Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/834/2025 du 10.10.2025 sur ONMMP/3819/2025 ( MP ) , REJETE
| république et | canton de Genève | |
| POUVOIR JUDICIAIRE P/9113/2025 ACPR/834/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 10 octobre 2025 | ||
Entre
A______, domiciliée ______, agissant en personne,
recourante,
contre l’ordonnance de non-entrée en matière rendue le 15 août 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 25 août 2025, A______ recourt contre l’ordonnance rendue le 15 précédent, notifiée le 23 du même mois, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé d’entrer en matière sur les faits visés par sa plainte pénale du 19 février 2025.
Elle conclut à l’annulation de cette décision.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. Les époux B______ et C______ se sont séparés le 1er mars 2022, date à laquelle le précité a quitté le domicile conjugal, situé au numéro ______ de la rue 1______, à Genève.
a.b. Ils sont, à ce jour encore, formellement mariés.
b.a. Quelque temps après la séparation, B______ et A______ – tous deux de nationalités suisse et, semble-t-il, tunisienne – ont entretenu une relation amoureuse.
Ils ont vécu en union libre et eu une fille, D______, née le ______ 2024, à Genève.
b.b. Aux dires de A______, l’enfant vit désormais avec elle, le couple s’étant séparé courant 2024.
c. En novembre 2024, le Service de l’état civil de la Ville de Genève a donné suite à une demande, formulée en ligne, tendant à l’établissement d’un acte de naissance concernant D______.
Dite demande était établie au nom de B______ et comportait, en annexe, une copie de sa carte d’identité. Il y était stipulé que le document sollicité devait être envoyé au numéro ______ de la rue 1______.
d. A______ s'est rendue en Tunisie – pays où résident ses parents –, en vacances, avec sa fille, au mois de décembre 2024, séjour qui, selon elle, "s'[es]t bien passé [et lors duquel elle n'a] eu aucun souci".
e. Le 11 février 2025, B______ et A______ ont échangé divers courriels.
Le premier nommé y informait la seconde avoir appris que l’ambassade de Tunisie, sise à Berne, avait récemment reçu un acte de naissance relatif à D______; cette ambassade ayant fait suivre le document en Tunisie, tous deux étaient dorénavant "recherchés" dans ce pays [pour crime d’adultère, réprimé par le code pénal tunisien (sur plainte du conjoint)].
Il lui demandait si elle était à l’origine de cette démarche, ce à quoi l’intéressée a répondu par la négative.
f. Le 19 février suivant, A______ s’est rendue dans un poste de police pour déposer plainte contre C______.
En substance, elle lui reprochait d’avoir obtenu l’acte de naissance de D______ en usurpant l’identité de B______, puis d’avoir fait en sorte que ce document parvienne aux autorités pénales tunisiennes.
Les actes de la mise en cause portaient atteinte à sa sphère privée. Ils lui causaient, en outre, un préjudice important, puisqu’elle ne pouvait plus se rendre en Tunisie, sous peine d’y être arrêtée.
g. Contacté téléphoniquement par la police le 24 février 2025, B______ a déclaré "être au courant des agissements de [son épouse]", contre laquelle il ne souhaitait toutefois pas porter plainte.
C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que les faits dénoncés par A______ pouvaient s'appréhender à l’aune des art. 179decies CP (usurpation d’identité) et 179novies CP (soustraction de données personnelles).
Ces infractions se poursuivaient sur plainte. Or, la précitée n’était pas lésée par celles-ci, dès lors que l’identité usurpée, d’une part, et les données soustraites, d’autre part, étaient celles de tiers. Ainsi, faute de plainte pénale valablement déposée, il existait un empêchement de procéder, constat qui justifiait le prononcé d’une non-entrée en matière (art. 310 al. 1 let. b CPP).
D. a. À l’appui de son recours, auquel elle joint une pièce nouvelle, A______ expose que la procédure pénale ouverte contre elle et B______ du chef d’adultère, en Tunisie, reposait sur une seule et unique preuve à charge : l’acte de naissance de leur fille. Il était donc primordial, pour que l’accusation "s’effondre", d’établir que ce document avait été "obtenu de manière abusive".
