Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/18608/2021

ACPR/760/2025 du 23.09.2025 sur OMP/11919/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : MINIMUM VITAL;CONFISCATION(DROIT PÉNAL);CRÉANCE;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.263.al1.lete; CPP.263.al1.letd; CP.71; CP.70; CPP.263.al1.letb; CPP.263

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18608/2021 ACPR/760/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 23 septembre 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de refus de levée de séquestre rendue le 16 mai 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 30 mai 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 précédent, notifiée le 19 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé de lever le séquestre prononcé sur ses comptes bancaires no 1______ et n2______, ouverts auprès de [la banque] C______.

Le recourant conclut, sous suite de frais: préalablement, à ce que le mandat de défense d'office de son conseil soit étendu à la procédure de recours; principalement, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à la levée des séquestres sur les comptes précités; subsidiairement, à la levée partielle desdits séquestres à concurrence d'un montant de CHF 25'000.-; encore plus subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le ______ 2019, D______ et A______ ont fondé à Genève E______ SA – aujourd'hui en liquidation –, société vouée à la technologie financière ("fintech"). Celle-ci a émis des jetons "F______" et "G______", lesquels ont été échangés sur diverses plateformes d'échanges de crypto-monnaies, dont H______ et I______.

b. Le ______ 2021, A______ a fondé à Genève J______ SA – aujourd'hui en liquidation –, société qui avait pour but de "développer une activité dans le secteur des technologies financières par le développement, la mise en œuvre et la promotion faisant usage de technologies basées sur internet, notamment […] des technologies de la chaîne de blocs, la fourniture d'un accès pour les utilisateurs à un portefeuille de devises et à une carte de débit, et la fourniture et la facilitation de l'accès pour les utilisateurs à la technologie basée sur internet, y compris la chaîne de blocs […]".

Le précité y a occupé la fonction d'administrateur jusqu'au 10 octobre 2024.

c. À la suite de plaintes pénales de D______, et de nombreux investisseurs / clients de E______ SA et J______ SA, le Ministère public instruit, depuis le 5 mai 2022, une enquête contre A______ des chefs d'abus de confiance (art. 138 CP), escroquerie (art. 146 CP), utilisation frauduleuse d'un ordinateur (art. 147 CP), fausse communication aux autorités du Registre du commerce (art. 153 CP), faux dans les titres (art. 251 CP) et obtention d'une constatation fausse (art. 253 CP).

En substance, il est reproché au prévenu d'avoir, à Genève, à des fins d'enrichissement personnel et en vue d'obtenir un avantage indu au préjudice des plaignants:

-     transféré des fonds détenus par E______ SA sur son compte personnel;

-     entre avril et août 2021, alors que la plateforme d'échange I______ avait été piratée et que les avoirs de E______ SA d'un montant de CHF 1'138'758.20 (contrevaleur des [cryptomonnaies] K______ et L______ qui y étaient échangés), avaient été transférés sur son wallet, encaissé à titre personnel le produit d'une partie de la vente des tokens;

-     le 28 juillet 2020, au moyen d'une procuration contenant la signature falsifiée de D______, obtenu la tenue d'une assemblée générale de E______ SA;

-     transmis aux investisseurs potentiels des informations et assurances erronées quant à la solvabilité de la société précitée;

-     le 17 septembre 2021, retiré de la plateforme d'échange H______ 110'027 jetons G______ – convertis en K______ 349.45 – d'une valeur d'USD 994'214.-, sans concertation des utilisateurs et investisseurs concernés, faisant ainsi chuter le cours du jeton de 99% et, cela fait, transféré sur un wallet personnel K______ 5.22 (USD 14'835.-) et, sur un wallet de J______ SA, K______ 335 (USD 951'765.-), lesquels ont constitué l'apport en capital de la société précitée;

-     à une date indéterminée, sans contrepartie financière, transféré les autres actifs et applications informatiques de E______ SA à sa nouvelle société et

-     détourné les avoirs que des clients ont déposés via l'application mobile de J______ SA, respectivement qu'ils ont versés aux fins de placement dans un jeton de valeur "DEEP DAO", développé et recommandé par la société précitée.

