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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6342/2023

ACPR/892/2025 du 29.10.2025 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : PARTIE À LA PROCÉDURE;TRIBUNAL FÉDÉRAL;EFFET SUSPENSIF;CONSULTATION DU DOSSIER;SECRET D'AFFAIRES;REFUS DE STATUER;RETARD INJUSTIFIÉ
Normes : CPP.382; CPP.104.al1.letb; LTF.103; LTF.104; CPP.101; CPP.108; Cst.29; CPP.5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6342/2023 ACPR/892/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 29 octobre 2025

 

Entre

A______, représentée par Mes Saverio LEMBO, Louis Frédéric MUSKENS et Adam ZAKI, avocats, quai de la Poste 12, case postale 5056, 1211 Genève 3,

recourante,

 

contre la décision rendue le 10 mars 2025 par le Ministère public ainsi que pour déni de justice et retard injustifié,

 

et

B______ SA, représentée par Me Raphaël JAKOB, avocat, rue François-Versonnex 7, 1207 Genève,

C______, représenté par Mes Delphine JOBIN et Matteo PEDRAZZINI, avocats, rue de Candolle 14, 1205 Genève,

D______, représenté par Me Michel BUSSARD, avocat, avenue de Champel 29, 1206 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 21 mars 2025, A______ (ci-après : A______, la banque ou l'institution) recourt :

·      contre la décision rendue le 10 du même mois, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé de l'autoriser à consulter la présente procédure;

·      pour déni de justice, qu'elle impute à cette autorité;

·      pour violation du principe de la célérité, qu'elle reproche au Procureur.

Elle conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 6'000.- :

·      à l'annulation de la décision susvisée, l'accès au dossier devant lui être octroyé;

·      au constat d'un déni de justice et à ce que le Ministère public soit enjoint de statuer, dans un délai de dix jours, sur ses requêtes tendant au prononcé de séquestres et d'ordres de dépôt;

·      au constat d'une violation du principe de la célérité, l'autorité intimée devant être invitée à poursuivre l'instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Consécutivement à une plainte pénale déposée au printemps 2023 par A______ – société de droit italien ayant son siège à E______ (Italie) – (PP 100'001 et ss), le Ministère public genevois a ouvert une instruction, tout d'abord contre B______ SA (ci-après : B______; PP 300'003), puis contre C______ et D______ (PP 500'016
et ss), administrateurs de cette dernière entité.

En substance, il les soupçonnait d'avoir commis, entre 2018 et 2023, lors de quatre opérations de titrisation de créances conçues pour la banque ainsi que ses clients, opérations qui portaient sur un montant global de l'ordre d'EUR 480 millions, des actes potentiellement constitutifs d'escroquerie (art. 146 CP), abus de confiance (art. 138 CP), gestion déloyale (art. 158 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP).

a.b. A______ a été entendue en qualité de partie plaignante, le 8 mai 2023 (PP 500'000 et ss).

b.a. Au mois de mai 2023, les locaux de B______ ont été perquisitionnés (PP 400'003). Ont été séquestrés (PP 300'001), à cette occasion, trente-quatre dossiers sous format papier [constitués de plus de six mille pages], lesquels contenaient les noms des personnes physiques et morales citées dans la plainte, ainsi que le serveur informatique de la société (PP 400'003).

b.b. À cette suite, aucune demande de mise sous scellés, respectivement de recours contre le principe/l'ampleur de la saisie, n'a été formé.

c. Avancement et déroulement de la procédure entre juin et décembre 2023

c.a.a. À compter du 8 juin 2023, les prévenus se sont prévalus du fait que certaines des pièces séquestrées comportaient des données qui, soit étaient sans rapport avec l'enquête, soit étaient couvertes par des secrets d'affaires. Ils ont requis du Procureur qu'il restreigne le droit de la banque d'accéder à l'ensemble du dossier, le temps pour eux d'identifier/de désigner celles qu'il conviendrait de soustraire à la connaissance de l'intéressée; subsidiairement, un tel accès devrait être aménagé de façon à éviter tout préjudice (PP 600'076 s., 600'081 et ss, 600'175, 600'182 s. ainsi que 600'184 et ss).

c.a.b. Par missive du 19 juin 2023 (PP 600'181), le Ministère public a informé les parties que chacune d'elles pourrait librement accéder aux trente-quatre dossiers saisis [les données informatiques étant, quant à elles, en cours de tri].

