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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/16479/2012

ACPR/885/2025 du 29.10.2025 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : PRESCRIPTION;DÉLAI;CONDUITE DU PROCÈS;DROIT D'OBTENIR UNE DÉCISION;REFUS DE STATUER;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ;RETARD INJUSTIFIÉ
Normes : Cst.29.al2; Cst.29.al1; CPP.5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16479/2012 ACPR/885/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 29 octobre 2025

 

Entre

La ville de A______, B______ [Pays], représentée par Mes Christophe EMONET et Nicolas HERREN, avocats, PESTALOZZI Avocats SA, cours de Rive 13, 1204 Genève,

recourante,

 

pour déni de justice et retard injustifié du Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 19 juin 2025, la ville de A______ recourt pour déni de justice, retard injustifié, et violation des principes de la célérité et de la légalité, qu’elle reproche au Ministère public.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l’existence d’un déni de justice et d’un retard injustifié à la suite de l’avis de prochaine clôture du 3 mars 2025 ; à la constatation de la violation des principes de la célérité et de la légalité dans la conduite de la procédure ; et à ce qu’il soit enjoint au Ministère public de poursuivre dans les plus brefs délais son investigation préliminaire, subsidiairement de rendre immédiatement l’ordonnance de classement annoncée.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. C______ a été nommé, par le Président de la République de B______, maire de A______ entre 1997 et 2004, puis gouverneur de la Région de D______ jusqu’en 2007. En automne de cette dernière année, le précité et sa femme E______ ont quitté leur pays et se sont installés à Genève, où résidaient déjà leurs enfants F______ et G______.

b.a. Entre février 2012 et septembre 2015, B______ a adressé au Ministère public genevois quatre demandes d’entraide (CP/1______/2012). En substance, il y exposait instruire une procédure pénale contre divers protagonistes, qu’il soupçonnait d’appartenir à une organisation criminelle, parmi lesquels E______ et C______. Le précité aurait, entre 1997 et 2007, violé ses devoirs de fonction, en vendant "à bas prix", grâce au concours d'autres agents publics, nombre de terrains étatiques – incessibles pour certains –, à des sociétés détenues/contrôlées par son épouse, immeubles que cette dernière revendait ensuite à leur valeur réelle. Pour étayer ses requêtes, B______ a cité huit exemples, intitulés "épisodes", de ventes/détournements de biens publics (ci-après, les épisodes ou les occurrences). E______ avait transféré les profits réalisés à ces occasions, de l'ordre d'USD 250 millions à l'étranger, singulièrement en Suisse, sur des comptes appartenant à sa fille.

Était sollicitée la saisie, d'une part, des justificatifs afférents à la fortune de la famille [de] C______ et, d'autre part, des valeurs/biens (im)mobiliers appartenant aux membres de cette dernière.

b.b. En juin 2018, le Ministère public a déclaré irrecevables ces requêtes.

c. Parallèlement, entre novembre 2012 et mars 2018, le Procureur a reçu plusieurs communications du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent
(ci-après, MROS), à la suite de dénonciations de banques auprès desquelles la famille [de] C______ – en particulier E______ et F______ – détenait (in)directement des comptes.

d.a. Parallèlement encore, le Ministère public a ouvert sous le numéro P/16479/2012 une procédure pénale du chef de blanchiment d'argent (art. 305bis CP), dans un premier temps, contre inconnu (en novembre 2012), puis contre C______, E______ et F______ (courant 2017), qu'il soupçonnait d'avoir transféré, en Suisse, les produits d'infractions commises à B______, pour en dissimuler la provenance illicite et, partant, en éviter la confiscation.

d.b. Entre novembre 2012 et janvier 2016, il a ordonné le séquestre, pour toute relation dont seraient ou auraient été titulaires, ayants droit économique ou fondés de procuration les membres de la famille [de] C______ auprès de plusieurs banques suisses, des avoirs en compte, des documents d’ouverture usuels, des relevés de compte et de pièces justificatives de plusieurs entrées figurant au crédit et au débit des comptes.

Les pièces produites concernent une quarantaine de comptes et représentent un volume de 19 classeurs fédéraux.

d.c. Entendus entre les 18 avril 2013 et 19 octobre 2017, C______, E______ et F______ ont en substance contesté les faits reprochés.

d.d.a. Par déclaration du 22 août 2017, la ville de A______ s'est constituée partie plaignante, acte qu'elle a complété le 5 janvier 2021.

