Aller au contenu principal

Décisions | Sommaires

1 resultats
C/2008/2023

ACJC/1630/2023 du 06.12.2023 sur JTPI/10175/2023 ( SML ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2008/2023 ACJC/1630/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 6 DECEMBRE 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 12ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 13 septembre 2023, représentée par Me Cyrus SIASSI, avocat, SIASSI McCUNN BUSSARD, avenue de Champel 29, case postale 344, 1211 Genève 12,

et

B______ LTD, sise ______, Chypre, intimée, représentée par Me Andreas DEKANY, avocat, SWDS Avocats, rue du Conseil-Général 4, case postale 412, 1211 Genève 4.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/10175/2023 du 13 septembre 2023, reçu par A______ SA le 18 septembre 2023, le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée par cette dernière au commandement de payer, poursuite n° 1______ (ch. 1 du dispositif), l’a condamnée à verser 750 fr. de frais judiciaires à B______ LTD (ch. 2 et 3) ainsi que 4'700 fr. de dépens (ch. 4) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

B. a. Le 28 septembre 2023, A______ SA a formé recours contre ce jugement, concluant à ce que la Cour de justice l'annule et rejette la requête de mainlevée provisoire déposée par B______ LTD, avec suite de frais et dépens.

b. Le 12 octobre 2023, B______ LTD a conclu à la confirmation du jugement querellé, avec suite de frais et dépens.

c. Les parties ont été informées le 2 novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. Le 22 novembre 2019, C______ SA et A______ SA ont conclu un accord transactionnel venant clore une procédure d’arbitrage, ainsi qu'un contrat de prêt.

Selon le contrat de prêt, A______ SA devait rembourser à C______ SA 9'367'449.10 USD dans un délai de cinq ans (soit en 2024). Ce montant portait intérêt à 5% l’an.

Les intérêts étaient payables sur une base mensuelle, selon un échéancier annexé au contrat de prêt couvrant les années 2020 à 2024, signé par A______ SA. En 2020 (1ère année), les intérêts équivalaient à 30% de ceux dû pour l'année en question (9'367'449.10 USD x 5% x 30%), soit 11'907.47 USD par mois selon l'échéancier. En 2021 (2ème année), les intérêts étaient de 70% de ceux dus pour l'année (9'367'449.10 USD x 5% x 70%), soit 27'701.19 USD par mois selon l'échéancier. En 2022 (3ème année), les intérêts de 5% devaient être entièrement payés, soit 39'573.14 USD par mois à teneur de l'échéancier. En 2023 (4ème année), A______ SA devait payer la totalité des intérêts dus pour l'année en cours, plus le solde des intérêts dus pour 2021 (2ème année), soit 527'569.53 USD. Le solde des intérêts dus pour 2020 était payable en 2024 (5ème année), de même que les intérêts dus pour l'année en cours, soit 481'643.01 USD (art. 5 du contrat de prêt).

La moitié du montant prêté, soit 4'683'724.55 USD, devait être remboursée durant la quatrième année (2023) et l’autre moitié devait l'être durant la cinquième année suivant la conclusion de l’accord (2024) (art. 6 du contrat de prêt).

Ainsi, durant les années 1 à 3 (soit les années 2020 à 2022), A______ SA ne devait s’acquitter que des intérêts.

b.a Par acte intitulé "novation" du 5 juillet 2021, tous les droits et obligations de C______ SA prévus par l'accord transactionnel et le contrat de prêt du 22 novembre 2019 conclus avec A______ SA ont été transférés à B______ LTD. Cet acte a été signé par les trois sociétés précitées.

A teneur de l'art. 6 de l'acte de novation, les art. 5 et 6 du contrat de prêt étaient modifiés en ce sens que l’échéancier de remboursement du prêt et de paiement des intérêts était prolongé d’une année par rapport aux dates prévues dans l’échéancier annexé au contrat de prêt.