A______ a alors sollicité, et obtenu, une copie de ceux-ci.

c.a.c. Le 26 juin 2023, le Procureur a rendu, sur requête des prévenus (PP 600'182 s. ainsi que 600'184 et ss), une ordonnance formelle refusant de restreindre le droit de la banque de consulter la procédure, respectivement de lui enjoindre de garder le secret sur le contenu de celle-ci (PP 300'004 et ss).

c.a.d. Le 13 novembre 2023, la Chambre de céans a rejeté le recours interjeté par B______ (PP 700'000 et ss) contre cette ordonnance (ACPR/896/2023; PP 700'362 et ss).

En substance, elle a considéré qu'il n'y avait pas lieu, comme le demandait la précitée, de restreindre "en bloc" le droit d'accès de A______ aux trente-quatre dossiers séquestrés, non plus que d'aménager les modalités d'un tel accès. Pour le surplus, il appartiendrait à B______, si elle s'y estimait fondée, de soumettre au Procureur une liste exhaustive des documents qu'elle estimait être d'ordre privé et/ou secret, à charge pour ce magistrat de statuer ensuite sur celle-ci.

c.b.a. Parallèlement à ces évènements, la banque a sollicité du Ministère public, à quatre reprises entre les 1er juillet et 13 décembre 2023, qu'il ordonne, d'une part, divers séquestres – portant sur des valeurs sises en Suisse et à l'étranger – et, d'autre part, le dépôt de nombreuses pièces (PP 600'195 et ss, 600'269, 600'303.3 et ss ainsi que 600'635).

c.b.b. Le Procureur ne s'est pas déterminé sur ces demandes.

d. Avancement et déroulement de la procédure entre janvier et septembre 2024

d.a.a. Les prévenus ayant contesté le statut de partie plaignante de A______
(PP 600'353 et ss, 600'519 et ss, 600'389 ainsi que 600'625 et ss), le Procureur a statué sur cet aspect, le 16 janvier 2024 (PP 300'015 et ss).

Il a dénié à cette institution un tel statut (ch. 1 du dispositif de son ordonnance) et lui a enjoint de restituer les pièces du dossier dont elle disposait, respectivement de ne pas utiliser ces pièces à des fins externes à la cause (ch. 2).

d.a.b. La banque a interjeté recours contre cette ordonnance (PP 710'000 et ss).

La Chambre de céans ayant refusé d'accorder l'effet suspensif à cet acte (OCPR/6/2024 du 31 janvier 2024; PP 710'033 s.), A______ a remis au Ministère public les documents de la cause en sa possession (PP 600'666 s.).

Sur le fond, la juridiction de céans a, le 24 juillet 2024 : (1) admis la qualité de lésée de cette institution, en l'état, pour les infractions aux art. 146 et 251 CP – au motif que les éléments du dossier ne permettaient pas de déterminer, à l'aune du droit italien, applicable in casu, mais dont la teneur n'avait pas été établie (cf. art. 16 LDIP), qui de l'établissement ou de ses clients avaient subi un dommage –; (2) dénié à la banque cette même qualité en lien avec les infractions aux art. 138 et 158 CP; (3) annulé le chiffre 2 du dispositif de l'ordonnance susvisée, à charge pour le Ministère public, s'il estimait qu'une restriction partielle de l'accès à la procédure s'imposait s'agissant des infractions aux art. 138 et 158 CP, de rendre une décision sur ce point (ACPR/544/2024; PP 710'288 et ss).

d.b.a. Le 26 juillet 2024, A______ a requis du Procureur qu'il statue sur les séquestres listés dans ses précédentes missives (PP 600'679 et ss).

d.b.b. Ce magistrat ne lui a pas répondu.

d.c.a. Toujours le 26 juillet 2024, le Ministère public a, d'une part, adressé une demande d'entraide au Luxembourg (PP 401'000 et ss) et, d'autre part, invité les parties à se déterminer sur d'éventuelles limitations d'accès de la banque à certaines pièces du dossier, consécutivement à l'arrêt ACPR/544/2024 (PP 710'300 s.).

d.c.b. Au mois d'août suivant, A______ et les prévenus se sont prononcés sur le principe, respectivement l'étendue, desdites limitations (notamment PP 600'698 et ss, 600'701 et ss, 600'814 et ss ainsi que 600'851).