Dans ses écritures, elle a détaillé le déroulement de six occurrences de ventes/détournements de biens publics communaux orchestrées (in)directement par C______ en faveur de son épouse, ajoutant qu’il y en avait eu de nombreuses autres.

d.d.b. À l'appui de ses allégués, la ville de A______ a produit les relevés de diverses relations bancaires détenues par E______ et F______ auprès de l'établissement B______ H______. D'après ceux-ci, les prénommés avaient transféré, entre 2003 et 2007, des sommes totalisant plusieurs millions de dollars américains/d'euros sur des relations helvétiques appartenant à leur fille et sœur.

d.d.c. Les conseils de la ville de A______ ont été avisés le 14 septembre 2017 que leur cliente était admise à la procédure en qualité de partie plaignante.

e. Par lettre du 25 juin 2018, C______ et E______ se sont déterminés sur les opérations visées dans la plainte, soutenant que la ville de A______ devait se voir refuser l’accès au dossier.

Les 31 octobre 2018 et 7 mars 2019, la plaignante a demandé une décision formelle consacrant son droit d’accès à la procédure.

f. Le 13 mai 2019, C______ et E______ ont demandé au Ministère public de classer la poursuite, excipant du principe ne bis in idem après leur condamnation, le 8 octobre 2018, par un tribunal B______, dont ils ont fourni la traduction du jugement.

g. Le 4 septembre 2019, le Ministère public a émis un avis de prochaine clôture, annonçant le classement de la procédure et invitant les parties à lui soumettre leurs réquisitions de preuve et/ou demandes d’indemnité, ce qu’elles ont fait le 30 suivant.

Dans une lettre du même jour, il les a informées qu’il "examinerait" dans le cadre de l’ordonnance de classement la question de l’accès au dossier de la plaignante.

h.a. Par ordonnance rendue le 12 novembre 2019, le Procureur a notamment classé la procédure, octroyé un droit d’accès limité au dossier à la ville de A______, mis les frais à la charge de C______ et E______, et écarté toute indemnisation des prévenus.

h.b. Sur recours de la ville de A______, la Chambre de céans a, par arrêt du 11 mars 2020 (ACPR/190/2020), considéré que même si la procédure d’entraide était clôturée, il subsistait un risque de transmission de renseignements à B______ de la part de la ville de A______ ; en effet, ces deux collectivités étaient étroitement liées ; de plus, les pièces bancaires figurant au dossier pénal étaient les mêmes que celles requises par la voie de l’entraide. Force était donc de nier, à la plaignante, l’accès aux résultats des recherches bancaires (réponse des établissements et documents relatifs aux comptes). En revanche, les actes de la procédure (ordonnances – y compris de séquestres bancaires –, procès-verbaux, correspondances) devraient pouvoir être consultés par les avocats de la plaignante, mais non par cette dernière. La ville de A______ devrait ensuite avoir la possibilité de présenter des réquisitions de preuve, sur lesquelles il appartiendrait au Ministère public de statuer, avant de se prononcer à nouveau sur le sort de la poursuite. L’ordonnance de classement était donc annulée.

h.c. Le 6 août 2020, le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par la ville de A______ contre cet arrêt. Il a confirmé le bien-fondé de l’étendue de la limitation d’accès au dossier précitée, respectivement son caractère proportionné (arrêt 1B_2______/2020).

i.a. Après avoir autorisé le 5 octobre 2020 les conseils de la ville de A______ à consulter le dossier dans les limites précitées, le Procureur a, à nouveau, informé les parties, le 27 novembre 2020, qu’un classement allait être prononcé.

i.b. Les 5 et 21 janvier 2021, la plaignante a sollicité l’administration d’actes d’enquête complémentaires consistant, pour l’essentiel, en la saisie de documents (notamment bancaires) et l’audition des prévenus. C______, E______ et F______ ont requis, dans des écritures circonstanciées, d’être indemnisés au sens de l’art. 429 CPP.

j.a. Les 24 février, 8 et 23 mars 2021, le Ministère public a adressé des ordres de dépôt à I______ en vue d’obtenir diverses pièces bancaires (relevés, dossier de l’ouverture à la clôture du compte et justificatifs permettant d’identifier la provenance de fonds) relatives à quatre comptes ouverts aux noms de G______, J______ FOUNDATION, K______ LTD et L______ FOUNDATION.

