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Décisions | Sommaires

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C/7466/2023

ACJC/445/2024 du 04.04.2024 sur JTPI/1494/2024 ( SFC ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7466/2023 ACJC/445/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 4 AVRIL 2024

 

Entre

A______ SÀRL, sise c/o B______ SA, ______ GE, recourante contre un jugement rendu par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 29 janvier 2024, représentée par Mes Alexandra PELLET et Carlo CECCARELLI, avocats, avenue du Théâtre 14, 1002 Lausanne.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/1494/2024 du 29 janvier 2024, expédié pour notification le 29 janvier 2024, le Tribunal de première instance a pris acte de l'avis au juge formulé par C______ SA, organe de révision de A______ SÀRL (ch. 1), a déclaré la précitée en état de faillite "dès ce jour" à 15 heures (ch. 2), a arrêté les frais judiciaires à 500 fr. "à la charge de la partie requérante" (ch. 3) et condamné "en conséquence" A______ SÀRL à verser 500 fr. à l'Etat de Genève (ch. 4).

Saisi d'un avis au juge, émanant du réviseur, selon lequel le surendettement était manifeste, le Tribunal n'avait pas obtenu les pièces qu'il avait requises de A______ SÀRL, notamment un budget de trésorerie et un bilan intermédiaire au 31 octobre 2023 tendant à démontrer que la société n'était plus surendettée, de sorte qu'il a retenu l'existence d'un surendettement.

B.            Par acte du 9 février 2024 à la Cour de justice, A______ SÀRL a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait à ce qu'il soit constaté qu'elle n'était pas surendettée, avec transmission du jugement aux Offices de poursuites et des faillites ainsi qu'aux Registres du commerce et foncier, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.

Elle a conclu à titre préalable à la suspension du caractère exécutoire du jugement attaqué, ce qui a été ordonné par décision de la Cour du 14 février 2024.

Elle a produit un bilan intermédiaire au 31 octobre 2023 non daté, un plan de trésorerie non daté, deux factures ouvertes (portant sur 1'130'850 fr. et 538'500 fr. respectivement) du 20 décembre 2023, et des déclarations d'abandon de créances pour un total de 1'102'339 fr. 23 datées de février 2024, une correspondance avec une étude de notaires datant de février 2024.

C.           Le 12 octobre 2023, l'organe de révision de A______ SÀRL, dont le capital-actions est de 20'000 fr., a saisi le Tribunal d'un avis de surendettement au sens de l'art. 725b CO. Elle s'est fondée sur la situation au 31 décembre 2021, qui mettait en évidence un total des capitaux propres de 664'513 fr., l'absence de remise de comptes intermédiaires au 31 décembre 2022 et de mesures d'assainissement.

Par courrier du 11 mai 2023, A______ SÀRL a admis la situation de surendettement, mais fait valoir que l'activité était bonne, et qu'elle prévoyait que la dette totale serait apurée à fin septembre 2023.

A l'audience du Tribunal du 26 juin 2023, elle a évoqué de nouveaux contrats, déclaré qu'elle n'avait que trois employés, dont l'un au moins subissait un mois de retard de paiement de salaire, et qu'elle n'avait pas de charge de loyer.

A l'audience du Tribunal du 4 septembre 2023, A______ SÀRL a annoncé des comptes en cours de finalisation, et l'amélioration de la situation.

Par courrier reçu le 12 octobre 2023 au Tribunal, A______ SÀRL a considéré qu'il n'y avait pas lieu de prononcer sa faillite, sur la base des états financiers 2022 remis (faisant apparaître des capitaux propres de 784'222 fr.), ainsi que des fonds crédités par 1'000'895 fr. sur ses comptes bancaires (dont elle a produit des extraits).

A l'audience du 13 novembre 2023, A______ SÀRL a notamment annoncé qu'elle n'avait plus que deux employés, que les salaires étaient versés. Sur quoi, le Tribunal lui a accordé un délai pour la production d'un budget de trésorerie et un bilan intermédiaire au 31 octobre 2023.

Aucun des documents requis n'a été déposé.

EN DROIT

1. 1.1 La décision querellée ayant été rendue dans une affaire relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 et 319 let. a CPC; art. 174 al. 1 LP, applicable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP, en relation avec l'art. 192 LP), seule la voie du recours est ouverte.

1.2 En l'espèce, le recours a été formé selon la forme et dans le délai prévus par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC; art. 174 al. 1 LP), de sorte qu'il est recevable.

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.4 Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC). Le juge établit les faits d'office (maxime inquisitoire, art. 255 let. a CPC). La preuve des faits allégués doit, en principe, être apportée par titres.

1.5 La recourante a produit des pièces nouvelles devant la Cour.

1.5.1 Selon l'art. 326 CPC, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (al. 1); les dispositions spéciales de la loi sont réservées (al. 2).