C______ et B______ ont également produit une liste détaillée et motivée des documents qui, parmi les trente-quatre dossiers saisis au sein de cette dernière société, étaient, selon eux, d'ordre privé et/ou secret (cf. ACPR/896/2023); ils ont sollicité que ces documents soient soustraits à la connaissance de la banque.

Les deux précités ont, en outre, informé le Procureur avoir décidé de recourir au Tribunal fédéral contre l'arrêt ACPR/544/2024.

d.d. Le 28 août 2024, ce magistrat a avisé les parties qu'il "se d[evai]t de surs[e]oir" à statuer sur l'accès de la banque au dossier, cela jusqu'à ce que le statut procédural de cette institution soit définitivement tranché par la Haute Cour, laquelle serait prochainement saisie de cette question (PP 600'852).

d.e.a. Le 16 septembre suivant, C______ et B______ ont contesté l'ACPR/544/2024 devant le Tribunal fédéral (PP 710'302 s.).

Ils n'ont assorti leurs actes d'aucune requête tendant à l'octroi de l'effet suspensif et/ou de mesures provisionnelles (PP 710'304).

d.e.b. Les deux causes concernées (7B_993/2024 et 7B_994/2024) sont actuellement pendantes.

e. Avancement et déroulement de la procédure entre l'automne 2024 et le printemps 2025

e.a.a. Le 21 octobre 2024, le Ministère public a complété la demande d'entraide internationale sus-évoquée (PP 401'011 et ss).

e.a.b. Dite demande est revenue exécutée au mois de janvier 2025 (PP 401'018 et ss).

D'après le Procureur, l'analyse des documents transmis par les autorités luxembourgeoises est en cours.

e.b.a. Les 4 septembre et 12 décembre 2024, A______ a requis du Procureur qu'il l'autorise à consulter la procédure, respectivement qu'il ordonne les mesures listées dans ses précédents plis (PP 600'853 s. et 600'864 s.).

e.b.b. Les 10 septembre et 16 décembre 2024, ce magistrat lui a rappelé que le dossier n'était pas consultable, sa qualité de partie plaignante étant contestée devant le Tribunal fédéral; "[d]ans cette mesure, [il] ne p[ouvait] [lui] répondre en l'état" (PP 600'855 et 600'866).

e.c. Les 23 décembre 2024 et 4 mars 2025, la banque a derechef sollicité du Ministère public l'accès au dossier, soulignant que la Haute Cour l'avait récemment informée ne pas avoir octroyé d'effet suspensif aux recours 7B_993/2024 et 7B_994/2024, ni prononcé de mesures provisionnelles, faute de requête formulée en ce sens par les prévenus (PP 600'687 s. et 600'897 s.).

Elle ajoutait déplorer l'absence de progression de l'enquête, passivité qui "fai[sai]t le jeu des[dits] prévenus".

C. Dans sa décision déférée du 10 mars 2025 (PP 600'899), le Ministère public a "réitér[é] sa position d'ores et déjà exprimée", à savoir qu'il tenait pour prématuré le fait de se prononcer sur l'accès de A______ au dossier, respectivement sur la documentation papier/informatique qui devrait le composer, avant que le statut procédural de l'intéressée ne soit définitivement tranché. Dit accès au dossier était donc refusé.

D. a. À l'appui de ses recours et réplique, la banque développe l'argumentaire suivant :

(i) La décision susvisée lui déniait le droit de prendre connaissance de la procédure, cela alors qu'elle revêtait la qualité de partie plaignante. Cette qualité découlait de l'arrêt ACPR/544/2024, lequel était exécutoire (art. 437 al. 3 CPP), même s'il n'était pas encore définitif.