La banque s’est exécutée les 24 février, 22 et 26 mars 2021.

j.b. Par lettre du 2 juin 2021, la ville de A______ a requis d’autres actes d’instruction.

k.a. Par ordonnance du 30 juillet 2021, le Ministère public a classé la procédure dirigée contre C______, E______ et F______. Dans la partie en fait de sa décision, il a uniquement mentionné les dates d’arrivée en Suisse des valeurs liées aux épisodes 1 à 5. Sur le fond, il a considéré que les terrains concernés par ces épisodes avaient été acquis en toute légalité dans le respect des procédures applicables aux privatisations de biens B______, décrits par C______. L’existence de soupçons suffisants contre les prévenus devait donc être niée. Subsidiairement, l’infraction à l’art. 305bis CP était prescrite. L’épisode 6 se fondait sur des allégués relatifs aux investigations B______, sans autres éléments accréditant les soupçons. Les frais de la cause étaient imputés à C______ et E______, les soupçons du MROS à leur sujet étaient venus étayer les éléments dénoncés par B______ dans ses demandes d’entraide. Corrélativement, aucune indemnité ne leur était due. Quant à F______, des dépens réduits lui étaient alloués. Il était débouté de ses autres conclusion en indemnisation (dommage économique et tort moral).

k.b. Par arrêt du 10 mars 2022 (ACPR/177/2022), la Chambre de céans a partiellement admis le recours formé par la ville de A______, et admis, dans la mesure où ils conservaient encore un objet, ceux formés par C______ et E______, d’une part, et F______, d’autre part.

Aucun des deux motifs sur lesquels reposait le classement des épisodes 1 à 5 ne pouvait être confirmé. Tout d’abord, les pièces produites ne corroboraient ni n’infirmaient des infractions contre les devoirs de fonction, de sorte que l’existence de crimes préalables commis à B______ ne pouvait être niée. Ensuite, le Ministère public – qui s’était contenté de retenir au titre de dies a quo de la prescription la date d’arrivée des fonds en Suisse – n’avait nullement examiné si des transactions séparées sur ces avoirs (remplois/utilisations), susceptibles de constituer des actes d’entrave, étaient intervenues après cette période – cas dans lequel la prescription courait séparément pour chacune d’elles –, ou si des opérations qui formaient un tout et s’inscrivaient dans la durée étaient en cours à cette même période – voire avaient débuté après celle-ci – hypothèse où le dies a quo de la prescription débuterait le jour du dernier acte
(art. 98 let. b et c CP). Si le Ministère public entendait clore la procédure en raison de la prescription, il lui incombait d’informer la ville de A______ du type et de la date des opérations pertinentes pour juger de la prescription ou, à tout le moins, d’énoncer ces données dans sa décision. De surcroit, le Procureur avait commis un déni de justice, en ne s’étant pas prononcé sur un autre épisode. Pour le surplus, le classement a été confirmé.

S’agissant de la décision sur les frais, il a été retenu que la motivation du Ministère public était trop vague pour permettre de vérifier si et dans quelle mesure les communications du MROS avaient joué un rôle concret dans l’ouverture de la procédure, puis dans l’instruction. Enfin, l’autorité précédente s’était abstenue de se prononcer sur les éléments circonstanciés de la requête en indemnisation de F______.

k.c. Le 7 juillet 2022, le Tribunal fédéral a déclaré le recours des prévenus irrecevable au motif que les conditions restrictives de l’art. 93 al. 1 let. b LTF n’étaient pas remplies. En effet, les intéressés n’exposaient nullement en quoi les mesures d’instruction à diligenter par le Ministère public risquaient d’être longues et couteuses (arrêt 6B_3______/2022).

l. Par courriers des 1er et 19 décembre 2022, la ville de A______ a demandé au Procureur s’il s’était déterminé sur l’utilisation des fonds litigieux en Suisse, respectivement s’il avait ordonné d’autres actes d’instruction, ce à quoi ce dernier a répondu, le 21 suivant, qu’il lui "reviendrai[t] tout prochainement".

m. La plaignante a réitéré ses demandes par lettres des 17 janvier et 11 mai 2023.