Le dommage allégué par les plaignants s'élève à plus d'un million d'USD.

d. La documentation bancaire recueillie par le Ministère public montre que:

- le 7 février 2020, une somme de CHF 100'000.- a été transférée du compte de E______ SA sur le compte no 1______ de A______ auprès de C______ (PP 108'137; 500'049 et 3'000'036) et

- le 27 octobre 2020, un montant de CHF 19'500.- a été viré du compte no 1______ sur le compte n2______ à titre de garantie de loyer, en faveur de la régie M______, pour un appartement de sept pièces sis rue 3______ (PP A-100'094).

e. Par ordonnance du 31 août 2022 (PP 320'037), le Ministère public a ordonné la mise sous séquestre des comptes nos 1______ et 2______, lesquels présentaient, un solde créancier de CHF 13'897.89 (PP 320'041), respectivement de CHF 19'500.- (PP 320'043).


 

Il y était mentionné que le titulaire de la relation pouvait être informé des séquestres.

Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours.

f. Depuis le 27 août 2023, A______ fait l'objet des mesures de substitution à la détention provisoire – régulièrement prolongées par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) – consistant notamment en:

-     le dépôt en mains du Ministère public de ses passeports canadien et britannique, ainsi que de son permis B et

- l'interdiction de reprendre un emploi dans le domaine de la finance et de la comptabilité.

g. Sur ordres de dépôt du Ministère public des 31 août et 8 septembre 2023, la Régie M______ et N______ AG [cryptomonnaie] ont notamment produit:

-     une fiche d'inscription déposée par A______ en septembre 2019, de laquelle il ressort que le précité était propriétaire d'un appartement sis 4______, S______, Canada (PP 347'015) et

-     un dossier "Know Your Customer" – en lien avec le compte 5______ ouvert par le prévenu en septembre 2020 – lequel fait état de revenus annuels entre CHF 100'000.- et CHF 200'000.- (PP 3'510'045), ainsi que d'une fortune de CHF 15'000'000.- (PP 3'510'052).

h. Par courriers des 13 février et 16 juin 2024 adressés au Ministère public, O______ et P______, parties plaignantes, ont fait état d'une éventuelle poursuite d'activités de A______ au sein d'une nouvelle entité (PP 327'007 et 642'001).

i. Entendu à différentes reprises, le prévenu a intégralement contesté les faits qui lui sont reprochés.

Interrogé sur sa situation personnelle, il a exposé être locataire de l'appartement sis rue 3______, ne pas disposer d'économies, et avoir donné sa fortune à son ex-femme (PP 500'045). Il n'avait cherché du travail ni dans le domaine de la finance – au vu de l'interdiction qui lui avait été imposé par le TMC – ni dans un autre secteur, faute de compétences autres que celles financières (PP 500'819). Il ne pouvait pas s'inscrire au chômage, dès lors que son permis de séjour se trouvait en mains du Ministère public, lequel ne le lui avait pas restitué et ce, malgré plusieurs demandes en ce sens. Il avait emprunté de l'argent à sa partenaire, Q______, et à sa mère, pour subvenir à ses besoins (PP 500'896).

j. Par courriers des 28 mars et 14 avril 2025 (PP 610'306 ss et 610'314 ss), A______ a sollicité du Ministère public la levée des séquestres affectant ses comptes auprès de C______, au motif que ces mesures portaient atteinte à ses conditions minimales d'existence. Privé de toute source de revenu – et ne disposant pas d'autres comptes bancaires – il se trouvait dans une situation de précarité extrême, n'étant plus en mesure d'assurer ses besoins les plus élémentaires. Il avait par ailleurs été dans l'incapacité de régler ses loyers et les factures des SIG. En outre, l'Hospice général avait refusé de lui accorder une aide sociale complète, au motif que son permis de séjour n'avait pas été renouvelé. Enfin, sa compagne bénéficiait, en tant que réfugiée ukrainienne, d'une aide mensuelle de CHF 450.-, ce qui était largement insuffisant pour subvenir à ses besoins.