A cet égard, l'art. 174 LP - applicable à la faillite sans poursuite préalable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP - prévoit que les parties peuvent faire valoir des faits nouveaux, lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance (art. 174 al. 1, 2ème phrase, LP). Cette disposition spéciale de la loi, au sens de l'art. 326 al. 2 CPC, vise les faits nouveaux improprement dits (faux nova ou pseudo-nova), à savoir ceux qui existaient déjà au moment de l'ouverture de la faillite et dont le premier juge n'a pas eu connaissance pour quelque raison que ce soit; ces faits peuvent être invoqués sans restriction et prouvés par pièces, pour autant qu'ils le soient dans le délai de recours. Aux termes de l'art. 174 al. 2 LP, le failli peut aussi invoquer de vrais nova, à savoir les faits, intervenus après l'ouverture de la faillite en première instance, qui sont énumérés aux chiffres 1 à 3. Selon la jurisprudence, ces vrais nova doivent également être produits avant l'expiration du délai de recours. En vertu de la lettre claire de l'art. 174 al. 2 LP, aucun autre novum n'est admissible. Partant, dans le cadre d'un recours contre un prononcé de faillite sans poursuite préalable, seuls les pseudo-nova sont en principe recevables, les hypothèses énumérées exhaustivement à l'art. 174 al. 2 ch. 1-3 LP étant étrangères à ce type de procédure. Il n'est ainsi pas possible de soutenir que, dans le délai de recours, l'état de surendettement a été éliminé, qu'un nouvel organe de révision est arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas de surendettement ou encore qu'une postposition de créance nouvellement consentie rend superflu l'avis au juge (arrêts du Tribunal fédéral 5A_252/2020 et 5A_264/2020 du 18 juin 2020 consid. 4.1.2; 5A_243/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1 et les références, publié in SJ 2019 I p. 376).

1.5.2 Parmi les pièces produites, il est seul établi que les factures sont antérieures au prononcé de faillite de première instance, les autres titres étant soit non datés soit postérieurs à ce prononcé, en particulier les déclarations d'abandon de créances. Ainsi ne sont recevables que les factures susmentionnées.

2. La recourante se fonde sur les rentrées de liquidité et sur les abandons de créance pour soutenir qu'elle ne serait pas en situation de surendettement, ses dettes étant couvertes par ses actifs.

2.1 L'art. 192 LP prévoit que la faillite est prononcée d'office sans poursuite préalable dans les cas prévus par la loi, soit en particulier les art. 725 et 725a CO (arrêt du Tribunal fédéral 5A_269/2010 du 3 septembre 2010 consid. 3).

2.2 Selon l'art. 725 al. 2 CO, s'il existe des raisons sérieuses d'admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire est dressé et soumis à la vérification d'un réviseur agréé. S'il résulte de ce bilan que les dettes sociales ne sont couvertes ni lorsque les biens sont estimés à leur valeur d'exploitation, ni lorsqu'ils le sont à leur valeur de liquidation, le conseil d'administration en avise le juge, à moins que des créanciers de la société n'acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances de la société dans la mesure de cette insuffisance de l'actif.

Un avis de surendettement, accompagné de deux bilans intermédiaires (valeur d'exploitation/valeur de liquidation) ainsi que d'un rapport de vérification de l'organe de révision sont en principe indispensables pour le "dépôt de bilan". Selon le Tribunal fédéral, ce dernier document a en effet une portée décisive pour connaître de la situation financière de la société (ATF 120 II 425 consid. 2). Cette exigence tend notamment à éviter que, sous couvert d'un surendettement en réalité inexistant, le conseil d'administration puisse obtenir la faillite de la société (c'est-à-dire sa dissolution) en contrevenant au principe fondamental selon lequel la compétence de décider la dissolution d'une SA appartient exclusivement à l'assemblée générale des actionnaires (CJ GE, BISchK 1999, 192, 194; PETER/CAVADINI, Commentaire romand, Code des obligations II, 2017, n. 45ad art. 725 CO).

Il y a surendettement au sens de l'art. 725 al. 2 CO, lorsque l'actif social ne couvre plus les fonds étrangers, c'est-à-dire lorsque les fonds propres ont été entièrement consommés par les pertes (PETER/CAVADINI, op. cit., n. 31 ad art. 725 CO).

Au vu de l'avis de surendettement, le juge déclare la faillite, à moins que les conditions d'un ajournement soient réunies (art. 725a al. 1 CO; arrêt du Tribunal fédéral 5A_867/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.1.1 et les références).

L'ajournement de la faillite n'est accordé que si la société est surendettée et que son assainissement paraît possible. Il a pour but de permettre la continuation de l'activité de la société (arrêt du Tribunal fédéral 5A_260/2021 du 22 juin 2021 consid. 3; 5A_902/2016 du 21 mars 2017 consid. 5.3.2).

2.3 En l'occurrence, la recourante fonde son recours sur les rentrées de liquidité qu'elle attend ainsi que sur des abandons de créances.

Comme retenu ci-dessus, ce dernier pan d'argumentation repose sur des pièces irrecevables. Il n'en sera donc pas tenu compte.

S'agissant des factures ouvertes qui ont été produites, elles émanent de la recourante et ne portent pas de reconnaissance de la part des débitrices qui y sont mentionnées. La recourante affirme qu'elles ne sont pas contestées, sans apporter aucun élément à cet égard.

Rien ne permet donc de retenir que le jugement attaqué ne serait pas fondé.

Dès lors, le recours sera rejeté, la faillite prenant effet à la date du prononcé du présent arrêt, compte tenu de l'effet suspensif accordé (arrêt du Tribunal fédéral 5A_92/2016 du 17 mars 2016).

3. La recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC), supportera les frais judiciaires arrêtés à 750 fr. (art. 48, 61 OELP), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 9 février 2024 par A______ SÀRL contre le jugement JTPI/1494/2024 rendu le 29 janvier 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/7466/2023–19 SFC.

Au fond :

Rejette ce recours, la faillite de A______ SÀRL prenant effet le 4 avril 2024 à 12 heures.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 750 fr., compensés avec l'avance de frais fournie, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______ SÀRL.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

 

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Mélanie DE RESENDE PEREIRA

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indifférente.