Aucune réponse n’a été apportée à ces missives.

n. Le 5 juin 2023, la ville de A______ a formé un recours pour déni de justice, retard injustifié et violation du principe de la célérité.

o. Le 9 suivant, le Ministère public a convoqué les parties pour une audience de confrontation fixée d’abord au 13 septembre, puis – à la suite d’un empêchement du représentant de la plaignante – au 5 décembre 2023.

p. Le 15 juin 2023, il a versé au dossier deux tableaux analysant le flux des fonds liés aux épisodes 1 à 5 après l’arrivée des fonds en Suisse.

q. Par pli du 26 juin 2023, la ville de A______ a déclaré retirer son recours pour déni de justice et retard injustifié. Elle invitait toutefois le Ministère public à procéder à de nouveaux actes d’instruction dans les plus brefs délais. En effet, les tableaux versés au dossier étaient incomplets, dès lors que l’analyse des flux "s’arrêtait en 2011". Il convenait dès lors d’examiner ce qu’il était advenu des fonds transférés vers une liste de comptes.

r. Les 27 juin et 25 juillet 2023, le Ministère public a adressé des ordres de dépôt à la banque I______ en vue de l’obtention des pièces bancaires (formulaire A, signatures et profils clients, justificatifs des transactions de plus de CHF 1 million et relevés de compte) relatives à quatre comptes ouverts aux noms de G______ et trois autres sociétés.

La banque précitée y a donné suite les 6 juillet et 10 août 2023. Les pièces produites représentent un volume total de deux classeurs fédéraux.

s. Le 9 décembre 2023, le Ministère public a tenu une audience de confrontation lors de laquelle le représentant de la ville de A______ a été entendu sur le droit B______ applicable au moment des faits.

t. Le 6 février 2024, le Procureur a requis de l’Institut suisse de droit comparé
(ci-après, ISDC) des renseignements sur la loi B______ en matière de vente de terrains et de réglementation des prix pour la période de 2000 à 2004.

Le 8 mars suivant, l’Institut précité a fourni les textes légaux topiques rédigés en langues B______ et russe. Aucune traduction ne figure au dossier.

u. Par courriers des 9 octobre et 15 novembre 2024, la ville de A______ a demandé au Ministère public si les tableaux des flux financiers avaient été complétés.

Par pli du 17 décembre suivant, elle a déploré qu’aucune suite n’avait été donnée à ses envois précédents et informé le Procureur que, faute de nouvelles de sa part, elle introduirait un recours pour déni de justice.

v. Le 29 janvier 2025, le Ministère public a versé à la procédure une nouvelle version des tableaux de flux financiers.

Y est jointe une note de l’analyste aux termes de laquelle les informations reçues les 6 juillet et 10 août 2023 de la banque I______ avaient permis de compléter l’analyse des flux des fonds liés aux épisodes 1, 2, 3 et 5. Les transactions mentionnées dans le schéma étaient établies selon le principe "premier entré, premier sorti", en partant de l’hypothèse que lorsque des fonds de provenance illicite étaient crédités sur un compte, ils étaient ensuite les premiers à être débités. C’est pourquoi, les transactions intervenues après que les fonds retenus à titre de blanchiment étaient consommés ne figuraient plus dans le tableau des flux financiers.

w. Par avis de prochaine clôture de l’instruction du 4 mars 2025, le Ministère public a informé les parties qu’il entendait rendre une ordonnance de classement, considérant que les épisodes 1 à 5 étaient atteints par la prescription et que, s’agissant de l’épisode 7, il n’existait pas de prévention pénale suffisante. Un délai au 4 avril suivant leur était imparti pour présenter leurs réquisitions de preuve et solliciter une indemnisation.

x.a. Par plis des 4 avril 2025, les prévenus ont exposé qu’il convenait de classer les épisodes 1 à 5 pour absence de prévention suffisante – et non pas en raison de l’atteinte de la prescription –, précisant renoncer à des réquisitions de preuve. Ils ont par ailleurs requis d’être indemnisés au sens de l’art. 429 CPP.