Le refus querellé consacrait donc une violation de l'art. 101 al. 1 CPP; il ne reposait, au surplus, sur aucun des motifs de restriction énoncés à l'art. 108 CPP.

(ii) Étant partie plaignante, elle était légitimée à requérir du Procureur le prononcé de séquestres et/ou d'ordres de dépôt. Or, ses demandes en ce sens étaient restées lettre morte. Aussi ce magistrat avait-il commis un déni de justice.

Il devait être enjoint à l'autorité intimée de traiter ses réquisitions, en rendant une/des ordonnance(s) formelle(s), sujette(s) à recours.

(iii) La procédure n'avait pas connu d'avancée majeure depuis le mois de juin 2023. Ainsi, près de deux ans s'étaient écoulés sans que le Ministère public n'instruise les soupçons d'infractions aux art. 146 et 251 CP dénoncés par ses soins. Le fait que cette autorité se contente d'attendre que les incidents dilatoires soulevés par les prévenus aient été tranchés – notamment celui ayant trait à son statut de partie plaignante – pour faire progresser l'enquête n'était pas admissible. Une telle passivité contrevenait au principe de la célérité.

b. Invité à se déterminer, le Procureur relève ce qui suit :

(i) Le recours était irrecevable en tant qu'il portait sur son pli du 10 mars 2025, pour deux principaux motifs.

Tout d'abord, ce pli ne faisait que rappeler la position exprimée par le Ministère public dans de précédentes missives, datées des 28 août, 10 septembre et
16 décembre 2024, de sorte qu'il ne saurait valoir "(nouvelle) décision".

Ensuite, la banque n'était pas habilitée à recourir (art. 382 CPP), dès lors que la qualité de lésée : lui avait été déniée s'agissant des infractions aux art. 138 et 158 CP; ne lui était pas définitivement acquise pour celles aux art. 146 et 251 CP.

Subsidiairement, le recours était infondé.

En effet, autoriser A______ à consulter le dossier impliquerait de traiter, au préalable, les restrictions d'accès à de nombreuses pièces soulevées par les prévenus, ce qui serait, d'une part, "chronophage" et, d'autre part, prématuré tant que le statut de cette institution demeurerait incertain. À cela s'ajoutait qu'accorder une consultation reviendrait à donner à la banque accès à des données confidentielles, alors qu'elle pourrait, selon l'issue des recours pendants devant le Tribunal fédéral, être finalement écartée de la procédure, ce qui se révélerait préjudiciable pour les prévenus.

(ii) Le grief de déni de justice devait être rejeté.

Le Ministère public n'entendait pas ordonner les séquestres sollicités, pour les raisons explicitées aux pages 8 et 9 de ses observations. "Cela étant, [il] n'a[vait] pas formalisé sa décision au motif (…) [qu'il] n'y a[vait] pas de partie à qui la notifier", eu égard au statut actuel de A______.

(iii) Le principe de la célérité demeurait respecté.

Ainsi, l'instruction avait été menée sans désemparer et la procédure n'avait pas connu de temps morts ni de périodes d'inactivité d'une durée choquante. De surcroît, la cause était complexe et avait été émaillée d'incidents de procédure.

c.a.a. Dans leurs écritures respectives, C______ et B______ se déterminent comme suit :

(i) Le traitement du recours contre la décision du 10 mars 2025 devait être suspendu jusqu'à droit jugé, par le Tribunal fédéral, sur les actes déposés par leurs soins. En effet, admettre que la banque revêtirait, à ce stade, la qualité de partie plaignante leur causerait un préjudice irréparable, sous l'angle de l'accès au dossier.

Subsidiairement, la Chambre de céans était invitée à réexaminer le statut procédural de A______, qualifiée à tort de lésée. Cela conduirait au constat de l'irrecevabilité du recours cantonal et rendrait sans objet la procédure pendante devant la Haute Cour.

Plus subsidiairement, le recours cantonal était infondé. La position du Ministère public tendant à attendre l'issue des recours fédéraux relevait du "bon sens" et répondait à une préoccupation légitime d'économie de procédure, vu l'ampleur de la tâche qu'induirait le tri des pièces saisies.

