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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/28669/2024

ACPR/324/2025 du 05.05.2025 sur ONMMP/711/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;GESTION DÉLOYALE;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;GÉRANT(SENS GÉNÉRAL);SOUPÇON
Normes : CPP.310.al1.leta; CP.158; CPP.382

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/28669/2024 ACPR/324/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 5 mai 2025

 

Entre

A______, représentée par Me Mohamed MARDAM BEY, avocat, rue De-Beaumont 3, case postale 24, 1211 Genève 12,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 7 février 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 20 février 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 7 février précédent, notifiée le 10 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 12 décembre 2024 contre B______, sa mère.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, non chiffrés, à l'annulation de cette décision et au renvoi de la procédure au Ministère public pour complément d'enquête.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. C______ et B______ se sont mariés en 1996. De leur union sont issus deux enfants, D______, né en 1999 et A______, née en 2000.

b. Le 21 septembre 2007, la grand-mère de C______ a constitué E______ TRUST, trust discrétionnaire détenant la société F______ Ltd, qui elle-même détenait deux comptes auprès de la banque G______, à H______ [NE]. Les bénéficiaires en étaient C______ et B______, ainsi que leurs deux enfants.

c. Le 15 août 2017, C______ a souhaité que seule son épouse, en première ligne, puis ses enfants, soient bénéficiaires du trust. Les intéressés se sont rencontrés dans ce but le 17 août 2017. Le 7 septembre 2017, C______ a été exclu du trust, et sa procuration annulée le 28 suivant.

d. Par lettre d'intention du 16 février 2018, B______ et ses enfants ont requis la dissolution de E______ TRUST en vue de la création du I______ TRUST auprès de la banque J______ (SUISSE) S.A. (ci-après, J______), à Genève.

e. Selon la lettre d'intention du 25 mars 2018, signée par les trois bénéficiaires, tous les fonds et le portefeuille titres de E______ TRUST ont été transférés sur le compte ouvert en son propre nom par B______ auprès de J______.

Au 31 octobre 2018, le total des actifs était de CHF 10'388'311.26.

f. Le 3 juin 2019, C______ a déposé plainte pénale contre B______ pour abus de confiance (art. 138 CP), escroquerie (art. 146 CP), menaces (art. 180 CP), contrainte (art. 181 CP) et blanchiment d'argent (art. 305bis CP). Il sollicitait le séquestre du compte J______.

Sa plainte a été classée le 22 juillet 2019 (procédure P/1______/2019), et son recours contre cette décision rejeté par la Chambre de céans (ACPR/34/2020 du 14 janvier 2020), puis par le Tribunal fédéral (arrêt 6B_199/2020 du 9 avril 2020).

Dans l’intervalle, C______ n'a pas obtenu le séquestre civil du compte J______, car son recours contre l’opposition formée avec succès par B______ a été rejeté par la Chambre civile de la Cour de justice, le 31 août 2020 (ACJC/1284/2020).

Il n'a pas non plus obtenu la reprise de la procédure préliminaire P/1______/2019 classée le 22 juillet 2019, le Ministère public l'ayant refusée par ordonnance du 16 décembre 2021. Son recours contre cette décision a été rejeté par la Chambre de céans (ACPR/333/2022 du 9 mai 2022), puis par le Tribunal fédéral (arrêt 6B_764/2022 du 17 avril 2023).

g. Le 27 août 2021, C______ s'est rendu auprès du Ministère public pour déposer une plainte complémentaire, confirmée par pli du 22 décembre 2021, contre B______ pour "faux d'identité" et tentative d'abus de confiance.

Sa plainte a fait l'objet d'une non-entrée en matière le 28 janvier 2022 (procédure P/2______/2022), et son recours contre cette décision a été rejeté par la Chambre de céans (ACPR/334/2022 du 9 mai 2022), puis par le Tribunal fédéral (arrêt 6B_764/2022 du 17 avril 2023).

h. Le 9 septembre 2020, A______ a saisi le Ministère public d'une plainte contre sa mère, au motif que celle-ci, dans le but de s'approprier les avoirs de E______ TRUST, avait contrefait ou imité sa signature sur des formulaires destinés à la banque G______ et sur une lettre d'intention du 16 février 2018, puis l'avait convaincue de signer, deux autres lettres d'intention – sans lui laisser les lire –, légalisées, des 16 février et 25 mars 2018. Elle demandait le blocage sans délai du compte J______.