x.b. Par pli du même jour, la ville de A______ s’est opposée au classement et a persisté dans ses précédentes réquisitions. En effet, le Ministère public avait supprimé du premier tableau de l’analyse des flux plusieurs transferts effectués après le 27 mars 2009 – en se prévalant à tort du principe "premier entré, premier sorti" – et ce, dans le seul but de pouvoir invoquer la prescription comme motif de classement. Or, il convenait d’examiner ce qu’il était advenu des fonds transférés vers une liste de comptes. Cette analyse devrait pouvoir se faire "assez rapidement", dès lors que la documentation bancaire pertinente avait déjà été versée au dossier.

y. Par courrier du 10 juin 2025, la ville de A______ a déploré que le Ministère public n’eût pas encore statué sur ses demandes et lui a imparti un délai au 17 suivant, soit pour rendre une ordonnance de classement, soit pour lui annoncer les actes d’instruction qu’il entendait accomplir.

z. Le 12 suivant, le Procureur a répondu qu’il se déterminerait sur la position de la plaignante dans le cadre de l’ordonnance de classement.

D. a. Dans son recours, la ville de A______ reproche tout d’abord au Ministère public un déni de justice et un retard injustifié pour avoir omis, durant plus de 3.5 mois, de statuer sur les actes d’instruction sollicités, respectivement de rendre l’ordonnance de classement annoncée dans l’avis de prochaine clôture du 3 mars 2025. Rien ne justifiait un tel temps d’attente, dès lors que le Procureur avait déjà invoqué la prescription dans ses deux précédentes ordonnances de classement. Il en allait de même des demandes d’indemnisation, lesquelles avaient été examinées dans le cadre des ordonnances précitées. Qui plus est, le Ministère public avait par le passé refusé de statuer sur ses requêtes, étant précisé que seul le recours pour déni de justice déposé le 5 juin 2023 l’avait poussé à accomplir quelques actes d’instruction. Le retard pris était d’autant plus choquant que le Procureur était, depuis longtemps, "conscient du risque de prescription des infractions reprochées" et n’avait accompli, depuis la mise en prévention des membres de la famille [de] C______, que quelques actes d’instruction.

La recourante reproche également au Ministère public d’avoir violé les principes de la célérité et de la légalité. Alors que l’instruction avait été ouverte en 2012, ce dernier était "resté quasi inactif" dès décembre 2014, jusqu’à la mise en prévention des mis en cause en octobre 2017. Puis, il avait "laissé écouler le temps", avant de rendre deux ordonnances de classement et annoncer le prononcé d’une troisième. Une inaction était également à déplorer à la suite de l’arrêt de la Chambre de céans de mars 2022 et après l’audience de confrontation du 9 décembre 2023. En somme, le Ministère public n’avait entrepris que très peu d’actes d’instruction et ce, sur une longue période.

b. Dans ses observations, le Ministère public – qui énumère les différentes étapes de la procédure à la suite de l’arrêt de la Chambre de céans du 10 mars 2022 – relève avoir, dans l’intervalle, procédé à l’analyse des flux financiers à l’aune des arguments de la plaignante et s’être penché sur les "volumineuses demandes d’indemnisation" des prévenus. Il était ainsi en mesure de rendre prochainement l’ordonnance de classement annoncée. Pour le surplus, au vu des circonstances particulières de la cause et de la complexité de la procédure, rien ne permettait de retenir que l’instruction n’avait pas été conduite dans un délai raisonnable.

c. Dans sa réplique, la ville de A______ persiste dans les termes de son recours. La chronologie des faits présentée par le Ministère public dans ses observations était lacunaire, dès lors que ce dernier n’y faisait état ni de ses courriers de relance, ni des actes de procédure antérieurs à l’arrêt du 10 mars 2022. Par ailleurs, l’analyse des flux financiers aurait dû être réalisée bien avant 2020, dès lors que le Ministère public était déjà en possession de la documentation bancaire topique. En tout état, ce dernier avait attendu quinze mois pour établir la première analyse des flux, respectivement dix-sept pour la seconde, ce qui était constitutif d’une violation du principe de la célérité. Enfin, le Ministère public ne donnait toujours pas de date limite pour rendre son ordonnance de classement.