(ii) La banque n'était pas légitimée à requérir le prononcé de mesures de séquestre, faute d'avoir subi un dommage du chef des faits dénoncés. Elle ne pouvait donc prétendre à la restitution/l'allocation d'une quelconque somme d'argent. Aussi le grief tiré d'un déni de justice était-il irrecevable.

En tout état, ce grief devait être rejeté, les conditions pour ordonner de telles mesures de contrainte n'étant pas réalisées.

(iii) Aucune violation du principe de la célérité ne pouvait être imputée au Ministère public, le choix de ce dernier de surseoir à statuer n'étant point critiquable, pour les raisons préalablement exposées.

c.a.b. B______ et C______ sollicitent l'octroi de dépens, que ce dernier chiffre à
CHF 4'500.-.

c.b. D______ se rallie aux observations et conclusions de ses coprévenus, sans autre développement.

EN DROIT :

I. Premier volet du recours (décision du 10 mars 2025)

1. 1.1. L'acte y relatif a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP).

1.2. Il sied de déterminer s'il est dirigé contre une ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2.1. En vertu de l'art. 102 al. 1 CPP, le procureur statue sur la consultation des dossiers.

Il est tenu de rendre une décision pour chaque demande qui lui est faite en ce sens, laquelle est susceptible de recours (L. MOREILLON/ A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du Code de procédure pénale, 3ème éd., Bâle 2025, n. 1 et 6 ad art.102).

1.2.2. In casu, le refus du Ministère public de laisser la recourante accéder à la procédure, au mois de mars 2025, constitue une décision au sens de l'art. 102 CPP et est, comme telle, sujette à contestation.

Que la motivation de cette décision soit identique à celle retenue dans de précédentes ordonnances, en l'absence d'élément nouveau, ne lui ôte nullement son caractère de prononcé formel et distinct.

Dite décision peut donc bien être querellée via un recours.

1.3. Reste à examiner si la banque revêt, en l'état, le statut de partie plaignante, réquisit nécessaire pour admettre sa qualité pour agir (art. 104 al. 1 let. b cum 382 CPP).

1.3.1. Les arrêts de la Chambre de céans entrent en force le jour où ils sont rendus (art. 437 al. 3 CPP; L. MOREILLON/ A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 19 ad art. 437), y compris lorsqu'ils sont contestés devant le Tribunal fédéral
(art. 103 al. 1 LTF).

C'est toutefois sous réserve, dans l'hypothèse d'une saisine de la Haute Cour :

·      des décisions cantonales prononçant une peine privative de liberté ferme ou une mesure entraînant une telle privation de liberté, qui sont assorties d'un effet suspensif ex lege (art. 103 al. 2 let. b LTF);

·      des jugements cantonaux mettant un terme à la procédure pénale, la jurisprudence admettant, en pareil cas, que la cause se poursuit jusqu'au moment du prononcé fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 1B_58/2014 du 15 avril 2014 consid. 3.1 et 6B_440/2012 du 14 décembre 2012 consid. 2.2.2 et 2.3.2);

·      de l'octroi, par le Tribunal fédéral, sur demande du recourant, de l'effet suspensif à son recours en matière pénale (art. 103 al. 3 LTF);

·      du prononcé, par la Haute Cour, toujours sur requête du recourant, de mesures provisionnelles (art. 104 LTF), lesquelles peuvent notamment consister, quand le statut d'une partie plaignante est querellé, à faire interdiction au ministère public d'accorder à l'intéressée l'accès au dossier pénal jusqu'à droit connu sur le recours (cf. en ce sens : arrêt du Tribunal fédéral 1B_399/2018 du 23 janvier 2019
lettre C. in fine).

1.3.2. Lorsque le recours fédéral n'a pas d'effet suspensif [et qu'aucune des autres exceptions susmentionnées n'est réalisée], la décision cantonale déploie ses effets juridiques nonobstant la saisine de la Haute Cour. S'il s'agit d'une décision incidente susceptible d'une contestation immédiate, la procédure cantonale continue sur la base de ce prononcé (G. BOVEY, Commentaire de la LTF, 3ème éd., Berne 2022, n. 12
ad art. 103).