Les intérêts dus pour les années 1 à 3, soit de 2020 à 2022 n’ont pas été modifiés. La modification ne concernait que les années suivantes; les intérêts convenus dans le contrat de prêt pour les années 4 et 5 (2023 et 2024), étaient désormais dus pour les années 5 et 6 (2024 et 2025).

Le remboursement du prêt devait quant à lui intervenir à raison d’une moitié durant la cinquième année et de l’autre moitié durant la sixième année (art. 6 de l'acte de novation).

b.b Le contrat précise que les paiements de A______ SA devaient être faits sur le compte de B______ LTD auprès [de la banque] D______ SWITZERLAND dont l'IBAN était mentionné dans l'acte.

c. A______ SA a effectué des versements de 27'694.55 USD le 3 mars 2022 et de 27'701.19 USD le 28 mars 2022.

d. Le 14 juin 2022, B______ LTD l'a mise en demeure de lui verser 316'179.14 USD sans tarder au titre des intérêts dus de juillet 2021 au 31 mai 2022 selon le contrat de prêt et l'échéancier de paiement. Cette mise en demeure, signée par B______ LTD, a été adressée à A______ SA par courriel du 14 juin 2022, par l'intermédiaire d'une société E______ SA.

e. Par courriel du 24 juin 2022, adressé à plusieurs employés de E______ SA, A______ SA a répondu à B______ LTD qu'elle entendait respecter ses obligations. Elle sollicitait un délai de paiement au 31 juillet 2022 en raison de difficultés financières.

B______ LTD a accepté cette requête le 11 juillet 2022.

f. Des versements de 27'694.80 USD chacun ont été faits les 26 et 29 juillet 2022.

g. Le 10 octobre 2022, B______ LTD a mis en demeure A______ SA de verser 400'839.14 USD au titre des intérêts dus au 10 octobre 2022 selon le contrat de prêt et l'échéancier de paiements.

h. Par courriel du même jour F______, à savoir la banque de A______ SA, a requis de celle-ci la fourniture d'un certain nombre d'informations sur les relations entre les deux sociétés.

Le 12 octobre 2022, A______ SA a fourni les informations requises à sa banque.

Par courriel du 14 octobre 2022, adressé à plusieurs employés de E______ SA, elle a transmis à B______ LTD la demande de sa banque, soulignant qu'elle ne pouvait pas faire de paiement sans que celle-ci lui fournisse des informations supplémentaires sur ses activités. Elle a également requis, en plus des informations demandées par la banque, des documents concernant la structure de B______ LTD et les personnes autorisées à la représenter, pièces à l'appui, demandant d'être mise directement en contact avec ces personnes. Elle relevait que, jusqu'à présent, les communications avec sa créancière s'étaient faites par l'intermédiaire de l'équipe de E______ SA et que cette manière de procéder n'était pas valable devant les Tribunaux.

i. Les informations requises ont été transmises à A______ SA par B______ LTD le 20 octobre 2022.

j. Le 7 novembre 2022, B______ LTD a fait notifier à celle-ci un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur 399'911 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 24 octobre 2022 au titre de "Créance découlant du contrat de prêt et de l'accord de règlement du 22 novembre 2019 et de l'accord de novation du 5 juillet 2021. Les intérêts non payés au titre du contrat de prêt (…) s'élèvent à USD 400'893.14". Opposition a été formée à ce commandement de payer.

k. Le 30 janvier 2023, B______ LTD a requis du Tribunal la mainlevée provisoire de cette opposition.

l. Par mémoire en réponse du 16 juin 2023, A______ SA a conclu au rejet de la requête.

Elle a soutenu que sa partie adverse devait lui faire parvenir un nouvel échéancier de paiement suite à la signature de l'acte de novation du 5 juillet 2021, ce qu'elle n'avait pas fait, de sorte que les documents produits ne valaient pas titre de mainlevée. B______ LTD était en outre en demeure de créancier car elle ne lui avait pas fourni les informations requises par sa banque pour lui permettre de lui verser les intérêts du prêt.

m. Les parties ont répliqué et dupliqué les 6 juillet et 21 août 2023, persistant dans leurs conclusions.

n. Le Tribunal a gardé la cause à juger après réception des dernières écritures des parties.