EN DROIT :

1.             Le recours pour déni de justice, retard injustifié et violation du principe de la célérité, soit des griefs invocables en tout temps (art. 396 al. 2 CPP), a été interjeté selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP), par la plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP) qui dispose d'un intérêt juridiquement protégé à obtenir une décision de l'autorité sollicitée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. Une autorité se rend coupable d’un déni de justice formel prohibé par
l’art. 29 al. 2 Cst. lorsqu’elle refuse de statuer sur une requête qui lui a été adressée, soit en l’ignorant purement et simplement, soit en refusant d’entrer en matière, ou encore omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments pour la décision à prendre
(ATF 138 V 125 consid. 2.1 ; ATF 135 I 6 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_868/2016 du 9 juin 2017 consid. 3.1, 5A_578/2010 du 19 novembre 2010 et 5A_279/2010 du 24 juin 2010 consid. 3.3).

2.2. Les art. 29 al. 1 Cst. et 5 CPP garantissent à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable ; ils consacrent le principe de la célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L’autorité viole cette garantie lorsqu’elle ne rend pas une décision qu’il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou celui que la nature de l’affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 130 I 312 consid. 5.1). Le caractère approprié de ce délai s’apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l’affaire, à l’enjeu du litige pour l’intéressé, à son comportement, ainsi qu’à celui des autorités compétentes (ATF 135 I 265 consid. 4.4 ; 130 I 312 consid. 5.1 ; 142 IV 373 consid. 1.3.1). Des périodes d’activité intense peuvent compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d’autres affaires (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3 ; 130 I 312 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_640/2012 du 10 mai 2013 consid. 4.1).

Ainsi, seul un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l’autorité de poursuite n’est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable, pourrait conduire à l’admission de la violation du principe de la célérité. En cas de retard de moindre gravité, des injonctions particulières peuvent être données, comme par exemple la fixation d’un délai maximum pour clore l’instruction (cf. ATF 128 I 149 consid. 2.2). L’on ne saurait reprocher à l’autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure ; lorsqu’aucun d’eux n’est d’une durée vraiment choquante, c’est l’appréciation d’ensemble qui prévaut. Selon la jurisprudence, apparaît comme une carence choquante une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l’instruction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_172/2020 du 28 avril 2020 consid. 5.1).

2.3.1. En l’espèce, la recourante fait tout d’abord grief au Ministère public d’avoir omis de statuer sur les demandes qu’elle lui avait adressées à la suite de l’avis de prochaine clôture du 3 mars 2025.

Ce reproche doit être écarté. En effet, le Procureur a expliqué dans son courrier du 12 juin 2025, ainsi que dans ses observations, qu’il se déterminerait sur la position de la recourante dans le cadre de l’ordonnance de classement annoncée. On ne saurait ainsi voir à ce stade un déni de justice formel. Par ailleurs, le temps écoulé entre la réception des déterminations de la recourante (4 avril 2025) et son dépôt du recours pour déni de justice (19 juin 2025) ne peut être considéré comme excessif au sens de la jurisprudence précitée. Ce délai est d’autant plus admissible que le Ministère public a expliqué qu’il devait analyser les tableaux des flux financiers à l’aune des arguments de la plaignante – laquelle conteste l’application du principe "premier entré, premier sorti" – et se pencher sur les demandes d’indemnisation des prévenus. Certes, ces derniers ont requis dans leurs écritures précédentes d’être indemnisés au sens de l’art. 429 CPP. Cependant, rien n’indique – comme le soutient la recourante – que le Procureur ait, par le passé, examiné toutes leurs prétentions, dès lors que, dans ses précédents classements, il a mis les frais de la procédure à la charge de C______ et E______ et – corrélativement – écarté toute indemnisation à leur égard.

Il s’ensuit que ce grief sera rejeté.

L’autorité précédente est néanmoins invitée à faire diligence pour procéder, dans les meilleurs délais, selon ses intentions annoncées.

2.3.2. La recourante reproche également au Ministère public la durée excessive de la procédure, lui faisant ainsi grief d’avoir violé les principes de la légalité et de la célérité.

Il est manifeste que la procédure pénale a été ouverte en 2012 et que plus de huit ans se sont écoulés depuis le dépôt de la plainte de la recourante en 2017.