1.3.3. En l'espèce, la recourante s'est vu reconnaître, par la Chambre de céans,
le 24 juillet 2024, la qualité de partie plaignante pour deux des infractions dénoncées par ses soins, à savoir celles aux art.146 et 251 CP.

L'arrêt ACPR/544/2024 y relatif, qui ne met pas fin à la présente procédure, constitue une décision incidente.

C______ et B______ ont recouru au Tribunal fédéral contre cet arrêt, sans toutefois assortir leurs actes d'une requête tendant à l'octroi de l'effet suspensif et/ou de mesures provisionnelles.

Il s'ensuit que ledit arrêt est actuellement en force (cf. art. 437 al. 3 CPP cum
103 al. 1 LTF).

Aussi la recourante dispose-t-elle du statut de lésée, à ce stade.

1.3.4. La Chambre de céans ne saurait réexaminer ce statut – comme l'y invite les prévenus – au détour de l'analyse des conditions de recevabilité du présent recours, dirigé contre une décision de refus d'accès au dossier.

En effet, l'arrêt ACPR/544/2024 est, en l'état, exécutoire, on l'a vu.

La question de la qualité de partie plaignante de la banque ressortit donc au seul Tribunal fédéral.

1.3.5. La juridiction de céans ne saurait davantage suspendre l'examen du recours cantonal jusqu'à droit jugé, par la Haute Cour, sur cette question.

Cela reviendrait à conférer, de facto, un effet suspensif aux deux recours en matière pénale, effet qui, faute d'avoir été demandé, n'a pas été octroyé par ladite Cour.

1.3.6. À cette aune, la recourante est habilitée à quereller (art. 104 al. 1 let. b
cum 382 CPP) la décision du 10 mars 2025.

1.4. Son acte est donc recevable.

2. La banque conteste le refus du Ministère public de l'autoriser à prendre connaissance du dossier.

2.1. La partie plaignante a le droit de consulter la procédure et d'en lever copie
(art. 101 al. 1 cum 107 al. 1 let. a CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_601/2021 du
6 septembre 2022 consid. 3.2).

2.2. Le prévenu peut, en tout temps (ACPR/896/2023 du 13.11.2023, consid. 4.3), requérir du procureur qu'il restreigne le droit d'accès du lésé au dossier (arrêt du Tribunal fédéral 1B_48/2021 du 23 juin 2021 consid. 3.2 in fine).

2.2.1. Selon l'art. 108 al. 1 let. b CPP, une telle restriction peut être envisagée pour préserver des intérêts privés, tels que le maintien de secrets (d'affaires, bancaire, etc.) ou la protection de la sphère individuelle (M. NIGGLI/ M. HEER/ H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar StPO/JStPO, 3ème éd., Bâle 2023, n. 6 ad art. 108; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 6 ad art. 108).

Le requérant doit rendre vraisemblable l'existence d'un danger concret (ACPR/896/2023 précité, consid. 4.3.1; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 1B_426/2022 du 29 novembre 2022 consid. 1.2, rendu en matière de mesures de surveillance secrète) et désigner les pièces qui revêtent, d'après lui, un caractère privé/confidentiel (arrêt du Tribunal fédéral 1B_426/2022 précité).

2.2.2. À teneur de l'art. 108 al. 1 let. a CPP, une limitation peut également se justifier lorsqu'il y a de bonnes raisons de soupçonner qu'une partie abuse de ses droits.

2.3. En l'occurrence, la banque est légitimée à consulter le dossier (art. 101 CPP), puisqu'elle revêt le statut de partie plaignante, en l'état.

Le Procureur ne peut donc lui refuser cette prérogative que pour l'un des motifs prévus par l'art. 108 al. 1 CPP.

Les prévenus s'étant prévalus du fait que des documents d'ordre privé et/ou secret figureraient à la procédure (cf. art. 108 al. 1 let. b CPP), il appartient au Ministère public d'effectuer le tri qui s'impose; en effet, ceux-là ont dûment fourni une liste détaillée et motivée des documents qu'ils souhaitent voir retrancher du dossier
(cf. lettre B.d.c.b supra et consid. 2.2.1 in fine).