Après avoir ouvert une instruction (procédure P/3______/2020), pour escroquerie (art. 146 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP), le Ministère public a ordonné, le 30 octobre 2020, le séquestre des avoirs et titres du compte bancaire au nom de B______ auprès de J______.

Le 4 novembre 2020, B______ a demandé la levée immédiate du séquestre, pour tout ce qui excédait la part à laquelle A______ pourrait prétendre dans la liquidation du régime matrimonial de ses parents, soit 20%, dont la prénommée ne disposerait qu’au décès de sa mère. Le Ministère public a accédé à cette demande. Sur recours de A______, cette décision a été annulée par la Chambre de céans, le 25 mars 2021 (ACPR/203/2021).

i. Le 6 avril 2022, A______ a déposé une nouvelle plainte contre sa mère, au motif que celle-ci aurait créé et utilisé de multiples faux dans les titres, pour figurer sur son propre certificat d'état civil en 2022 sous l'identité de B______ [autres noms de famille, deuxième prénom] "alors que [le] passeport suisse [de celle-ci] du 8 août 2019 se réfère à B______" (sic) [autres noms de famille]. Il convenait de corriger l'ensemble des pièces de la procédure qui désignaient la prévenue sous le nom de B______.

j. Le 14 juin 2022, le Ministère public a ordonné le classement des plaintes déposées par A______ contre B______ et a levé le séquestre en vigueur sur le compte de celle-ci auprès de J______.

En particulier, il a retenu la tardiveté de la plainte pénale, en tant qu'elle portait sur des accusations d'escroquerie, voire de gestion déloyale, commises entre proches. Il n'existait pas de soupçon suffisant de faux dans les titres, que ce soit sous l'angle d'une prétendue falsification de signatures ou d'une tromperie sur l'identité réelle de la prévenue.

Par arrêt du 2 septembre 2022 (ACPR/618/2022), la Chambre de céans a rejeté le recours formé par A______ contre cette ordonnance, dans la mesure de sa recevabilité. Cette décision a été confirmée par le Tribunal fédéral (arrêt 7B_77/2022 du 12 décembre 2023).

k. Par pli du 25 janvier 2024, également adressé en copie au conseil de la plaignante, le Ministère public a confirmé à J______ que l'ordonnance de classement du 14 juin 2022, ordonnant notamment la levée du séquestre du 30 octobre 2020 sur les avoirs et titres du compte au nom de B______ auprès de cet établissement, était définitive et exécutoire.

l. Le 12 décembre 2024, A______ a déposé une nouvelle plainte contre sa mère pour gestion déloyale (art. 158 CP), abus de confiance (art. 138 CP), escroquerie (art. 146 CP) et blanchiment d'argent (art. 305bis CP). Cette plainte fait l'objet de la présente procédure.

Elle lui reprochait, en substance, d'avoir constitué le I______ TRUST sous forme de trust non-discrétionnaire et révocable, alors que celui-ci devait se substituer à E______ TRUST avec les mêmes caractéristiques que ce dernier, soit une structure discrétionnaire et irrévocable. Cela fait, elle l'avait, par acte d'exclusion du 20 mars 2024, "définitivement" exclue des bénéficiaires du I______ TRUST, tandis qu'il n'était pas contestable que le patrimoine de ce trust devait également lui revenir. Les avoirs familiaux détenus dans le nouveau trust lui étaient désormais inaccessibles à titre définitif, alors que sa mère qui était tenue d'agir à tout le moins sur la base des obligations d'une gérante d'affaires sans mandat au sens de l'art. 419 CO, devait s'occuper de l'administration du patrimoine du I______ TRUST avec toute la diligence nécessaire et veiller fidèlement à ses intérêts, ce qu'elle n'avait pas fait à des fins d'enrichissement illégitime.