À l'appui de ses courriers, il a produit notamment:

-     un courriel de l'Hospice général du 7 mars 2025 adressé à son conseil, duquel il ressort que "notre service juridique s'est déterminé quant à la spécificité du cas de M. A______ et nous indique qu'il ne peut pas être suivi en aide ordinaire […] mais qu'il doit être suivi sous forme d'aide d'urgence […]" (PP 610'319);

-     un décompte de l'institution précitée pour la période du 1er au 31 mars 2025, lequel fait état d'un forfait d'entretien de CHF 372.- et de prestations en nature de CHF 373.- (PP 610'316) et

-     le dispositif du jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers [page 2/2], à teneur duquel il [A______] est condamné à évacuer immédiatement l'appartement sis rue 3______ et à payer au bailleur la somme de CHF 149'603.45 (PP 610'320).

k. Le 31 mars 2025, le Ministère public a transmis à A______ des copies de ses pièces d'identité afin de lui permettre de renouveler son permis de séjour.

l. Sur demande du Procureur, du même jour, C______ a, par courrier du 8 avril suivant, exposé que le solde des comptes nos 1______ et 2______ (lequel était bloqué en faveur d'une régie), au 6 avril 2025, s'élevait à CHF 43'960.18, respectivement à CHF 19'500.- (PP 320'051 ss).

m. Le 15 avril 2025, le Ministère public a invité les parties plaignantes à se déterminer sur la demande de levée du séquestre.

n. Par courriers des 22 avril suivant (PP 615'360 et 630'033), D______ et R______ s'y sont opposés au motif que A______ ne démontrait pas son indigence. Ce dernier était de surcroit resté vague sur les ressources financières lui ayant permis de maintenir, depuis la fin de son activité au sein de J______ SA, "un train de vie dispendieux". Au vu des "montants qui [étaient] évaporés", il était en revanche hautement probable que le prévenu disposât des avoirs suffisants pour subvenir à ses besoins, notamment sur le blockchain. Enfin, la levée de la mesure réduirait les sommes disponibles pour indemniser les plaignants.

o. Sur invite du Ministère public, l'OCPM a précisé, dans un courriel du 28 mai 2025, que A______ n'avait pas sollicité le renouvellement de son permis. Il disposait toutefois des droits acquis au sens de l'ALCP, dans la mesure où il n'avait jamais annoncé un départ final de la Suisse. Enfin, il hébergeait Q______ gratuitement.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public relève que la question de l'indigence du prévenu pouvait souffrir de demeurer indécise, dans la mesure où le séquestre sur ses avoirs était fondé sur les art. 263 al. 1 let. d et e CPP. Or, l'autorité pénale ne devait tenir compte de la situation financière du prévenu qu'en cas de séquestre en couverture des frais de procédure (art. 263 al. 1 let. b CPP). Pour le surplus, au vu des faits qui lui étaient reprochés et des éléments mis en évidence par l'instruction, il n'était pas d'emblée manifeste que les conditions matérielles d'une confiscation – respectivement du prononcé d'une créance compensatrice – n'étaient pas réalisées. Enfin, le produit des infractions reprochées au prévenu était largement supérieur au montant des valeurs patrimoniales séquestrées.