Par ailleurs, C______ s’était immiscée dans sa vie privée, ainsi que dans celle de sa fille, en divulguant les données personnelles contenues dans ledit acte.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger.
EN DROIT :
1. La juridiction de recours peut décider d’emblée de traiter sans échange d’écritures ni débats les actes manifestement irrecevables et/ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
Tel est le cas en l’occurrence, au vu des considérations qui suivent.
2. 2.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) contre une décision de non-entrée en matière, sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2 cum 322 al. 2 CPP; 393 al. 1 let. a CPP).
2.2. Seule la partie (art. 104 CPP) qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation d’un prononcé est habilitée à quereller celui-ci (art. 382 CPP).
2.2.1. On entend par partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP) le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP).
Le lésé est la personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). Cette personne doit, pour revêtir un tel statut, d’une part, être titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte et, d’autre part, subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l’infraction dénoncée, ce qui exclut les dommages par ricochet (arrêt du Tribunal fédéral 7B_385/2024 du 13 août 2025 consid. 2.2.1).
2.2.2. L’art. 179decies CP garantit le droit de tout individu à ce que son identité ne soit pas utilisée sans son consentement (A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, Art. 111-392 CP, 2ème éd., Bâle 2025, n. 9 ad art. 179decies).
L’art. 179novies CP protège la sphère privée de la personne qui est visée par les données soustraites (A. MACALUSO/ L. MOREILLON /N. QUELOZ (éds), op. cit. n. 11 ad art. 179novies).
2.2.3. En l’espèce, la recourante n’est pas légitimée à se prévaloir de la première des deux infractions précitées, dès lors que ce n’est point son identité, mais celle de B______, qui a prétendument été usurpée (pour obtenir l’acte de naissance de sa fille).
Le préjudice qu’elle invoque – à savoir l’utilisation dudit acte comme moyen de preuve dans la procédure pénale dirigée contre elle en Tunisie – découle de la transmission de ce document à l’ambassade, puis à l’autorité pénale, tunisiennes, comportement qui est distinct de celui réprimé par l’art. 179decies CP.
Il s’ensuit que ses droits n’ont pas été directement touchés par une éventuelle violation de cette norme.
L’acte est donc irrecevable sur ce volet.
2.2.4. En revanche, la recourante est habilitée à requérir la poursuite de l’infraction alléguée à l’art. 179novies CP, cela tant en son nom qu’en celui de sa fille (art. 30 al. 2 CP; art. 106 al. 2 CPP), dont elle est a priori la représentante légale (art. 298a et ss ainsi que 304 al. 1 CC).
En effet, un document d’état civil a généralement pour finalité de constater un événement (naissance, mariage, décès, etc.) en lien avec la situation d’une personne.
Bien que l’acte de naissance de D______ ne figure pas au dossier, il comporte nécessairement des informations relatives à l’enfant et à chacun de ses parents.
Il en résulte que la recourante et la mineure sont titulaires du bien juridique protégé par la norme pénale précitée.
Aussi le recours est-il recevable sur ce second aspect.
2.3. Il en va de même de la pièce nouvelle produite à l’appui de cet acte (arrêt du Tribunal fédéral 7B_1011/2023 du 11 janvier 2024 consid. 3.4).
3. 3.1. Le prononcé d’une non-entrée en matière s’impose lorsque les conditions d’une infraction ne sont manifestement pas réunies (art. 310 al. 1 let. a CPP).
Il suffit, pour rendre une telle décision, qu’une seule desdites conditions ne soit pas réalisée (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).
3.2. L’art. 179novies CP sanctionne, sur plainte, quiconque soustrait des données personnelles sensibles qui ne sont pas accessibles à tout un chacun.
3.2.1. Les données auxquelles se réfère cette norme sont celles définies par la
Loi fédérale sur la protection des données (LPD; RS 235.1; A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 1 ad art. 179novies).
3.2.2. Par données personnelles, on entend toutes les informations concernant une personne physique identifiée ou identifiable (art. 5 let. a LPD).