Que cette activité puisse se révéler "chronophage" n'y change rien.

Il en va de même de la saisine, par les intimés, du Tribunal fédéral, le Procureur n'ayant pas à suppléer l'absence d'effet suspensif à leurs recours en matière pénale.

Il n'y a, par ailleurs, aucun risque que la banque prenne connaissance, et lève copie, de (potentielles) données confidentielles, le tri sus-évoqué ayant précisément pour finalité de l'écarter.

À cette aune, la décision querellée viole les art. 101 et 108 CPP.

3. En conclusion, le recours est fondé sur ce premier aspect.

Partant, l'ordonnance déférée doit être annulée et le Procureur invité à procéder dans le sens des considérants.

II. Deuxième volet du recours (déni de justice)

4. 4.1. Ce grief, formulable en tout temps (art. 396 al. 2 CPP), a été invoqué par la banque, qui revêt, en l'état, le statut de partie plaignante (cf. consid. 1.3 supra).

4.2. Cette dernière dispose, à ce jour encore, d'un intérêt à ce qu'il soit examiné.

En effet, bien que le Ministère public ait exposé, dans ses observations, les raisons pour lesquelles il n'entendait point prononcer les séquestres sollicités, il ne l'a toutefois pas fait via une/des décision(s) formelle(s), sujette(s) à recours. Ses écritures ne disent du reste mot des ordres de dépôt requis par la recourante.

4.3. Aussi l'acte est-il recevable sur cet aspect.

5. 5.1. Commet un déni de justice formel, prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst féd., l'autorité qui ne statue pas sur une demande qui lui est soumise (ATF 130 I 312 consid. 5.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_144/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.1).

5.2. Dans la présente affaire, le Procureur explique ne pas avoir été en mesure de formaliser son refus de donner suite à certaines requêtes de la banque (séquestres), au motif qu'il n'y aurait pas de partie à qui notifier son/ses ordonnance(s).

Ces considérations se heurtent au fait, d'une part, que lesdites requêtes ont été formulées en 2023 déjà, époque à laquelle le statut procédural de la recourante n'était pas contesté, et, d'autre part, que la banque revêt actuellement la qualité de partie plaignante.

À cela s'ajoute que les autres demandes (ordres de dépôt) formulées par cette institution n'ont pas été traitées, comme exposé supra.

Or, la recourante est légitimée à recevoir une/des décision(s) formelle(s) sur l'ensemble de ces points, contre laquelle/lesquelles elle pourra recourir si elle s'y estime fondée. C'est dans le cadre de cette/ces décision(s) que devra être examiné le grief soulevé par les intimés devant la Chambre de céans, à savoir que la banque n'aurait subi aucun dommage du chef des faits litigieux, cette problématique relevant des art. 263 CPP cum 70/71 CP.

À cette aune, le déni de justice est consacré.

6. En conclusion, le recours se révèle fondé sur ce deuxième aspect.

Par conséquent, l'existence d'un tel déni doit être constatée et le Procureur invité à statuer sur les réquisitions de la recourante, cela à brève échéance.

III. Troisième volet du recours (violation du principe de la célérité)

7. L'acte y relatif est recevable pour les mêmes motifs que ceux exposés au considérant 4.1 supra, applicables mutatis mutandis, étant ajouté que la banque dispose d'un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à ce que les soupçons d'infractions aux
art. 146 et 251 CP dénoncés par ses soins soient instruits sans retard injustifié.

8. 8.1. Les art. 29 al. 1 Cst féd. et 5 CPP garantissent à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable.

Le procureur viole cette garantie quand il ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre, soit dans le délai prescrit par la loi, soit dans celui que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme approprié. L'on ne saurait reprocher à ce magistrat quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure; lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1009/2024 du 24 février 2025 consid. 5.2).

Selon la jurisprudence, une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction doit être qualifiée de choquante (ibidem).