D. a. Dans son recours, A______ se prévaut d'une constatation inexacte des faits et d'une violation des art. 197 et 263 CPP, ainsi que des art. 12 et 36 Cst. féd. Contrairement à ce que soutenait le Ministère public, le principe des conditions minimales d'existence – ancré à l'art. 12 Cst. féd. – ne s'appliquait pas seulement en cas de séquestre en couverture des frais, mais également en cas de mesures fondées sur les art. 263 al. 1 let. d et e CPP. Il convenait dès lors de prendre en compte sa situation financière, laquelle s'était fortement dégradée au cours de la procédure. Il ne disposait en effet d'aucune source financière lui permettant d'assurer ses besoins les plus élémentaires. N'ayant pas pu s'acquitter des factures des SIG, il vivait "dans le noir", sans eau chaude, et privé de la possibilité de stocker sa nourriture. Il risquait par ailleurs d'être évacué de son logement pour non-paiement du loyer. Qui plus est, il ne pouvait pas se soigner de ses problèmes cardiaques, faute d'avoir payé ses primes d'assurance. Les aides reçus de l'Hospice général – respectivement de sa mère et de sa compagne – n'étaient clairement pas suffisantes. Enfin, les montants séquestrés ne représentaient qu'une "infime partie" du dommage prétendument subi par les plaignants, de sorte que son intérêt à vivre dans des conditions dignes devait primer.

À l'appui de son recours, il a notamment produit un avis de coupure d'électricité du 19 mars 2025 des SIG, des factures impayées de l'assurance maladie et divers actes de défaut des biens.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.


 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans, soit un refus de lever un séquestre (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites par le recourant sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant se plaint d'une constatation inexacte des faits.

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

4.             Le recourant conteste le maintien du séquestre ordonné par le Ministère public sur ses avoirs.

4.1. Selon l'art. 263 al. 1 CPP, le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuves (let. a; séquestre probatoire), pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. b; séquestre en couverture de frais), qu'ils devront être restitués au lésé (let. c) ou qu'ils devront être confisqués (let. d) ou utilisés en vue d'une créance compensatrice selon l'art. 71 CP (let.e, en vigueur depuis le 1er janvier 2024).

En raison de l'atteinte portée aux droits fondamentaux des personnes visées, le séquestre suppose le respect des conditions générales fixées à l'art. 197 al. 1 CPP. Conformément à cette disposition, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), doit respecter le principe de proportionnalité (let. c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Lors de l'examen de cette mesure, l'autorité statue sous l'angle de la vraisemblance, examinant des prétentions encore incertaines. Un séquestre est proportionné lorsqu'il porte sur des avoirs dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués en application du droit pénal. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice, ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue. L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2).

4.2.1. Le séquestre en vue de restitution (art. 263 al. 1 let. c CPP) consiste à placer sous mains de justice des objets ou des valeurs patrimoniales dans le but de les rendre à leur possesseur antérieur lorsqu'ils ne sont ni confisqués ni utilisés pour couvrir les créances et qu'ils ne sont pas attribués à un tiers par jugement (ATF 128 I 129 = JdT 2005 IV 180). Ce type de séquestre est limité aux valeurs patrimoniales et aux objets qui ont été soustraits à la personne lésée directement du fait de l'infraction, soit les choses dont l'ayant droit a été dépouillé par l'infraction, mais aussi les comptes alimentés grâce à l'infraction (arrêt du Tribunal fédéral 1B_114/2025 du 1er juillet 2015 consid. 2.1; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 3ème éd., Bâle 2025, n. 17 ad art. 263).

4.2.2. Le séquestre institué par l'art. 263 al. 1 let. d CPP tend à préserver les objets ou les valeurs que le juge du fond pourrait être amené à confisquer (art. 70 al. 1 CP).

L'art. 70 al. 1 CP autorise le juge à confisquer des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits. Inspirée de l'adage selon lequel "le crime ne paie pas", cette mesure a pour but d'éviter qu'une personne puisse tirer avantage d'une infraction (ATF 139 IV 209 consid. 5.3). Pour appliquer cette disposition, il doit notamment exister entre l'infraction et l'obtention des valeurs patrimoniales un lien de causalité tel que la seconde apparaisse comme la conséquence directe et immédiate de la première. C'est en particulier le cas lorsque l'obtention des valeurs patrimoniales est l'un des éléments constitutifs de l'infraction ou constitue un avantage direct découlant de la commission de l'infraction (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.1).