EN DROIT

1. 1.1 En matière de mainlevée d'opposition, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. b ch. 3 et 319 let. a CPC).

La décision - rendue par voie de procédure sommaire (art. 251 let. a CPC) - doit être attaquée dans un délai de dix jours dès sa notification (art. 321 al. 2 CPC), par un recours écrit et motivé (art. 130 et 131 CPC), adressé à la Cour de justice.

Interjeté dans le délai et les formes prévus par la loi, le recours est en l'espèce recevable.

1.2 Saisie d'un recours, l'autorité doit examiner s'il y a eu violation du droit ou constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). En tant que voie de droit extraordinaire, le recours a uniquement pour fonction de vérifier la conformité au droit de la décision, et non de continuer la procédure de première instance (arrêt du Tribunal fédéral 5D_190/2014 du 12 mai 2015 consid. 3 et les références citées). L'autorité de recours contrôle la conformité au droit de la décision attaquée, dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles se trouvait l'autorité de première instance (Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 2516).

1.3 Dans le cadre d'un recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

2. Le Tribunal a considéré que l'acte de novation signé par A______ SA constituait une reconnaissance de dette. Il n'était pas nécessaire de signer un nouvel échéancier de paiement car l'acte lui-même suffisait à établir la volonté claire des parties concernant le remboursement du prêt et des intérêts. A cela s'ajoutait que le montant déduit en poursuite portait sur les intérêts des années 2020 à 2022 qui n'avaient pas été modifiés par l'acte de novation. Les explications de la recourante relatives à une demande d'information de sa banque étaient dénuées de pertinence car elle ne rendait pas vraisemblable que cette dernière avait refusé d'exécuter ses ordres de paiement.

La recourante fait valoir que les intérêts dus pour 2021, à savoir 70% de 5% de 9'367'449.10 USD, correspondent à des mensualités de 27'321.72 USD et non de 27'701.19 USD par mois comme indiqué dans l'échéancier. Pour 2022, les mensualités correspondent à 5% de 9'367'449.10 USD, soit 39'031.03 USD et non 39'573.24 USD comme indiqué dans l'échéancier. L'intimée n'était dès lors pas au bénéfice d'une reconnaissance de dette. Elle était par ailleurs en demeure de créancier puisqu'elle ne lui avait pas fourni les documents nécessaires pour effectuer les paiements. Les courriels qu'elle recevait émanaient d'une société E______ SA dont elle ignorait le lien avec l'intimée. Les informations reçues de celle-ci sur sa structure et les pouvoirs de signature de ses employés étaient incomplètes, de sorte que sa banque avait refusé d'exécuter ses ordres de paiement.

2.1.1 Conformément à l'art. 82 al. 1 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire.

Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP, en particulier, l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi - ou son représentant -, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 145 III 20 consid. 4.1.1; 139 III 297 consid. 2.3.1 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 5A_595/2021 du 14 janvier 2022 consid. 6.2.1). Elle peut résulter du rapprochement de plusieurs pièces, dans la mesure où les éléments nécessaires en résultent (ATF 139 III 297 consid. 2.3.1; 136 III 627 consid. 2 et la référence; arrêt du Tribunal fédéral 5A_595/2021 précité, ibidem).

Le contrat de prêt d'une somme d'argent signée par l'emprunteur vaut reconnaissance de dette (Veuillet/ Abbet, La mainlevée de l'opposition, 2022, n. 166 ad art. 82 LP).

2.1.2 A teneur de l'art. 91 CO, le créancier est en demeure lorsqu’il refuse sans motif légitime d’accepter la prestation qui lui est régulièrement offerte, ou d’accomplir les actes préparatoires qui lui incombent et sans lesquels le débiteur ne peut exécuter son obligation.

