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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18420/2023

ACPR/344/2025 du 07.05.2025 sur OMP/2068/2025 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE PÉNALE;DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;COMPÉTENCE;MINISTÈRE PUBLIC;TRIBUNAL DE POLICE
Normes : CPP.356.al1; CPP.356.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18420/2023 ACPR/344/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 7 mai 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance sur opposition irrecevable rendue le 24 janvier 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 7 février 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 24 janvier 2025, notifiée le 28 suivant, par laquelle le Ministère public a constaté l'irrecevabilité de son opposition contre l'ordonnance pénale du 11 décembre 2023.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de l'ordonnance litigieuse et à ce que l'opposition soit transmise au Tribunal de première instance pour nouvelle décision, subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il lui fixe un délai pour remédier "au défaut supposé de son opposition". Il requiert également que le mandat de défense d'office de son conseil dans la procédure P/1______/2023 s'étende à la P/18420/2023, y compris à la procédure de recours, avec effet au 20 novembre 2024.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par ordonnance pénale du 11 décembre 2023, notifiée le 18 suivant, A______ a été condamné à une amende de CHF 500.- pour insoumission à une décision de l'autorité (art. 292 CP) dans la procédure P/18420/2023.

b. Par courrier non daté, expédié le 26 décembre 2023, A______ a formé opposition à ladite ordonnance.

c. A______ est également prévenu dans la procédure P/1______/2023 notamment d'enlèvement de mineur (art. 220 CP).

d. Lors de son audition par le Ministère public le 22 janvier 2024, dans la procédure P/1______/2023, A______ a expliqué s'être rendu au Maroc avec son fils le 6 décembre 2023 et y être resté jusqu'au 21 janvier 2024, sans en quitter le territoire. Il avait dicté le contenu de l'opposition à sa fille, C______, qui avait réceptionné l'ordonnance pénale; elle s'était chargée de l'écrire et de l'envoyer. Il ignorait si elle ou un autre membre de sa famille avaient imité sa signature.

e. Entendue par le Ministère public en qualité de prévenue le 22 mars 2024, C______ a confirmé avoir réceptionné le pli recommandé contenant l'ordonnance pénale à l'Office postal le 18 décembre 2023 et rédigé certains courriers administratifs pour son père. Elle ne se souvenait cependant plus si elle avait rédigé l'opposition.

f. Me B______ a été désignée à titre de défenseure d'office du prévenu dans la P/1______/2023, le 14 octobre 2024.

g. Par courrier du 4 novembre 2024, portant le numéro de procédure P/1______/2023, le Ministère public a invité A______, représenté par Me B______, à formuler ses observations quant à la validité de l'opposition à l'ordonnance pénale du 11 décembre 2023, ce à quoi ce dernier a renoncé.

h. Dans une note du greffier du 20 novembre 2024, il est mentionné que la procédure P/18420/2023 a été jointe à la P/1______/2023 "le 22 janvier 2024" et que selon la demande du Procureur, la P/18420/2023 avait été "rétablie ce jour à son état d'origine avant jonction".

C. Dans la décision querellée, le Ministère public retient que A______ n'était pas l'auteur de l'opposition et qu'aucune procuration n'avait été établie en ce sens par ce dernier en faveur d'un tiers, de sorte que ladite opposition n'était pas valable et donc irrecevable.

Dite ordonnance a été notifiée au prévenu, "soit pour lui son Conseil dans la P/1______/2023, Me B______ (…)".

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir rendu une décision sur la recevabilité de l'opposition alors que la compétence pour ce faire relevait exclusivement du Tribunal pénal, de sorte qu'elle devait être annulée. Il convenait de transmettre l'opposition à cette juridiction afin qu'elle statue sur la recevabilité.

Dans tous les cas, l'ordonnance litigieuse était entachée d'un formalisme excessif. Le Ministère public aurait dû lui impartir un délai pour réparer le vice de forme, ce d'autant qu'il n'était pas assisté d'un avocat.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. La compétence du Tribunal pénal était donnée uniquement afin qu'il statue sur la recevabilité d'une opposition tardive et non pas sur une opposition qui ne respecterait pas les formes prescrites. Dans tous les cas, l'autorité de recours contre une telle décision était la Chambre de céans, de sorte qu'elle pouvait guérir ce vice en se prononçant directement sur l'irrecevabilité de l'opposition.

S'agissant du formalisme excessif reproché, le prévenu avait eu l'occasion de se déterminer sur ce grief, mais y avait renoncé. Il ne pouvait dès lors invoquer une telle violation sans violer lui-même les règles de la bonne foi, étant relevé qu'il avait choisi de dicter son texte d'opposition à un membre de sa famille depuis l'étranger et demandé à celui-ci de poster son courrier – après avoir imité sa signature – de manière à tromper l'autorité.

c. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses conclusions.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP) qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de cette décision (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir rendu une ordonnance constatant l'irrecevabilité de son opposition, alors que cette compétence revenait au Tribunal de police.

2.1.       Le prévenu peut former opposition contre l'ordonnance pénale devant le ministère public, par écrit et dans un délai de dix jours (art. 354 al. 1 let. a CPP).

