et les références citées). Est notamment difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement au fond ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêts du Tribunal fédéral 4A_50/2019 du 28 mai 2019 consid. 6.6.2; 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

Lorsque les conditions mentionnées ci-dessus sont remplies, le juge doit accorder la protection immédiate. Cependant, la mesure qu'il prononce doit être proportionnée au risque de l'atteinte et le choix de la mesure doit tenir compte des intérêts de l'adversaire. La pesée d'intérêts, qui s'impose pour toute mesure envisagée (ATF 131 III 473 consid. 2.3; RSPC 2006 69), prend en compte le droit présumé du requérant à la mesure conservatoire et les conséquences que celle-ci entraînerait pour le requis (arrêts du Tribunal fédéral 1C_377/2023 du 7 décembre 2023 consid. 4.1; 1C_294/2019 du 26 juin 2019 consid. 5.2; Bohnet, op.cit., n. 17 ad art. 261 CPC et les références citées).

S'agissant de mesures équivalant à une exécution anticipée du jugement à rendre, les exigences sont particulièrement strictes. Plus la mesure d'exécution anticipe envisagée porte une atteinte grave à la situation juridique de la partie adverse et plus son caractère irréversible est prononcé, plus il convient d'être restrictif dans son octroi (ATF 138 III 378 consid. 6.4; 131 III 473 consid. 2.2; 3.2;
RSPC 2006 69; Bohnet, op.cit, n. 18 ad art. 261 CC et n. 13 ad art. 262 CPC).

3.1.2 Aux termes de l'art. 679 al. 1 CC, celui qui est atteint ou menacé d’un dommage parce qu’un propriétaire excède son droit, peut actionner ce propriétaire pour qu’il remette les choses en l’état ou prenne des mesures en vue d’écarter le danger, sans préjudice de tous dommages-intérêts.

L'art. 684 al. 1 CC prévoit que le propriétaire est tenu, dans l’exercice de son droit, spécialement dans ses travaux d’exploitation industrielle, de s’abstenir de tout excès au détriment de la propriété du voisin. Sont interdits en particulier la pollution de l'air, les mauvaises odeurs, le bruit, les vibrations, les rayonnements ou la privation de lumière ou d'ensoleillement qui ont un effet dommageable et qui excèdent les limites de la tolérance que se doivent les voisins d'après l'usage local, la situation et la nature des immeubles (al. 2).

Entre copropriétaires d'étages, l'art. 712a al. 2 CC prévoit que le copropriétaire a le pouvoir d'administrer, d'utiliser et d'aménager ses locaux dans la mesure notamment où il ne restreint pas l'exercice du droit des autres copropriétaires. Cette disposition constitue en réalité un renvoi aux règles du droit de voisinage, singulièrement aux art. 679 CC et 684 ss CC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_127/2020 du 22 avril 2021 consid. 4.1.2 et les références citées).

Les propriétaires d'étages peuvent par ailleurs convenir de restrictions à leur liberté d'utilisation de leurs parties exclusives dans l'acte constitutif de la propriété par étages, dans le règlement prévu à l'art. 712g al. 3 CC, dans le règlement de maison ou dans une décision ad hoc de la communauté (ATF 144 III 19 consid. 4.1; 139 III 1 consid. 4.3.1 et les références; 111 II 330 consid. 7). Ces restrictions sont également déterminantes afin d'arrêter le caractère éventuellement excessif des immissions constatées, lequel se déterminera alors en fonction de la volonté exprimée par la communauté des propriétaires d'étages (arrêt du Tribunal fédéral 5A_127/2020 du 22 avril 2021 consid. 4.1.2 et les références citées).

Le Tribunal fédéral a eu l'occasion d'indiquer que, selon l'expérience générale de la vie, la garde de plusieurs jeunes enfants (jusqu'à cinq) dans un appartement est susceptible d'entraver la tranquillité du voisinage, que ce soit en termes de bruit ou de trépidations. Cette appréciation générale relevait d'une règle d'expérience (arrêt du Tribunal fédéral 5A_127/2020 du 22 avril 2021 consid. 4.2.2).

3.2 En l'espèce, les parties s'opposent sur le fait de savoir si la nouvelle activité de l'intimée consistant en l'exploitation d'une classe d'école est compatible, respectivement autorisée à l'aune du Règlement de la PPE. Cette question fait actuellement l'objet de la procédure C/4______/2023.

L'appelante allègue que, dans l'attente de la décision à rendre au fond, les propriétaires de la PPE subissent un préjudice difficilement réparable en raison des nuisances provoquées par cette activité, que ce soit en termes de sécurité et de circulation sur le chemin d'accès à l'immeuble, de salubrité aux abords de l'immeuble ou encore de désagréments sonores inévitables s'agissant d'une vingtaine d'enfants de moins de six ans. Elle sollicite en conséquence qu'interdiction soit faite à l'intimée d'exploiter l'école en question à titre provisionnel afin de pallier ces nuisances.