8.2. In casu, le Ministère public n'est point resté passif depuis l'été 2023.

En effet, cette autorité a, aux mois de : juin 2023, rendu une ordonnance refusant de restreindre le droit d'accès global de la banque au dossier; janvier 2024, statué sur la qualité de partie plaignante de cette institution; juillet et octobre 2024, décerné, puis complété, une commission rogatoire au Luxembourg; janvier 2025, réceptionné ladite commission et débuté l'analyse des documents transmis; mars 2025, rendu la décision querellée dans le présent recours.

Les intervalles séparant chacun de ces actes sont en-deçà de ce que la jurisprudence considère comme une carence choquante.

De plus, la durée globale de l'enquête, initiée en 2023, demeure appropriée, au vu de la complexité de la cause, celle-ci portant sur une problématique de titrisation de créances, présentant des ramifications internationales et soulevant des questions de droit étranger.

Le seul fait que le Procureur a omis de statuer sur certaines requêtes de la banque, raison pour laquelle un déni de justice a été admis, est impropre à infirmer ce constat.

Il s'ensuit que le grief tiré d'une violation des art. 29 al. 1 Cst féd. et 5 CPP doit être rejeté.

9. En conclusion, le recours se révèle infondé sur cet ultime aspect.

IV. Frais et indemnité

10. La banque obtient gain de cause sur deux des trois volets de son acte
(art. 428 al. 1 CPP).

Elle sera, en conséquence, condamnée au tiers des frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit au paiement de CHF 666.65. Cette dernière somme sera prélevée sur les sûretés versées, le solde (CHF 1'333.35) devant lui être restitué.

Les deux tiers restant de ces frais (CHF 1'333.35) seront laissés à la charge de l'État (art. 423 al. 1 cum 428 al. 1 CPP).

11. 11.1. Conformément à l'art. 436 al. 3 CPP, la recourante a droit à une juste indemnité en lien avec l'activité pour laquelle elle a obtenu gain de cause.

Elle réclame CHF 6'000.- à ce titre, sans toutefois justifier cette prétention.

Un montant de CHF 2'000.- lui sera octroyé, ex aequo et bono, hors TVA, l'intéressée ayant son siège en Italie (ATF 141 IV 344), à la charge de l'État.

11.2. Dans la mesure où B______ et C______ se sont tous deux déterminés sur le recours et où ils ont obtenu partiellement gain de cause, ils peuvent prétendre à l'octroi de dépens (art. 436 al. 2 CPP).

Une somme de CHF 1'000.- sera allouée à chacun d'eux, à la charge de l'État, laquelle apparaît être en adéquation avec les développements de trois pages qu'ils ont consacrés, dans leurs actes respectifs, au grief de violation du principe de la célérité.

Seule celle octroyée à B______ sera majorée de la TVA à 8.1% (CHF 81.-), cette société ayant son siège en Suisse – C______ résidant, pour sa part, à l'étranger –.

11.3. D______ s'étant contenté, dans une missive rédigée par son avocat, de se rallier à la position de ses coprévenus, il n'apparaît pas avoir dû assumer de dépense justifiant l'octroi d'une indemnité (art. 430 al. 1 let. c CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours en tant qu'il porte sur la décision du 10 mars 2025.

Annule cette décision et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Admet le recours dans la mesure où il est formé pour déni de justice.

Constate un tel déni, en lien avec les requêtes de A______. tendant au prononcé de mesures de séquestre et d'ordres de dépôt, et invite le Ministère public à statuer sur celles-ci à brève échéance.

Rejette le recours en tant qu'il porte sur la violation du principe de la célérité.

Condamne A______. au tiers des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-, soit au paiement de CHF 666.65.

Dit que ce montant (CHF 666.65) sera prélevé sur les sûretés versées, le solde (CHF 1'333.35) devant être restitué à la précitée.

Laisse le solde des frais de la procédure de recours (CHF 1'333.35) à la charge de l'État.

Alloue à A______., à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'000.- TTC, pour la procédure de recours (art. 433 CPP).

Alloue à B______ SA, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'081.-, TVA à 8.1% incluse, pour la procédure de recours (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Alloue à C______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'000.- TTC pour la procédure de recours (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______., B______ SA, C______ et D______, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

 

 

 

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6342/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

40.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'888.00

Total

CHF

2'000 .00