3.2.3. Les données sensibles sont une catégorie particulière de données personnelles (A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 5 ad art. 179novies; S. METILLE/ P. MEIER (éds), Commentaire romand de la Loi sur la protection des données, Bâle 2023, n. 49 ad art. 5).
i. Elles sont énumérées, de façon exhaustive, à l’art. 5 let. c LPD (A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 6 ad art. 179novies; S. METILLE/ P. MEIER (éds), op. cit., n. 50 ad art. 5) et concernent : les opinions ou activités religieuses, philosophiques, politiques et syndicales (ch. 1); la santé, la sphère intime et l’origine raciale/ethnique (ch. 2); les caractéristiques génétiques (ch. 3) et biométriques (ch. 4); les poursuites ou les sanctions pénales et administratives (ch. 5); les mesures d’aide sociale (ch. 6).
ii. La notion de sphère intime (art. 5 let. c ch. 2 LPD) englobe tous les éléments de la vie d’un individu qui ne sont pas connus par d’autres personnes, à l’exception de certains proches auxquels ces éléments sont spécialement confiés. Entrent notamment dans cette notion : les infirmités mentales/physiques non directement perceptibles; les peurs ou les phobies; les conflits familiaux; la vie sexuelle (comportements, orientation ou préférences); les secrets financiers ou confiés à un avocat; le contenu d’une messagerie électronique privée ou d’un journal intime (S. METILLE/ P. MEIER (éds), op. cit., n. 57 et 58 ad art. 5).
Dans la mesure où la définition de la sphère privée laisse à l’individu concerné une marge de manœuvre pour déterminer ce qu’il considère comme intime ou non
(G-P. BLECHTA/ D. VASELLA (éds), Basler Kommentar Datenschutzgesetz (DSG)/ Öffentlichkeitsgesetz (BGÖ), 4ème éd., Bâle 2024, n. 65 ad art. 5; S. METILLE/ P. MEIER (éds), op. cit., n. 58 ad art. 5), le fait qu'il rende publique une donnée sur sa sphère intime a pour conséquence d'ôter à cette donnée son caractère sensible (S. METILLE/ P. MEIER (éds), op. cit., n. 58 ad art. 5).
3.3. In casu, les informations contenues dans l'acte de naissance de D______ se rapportent à l’identité de l'enfant et de chacun de ses parents, données qui ne consistent en aucune de celles listées à l'art. 5 let. c ch. 1 et ch. 3 à 6 LPD.
La question de savoir si les informations relatives à la filiation d’une personne relèvent, ou non, de sa sphère intime (art. 5 let. c ch. 2 LPD) se pose.
Point n'est toutefois besoin de la trancher ici.
En effet, à supposer que le lien de filiation entre D______ et son père constitue une donnée personnelle sensible, il faudrait alors considérer que cette donnée a été rendue publique, puisque l’enfant porte le même nom de famille que lui. Cette information ne revêtirait donc plus un caractère confidentiel.
L’État tunisien disposait du reste d'une telle information, dès lors que D______ y a voyagé sous cette identité avec sa mère, en décembre 2024.
Ainsi, quand bien même la divulgation, par la mise en cause, de l’identité du père de la mineure aux autorités pénales tunisiennes a eu d'importantes conséquences pour la recourante (ouverture d’une procédure pénale contre elle du chef d'adultère), il reste que l’une des conditions d’application de l’art. 179novies CP fait défaut.
La non-entrée en matière déférée doit donc être confirmée sur cet aspect, par substitution de motifs (art. 310 al. 1 let. a CPP; arrêts du Tribunal fédéral 7B_263/2023 du 26 septembre 2023 consid. 5.3 et 1B_137/2012 du 25 juillet 2012 consid. 4.3).
4. En conclusion, le recours sera rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.
5. La recourante succombe (art. 428 al. 1, 1ère et 2ème phrases, CPP).
Elle supportera, en conséquence, les frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
| La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l’art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l’expédition complète de l’arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l’attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
| P/9113/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
| Débours (art. 2) | | |
| - frais postaux | CHF | 10.00 |
| Émoluments généraux (art. 4) | | |
| - délivrance de copies (let. a) | CHF | |
| - délivrance de copies (let. b) | CHF | |
| - état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
| Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
| - décision sur recours (let. c) | CHF | 815.00 |
| Total | CHF | 900.00 |