m. À l'appui de sa plainte, elle a produit de nombreux documents dont il ressort les éléments pertinents suivants:

-          Les lettres d'intention des 16 février et 25 mars 2018 – citées ci-dessus sous B.d. et B.e., par lesquelles B______, en tant que "senior beneficiary of the trust", et ses enfants avaient requis la dissolution de E______ TRUST en vue de la création du I______ TRUST auprès de J______ –, ne mentionnaient pas que ce nouveau trust devait conserver les mêmes caractéristiques que l'ancien, à savoir qu'il devait rester discrétionnaire et irrévocable. Il était d'ailleurs précisé dans la première de ces lettres que "We (beneficiaries) wish to collapse the existing Trust structure, discretionary Trust, and establish a new Trust, with a new Trustee (J______), which would be more suitable for the family going forward in terms of the balance between control and protection, and tax exposure", soit en traduction libre: "Nous (les bénéficiaires) souhaitons supprimer la structure existante du Trust, le Trust discrétionnaire, et établir un nouveau Trust, avec un nouveau Trustee (J______), qui conviendrait mieux à la famille pour l'avenir en termes d'équilibre entre le contrôle et la protection, et l'exposition fiscale" (pièces 13 et 14).

-       B______ avait, en outre, précisé au point 7 de son courriel du 5 mars 2018, produit sous pièce 12, qu'elle considérait la structure de E______ TRUST comme un type de structure très ancien ["to collapse the discretionnary trust which is a very old type of structure"].

-          Selon le courriel de J______ adressé à B______ le 22 juin 2018, il était prévu que le nouveau trust soit révocable par la seconde citée ["the trust is revocable by you"] (pièce 19).

-          Le ______ 2018, la société K______, immatriculée à Jersey, avait été constituée en tant que société sous-jacente du I______ TRUST, lequel était, contrairement à E______ TRUST, une structure révocable, dont l'acte de constitution réservait à B______ (Settlor) le droit de dissoudre le trust en tout temps et sans motif, ainsi que d'exclure un bénéficiaire (art. 7 de l'acte constitutif du I______ TRUST). Agissant en qualité d'administratrice unique de K______, J______ LTD avait ouvert, le ______ 2019, une relation n° 4______ auprès de J______ à Genève, dont B______ était l'ayant droit économique.

-          L'acte constitutif du I______ TRUST, établi le 18 octobre 2018, entre B______ (Settlor) et J______ TRUSTEE LTD (Trustee) stipulait expressément que le Settlor pouvait exclure partiellement ou complètement, de manière révocable ou irrévocable, l'un des bénéficiaires du trust (art. 7.2, pièce 21, p. 10). Était également opérée une distinction entre les bénéficiaires à vie du trust, dont seule B______ faisait partie en sa qualité de Settlor, lesquels pouvaient bénéficier des revenus du trust à l'exclusion de tous les autres bénéficiaires (art. 8.1 et 8.2, pièce 21, p. 10 et 44) et les bénéficiaires discrétionnaires susceptibles de percevoir capital et revenus du trust après le décès du Settlor, soit la plaignante et son frère (art. 9, pièce 21, p. 12 et 45 ss). Aucune clé de répartition entre les bénéficiaires discrétionnaires n'était prescrite.

-          L'acte d'exclusion du 20 mars 2024 avait été signé par B______, en sa qualité de Settlor, domiciliée en Arabie Saoudite, ainsi que par un témoin domicilié à Londres et J______ TRUSTEE LTD, sise à Jersey. Cet acte formalisait l'exercice par le Settlor de son droit prévu à l'art. 7.2 de l'acte constitutif d'exclure l'un des bénéficiaires du trust et déclarait A______ "personne exclue" (pièce 53). Cette dernière avait eu connaissance de son exclusion du I______ TRUST le 17 septembre 2024, par pli des avocats du trustee à son conseil.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que les infractions d'escroquerie, voire d'abus de confiance, dénoncées avaient déjà fait l'objet d'ordonnances de classement – définitives et exécutoires – dans le cadre des procédures P/1______/2019 et P/3______/2020, de sorte qu'une non-entrée sur ces faits s'imposait (art. 310 al. 1 let. b CPP).