Le mélange de valeurs délictueuses avec des fonds de provenance licite sur un compte bancaire ne suffit pas à exclure toute confiscation directe si un lien de connexité peut être établi entre le compte et l'infraction poursuivie ("paper trail") (ATF 126 I 97 consid. 3c/bb; arrêts du Tribunal fédéral 1B_22/2017 du 24 mars 2017 consid. 2 et 6B_180/2016 du 28 octobre 2016 consid. 4.4.1).

4.2.3. L'art. 263 al. 1 let. e CPP permet à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice jusqu'à concurrence du montant présumé du produit de l'infraction, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée, sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale, et même celles de provenance licite. La mesure prévue par cette disposition se différencie ainsi du séquestre conservatoire résultant des art. 263 al. 1 let. c CPP (restitution au lésé) ou 263 al. 1 let. d CPP, dispositions requérant en revanche l'existence d'un tel rapport (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2).

4.2.4. Le séquestre à fin de garantie ou en couverture des frais au sens de l'art. 263 al. 1 let. b CPP a pour but d'assurer à l'État le paiement notamment des frais de procédure (art. 422 CPP) et des autres indemnités (art. 429 ss CPP) que la procédure pénale a pu faire naître à la charge du prévenu (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit. n. 13 ad art. 263). Il peut être ordonné sur tous les biens du prévenu, y compris sur ceux qui n'ont aucun rapport avec l'infraction (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 14 ad art. 263).

En cas de séquestre en couverture des frais, l'autorité pénale tient compte du revenu et de la fortune du prévenu et de sa famille (art. 268 al. 2 CPP). Les valeurs patrimoniales insaisissables selon les art. 92 à 94 LP sont exclues de la mesure (art. 268 al. 3 CPP). Le respect du minimum vital est la conséquence du droit fondamental à des conditions minimales d'existence (art. 12 Cst.), droit qui garantit la couverture des besoins élémentaires pour survivre d'une manière conforme aux exigences de la dignité humaine, telles que la nourriture, le logement, l'habillement et les soins médicaux de base. On évitera ainsi de placer la famille du prévenu dans une situation de détresse financière du fait de la couverture des frais en faveur de l'État (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 13 ad art. 268).

4.3. Selon la systématique du CPP, seul le séquestre en couverture des frais impose de prendre en compte le revenu et la fortune du prévenu et d'exclure du séquestre les valeurs insaisissables selon les art. 92 à 94 LP. Un tel examen s'impose car cette mesure tend exclusivement à la sauvegarde des intérêts publics, soit à garantir le recouvrement de la future dette de droit public du prévenu. Elle peut, de plus, porter sur tous les biens et valeurs du prévenu, même ceux qui n'ont pas de lien de connexité avec l'infraction. Il se justifie donc, sous l'angle du principe de proportionnalité (art. 197 al. 1 let. c et d CPP), de respecter le minimum vital de la personne touchée par ce type de séquestre (ATF 141 IV 360 consid. 3.1).

Dans l'arrêt ATF 141 IV 360 précité, le Tribunal fédéral a considéré que le principe de proportionnalité commande, également dans le cadre d'un séquestre en vue de garantir une possible créance compensatrice, de respecter les conditions minimales d'existence garanties par le droit constitutionnel, de sorte qu'il appartenait à l'autorité pénale, déjà au stade de séquestre, de tenir compte de l'éventuelle atteinte du minimum vital du prévenu (consid. 3.4).

Le prévenu ne peut en revanche opposer le respect de son minimum vital à un séquestre conservatoire portant sur le produit de l'infraction (ACPR/570/2018 du 4 octobre 2018 consid. 2.6; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 28b ad art. 263). Ce dernier ne saurait en effet disposer, même partiellement, des objets et valeurs patrimoniales qui devront être restitués au lésé (art. 263 al. 1 let. c CPP) ou devront être confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP). Dans ces cas-là, il serait choquant qu'un prévenu profite, de quelque manière que ce soit, du produit des infractions qui lui sont imputées, fût-ce pour satisfaire à son minimum vital. Il s'agit simplement là de l'application du principe élémentaire et universellement reconnu du droit pénal selon lequel le crime ne doit pas payer et, en aucune façon, profiter à son auteur, tout particulièrement au détriment de sa victime (ACPR/120/2016 du 8 mars 2016 consid. 4.6).