Cela étant, le dossier semble avoir connu une activité régulière jusqu’au 4 septembre 2019, date du premier avis de prochaine clôture. En effet, le Ministère public a procédé à plusieurs actes d’instruction, énumérés aux lettres B.c-B.g ci-dessus. La recourante – laquelle n’est intervenue dans la procédure qu’au milieu de l’année 2017 – n’en disconvient pas, dès lors qu’avant cette date elle ne s’est pas plainte que l’instruction ne progressait pas. Puis le temps écoulé jusqu’en mars 2022 s’explique par le prononcé de deux ordonnances de classement, lesquelles ont fait l’objet de recours devant la Chambre de céans, étant précisé qu’entre-temps le Ministère public a adressé plusieurs ordres de dépôt à la banque I______ en vue de l’obtention de diverses pièces bancaires relatives à quatre comptes. Environ quinze mois se sont ensuite écoulés entre l’arrêt de la Chambre de céans du 10 mars 2022 et la première analyse des flux des fonds liés aux épisodes 1 à 5 après leur arrivée en Suisse. Cette durée paraît certes très longue, mais doit être relativisée compte tenu de la complexité du dossier et la nécessité d’analyser de volumineuses pièces bancaires relatives à une quarantaine de comptes. On ne saurait reprocher au Ministère public – comme le fait la recourante – de n’avoir pas fait cette analyse déjà en 2020, dès lors qu’à cette époque il avait retenu comme dies a quo de la prescription la date d’entrée des fonds en Suisse. Quoi qu’il en soit, on peut admettre que la recourante s’est accommodée dudit retard, dès lors qu’elle a retiré son recours du 5 juin 2023 pour déni de justice et violation du principe de la célérité. Dans ces circonstances, force est de constater que l’autorité intimée n’est pas restée inactive dans la conduite de l’instruction durant la période précitée.

En revanche, après la production par la banque I______ de nouvelles pièces bancaires, en août 2023, le Ministère public a attendu plus de dix-sept mois pour compléter ses tableaux d’analyse des flux financiers des fonds litigieux. La magistrate n’a pas expliqué les raisons de ce long délai, dans ses observations sur le recours. L’inactivité s’explique d’autant moins que l’analyse – contrairement à celle effectuée en juin 2023 – ne devait porter que sur quatre comptes bancaires représentant un volume de deux classeurs fédéraux. Elle ne peut pas non plus être justifiée par la tenue de l’audience de confrontation – respectivement le mandat confié à l’ISDC –, dits actes d’instruction n’ayant pas porté sur l’analyse des flux financiers. Au contraire, au vu du risque de la prescription, il se justifiait d’accorder une priorité à la clôture de l’instruction.

Il apparaît ainsi manifestement que le principe de la célérité a été violé par le Ministère public, de sorte que le recours sera admis sur ce point.

3.             3.1. La constatation d’une violation du principe de la célérité constitue une forme de réparation pour celui qui en est la victime (ATF 122 IV 111 consid. I/4 ;
arrêt du Tribunal fédéral 1P.338/2020 du 23 octobre 2000 consid. 4 ; ACPR/570/2018 du 4 octobre 2018 consid. 1.2.1), ainsi que l’admission partielle du recours sur ce point et la mise à la charge de l’État des frais de justice et l’indemnisation de la recourante pour ses frais de défense (ATF 137 IV 118 consid. 2.2 p. 121 ; 136 I 274 consid. 2.3 p. 278 ; ACPR/99/2013).

3.2. En l’espèce, le recours sera partiellement admis et la violation du principe précité, constatée.

3.3. L’admission partielle du recours ne donnera pas lieu à la perception des frais (art. 428 al. 1 CPP).

3.4. La recourante, partie plaignante, assisté de deux avocats, n’a ni chiffré ni a fortiori justifié ses prétentions en indemnités (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), de sorte que la Chambre de céans ne peut pas entrer en matière sur ce point (art. 433 al. 2 2ème phrase CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet partiellement le recours.

Constate une violation du principe de la célérité.

Rejette le recours pour le surplus.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à la ville de A______ la somme de CHF 2'000.- versée à titre de sûretés.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle ses conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD, juge; et Monsieur Raphaël MARTIN, juge suppléant; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).