S'agissant de l'infraction de gestion déloyale, sa compétence ratione loci faisait défaut. En effet, il n'était ni allégué, ni établi que B______ avait signé l'acte du 20 mars 2024 en Suisse. De plus, aucun des signataires de cet acte n'était domicilié en Suisse, mais en Arabie Saoudite, en Grande-Bretagne, respectivement à Jersey. Le seul lien avec la Suisse résidait dans le lieu de situation du compte bancaire détenu par K______, société sous-jacente du I______ TRUST, immatriculée à Jersey. Par ailleurs, au moment de son exclusion du trust, la plaignante n'était pas ayant droit économique des valeurs détenues en Suisse par K______, au contraire de sa mère. Aucun résultat au sens de l'art. 8 al. 1 CP ne s'était donc produit en Suisse. Partant, A______ n'y avait subi aucun préjudice direct (art. 310 al. 1 let. b CPP).

En tout état, B______, en sa qualité de Settlor, n'avait aucun pouvoir de gestion sur les biens du trust, cette prérogative de gestion appartenant au Trustee. La gestion d'affaires pour autrui sans mandat n'entrait pas non plus en ligne de compte, dans la mesure où B______ n'avait pas une position de garante à l'égard de sa fille et qu'elle avait agi en respectant l'acte de constitution du trust – dont les conditions de la création ne pouvaient plus être remises en question – sans qu'aucune atteinte directe et actuelle aux intérêts pécuniaires de la plaignante n'ait pu être constatée en Suisse (art. 310 al. 1 let. a CPP).

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche à l'autorité intimée d'avoir violé l'art. 310 CPP.

La compétence des autorités suisses était donnée, dès lors que l'enrichissement illégitime, respectivement l'appauvrissement, visés par l'art. 158 CP s'étaient bien produits en Suisse puisqu'ils avaient pris la forme d'une exclusion de ses droits de bénéficiaire sur les actifs détenus par K______ auprès de J______, dont le siège était à Genève. En outre, plusieurs points de rattachement territorial avec la Suisse au sens de l'art. 8 CP existaient. L'acte en cause [bien qu'il ait été signé à l'étranger] avait été utilisé et exploité de manière déterminante par son auteur en Suisse pour entériner la modification des formulaires A et T éliminant son nom des livres de J______. La restructuration du patrimoine de la famille [de] A______, ayant abouti à l'acte d'exclusion du 20 mars 2024, était étroitement liée à la Suisse, tel qu'établi dans la décision querellée. L'ensemble des parties était de nationalité suisse. Le for en Suisse de l'action pénale avait été admis sans discussion lors de l'instruction des précédentes plaintes [P/1______/2019 et P/3______/2020]. Enfin, le dépôt d'une plainte en Arabie Saoudite semblait voué à l'échec, l'ensemble des preuves documentaires et le produit de l'infraction étant localisés à Genève.

Les éléments constitutifs de l'infraction de gestion déloyale aggravée étaient, par ailleurs, réunis. Il était établi que la mise en cause avait agi jusqu'à la majorité de la recourante en qualité de détentrice de l'autorité parentale et devait dès lors s'occuper de l'administration de son patrimoine avec toute la diligence nécessaire et veiller fidèlement à ses intérêts, son devoir de gestion découlant de la loi (art. 318 CC). Il lui appartenait ensuite de veiller à ne pas porter atteinte aux intérêts de sa fille en sa qualité de gérante d'affaires sans mandat, rôle qu'elle avait revêtu dès le dix-huitième anniversaire de celle-ci. Son dommage au sens de l'art. 158 CP résultait d'une non-augmentation de ses actifs et/ou d'une mise en danger de son patrimoine. Sa mère n'était donc pas libre de l'exclure pour s'approprier abusivement les fonds du trust. En effet, "à rigueur des précédentes décisions et nonobstant le classement des plaintes", B______ avait l'obligation expresse de se plier aux lettres d'intention de 2018 et d'affecter les avoirs bancaires dans le respect des accords souscrits dès 2017 par les époux.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1. À titre liminaire, la Chambre de céans constate que la recourante limite son recours à l'infraction de gestion déloyale aggravée. Le refus d'entrer en matière sur les infractions d'escroquerie et d'abus de confiance évoquées dans l'ordonnance querellée n'apparaissant plus litigieux, la recourante ne développant aucun argument à leur sujet, il ne sera pas examiné plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al.1 let. a CPP).

