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C/15325/2023

ACJC/1729/2023 du 21.12.2023 sur OTPI/491/2023 ( SQP ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 07.02.2024, 5A_94/2024
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15325/2023 ACJC/1729/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 21 DECEMBRE 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 3 août 2023, représenté par
Me Silvia TEVINI DU PASQUIER, avocate, Budin & Associés, rue De-Candolle 17, case postale 166, 1211 Genève 12,

et

B______ S.R.L., sise ______, Italie, intimée, représentée par Maîtres
Kaspar SCHUDEL et Katia FAVRE, avocats, burckhardt SA, Steinentorstrasse 23, case postale 258, 4010 Bâle.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/491/2023 du 3 août 2023, notifiée à A______ le 8 août 2023, le Tribunal de première instance, statuant ex parte, a déclaré exécutoire en Suisse le "decreto ingiuntivo telematico provvisoriamente esecutivo" du Tribunal ordinaire de C______ [Italie] du 15 mai 2019, procédure 1______/2019 n. 2______/2019 (ch. 1 du dispositif), condamné A______ à verser à B______ SRL 500 fr. au titre des frais judiciaires (ch. 2 et 3) et 5'000 fr. de dépens (ch. 4).

B. a. Le 6 septembre 2023, A______ a formé recours contre cette ordonnance, concluant à ce que la Cour de justice l'annule, dise que le "decreto ingiuntivo" susmentionné n'est ni reconnaissable, ni exécutable en Suisse et révoque le séquestre ordonné dans la cause C/15325/2023, le tout avec suite de frais et dépens.

Il a produit des pièces nouvelles.

b. Le 18 octobre 2023, B______ SRL a conclu au rejet du recours, avec suite de frais et dépens.

Elle a produit une pièce nouvelle.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées le 28 novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger par la Cour.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a.a Par "decreto ingiuntivo telematico provvioriamente esecutivo" du 15 mai 2019, rendu dans la procédure 1______/2019 n. 2______/2019 et déclaré immédiatement exécutoire, le Tribunal de C______, en Italie, a condamné A______ à payer 16'713'196.81 euros à [la banque] D______ SPA, devenue par la suite E______ SPA.

a.b Par décision du 28 juin 2021, le Tribunal de C______ a rejeté l'opposition formée par A______ contre ce décret et a confirmé ce dernier (procédure 3______/2021 n. 4______/2019).

Il ressort de l'attestation délivrée par le Tribunal précité le 26 juin 2023 en application de l'article 54 de la Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (CL) que ce décret est exécutoire en Italie.

a.c Le 11 novembre 2021, A______ a formé appel du jugement du Tribunal de C______ du 28 juin 2021. Cette procédure est toujours pendante.

b. Le 30 décembre 2021, E______ SPA a cédé à B______ SRL sa créance de 16'713'196,81 euros à l'encontre de A______.

c. Par requête du 24 juillet 2023, B______ SRL a conclu à ce que le Tribunal de première instance de Genève ordonne le séquestre des avoirs de A______ auprès de [la banque] F______ (SCHWEIZ) AG, à G______ [BS] à concurrence de 16'118'207 fr. 01, correspondant à 16'713'196.81 euros et déclare exécutoire en Suisse le "decreto ingiuntivo" du Tribunal de C______ du 15 mai 2019.

Elle a fait valoir que ledit décret, qui pouvait être déclaré exécutoire en Suisse, constituait un titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP.

d. Le séquestre requis a été accordé par ordonnance du 3 août 2023.

EN DROIT

1. 1.1 La présente procédure ayant pour objet la déclaration de force exécutoire de décisions rendues par les autorités italiennes, elle relève de la compétence du tribunal de l'exécution (art. 335 al. 3 CPC) et est soumise à la CL.

Le délai de recours contre la déclaration constatant la force exécutoire est d'un mois à compter de sa signification (art. 327a al. 3 CPC et art. 43 al. 5 CL).

1.2 Le recours, écrit et motivé (art. 130, 131, 321 al. 1 CPC), adressé à la Cour dans le délai précité, est donc recevable.

2. Les deux parties ont produit des pièces nouvelles.

2.1 Lorsque le recours est dirigé contre une décision du tribunal de l'exécution au sens des art. 38 à 52 CL, le tribunal examine avec un plein pouvoir de cognition les motifs de refus prévus par la Convention (art. 327a CPC).

Dès lors que la procédure de première instance est unilatérale et que la partie adverse ne peut faire valoir son point de vue que dans la procédure de recours, l’art. 326 CPC ne peut trouver application dans la procédure d’exequatur; dans la procédure de recours selon l’art. 43 CL en relation avec l’art. 327a CPC, les nova doivent être admissibles, en particulier dans le cas du prononcé ultérieur d’un jugement sur appel dans l’état d’origine (arrêt du Tribunal fédéral 5A_79/2008 du 6 août 2008 consid. 4.2.2). L’admission de nova dans la procédure selon l’art. 327a CPC ne peut pas se fonder sur l’art. 229 CPC (cf. ATF 138 III 625 c. 2.2), mais bien sur l’art. 317 al. 1 CPC appliqué par analogie, d’autant plus que tel qu’il est aménagé, le recours selon l’art. 327a CPC se rapproche de l’appel (arrêt du Tribunal fédéral 5A_568/2012 du 24 janvier 2013 consid. 4).

Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles produites par le recourant, qui n'a pas participé à la procédure de première instance, sont recevables.

Tel n'est pas le cas de la pièce 17 nouvellement produite par l'intimée, à savoir une ordonnance rendue le 18 mars 2022 par la Cour d'appel de C______, car ce document aurait pu être produit devant le Tribunal.