2.1.3 Selon l'art. 2 al. 1 CC, chacun est tenu d'exercer ses droits et d'exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi. L'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi (art. 2 al. 2 CC).

Constitue notamment un abus de droit l'attitude contradictoire d'une partie. Lorsqu'une partie adopte une certaine position, elle ne peut pas ensuite soutenir la position contraire, car cela revient à tromper l'attente fondée qu'elle a créée chez sa partie adverse; si elle le fait, c'est un venire contra factum proprium, qui constitue un abus de droit. La prétention de cette partie ne mérite pas la protection du droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_590/2016 du 26 janvier 2017 consid. 2.1 et 2.2). 

2.2 En l'espèce, le contrat de prêt du 22 novembre 2019 et l'acte de novation du 5 juillet 2021, tous deux signés par la recourante, constituent des titres de mainlevée de l'opposition formée au commandement de payer litigieux.

Les montants et dates d'exigibilité des intérêts dus sur le prêt ont été fixés par l'échéancier annexé au contrat de prêt du 22 novembre 2019, échéancier qui porte la signature du représentant de la recourante. Celle-ci a par conséquent reconnu son obligation de s'acquitter des montants figurant dans ledit échéancier.

Pour les années 2020 à 2022, les intérêts prévus dans l'échéancier n'ont pas été modifiés par l'acte de novation. Il en résulte que l'intimée est bien au bénéfice d'une reconnaissance de dette pour le paiement des intérêts jusqu'au 10 octobre 2022, période visée par le commandement de payer.

Les montants déterminants sont ainsi ceux figurant dans l'échéancier, lesquels ont été expressément acceptés par la recourante.

La recourante s'est d'ailleurs acquittée, entre 2021 et 2022, de mensualités correspondant à celles qui figurent dans l'échéancier, ce qui atteste qu'elle était bien consciente du fait que les montants qui y figurent étaient dus. A cela s'ajoute que, suite à la première mise en demeure envoyée par l'intimée, réclamant les intérêts prévus dans l'échéancier, la recourante a assuré à sa partie adverse qu'elle entendait respecter ses obligations. Si elle estimait que les montants réclamés par l'intimée étaient incorrects, elle aurait dû, en vertu des règles de la bonne foi, le faire savoir à celle-ci, ce qu'elle n'a pas fait.

La recourante ne prétend par ailleurs pas que les sommes réclamées à teneur du commandement de payer ne correspondent pas aux intérêts dus selon l'échéancier.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la recourante, l'intimée n'était pas en demeure d'accepter sa prestation. En effet, la recourante ne rend pas vraisemblable qu'elle ne pouvait pas effectuer les paiements dus à l'intimée en raison du fait que celle-ci ne lui avait pas donné suffisamment d'informations. En particulier, comme l'a relevé à bon droit le Tribunal, elle n'a pas produit de courriel ou autre document émanant de sa banque attestant de ce que celle-ci refusait d'effectuer un paiement en faveur de l'intimée en raison d'informations lacunaires sur celle-ci.

Il ressort de ce qui précède que l'intimée est bien au bénéfice de titres justifiant la mainlevée de l'opposition formée par la recourante au commandement de payer notifié par ses soins.

Le recours sera par conséquent rejeté.

3. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais du recours (art. 106 al. 1 CPC).

Les frais judiciaires seront arrêtés à 1'325 fr. (art. 48 et 61 al. 1 OELP) et compensés avec l'avance versée par la recourante, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Les dépens dus à l'intimée seront fixés à 4'000 fr., débours compris (art. 25 et 26 al. 1 LaCC; art. 85, 89 et 90 RTFMC).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 28 septembre 2023 par A______ SA contre le jugement JTPI/10175/2023 rendu le 13 septembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2008/2023–12 SML.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met à la charge de A______ SA les frais judiciaires de recours, arrêtés à 1'325 fr. et compensés avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser 4'000 fr. de dépens de recours à B______ LTD.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Mélanie DE RESENDE PEREIRA

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.