2. 2.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).


 

2.2. Reste à examiner si la recourante dispose de la qualité pour agir.

2.2.1. La question devant être examinée d'office par l'autorité pénale, toute partie recourante doit s'attendre à ce que son recours soit examiné sous cet angle, sans qu'il en résulte pour autant de violation de son droit d'être entendue (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1207/2013 du 14 mai 2014 consid. 2.1).

2.2.2. Seule la personne qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée dispose de la qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP).

2.2.3. Le recourant, quel qu'il soit, doit être directement atteint dans ses droits et doit établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu'il peut, par conséquent, en déduire un droit subjectif. Le recourant doit en outre avoir un intérêt à l'élimination de cette atteinte, c'est-à-dire à l'annulation ou à la modification de la décision dont provient l'atteinte (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 382).

L'intérêt doit être juridique et direct, le but étant de permettre aux tribunaux de ne trancher que des questions concrètes et de ne pas prendre des décisions uniquement théoriques. À noter que l'intérêt juridiquement protégé se distingue de l'intérêt digne de protection qui n'est pas, lui, nécessairement juridique mais peut aussi être un pur intérêt de fait ; ce dernier ne suffisant pas à fonder une qualité pour recourir. Ainsi, l'existence d'un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt futur ne suffit pas (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, Bâle 2016, 2ème éd., n. 2 ad art. 382 CPP et les références citées).

2.2.4. L'art. 104 al. 1 let. b CPP précise que la qualité de partie est reconnue à la partie plaignante. On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). Le lésé est celui dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 141 IV 454 consid. 2.3.1; 141 IV 1 consid. 3.1). Lorsque la norme protège un bien juridique individuel, la qualité de lésé appartient au titulaire de ce bien (ATF 141 IV 1 consid. 3.1; 138 IV 258 consid. 2.3; 129 IV 95 consid. 3.1).

2.2.5. Pour être directement touché, le lésé doit subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (arrêts du Tribunal fédéral 7B_11/2023 du 27 septembre 2023 consid. 3.2.1; 6B_191/2021 du 11 août 2021 consid. 3.1).

Ainsi, une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_304/2020 du 3 décembre 2020 consid. 2.1).

2.2.6. Les infractions contre le patrimoine – au nombre desquelles figure la gestion déloyale – protègent le détenteur des biens/avoirs menacés, lequel dispose du statut de lésé (ATF 148 IV 170 consid. 3.3.1).

2.2.7. Le trust se définit comme un rapport juridique dans lequel le constituant (settlor) confie des biens patrimoniaux au trustee afin qu'il les gère dans l'intérêt d'un bénéficiaire. Ces biens constituent une masse distincte du patrimoine du trustee. Ce dernier en acquiert seul la propriété. Il est chargé d'administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust (cf. art. 2 de la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er juillet 2007; RS 0.221.371). Les bénéficiaires sont les personnes dans l'intérêt desquelles le trust a été constitué, et qui peuvent se voir attribuer une extrême diversité de droits et/ou d'expectatives, qui peuvent être déterminés d'avance (fixed interest trust) ou laissés à l'appréciation du trustee (discretionary interest trust ; E. PODA, Les effets en droit privé de l'obligation d'identifier l'ayant droit économique, thèse, Genève 2019, p. 63).