4.4. Aux termes de l’art. 93 al. 1 LP, tous les revenus du travail, les usufruits et leurs produits, les rentes viagères, de même que les contributions d’entretien, les pensions et prestations de toutes sortes qui sont destinées à couvrir une perte de gain ou une prétention découlant du droit d’entretien, en particulier les rentes et les indemnités en capital qui ne sont pas insaisissables en vertu de l’art. 92 LP, peuvent être saisis, déduction faite de ce que le préposé estime indispensable au débiteur et à sa famille. Il résulte de cette disposition que les revenus du débiteur, quelles que soient leur nature et leur origine, ne sont saisissables que dans la mesure où ils dépassent son minimum vital (B. FOËX / N. JEANDIN / A. BRACONI / B. CHAPPUIS (éds), Commentaire romand : Poursuite et faillite, Bâle 2025, n. 69 ad art. 93 LP).

4.5. En l'espèce, le recourant ne met pas en cause l'existence de soupçons suffisants, ni ne conteste le principe du séquestre. En revanche, se prévalant des art. 12 Cst. féd. et 197 CPP, il soutient que cette mesure obligerait de prendre en considération le principe du respect des conditions minimales d'existence, ce qui justifierait pour le moins la levée partielle des séquestres ordonnés à son encontre.

À tort.

En effet, l'arrêt du Tribunal fédéral auquel il se réfère, soit l'ATF 141 IV 360 – référencé ci-dessus –, ne lui est d'aucun secours, puisqu'il s'agissait dans le cas examiné par les juges fédéraux d'un séquestre en vue de l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CPP). Or, in casu, les avoirs sur les comptes litigieux n'ont pas été séquestrés seulement sur la base de l'art. 263 al. 1 let. e CPP, mais également en vue de confiscation (art. 263 al. 1 let. d CPP), ce qui n'est pas contesté par le recourant. Il ressort en effet de la documentation bancaire figurant au dossier que le 7 février 2020, une somme de CHF 100'000.- a été transférée du compte de E______ SA sur le compte no 1______ du recourant, puis que le 27 octobre suivant un montant de CHF 19'500.- a été viré du compte précité sur le compte n2______ du recourant. Il n'est dès lors pas exclu à ce stade de l'enquête qu'une partie des montants séquestrés soit susceptible de constituer un "producta sceleris", sujet à confiscation. Or, conformément aux principes sus-rappelés (cf. consid. 4.4 ci-dessus), le prévenu ne peut opposer le principe du respect des conditions minimales d'existence à un séquestre portant sur le produit de l'infraction.

Quoi qu'il en soit, rien ne permet de conclure à une levée de séquestre au motif que le minimum vital du recourant serait atteint. En effet, les mesures litigieuses portent sur des éléments de fortune – soit des avoirs sur des comptes bancaires – et non sur des revenus du recourant, respectivement des revenus qui ne seraient pas saisissables au sens de l'art. 93 LP. Les avoirs séquestrés n'ont pas non plus un caractère insaisissable au sens de l'art. 92 LP, le recourant ne prétendant d'ailleurs pas le contraire. Enfin, le recourant ne démontre pas être privé de tout moyen au point de ne pas pouvoir faire face à ses dépenses les plus urgentes, étant précisé que les documents produits par ses soins sont insuffisants pour établir sa situation financière. Il ressort en effet des documents produits par la régie M______ et N______ AG que le recourant serait le propriétaire d'un appartement sis à S______ [Canada] et que sa fortune, en 2020, était évaluée à CHF 15'000'000.-, ce que rien au dossier ne permet d'infirmer.

Il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que le Procureur a refusé de lever, même partiellement, les mesures entreprises.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

7.             Il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade (art. 135 al. 2 CPP), le défenseur d'office du recourant, qui ne l'a du reste pas demandé.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/18608/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00