3. Le Tribunal a retenu que toutes les conditions de reconnaissance et d'exécution du "decreto ingiuntivo" litigieux étaient réunies.

Le recourant fait valoir que ledit décret n'est pas une décision au sens de l'art. 32 CL, de sorte qu'il n'est ni reconnaissable ni exécutable en Suisse.

3.1.1 Constitue une décision au sens de l'art. 32 CL toute décision rendue par une juridiction d’un Etat lié par Convention quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès.

Dans la procédure d'injonction prévue par le Code de procédure civile italien, un créancier peut demander au juge de prononcer une injonction de paiement du montant réclamé (art. 633 CPC italien), en général dans un délai de quarante jours, avec la mention de la possibilité de former opposition (art. 641 CPC italien). Copie de l'ordonnance et de la requête est notifiée au débiteur (art. 643 CPC italien). L'injonction ne constitue pas en soi un titre exécutoire, mais nécessite l'autorisation du juge après l'échéance du délai d'opposition. Si le cité s'oppose à l'injonction dans le délai imparti, la procédure se poursuit contradictoirement (art. 645 CPC italien). Dans le cas contraire, le juge déclare l'injonction exécutoire à la demande du créancier (art. 647 CPC italien). À défaut d'opposition, l'ordonnance entre en force (ATF 135 III 623 consid. 2.1).

Le "decreto ingiuntivo" de droit italien, qui fait partie de la même catégorie de décisions que le "mandat d'exécution" de droit allemand, expressément mentionné à l'art. 32 CL, constitue une décision au sens de cette disposition, étant donné que le débiteur peut former opposition et transformer ainsi l'instance en une procédure contentieuse ordinaire. Les décisions susceptibles de reconnaissance au sens de l'art. 32 CL peuvent ainsi être des décisions rendues au cours d'une procédure initialement non contradictoire, à condition qu'un débat contradictoire ait pu avoir lieu avant que soit posée la question de la reconnaissance ou de l'exécution de la décision au titre de la CL (Bucher, Commentaire romand, 2011, n. 8 et 9, ad art. 32 CL).

Le "decreto ingiuntivo" est ainsi une décision au sens de l'art. 32 CL qui, une fois devenue exécutoire, justifie en principe la mainlevée de l'opposition. Le droit d'être entendu de la partie contre laquelle la mesure provisionnelle est dirigée doit néanmoins être respecté. Pour que la décision rendue dans l'État d'origine puisse bénéficier du mécanisme simplifié de reconnaissance et d'exécution, le Tribunal fédéral exige ainsi que, si la procédure initiale a été unilatérale, la décision rendue dans l'État d'origine ait fait ou ait été susceptible de faire l'objet d'une instruction contradictoire dans l'État d'origine avant que soit demandée la reconnaissance ou l'exécution dans l'État requis (arrêt du Tribunal fédéral 5A_711/2018 du 9 janvier 2019 consid. 6.3.1; 5A_752/2014 du 21 août 2015 consid. 2.4.1; ATF 139 III 232 consid. 2.3).

3.1.2 A teneur de l'art. 33 al. 1 CL, les décisions rendues dans un Etat lié par la Convention sont reconnues dans les autres Etats liés par celle-ci, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

Les décisions exécutoires dans un Etat lié par la Convention sont mises à exécution dans un autre Etat lié après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée (art. 38 al. 1 CL).

La partie qui invoque la reconnaissance d'une décision doit produire une expédition de celle-ci réunissant les conditions nécessaires à son authenticité ainsi que le certificat visé à l'art. 54 CL, dont le modèle figure à l'annexe V de la Convention (art. 53 CL).

3.2 En l'espèce, contrairement à ce que fait valoir le recourant, le "decreto ingiuntivo" du Tribunal de C______ du 15 mai 2019 constitue bien une décision au sens de l'art. 32 CL, susceptible d'être reconnue en Suisse, car le recourant a pu exercer, après le prononcé de ce décret, son droit d'être entendu dans le cadre d'une procédure contradictoire. A l'issue de cette procédure, le décret a été confirmé, par décision du Tribunal de C______ du 28 juin 2021.

Cette instruction contradictoire a eu lieu avant le dépôt de la requête de reconnaissance et d'exequatur par l'intimée, intervenu le 23 juillet 2023.

Toutes les conditions posées par la loi et la jurisprudence pour retenir que la décision litigieuse est bien une décision au sens de l'art. 32 CL et est susceptible de reconnaissance et d'exequatur en Suisse sont donc réalisées. Le recourant ne soulève par ailleurs pas d'autre grief à l'encontre du raisonnement du Tribunal, de sorte que l'ordonnance querellée sera confirmée.

4. Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais de la procédure de recours, arrêtés à 1'500 fr. et partiellement compensés avec l'avance de 500 fr. versée par ses soins (art. 26 RTFMC; 106 al. 1 et 111 al. 1 CPC). Il sera condamné à verser le solde en 1'000 fr. à l'Etat de Genève.

Il sera en outre condamné à verser à l'intimée 4'000 fr. à titre de dépens de recours, débours inclus (art. 84, 85, 88 à 90 RTFMC; art. 23 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 6 septembre 2023 par A______ contre l'ordonnance OTPI/491/2023 rendue le 3 août 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15325/2023–20 SQP.

Au fond :

Le rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met les frais judiciaires de recours, arrêtés à 1'500 fr., à la charge de A______ et les compense avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser aux Services financiers du Pouvoir judiciaire 1'000 fr. au titre des frais judiciaires de recours.

Condamne A______ à verser à B______ SRL 4'000 fr. au titre des dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Mélanie DE RESENDE PEREIRA

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.