3.2.1 Il est vrai que l'école, qui accueille une vingtaine d'enfants de moins de six ans, est, de par son activité et le nombre d'élèves, susceptible de causer une gêne aux autres propriétaires voisins. Le Tribunal fédéral a en effet reconnu, comme une règle d'expérience générale de la vie, que la garde jusqu'à 5 enfants est susceptible d'entraver la tranquillité du voisinage en raison du bruit et de l'agitation occasionnés, ce qui est transposable au cas d'espèce. Contrairement à l'avis de l'intimée, dans la mesure où cette appréciation relève d'une règle d'expérience, les nuisances ne nécessitent pas d'être prouvées. De plus, le règlement de la PPE insiste sur le respect de ne pas importuner ni de provoquer un quelconque désagrément pour les occupants de l'immeuble, ce qui tend à démontrer la volonté de la PPE de maintenir une certaine quiétude au sein de l'immeuble et un seuil de tolérance limité quant à d'éventuelles immissions.

Par ailleurs, les nuisances subies ne sont pas susceptibles d'être réparées ni compensées par le jugement à venir au fond, puisque celui-ci ne statuera que sur la licéité de l'activité mise en cause. Quoi qu'il en soit, dites nuisances sont de nature immatérielle, difficilement mesurables ou quantifiables, de sorte qu'elles seront difficiles à estimer ou à compenser entièrement. Les effets de ce préjudice ne pourront par conséquent pas être complétement supprimés par un jugement au fond, même si l'appelante devait finalement obtenir gain de cause.

Il y a dès lors lieu d'admettre que l'appelante risque de subir un préjudice difficilement réparable.

3.2.2 Sous l'angle de la proportionnalité des mesures, une interdiction d'exploiter la salle de classe à titre provisionnel, comme le requiert l'appelante, suppose toutefois une pesée des intérêts en présence.

Il doit être admis que les propriétaires résidents sont gênés dans leur tranquillité par les nuisances occasionnées par l'école. Ces nuisances peuvent néanmoins être relativisées, compte tenu des spécificités du cas d'espèce dont il convient également de tenir compte. Contrairement à l'affaire ayant donné lieu à la jurisprudence fédérale précitée, l'école exploitée par l'intimée se situe au rez-de-chaussée d'un immeuble comportant sept étages et dont la destination n'est pas exclusivement réservée à des habitations, de sorte que les résidents doivent quoi qu'il en soit supporter une certaine activité. De plus, la salle de classe se situe au bout d'un long couloir, le long duquel se trouvent un ascenseur et le bureau du concierge, à l'exclusion, semble-t-il, de tout autre voisin direct. A cela s'ajoute le fait que l'intimée a pris des mesures pour limiter les effets de l'activité liée à l'école quant à la salubrité et à la sérénité de l'immeuble en interdisant l'accès aux installations communes de l'immeuble, dont le jardin, à sa locataire ainsi qu'à toutes autres personnes tierces, en rendant accessible uniquement le hall d'entrée de l'immeuble et le chemin le plus court pour accéder aux locaux loués et en interdisant de s'attarder ou de demeurer dans les parties communes.

Quant à l'intimée, l'admission des mesures requises serait lourde de conséquences puisqu'elle conduirait à la fermeture complète de l'école. Cette interruption d'activité est, par ailleurs, susceptible de se prolonger compte tenu de la durée, y compris les voies de recours disponibles, relative à la procédure au fond, entravant ainsi lourdement sa liberté économique. Certes, il convient de tenir compte, dans la pesée des intérêts, du comportement de l'intimée qui a entrepris les travaux d'aménagements de ses locaux et procédé à l'ouverture de l'école malgré le refus de l'Assemblée de la PPE, mettant ainsi tant cette dernière que les autorités devant le fait accompli. L'intérêt de l'appelante à être protégée contre les nuisances provenant de l'école ne l'emporte toutefois pas automatiquement et de ce seul fait sur d'autres intérêts contraires avec lesquels il doit être mis en balance. Comme l'a relevé à juste titre le Tribunal, l'intimée qui a procédé de la sorte court le risque de finalement devoir renoncer à son projet.

Au vu de ce qui précède, l'intérêt de l'appelante ne s'avère pas prépondérant à celui de l'intimée. Au vu des conséquences vraisemblablement hautement préjudiciables d'une fermeture prolongée de l'école, les mesures requises apparaissent disproportionnées.

Pour ce motif, l'ordonnance entreprise sera confirmée.

4. Les frais judiciaires d'appel seront mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront fixés à 1'200 fr. (art. 26 et 37 RTFMC) et entièrement compensés avec l'avance du même montant fournie par cette dernière, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelante sera, en outre, condamnée aux dépens d'appel de l'intimée, fixés à 2'500 fr. (85, 88 et 90 RTFMC).

* * * * *

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 30 novembre 2023 par LA COMMUNAUTE DES COPROPRIETAIRES A______ contre l'ordonnance OTPI/719/2023 rendue le 16 novembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/20612/2023-20 SP.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'200 fr., les met à la charge de LA COMMUNAUTE DES COPROPRIETAIRES A______ et dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance de frais versée par cette dernière, acquis à l'Etat de Genève.

Condamne LA COMMUNAUTE DES COPROPRIETAIRES A______ à verser 2'500 fr. à D______ SA à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.