Ainsi, quand une infraction est commise au détriment du patrimoine d'un trust – entité qui est dénuée de personnalité juridique –, c'est en principe le trustee – lequel bénéficie de prérogatives identiques à celles d'un propriétaire – qui revêt le statut de lésé, à l'exclusion des bénéficiaires dudit trust (arrêts du Tribunal fédéral 7B_167/2023 du 28 juillet 2023 consid. 4.3.2 et 1B_319/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2.3. En l'occurrence, la recourante se plaint de la décision prise par sa mère, dans l'acte du 20 mars 2024, de l'exclure définitivement de la liste des bénéficiaires du I______ TRUST, ce qui porterait atteinte à son patrimoine.

Elle n'explique cependant nullement en quoi elle serait directement lésée par l'infraction de gestion déloyale aggravée dénoncée, pas plus qu'elle ne démontre une atteinte propre à ses intérêts patrimoniaux, celle-ci ne se prévalant au surplus pas d'avoir elle-même alimenté le trust, ce qui n'aboutirait pas à un autre résultat.

En effet, l'atteinte alléguée à son patrimoine ne serait qu'indirecte, lequel ne serait touché qu'en second lieu, dès lors que la recourante ne dispose d'aucun droit de propriété, ni même de possession sur les biens dudit trust; elle bénéficiait – avant son exclusion – uniquement d'une expectative à ce que le Trustee, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, la désigne, le moment venu, soit après le décès de sa mère (Settlor), comme étant la ou l'une des attributaires des avoirs (art. 9, pièce 21, p. 12 et 45 ss).

Dès lors qu'elle n'est, tout au plus, lésée que de façon médiate, la recourante – qui ne fait au demeurant pas grief au Trustee d'être l'auteur principal de l'infraction [cas dans lequel la qualité de lésé (arrêt du Tribunal pénal fédéral BB.2018.145 du 7 mars 2019 consid. 1.4), et celle pour recourir (ACPR/534/2014 du 14 novembre 2014 consid. 5.4), pourraient éventuellement être étendues aux bénéficiaires du trust] – n'est pas habilitée à former recours contre l'ordonnance querellée. Il s'ensuit que la qualité pour agir, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, doit lui être déniée.

Son recours est, par conséquent, irrecevable.

Admettrait-on le contraire que le recours devrait de toute manière être rejeté pour les motifs qui suivent.

3. La recourante reproche au Ministère public de ne pas avoir donné suite à sa plainte pour gestion déloyale aggravée.

3.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le Ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 / 138 IV 86 consid. 4.1).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 10 ad art. 310).

3.2. L'art. 158 CP punit le gérant d'affaires qui, en agissant avec (ch. 1 al. 1) ou sans mandat (ch. 1 al. 2), viole les devoirs auxquels il est tenu et, ce faisant, porte atteinte aux intérêts pécuniaires du tiers pour le compte duquel il intervient. Le cas de gestion déloyale aggravé est réalisé lorsque l'auteur a agi dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime (ch. 1 al. 3).

Cette infraction suppose la réalisation de quatre éléments constitutifs: il faut que l'auteur ait eu une position de gérant, qu'il ait violé une obligation lui incombant en cette qualité, qu'il en soit résulté un dommage et qu'il ait agi intentionnellement (ATF 120 IV 190 consid 2b).

Revêt la qualité de gérant celui à qui il incombe, de fait ou formellement, la responsabilité d'administrer un complexe patrimonial non négligeable dans l'intérêt d'autrui. La qualité de gérant suppose un degré d'indépendance suffisant et un pouvoir de disposition autonome sur les biens administrés. Ce pouvoir peut aussi bien se manifester par la passation d'actes juridiques que par la défense, au plan interne, d'intérêts patrimoniaux, ou encore par des actes matériels, l'essentiel étant que le gérant se trouve au bénéfice d'un pouvoir de disposition autonome sur tout ou partie des intérêts pécuniaires d'autrui. Le gérant sera ainsi punissable s'il transgresse – par action ou par omission – les obligations spécifiques qui lui incombent en vertu de son devoir de gérer et de protéger les intérêts pécuniaires d'une tierce personne (ATF 142 IV 346 consid. 3.2). Le comportement délictueux consiste à violer le devoir de gestion ou de sauvegarde. Pour dire s'il y a violation, il faut déterminer concrètement le contenu du devoir imposé au gérant. Cette question s'examine au regard des rapports juridiques qui lient le gérant au titulaire des intérêts pécuniaires qu'il administre, compte tenu des dispositions légales ou contractuelles applicables (arrêts du Tribunal fédéral 6B_959/2017 du 29 mars 2018 consid. 3.3.1; 6B_787/2016 du 2 mai 2017 consid. 2.3).