2.2.       Conformément à l'art. 356 al. 1 CPP, lorsqu'il décide de maintenir l'ordonnance pénale (art. 355 al. 3 let. a CPP), le ministère public transmet sans retard le dossier au tribunal de première instance en vue des débats, l'ordonnance pénale tenant alors lieu d'acte d'accusation. Selon l'art. 356 al. 2 CPP, le tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition (ATF 142 IV 201 consid. 2.2; 140 IV 192 consid. 1.3).

Le ministère public n'est ainsi pas compétent pour statuer sur cette validité
(ATF 140 IV 192 consid. 1.4).

Si l'opposition n'est pas valable, en raison notamment d'un vice de forme, le tribunal de première instance n'entre pas en matière sur celle-ci. Le contrôle imposé au tribunal de première instance par l'art. 356 al. 2 CPP doit intervenir à titre préjudiciel et d'office dans le cadre des art. 329 al. 1 let. b, respectivement 339 al. 2 let. b CPP, la validité de l'opposition constituant une condition du procès (arrêts du Tribunal fédéral 6B_218/2020 du 17 avril 2020 consid. 1.1; 6B_1067/2018 du 23 novembre 2018 consid. 1.2; 6B_271/2018 du 20 juin 2018 consid. 2.1 et les références citées).

2.3.       En l'espèce, le Ministère public a lui-même rendu une ordonnance constatant l'irrecevabilité de l'opposition formée par le recourant.

En agissant de la sorte, il s'est arrogé des compétences qui n'étaient pas les siennes. Il aurait dû transmettre l'opposition au Tribunal de police, en concluant éventuellement à son irrecevabilité.

Le cas d'espèce ne concerne pas la situation où le prévenu aurait agi hors délai et où l'opposition aurait pu être considérée comme une demande de restitution de délai
(art. 94 CPP), sur laquelle le Ministère public devait se prononcer. Au contraire, la question à trancher concernait un éventuel vice de forme et avait donc trait à la validité de l'opposition – prérogative exclusive du tribunal.

Ainsi, en ne transmettant pas l'opposition au Tribunal de police, mais en rendant lui-même une décision sur la validité de l'opposition, le Ministère public a violé
l'art. 356 CPP.

C'est également à tort que le Ministère public retient que l'éventuel vice pourrait être réparé dans le cadre du recours, sans contrôle préalable du Tribunal de police.

3.             Au vu de ce qui précède, le recours est admis et l'ordonnance attaquée, annulée. Le grief tiré d'un éventuel formalisme excessif n'a dès lors pas à être examiné.

La cause sera ainsi renvoyée au Ministère public afin qu'il procède conformément à l'art. 356 al. 1 CPP.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Le recourant sollicite l'assistance judiciaire dans le cadre de la procédure P/18420/2023 avec effet au 20 novembre 2024, y compris pour la procédure de recours.

5.1.       À teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, le tarif des avocats est édicté à l'art. 16 RAJ; il prévoit une indemnisation sur la base d'un tarif horaire, débours de l'étude inclus, de CHF 200.- pour un chef d'étude (art. 16 al. 1 let. a RAJ). Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

5.2.       En l'occurrence, le recourant a été mis au bénéfice de l'assistance judiciaire devant l'instance inférieure dans le cadre de la P/1______/2023, laquelle fait l'objet d'un traitement séparé de la présente procédure. Ce nonobstant, le Ministère public a adressé sa demande d'observations du 4 novembre 2024 relative à la présente procédure à la défenseure d'office du recourant nommée dans la P/1______/2023, laquelle procédure n'a pas été jointe à celle-là, malgré l'évocation d'une telle jonction dans la note du greffier du 20 novembre 2024. Il a également communiqué l'ordonnance litigieuse à cette même défenseure d'office désignée dans la P/1______/2023. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que l'avocate concernée sollicite d'être indemnisée pour son activité déployée dans le cadre de la présente procédure de recours.

En revanche, dans la mesure où l'assistance juridique est octroyée avec effet au jour du dépôt de la requête (art. 5 al. 1 RAJ) et qu'une telle demande n'a pas été faite devant le Ministère public, la Chambre de céans ne saurait statuer sur une requête d'assistance judiciaire formulée devant elle pour l'activité déployée antérieurement à sa saisine, faute de décision préalable de l'autorité inférieure sur ce point (art. 393 al. 1 let. a CPP; ACPR/536/2023 du 18 juillet 2023 consid. 6.2.1). Elle ne saurait non plus l'octroyer pour la procédure ultérieure.

Me B______ sera ainsi désignée comme défenseure d'office pour la présente procédure de recours exclusivement et rémunérée comme tel (art. 135 al. 1 CPP).

Compte tenu du travail accompli – soit cinq pages de recours, dont trois de développements juridiques, et une brève réplique –, sa rémunération sera arrêtée, ex aequo et bono, à CHF 500.- TTC.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Met A______ au bénéfice de l'assistance juridique pour la procédure de recours et désigne Me B______ à cet effet.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 500.- TTC pour l'instance de recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Catherine GAVIN, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).