3.3. En l'espèce, la recourante reproche à sa mère d'avoir manqué à son devoir de diligence en l'excluant définitivement de la liste des bénéficiaires du I______ TRUST, laquelle était, à bien la comprendre, tenue d'agir, après sa majorité, sur la base des obligations d'une gérante d'affaires sans mandat au sens de l'art. 419 CO.

Or, aucun élément au dossier ne permet de retenir que la précitée se serait vu accorder par la plaignante un pouvoir de gestion et de disposition autonome sur le patrimoine de cette dernière, étant rappelé qu'en sa qualité de Settlor, la mise en cause n'avait aucun pouvoir de gestion sur les biens du I______ TRUST, cette prérogative de gestion appartenant au Trustee, comme énoncé au consid. 2.2.6 supra. En outre, elle n'était plus tenue d'administrer les biens de sa fille, n'ayant plus l'autorité parentale au vu de l'accession à la majorité de celle-ci (art. 318 al. 1 CC a contrario) et n'avait dès lors – tel que retenu par l'autorité intimée – aucune position de garante à l'égard de son enfant. La première n'avait ainsi aucun devoir de sauvegarder les intérêts de la seconde. La qualité de gérante de la mise en cause paraît donc faire défaut.

De plus, la recourante ne saurait être suivie lorsqu'elle affirme que le I______ TRUST devait se substituer à E______ TRUST avec les mêmes caractéristiques que ce dernier, soit comme étant une structure discrétionnaire et irrévocable. En effet, cela ne ressort pas des lettres d'intention des 16 février et 25 mars 2018, citées ci-dessus sous B.d., B.e et B.m. Au contraire, la première d'entre elles précise que les bénéficiaires souhaitaient supprimer la structure existante du trust – le trust discrétionnaire – et établir un nouveau trust, avec un nouveau trustee, qui conviendrait mieux à la famille pour l'avenir en termes d'équilibre entre le contrôle et la protection, et l'exposition fiscale. Il était d'ailleurs prévu depuis juin 2018 que le nouveau trust soit révocable par la mise en cause (pièce 19). La recourante ne peut dès lors lui reprocher aujourd'hui de ne pas avoir suivi ses instructions et d'avoir, par conséquent, violé ses obligations en constituant un trust révocable, dont les conditions de la création ne peuvent plus être remises en question, et qui, selon son acte constitutif, lui permettait d'en exclure l'un des bénéficiaires.

Il s'ensuit qu'il n'existe pas de prévention suffisante de la réalisation des éléments constitutifs de l'infraction de gestion déloyale aggravée, au sens de l'art. 158 ch. 1 al. 1 à 3 CP. La question de l'incompétence ratione loci des autorités helvétiques – telle que retenue par le Ministère public – peut dès lors rester ouverte.

On ne voit, par ailleurs, pas quel acte d'investigation serait susceptible d’infirmer ce qui précède. La recourante n'en sollicite au demeurant aucun.

En l'absence de toute infraction pénale pouvant être reprochée à la mise en cause, c'est à bon droit que le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte visée.

4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée, à tout le moins par substitution de motifs. Le recours, qui s'avère irrecevable, voire mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

5. La recourante succombe (art. 428 al. 1 CPP).

Elle supportera, en conséquence, les frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours dans la mesure où il est recevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Valérie LAUBER, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur
Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Valérie LAUBER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/28669/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00